Nullité de constat : 23 mai 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01780

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Nullité de constat : 23 mai 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01780
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ARRÊT N°

CS/FA

COUR D’APPEL DE BESANÇON

– 172 501 116 00013 –

ARRÊT DU 23 MAI 2023

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

Contradictoire

Audience publique du 21 mars 2023

N° de rôle : N° RG 21/01780 – N° Portalis DBVG-V-B7F-ENXL

S/appel d’une décision du TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LONS-LE-SAUNIER en date du 29 juillet 2021 [RG N° 20/00415]

Code affaire : 58Z Demande relative à d’autres contrats d’assurance

S.A. LA RURALE C/ G.A.E.C. [W] FRÈRES

PARTIES EN CAUSE :

S.A. LA RURALE

Sise [Adresse 2]

Inscrite au RCS de Nanterre sous le numéro 572 166 437

Représentée par Me Jean-Yves REMOND, avocat au barreau de JURA

APPELANTE

ET :

G.A.E.C. [W] FRÈRES

Sis [Adresse 1]

Inscrit au RCS de Lons le Saunier sous le numéro 337 977 128

Représentée par Me Anne LHOMME de la SELARL BARDET LHOMME, avocat au barreau de JURA

INTIMÉE

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.

ASSESSEURS : Messieurs Dominique RUBEY, vice-président placé et Cédric SAUNIER, conseiller.

GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier.

Lors du délibéré :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre,

ASSESSEURS : Messieurs Dominique RUBEY, vice-président placé, et Cédric SAUNIER,magistrat rédacteur.

L’affaire, plaidée à l’audience du 21 mars 2023 a été mise en délibéré au 23 mai 2023. Les parties ont été avisées qu’à cette date l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

**************

Faits, procédure et prétentions des parties

Le 28 mars 2014, le GAEC [W] Frères (le GAEC) a souscrit, avec effet au 23 février précédent à midi, une assurance des cultures auprès de la SA La Rurale correspondant au ‘pack A1″ garantissant les évènements liés à la grêle et aux tempêtes.

Le 5 mai 2018, le GAEC a déclaré à l’assureur l’assolement de l’exercice 2018 faisant notamment état de neuf parcelles cultivées en blé, colza, moutarde et navette sur la commune de [Localité 4] et de cinq autres parcelles cultivées en blé et orge sur la commune de [Localité 3].

Un épisode de grêle est survenu le 15 mai 2018.

Le même jour, des inondations et des coulées de boues ont conduit à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle par arrêté du 17 septembre 2018 concernant la commune de [Localité 4].

Après déclaration de sinistre, un constat contradictoire de perte provisoire a été réalisé le 30 mai 2018, suivi d’un constat définitif le 21 juin suivant mentionnant des taux des perte des cultures, concernant les parcelles de [Localité 4], compris entre 14 et 35 % pour le blé et entre 25 et 45 % pour le colza, la moutarde et la navette.

Après récolte des parcelles de [Localité 4] effectuées selon le GAEC le 22 juillet 2018, ce dernier a sollicité en vain une révision des taux de perte de sorte que selon mission du 21 août 2019, une expertise amiable a été organisée par la SA Covéa Protection Juridique, assureur du GAEC. M. [M] [F], expert foncier, a proposé de retenir un taux de perte de 45 % pour les parcelles de colza et de 40 à 55 % pour les parcelles de blé en considération des taux de perte arrêtés concernant les fonds limitrophes à une date plus proche de la récolte, conduisant à fixer l’indemnisation du GAEC à la somme de 19 046,20 euros au titre de ces parcelles.

La société La Rurale ayant refusé de modifier sa proposition d’indemnité au visa du constat de perte signé sans réserve par le GAEC, ce dernier l’a assignée devant le tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier par acte délivré à personne le 11 mai 2020 aux fins de la voir condamner à lui verser, au fond, la somme de 19 046, 20 euros en faisant valoir, au visa des articles 1372 et 1130 du code civil et des conditions générales du contrat d`assurance selon lesquelles l’expertise des pertes doit être effectuée ‘au moment le plus favorable pour permettre une estimation la plus exacte possible’, que son consentement a été vicié lors de la signature du constat de perte par une erreur portant sur la date à laquelle les opérations d’expertise ont été menées, celle-ci étant trop éloignée de la récolte du blé et du colza, précisant que les opérations d’expertise sur les parcelles voisines se sont déroulées douze jours plus tard et ont donné lieu à des chiffrages de pertes plus élevés.

