Merchandising : 10 juin 2022 Cour d’appel de Toulouse RG n° 19/05400

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Merchandising : 10 juin 2022 Cour d’appel de Toulouse RG n° 19/05400
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10/06/2022

ARRÊT N°2022/260

N° RG 19/05400 – N° Portalis DBVI-V-B7D-NLOY

CB/AR

Décision déférée du 07 Novembre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Toulouse ( )

DAVID P

[N], [A] [T]

C/

SA NATURE ET DECOUVERTES

INFIRMATION

Grosse délivrée

le 10 6 22

à Me Pauline VAISSIERE

Me Sophie CREPIN

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX

***

APPELANT

Monsieur [N], [A] [T]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Pauline VAISSIERE de la SELARL VOA, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

SA NATURE ET DECOUVERTES

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Sophie CREPIN de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant) et par Me Christine PFAUDLER, avocat au barreau de PARIS (plaidant)

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. BRISSET, présidente et A.PIERRE-BLANCHARD, conseillère, chargées du rapport. Ce magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BRISSET, présidente

A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

Greffier, lors des débats : A. RAVEANE

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [N] [T] a été embauché à compter du 13 mars 1995 par la SA Nature et Découvertes, en qualité de directeur stagiaire de magasin, statut cadre autonome.

M. [T] a été promu à compter du 1er mars 2002 directeur régional, statut cadre dirigeant, coefficient 400 de la convention collective du commerce de détail non alimentaire.

Dans le dernier état de la relation contractuelle, la rémunération brute mensuelle de M. [T] a été fixée à hauteur de 6 433, 59 euros.

Le 14 juin 2017, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s’est tenu le 27 juin 2017.

Le 11 juillet 2017, il a été licencié pour cause réelle et sérieuse et dispensé d’effectuer son préavis lequel a été rémunéré.

M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 6 février 2018 en contestation de son licenciement et aux fins de rappels de salaires au titre d’heures supplémentaires.

Par jugement du 7 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Toulouse a :

– condamné la SA Nature & Découvertes, prise en la personne de son représentant légal ès-qualités, à verser à M. [T] la somme de 96 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens,

– débouté les parties de toutes leurs autres demandes.

M. [T] a relevé appel de ce jugement le 17 décembre 2019, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués du jugement et intimant la société Nature et Découvertes.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 décembre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, M. [T] demande à la cour de :

– accueillir l’appel de M. [T],

A titre principal,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que le licenciement de M. [T] ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Nature et découvertes prise en la personne de son représentant légal à payer à M. [T] des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Nature et découvertes prise en la personne de son représentant légal à payer à M. [T] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé à 96 000 euros les dommages et intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que le statut de cadre dirigeant satisfaisait aux exigences légales,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [T] de sa demande d’heures supplémentaires,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [T] de sa demande de dommages et intérêts pour dépassement des durées maximales de travail et le non respect des temps de repos,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [T] de sa demande de contrepartie obligatoire en repos,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [T] de sa demande d’indemnités forfaitaires pour travail dissimulé,

Statuant à nouveau,

– juger que le statut de cadre dirigeant de M. [T] n’est pas conforme aux exigences légales,

– juger que le temps de travail de M. [T] aurait dû être soumis à la durée légale du travail,

– juger que M. [T] est fondé à solliciter des rappels de salaires à ce titre,

– juger que la société Nature et découvertes doit être condamnée à une indemnité pour travail dissimulé,

En conséquence,

– condamner la société Nature et Découvertes, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à M. [T] les sommes suivantes :

– 154 406,22 euros à titre de justes dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 171 686 euros de rappels de salaires au titre des heures supplémentaires, outre la somme de 17 168,60 euros au titre des congés payés afférents,

– 12 867,18 euros de dommages et intérêts à titre de dépassement des durées maximales de travail et non respect des temps de repos,

– 95 740 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos, outre la somme de 9 574 euros au titre des congés payés afférents,

– 38 601,54 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

A titre subsidiaire,

– débouter la SARL Nature et Découvertes de son appel incident visant à infirmer le jugement rendu le 7 novembre 2019 par le conseil des prud’hommes de Toulouse en ce qu’il a :

– jugé que le licenciement de M. [T] ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse,

– infirmé le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Nature et découvertes à verser à M. [T] la somme de 96 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu’à 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

– visant à confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions, notamment en ce qu’il a jugé le statut cadre dirigeant de M. [T] conforme aux exigences légales,

– visant à dire et juger que le licenciement de M. [T] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– débouté M. [T] de toutes ses demandes à ce titre,

– condamné M. [T] à verser à la société Nature et Découvertes la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

En toute hypothèse,

– condamner la société Nature et Découvertes à verser à M. [T], la somme de 2 500 euros, en application des dispositions de l’article 700 alinéa 1 du code de procédure civile s’agissant des frais irrépétibles engagés dans le cadre de la deuxième instance,

– condamner la société Nature et découvertes aux entiers dépens.

Il conteste avoir commis des manquements au titre de l’organisation du temps de travail du magasin de [Localité 5] et avoir exercé des pressions alors qu’il ne saurait être tenu responsable de l’ensemble des difficultés d’organisation. Il en déduit un licenciement sans cause réelle et sérieuse, considérant que le montant des dommages et intérêts a été sous-évalué par les premiers juges. Il considère que le statut de cadre dirigeant ne pouvait lui être applicable alors qu’il ne faisait pas partie du comité de direction ainsi que du comité exécutif et que la description contractuelle de ses fonctions allait à l’encontre de la notion d’autonomie inhérente à un tel statut. Il indique n’avoir jamais eu accès aux stock-options. Il en déduit un temps de travail qui aurait dû être calculé sur la base de 35 heures hebdomadaires et un rappel de salaires pour des heures supplémentaires dans les conditions relevant d’un travail dissimulé.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 décembre 2021 auxquelles il est expressément fait référence, la société Nature et Découvertes demande à la cour de :

– dire M. [T] mal fondé en son appel du jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse du 7 novembre 2019 et de le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– recevoir la société Nature et Découvertes en son appel incident et l’en dire bien fondée,

– infirmer le jugement rendu le 7 novembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Toulouse en ce qu’il a jugé que le licenciement de M. [T] ne reposait pas sur cause réelle et sérieuse,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il condamné la société Nature et découvertes, à verser à M. [T] la somme de 96 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à 1 500 euros d’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions, notamment en ce qu’il a jugé le statut de cadre dirigeant de M. [T] conforme aux exigences légales.

Statuant à nouveau :

– dire et juger que le licenciement de M. [T] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– débouter M. [T] de toutes demandes à ce titre,

– condamner M. [T] à verser à la société Nature et Découvertes la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle soutient que le licenciement était parfaitement justifié à raison des manquements du salarié dans la gestion des temps de travail des équipes de [Localité 5] accompagnés de pressions pour transférer sur les salariés la responsabilité de ces carences. Elle considère que le statut de cadre dirigeant s’appliquait bien au salarié.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 14 décembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement,

Il résulte des dispositions de l’article L 1235-1 du code du travail que le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l’espèce, M. [T] a été licencié dans les termes suivants :

Le mercredi 17 mai 2017, nous avons découvert fortuitement de graves irrégularités dans la durée de travail accomplie par [G] [Z], Responsable Service Client du magasin de [Localité 5], au cours de la semaine du 3 au 9 avril 2017.

En effet, sa fiche individuelle d’enregistrement du temps de travail indiquait 51h15 de travail sur cette semaine, alors même que le temps de travail hebdomadaire ne peut en aucun cas dépasser 48 heures.

De plus, le relevé du mois d’avril 2017 montrait que sur plusieurs journées du mois, il avait travaillé plus de 6 heures d’affilée sans bénéficier de pause.

Cette découverte fortuite a été faite par [Y] [X] à l’occasion d’une visite au siège de Monsieur [S], Inspecteur du travail, qui était précisément venu pour vérifier la mise en place de notre nouveau process d’enregistrement du temps de travail.

Par mail du 1er juin 2017, je vous ai fait part de cette découverte en vous rappelant qu’en tant que Directeur Régional, il était de votre responsabilité de veiller au respect des dispositions légales, ainsi qu’à la bonne organisation des magasins de votre région, en particulier lors de situations exceptionnelles dues à des absences.

Vous m’avez répondu par mail du 5 juin 2017 que si vous en aviez été informé, vous auriez « immédiatement détaché un salarié » d’un magasin proche de [Localité 5], déclinant ainsi toute forme de responsabilité.

Or, vous étiez informé de la situation particulière de ce magasin au cours de la semaine du 3 au 9 avril 2017.

En effet, l’absence du Directeur de Magasin, [V] [P] était programmé sur la semaine complète [ ] et la naissance de l’enfant du Directeur Adjoint, [E] [M], était imminente.