La société La Rurale faisait valoir en première instance :

– qu’aucun vice du consentement n’est établi concernant l’acceptation par le GAEC des pourcentages des pertes consécutives à l’épisode de grêle, ce dernier se limitant à affirmer que les taux de perte sont erronés ;

– que l’indemnisation a été justement évaluée au regard des garanties souscrites ne portant que sur les orages de grêle, de sorte qu’elle est moindre que celle offerte par les assurances des exploitants voisins puisque d’une part, les coulées de boues et inondations qui relèvent d’un état de catastrophe naturelle sont exclues du contrat et d’autre part, les orages de grêle sont des événements très localisés de sorte que la comparaison avec les expertises des parcelles voisines n’est pas pertinente ;

– que l’évaluation du dommage a été effectuée à la date la plus proche du sinistre en raison de la pluralité des désordres et de la nécessité de différencier les pertes dues à la grêle de celles dues aux coulées de boue et aux inondations qui n’étaient pas assurées, indépendamment des interrogations relatives à la causalité des pertes subies par le GAEC, lesquelles lui auraient été moins favorables ;

– qu’en signant le constat de perte, le GAEC a validé l’évaluation des experts sans la remettre en cause dans le cadre d’une expertise amiable contradictoire qui pouvait être demandée en cas de désaccord sur l’indemnisation des dommages.

Par jugement rendu le 29 juillet 2021, le tribunal a condamné la société La Rurale à verser au GAEC la somme de 19 046, 20 euros correspondant à l’indenmisation des dommages causés par la grêle le 15 mai 2018, outre la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance a considéré :

– que l’expertise diligentée par la société La Rurale s’est déroulée plus d’un mois après le sinistre, alors que les expertises concernant les exploitations voisines sinistrées produisant du blé et du colza se sont déroulées les 27 juin et 3 juillet 2018 ;

– que si l’épisode de grêle est très localisé, il résulte de ces constats de perte que l’intégralité des parcelles sont limitrophes et situées dans un périmètre de trois kilomètres carrés au plus ;

– que le constat de perte du 21 juin 2018 ne fait état d’aucune autre cause de sinistre que le seul épisode de grêle, de sorte que les considérations relatives au défaut de prise en charge des conséquences des inondations et des coulées de boue sont sans incidence, alors qu’il ne peut être vérifié que les parcelles des exploitations voisines n’ont pas eu à connaître d’autres préjudices que ceux causés par la chute de la grêle ;

– que l’assurance souscrite garantit des événements limitativement énumérés dont la grêle définie comme ‘les pertes de quantité causées aux récoltes assurées et dues exclusivement à l’action mécanique du choc des grêlons’ ;

– que le GAEC, qui n’a pas été détrompé par l’assureur et les experts mandatés, a pu se faire une idée fausse sur la date la plus propice pour évaluer son dommage, s’attendant pourtant à ce qu’elle soit, selon la police, ‘la plus favorable pour permettre une estimation la plus exacte possible’ pour lui permettre de bénéficier de la réparation intégrale de son préjudice ;

– que les constats de perte dressés par les trois exploitations voisines révèle un décalage significatif entre les taux de perte retenus et les taux de rendement par hectare ;

– que le GAEC est donc fondé à soutenir qu’il a signé, par erreur, le constat des pertes en s’étant mépris sur la date à laquelle celles-ci pouvaient être évaluées laquelle s’est avérée trop lointaine au regard de l’état de maturité des cultures ;

– qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir sollicité une expertise contradictoire, ainsi que le prévoient les conditions générales de la police d’assurance, alors que le GAEC a tenté d’obtenir une révision amiable des déclarations des pertes via son assureur protection juridique ;

– que l’indemnisation évaluée à la somme de 19 046,20 euros par M. [F] n’a pas été discutée par la société La Rurale.