Son enfant est né dans la nuit du 31 mars au 1er avril, de sorte que le Directeur Adjoint s’est trouvé en congé paternité durant cette même semaine.

Enfin, [V] [P] n’occupait la fonction de Directeur de magasin que depuis le 1er mars 2017, et comptabilisait par conséquent à peine un moins d’expérience à ce poste et dans votre région, élément qui aurait dû augmenter l’attention portée à ce magasin.

Face à cette situation exceptionnelle, il était de votre responsabilité d’anticiper et de vous enquérir de l’organisation du magasin, et en particulier du respect du temps de travail de [G] [Z], Responsable Service Clients, seul responsable du magasin en l’absence des deux encadrants, en mettant en place les éventuelles mesures nécessaires pour assurer ce respect.

Je vous rappelle qu’un séminaire RH – Opérations d’une journée portant notamment sur le temps de travail des Responsables Service Clients, a été organisé avec l’ensemble des Directeurs Régionaux en mars 2016.

De plus, plusieurs réunions d’informations sur la nécessité de faire respecter le temps de travail de 37 heures pour les RSC courant 2016 et début 2017 ont également eu lieu, notamment le 15 septembre 2016.

Le 7 décembre 2016, vous avez également bénéficié d’une nouvelle journée de formation sur tous les aspects légaux du contrat de travail, l’accent étant mis sur le temps de travail, sujet d’autant plus sensible que l’inspection du travail avait demandé à l’entreprise de modifier son système d’enregistrement du temps de travail des employés et agents de maîtrise (les RSC) en magasin.

Le 20 février 2017, [Y] [X] vous a communiqué, ainsi qu’à tous les Directeurs Régionaux le projet de process d’enregistrement du temps de travail pour avis et commentaires, et l’a ensuite présenté en réunion le 1er mars 2017.

Le 2 mars 2017 ce nouveau process a été diffusé à tous les Directeurs Régionaux afin qu’ils le diffusent à tous leurs encadrants en magasins pour applications dès le 6 mars 2017. Il a été demandé aux Directeurs Régionaux une attention particulière lors de la phase de mise en place de ce process.

Le vendredi 3 mars 2017, [Y] [X] a co-animé avec vous une réunion téléphonique avec les encadrants de votre région pour présenter le nouveau et répondre aux questions.

Le rôle des Directeurs Régionaux a été rappelé avec insistance par oral et écrit en ces termes : « contrôler la mise en place effective du process pour tous les salariés concernés par des fiches individuelles (le DR est en copie de l’envoi mensuel) de manière systématique au cours des 3 premiers mois, puis par des contrôles aléatoires par la suite ; aider les magasins dans la mise en place du process ».

Ainsi en dépit de ces nombreux rappels et consignes, vous n’avez pas jugé nécessaire, – à peine un mois après la mise en place du nouveau process – de vous soucier de l’organisation du temps de travail du magasin de [Localité 5] dans les circonstances particulières rappelées, et ce, tant avant, que pendant ou après cette semaine critique, laissant sans soutien ni contrôle le tout nouveau Directeur de magasin qui était lui- même en congés.

En outre, à votre retour de congé, vous n’avez pas effectué le suivi des fiches individuelles comme cela vous était demandé avec insistance dans la phase de mise en place du process, puisque vous n’avez découvert les dépassements de [G] [Z] qu’après la visite de l’inspection du travail au siège et n’avez, en tout état de cause, réagi à cette situation qu’après réception de mon mail du 1er juin 2017, soit deux mois après les faits. Tout en prétendant l’inverse.

Isolés, ces manquements et négligences n’auraient pas déclenché une telle procédure disciplinaire.

Toutefois, votre réaction et les pressions que vous avez exercées sur les salariés concernés, postérieurement au mail que je vous ai adressé le 1er juin 2017, dans le but manifeste de dédouaner de votre responsabilité sur ces points, nous ont contraints d’engager la présente procédure.

Dans votre mail du 5 juin vous indiquiez que : « [V] (DM) a reçu [G] à son retour de congés pour lui demander des explications sur ce dépassement d’horaire et lui rappeler la loi du travail qu’il ignorait. »

En réalité, [V] [P] s’est rendu au magasin le samedi 1er avril 2017 alors qu’il était de repos, pour aider l’équipe.

Il a ensuite été en lien téléphonique régulier avec [G] durant cette semaine critique.