Par déclarations du 29 septembre 2021 puis du 1er octobre 2021 rectifiant la nature de l’activité exercée par l’intimée, la société La Rurale a interjeté appel de l’intégralité des chefs du jugement.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état rendue le 6 octobre 2021.

Selon ses premières dernières conclusions transmises le 13 décembre 2021, elle demande à la cour de ‘réformer’ le jugement dont appel et demande à la cour de :

– constater’ que le GAEC n’a pas mis en ‘uvre la procédure d’expertise contradictoire prévue par les conditions générales ;

– ‘juger’ que cela constitue une fin de non-recevoir ;

– subsidiairement, limiter l’indemnisation du GAEC à la somme de 11 805,52 euros pour les parcelles situées sur la commune de [Localité 4] ;

– le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– le condamner aux entiers dépens de l’instance.

Elle fait valoir :

– que les conditions générales du contrat d’assurance prévoient qu”en cas de désaccord sur le montant des dommages, il sera procédé à une expertise amiable contradictoire sous réserve des droits respectifs des parties’, de sorte que le défaut d’expertise contradictoire, ou même de demande en ce sens de la part du GAEC constitue une fin de non-recevoir ;

– que les pertes résultant des inondations ou des coulées de boue ne sont pas couvertes par le contrat et font l’objet d’une garantie non souscrite, alors que l’expertise réalisée par la société Covéa Protection Juridique évalue les pertes en prenant en compte les dommages provoqués par les évènements susvisés ;

– qu’il en résulte que l’indemnisation proposée est moindre que celle octroyée par d’autres assureurs qui ne différencient pas les coulées de boues et l’inondation ;

– que les expertises concernant les agriculteurs voisins ne sont pas pertinentes eu égard au caractère très ponctuel et très localisé des dommages ;

– que les chiffres de rendement mentionnés par l’expert agricole ne sont pas vérifiés ;

– que la pluralité de désordres ayant concerné la commune de [Localité 4] explique que l’évaluation ait été faite au plus proche du sinistre, afin de différencier les pertes selon leur cause de sorte qu’une évaluation plus tardive aurait désservi le GAEC ;

– que ce dernier, qui a donné son accord sur l’évaluation des pertes effectuée par les experts, n’établit pas une erreur dans l’évaluation du sinistre ;

– qu’il était assisté de son expert conseil, tandis qu’il n’est produit aux débats aucun document attestant du montant des pertes avancées et donc d’une erreur dans la fixation du taux de perte;

– en tout état de cause, qu’il s’agirait d’une erreur sur la valeur ne constituant pas une cause de nullité du constat contradictoire de pertes signé le 30 mai 2018 en application de l’article 1136 du code civil.

Le GAEC a répliqué en premier et dernier lieu par conclusions transmises le 11 mars 2022 pour demander à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner l’appelante à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Il expose :

– concernant la recevabilité de son action, que les conditions générales du contrat d’assurance n’instituent pas une procédure préalable et obligatoire à la saisine du juge en cas de désaccord sur le montant des dommages, de sorte que l’absence de désignation d’un troisième expert amiable ne constitue pas une fin de non-recevoir ;

– qu’au surplus, il ne conteste pas le rapport d’expertise établi par les deux experts de la société La Rurale le 21 juin 2018 qui fixait pour chaque parcelle le pourcentage de pertes, mais ne s’est rendu compte de l’erreur que lors de la récolte au mois de juillet suivant ;

– qu’il ne conteste ni le prix assuré pour la récolte de blé et de colza, ni le rendement déclaré mais uniquement le taux de perte calculé par les experts, lequel a été estimé à une date trop éloignée de la récolte pour permettre une estimation exacte ;

– que dans le cas d’espèce, le calcul du taux de pertes n’est pas conforme aux dispositions contractuelles, de sorte que son consentement a été vicié dans la mesure où il démontre une erreur lors de la signature du constat de pertes, en ce que leur évaluation erronée ne provient pas de l’estimation du taux de perte au 21 juin 2020 mais de la date de l’expertise non conforme aux dispositions du contrat d’assurance de sorte que la société La Rurale a commis une faute ;

– qu’à titre infiniment subsidiaire, la cour devra ordonner une expertise.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience du 21 mars suivant et mise en délibéré au 23 mai 2023.