L’affirmation selon laquelle il aurait, selon vous, « recadré » [G] [Z] à son retour de congé est, en conséquence, incohérente, et contraire aux différents témoignages recueillis.

Lors de l’entretien préalable du 27 juin 2017, vous n’avez pas contesté votre absence de préoccupation quant à l’organisation du magasin de [Localité 5].

Pour votre défense, vous avez indiqué que vous vous étiez rendu compte du problème du dépassement des horaires de [G] [Z] « avant » d’avoir reçu mon mail du 1er juin, et avez précisé que vous auriez demandé à [G] [Z] et [V] [P] de régulariser la situation « avant le 17 mai ».

Or, il apparaît que les fiches individuelles de temps du mois d’avril n’ont été transmises par le magasin de [Localité 5] que le 12 mai 2017, sans que vous vous en soyez soucié auparavant à aucun moment.

De même, à réception de ces fiches, vous n’avez émis aucun commentaire, ni auprès des encadrants du magasin de [Localité 5], ni auprès de la DRH.

Vous n’avez pas non plus réagi au mail adressé par [Y] [X] à [V] [P] le 17 mai 2017 suite à la visite de l’inspection du travail.

Il ressort des différents échanges et témoignages que ce n’est que postérieurement à mon mail du 1er juin 2017 que vous avez pris contact avec [G] [Z] et [V] [P], avec pour préoccupation essentielle de leur faire reconnaître leurs seules et entières responsabilités dans le non-respect du temps de travail de ce dernier courant avril.

C’est précisément ce comportement inacceptable et indigne d’un responsable de votre niveau, qui nous a conduits à engager une procédure à votre encontre. »

L’employeur reproche ainsi à M. [T] tout d’abord le fait de ne pas avoir contrôlé de manière effective et efficiente le temps de travail des salariés du magasin de [Localité 5], confronté à une situation particulière de congés payés du directeur et de congé de paternité du directeur adjoint, avec pour conséquences un temps de travail excessif et un non-respect des temps de pause pour un salarié. L’employeur, qui aux termes de la lettre admet lui-même que ce grief serait en soi insuffisant, reproche en outre et surtout au salarié d’avoir exercé des pressions pour en réalité faire reporter la responsabilité de ses carences sur les salariés du magasin concerné.

Des éléments produits, il résulte que l’entreprise au cours du premier semestre 2017 mettait en place un nouveau procédé d’enregistrement du temps de travail de ses collaborateurs. Il est également acquis, qu’il y a eu une difficulté pour un magasin, celui de [Localité 5], où un salarié a accompli un nombre d’heures excessif au cours du mois d’avril. Il est admis par les parties que ce magasin faisait face à un problème spécifique et ponctuel tenant à une prise concomitante de congés payés et de congé de paternité par deux managers. À ce stade, il est reproché au salarié à la fois un défaut d’anticipation et un défaut de surveillance puisqu’il n’a pas vérifié les temps de travail qui n’ont été constatés que suite à une visite de l’inspection du travail.

S’agissant de l’anticipation de la difficulté elle n’était certes pas possible complètement. En effet, la date exacte du congé de paternité ne pouvait être fixée par avance. En outre, M. [T] était lui-même en congés sur la période du 31 mars au 10 avril inclus et en avait avisé les équipes qui disposaient d’un interlocuteur en la personne de M. [F]. Or c’est précisément pendant cette semaine que la difficulté s’est produite avec un congé de paternité pris de façon anticipée par rapport à la date initialement envisagée. Il est exact qu’après son retour de congés, M. [T] n’a manifestement pas procédé à une vérification des temps de travail. Cependant, en dehors même des autres considérations qu’il développe dans ses écritures sur la possibilité d’y procéder réellement, il apparaît qu’un tel grief isolé ne pourrait justifier une rupture du contrat de travail. L’employeur ne s’y méprenait d’ailleurs pas. Dans un courrier électronique du 1er juin 2017, le directeur général demandait ainsi simplement à M. [T] de veiller à ce que ce genre de situation ne se reproduise pas. Aux termes de la lettre de licenciement, l’employeur admet même expressément que cette question, que la cour ne retient que comme partiellement imputable au salarié (uniquement dans l’aspect de vérification a posteriori des temps de travail), ne pourrait justifier la rupture.

Il convient donc d’envisager la réaction qui a pu être celle de M. [T] après réception du courrier électronique du 1er juin 2017 et s’il est établi des pressions de sa part sur les salariés pour éluder sa responsabilité.

De ce chef, il apparaît certes que la réponse de M. [T] au directeur général ne fait pas état d’un recadrage du salarié concerné mais d’un courrier destiné à lui rappeler les règles. Ce courrier est produit et s’il rappelle les règles applicables en termes de temps de travail, il remercie également le salarié pour son engagement. Il apparaît cependant que préalablement à ce courrier du 16 juin 2017, mais postérieurement au 1er juin, M. [T] a bien eu une attitude de pression vis à vis des salariés concernés. Le message du directeur adjoint pouvait lui permettre d’en rester là quant à une difficulté qui ne lui était certes pas totalement imputable mais pour laquelle il aurait pu a posteriori prendre des mesures pour éviter son renouvellement. Or, il apparaît que le collaborateur concerné a mal perçu les interventions de M. [T] et a indiqué se sentir entre le “marteau et l’enclume”. Ce ressenti, manifestement authentique du salarié, n’est pas seulement subjectif. En effet, il a alerté le service des ressources humaines sur la difficulté et sur le contexte de pression mis en place par M. [T] pour s’exonérer de toute responsabilité, alors qu’il lui incombait simplement de mettre en place des mesures pour l’avenir. M. [H] a ensuite attesté dans le même sens indiquant avoir été déstabilisé par la brutalité des propos de son supérieur et ce alors qu’il était à son poste en magasin. M. [P], également concerné par la difficulté, a attesté dans le même sens faisant valoir qu’un document pré rempli lui avait été présenté et que M. [T] avait demandé sa signature avec insistance.

Ce comportement alors qu’il avait simplement été demandé à M. [T] de veiller à ce que la difficulté ne se renouvelle pas était bien fautif alors qu’il mettait en outre tant le service ressources humaines que les salariés concernés dans une position peu claire et non lisible. Au regard du positionnement hiérarchique de M. [T], il s’agissait d’une cause réelle et sérieuse de licenciement et le jugement sera infirmé en ce qu’il a jugé le contraire. M. [T] sera débouté de ses prétentions indemnitaires à ce titre.

Sur le temps de travail,

Le débat tient au statut de cadre dirigeant de M. [T] tel qu’il est stipulé dans l’avenant du 26 mars 2002, statut contesté par M. [T].

Il résulte des dispositions de l’article L 3111-2 du code du travail que les cadres dirigeants sont les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Ces critères sont cumulatifs et impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise. Or, en l’espèce il apparaît que ces critères ne sont pas réunis. Certes M. [T] était autonome quant à son emploi du temps et le fait qu’il ait renseigné un outil partagé à ce titre pouvait parfaitement obéir à un souci de bonne organisation des réunions. Mais il apparaît notamment que M. [T] n’était pas habilité à prendre des décisions de façon largement autonome. Ainsi, il justifie qu’il devait solliciter une validation pour la confirmation de périodes d’essai (pièce 88) ; que le passage d’un magasin d’un référencement à un autre était soumis à la décision de son supérieur hiérarchique (pièces 91 et 92) ; que ce dernier était seul décisionnaire sur les ruptures conventionnelles (pièce 87). Il s’agit là de l’exécution effective du contrat de travail, ces éléments l’emportant sur la procédure de recrutement telle que décrite de manière générale dans la pièce 28 de l’employeur. De même s’agissant de la validation de la période d’essai, l’employeur se prévaut de la fiche interne prévoyant une validation par le directeur régional avec l’appui de la direction des ressources humaines. Or, ceci n’apparaît pas effectif au vu des pièces produites par le salarié sollicitant bien une validation. Il ne peut être considéré que la rupture conventionnelle procédait d’un cas particulier à raison d’un conflit entre M. [T] et le salarié concerné puisque les éléments du conflit invoqués par l’employeur sont antérieurs de plus de deux ans à la rupture.

Il ne s’agit pas, contrairement aux affirmations de l’employeur, d’une simple question de coordination, évidemment nécessaire, ou de mise en forme par le service des ressources humaines mais bien d’une limitation manifeste de ce qui relevait de l’autonomie de M. [T]. L’intimée produit certes un certain nombre de courriers électroniques démontrant une certaine autonomie du salarié, mais il s’agissait très largement de propositions et non d’un véritable pouvoir décisionnaire.