En application de l’article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.

Motifs de la décision

A titre liminaire, la cour observe qu’elle n’est saisie ni d’une demande tendant à l’irrecevabilité de l’action engagée par le GAEC, ni d’une demande d’expertise formée par ce dernier.

En application des articles 1130 et 1131 du code civil, l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement, constituant ainsi une cause de nullité relative du contrat, lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

Il résulte de la combinaison des articles 1132 et 1133 du code précité que l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant, à savoir celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté.

Enfin et aux termes des articles 1135 et 1136 du même code, ne constituent pas des causes de nullité :

– l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte ;

– l’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement.

Il est constant, sauf à établir un vice du consentement, que le constat définitif de perte signé par les parties le 21 juin 2018 leur tient lieu de loi en application de l’article 1103 du code civil.

Etant observé qu’il n’est formé par le GAEC aucune demande tendant à l’annulation du constat susvisé, le désaccord apparu postérieurement à l’établissement contradictoire de celui-ci est lié au fait que le GAEC estime que les exploitants des parcelles limitrophes ont été mieux indemnisés.

Les conditions générales du contrat d’assurance ‘grêles des cultures’, dont la contractualisation n’est pas contestée, précisent en page 2 que ne sont notamment pas garantis la perte de qualité des récoltes assurées ainsi que les dommages ou l’aggravation des dommages résultant des maladies, parasites et traitements pouvant précéder, accompagner ou suivre la chute des grêlons ou la tempête.

Les mêmes conditions générales énoncent en page 12 que l’expertise des pertes sera effectuée ‘au moment le plus favorable pour permettre une estimation la plus exacte possible’, selon une méthode consistant à estimer ‘quelle aurait été la quantité du produit principal sur la parcelle sinistrée si la récolte était arrivée à maturité sans être sinistrée’ en tenant compte des autres variables pouvant influer sur le rendement final.

En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise amiable établi à la demande de la société Covéa Protection Juridique que les constats de pertes établis les 24 mai, 27 juin et 3 juillet 2018 relatifs aux conséquences des chutes de grêle survenues le 15 mai 2018 sur des parcelles situées sur la même commune de [Localité 4] mentionnent des taux sensiblement supérieurs à ceux retenus dans le constat du 21 avril 2018.

Etant rappelé que les dommages liés à la grêle peuvent revêtir une importance très variable en fonction de la localisation des parcelles, tandis que les dispositions contractuelles précisent que l’évaluation des pertes est calculées en considération des caractéristiques propres de chaque parcelle définissant des perspectives de récolte spécifiques, le GAEC n’établit pas que les différences de taux de perte observées sont liées au délai écoulé entre les évaluations respectives des parcelles.

En outre, indépendamment des seules affirmations conclusives et non-étayées de M. [F] dans son rapport, il n’est pas établi que l’appréciation du taux de perte aurait été inexact car effectuée dans le cas d’espèce à une date trop éloignée de la récolte contrairement aux dispositions contractuelles, étant précisé que les taux de rendement à l’hectare retenus ne sont pas contestés.

Dès lors, le GAEC n’établit pas que son consentement lors de la signature du constat de perte daté du 21 juin 2018 a été vicié par une erreur, déterminante de sa volonté, portant sur la date de l’expertise non conforme aux dispositions du contrat d’assurance car trop lointaine de la récolte au regard de l’état de maturité des cultures.

Il en résulte que le jugement critiqué sera infirmé et que la demande en paiement formée par le GAEC sera rejetée.

Conformément à la demande formulée par la société La Rurale, l’indemnisation due au GAEC liée au sinistre de grêle du 15 mai 2018 concernant les parcelles litigieuses sera fixée à la somme de 11 805,52 euros.

 


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