S’agissant de la rémunération, l’employeur procède à une comparaison quelque peu biaisée puisqu’il la réalise entre le salaire potentiel de M. [T] et le salaire réel des autres salariés, sans donner d’éléments sur le système de rémunération mis en place pour les autres salariés. Si on considère le salaire réel de M. [T], soit 74 504 euros, ainsi qu’il résulte des documents de fin de contrat et les éléments produits par l’employeur en pièce 61, l’appelant bénéficiait de la 17ème rémunération de l’entreprise. Si on omet les directeurs régionaux du panel, en considérant qu’ils étaient dans une situation comparable à la sienne, M. [T] ne bénéficiait que de la 10ème ou 11ème rémunération de l’entreprise immédiatement après le directeur des engagements. Il convient d’ailleurs d’observer que ce document ne comprend ni le directeur général, ni le directeur du site internet.

Il est exact que M. [T] faisait partie du comité de sélection des produits dans la famille des jeux et jouets. Il contribuait certes à des choix à ce titre mais ceci ne saurait s’apparenter à la participation à un comité de direction ou même à un véritable comité de pilotage, étant observé que l’appelant n’est pas contesté lorsqu’il indique que le comité de sélection comprenait également l’acheteuse et son assistante ainsi qu’un membre de l’équipe merchandising, lesquels, observe la cour, ne sont pas cadre dirigeants.

Au total de la confrontation de ces éléments, il ressort que M. [T] était un cadre doté d’une autonomie certaine et même de bon niveau mais ne remplissant pas les conditions cumulatives pour être cadre dirigeant au sens des dispositions susvisées.

Le débat devient celui du temps de travail. Il résulte des dispositions de l’article L 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Ainsi, si la charge de la preuve est partagée en cette matière, il appartient néanmoins au salarié de présenter à l’appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

En l’espèce, M. [T] a produit un décompte précis de son temps de travail faisant apparaître l’heure de début et de fin d’activité pour chaque jour, la pause méridienne et le total hebdomadaire d’heures de travail. Il s’agit d’un document permettant un débat contradictoire. Si la position de l’employeur qui considérait M. [T] comme un cadre dirigeant est certes compliquée, il n’en demeure pas moins qu’il ne produit strictement aucun élément et ne discute pas même les chiffrages présentés par son adversaire.

Dans de telles conditions, il convient de faire droit à la demande de rappels de salaire à hauteur de 171 686 euros outre celle de 17 168 euros au titre des congés payés y afférents. Il convient également de faire droit à la demande au titre de l’absence de contre partie en repos, pour les heures hors contingent, à hauteur de 95 740 euros outre 9 574 euros au titre des congés payés y afférents. S’agissant de la somme de 12 867,18 euros sollicitée au titre du dépassement des durées maximales, il s’agit d’une prétention indemnitaire sur laquelle le salarié ne s’explique que fort peu. Il est certain au regard du nombre d’heures retenues que le salarié a subi un préjudice tenant à un manque de temps pour ses occupations personnelles. Mais en l’absence de plus ample élément la cour retiendra une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts de ce chef. Le jugement sera infirmé en ce sens.

S’il est fait droit aux demandes de rappels de salaires au regard du régime probatoire, il ne s’en déduit pas automatiquement un travail dissimulé lequel suppose une intention de dissimulation. Celle-ci n’est pas établie par le seul fait que la cour ne retienne pas la qualité de cadre dirigeant à M. [T] de sorte que la demande au titre du travail dissimulé sera rejetée.

Le jugement est infirmé en toutes ses dispositions. L’appel comme l’action de M. [T] demeurent partiellement bien fondés et la société Nature et Découvertes sera condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure et aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse du 7 novembre 2019,

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. [T] repose sur une cause réelle et sérieuse,

Déboute M. [T] de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que M. [T] n’avait pas la qualité de cadre dirigeant,

Condamne la SA Nature et Découvertes à payer à M. [T] les sommes de :

– 171 686 euros à titre de rappels de salaires pour heures supplémentaires,

– 17 168,60 euros au titre des congés payés afférents,

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour dépassement des durées maximales de travail et non-respect des temps de repos,

– 95 740 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

– 9 574 euros au titre des congés payés afférents,

– 2 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [T] de sa demande au titre du travail dissimulé,

Condamne la SA Nature et Découvertes aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Catherine BRISSET, présidente, et par Arielle RAVEANE, greffière.

LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,

Arielle RAVEANECatherine BRISSET.

 


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