Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°287
DU : 28 Juin 2023
N° RG 22/01833 – N° Portalis DBVU-V-B7G-F4EM
VTD
Arrêt rendu le vingt huit Juin deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 9 août 2022 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal Judiciaire de Clermont-Ferrand (RG22/00290)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Pauline LACROZE, Greffier placé, lors de l’appel des causes et Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors du prononcé
ENTRE :
La société CREATIS
SA immatriculée au RCS de Lille Métropole sous le n° 419 446 034 00128
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentants : Me Laurie FURLANINI, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et SELARL BLG AVOCATS, avocats au barreau de ROANNE (plaidant)
APPELANTE
ET :
M. [Y] [V]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Non représenté, assigné à étude
INTIMÉ
DEBATS : A l’audience publique du 03 Mai 2023 Madame Virginie THEUIL-DIF a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 21 Juin 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 28 juin 2023, après prorogé du délibéré initialement prévu le 21 juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige :
Par acte sous seing privé du 5 décembre 2019, M. [Y] [V] a souscrit auprès de la SA Créatis un contrat de regroupement de crédits pour un montant de 65 500 euros moyennant un taux débiteur annuel fixe de 4,52 % et un TAEG de 5,74 %.
Par acte d’huissier du 13 mai 2022, la SA Créatis a fait assigner M. [V] devant le juge des contentieux de la protection (JCP) du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand aux fins de voir :
à titre principal :
– condamner M. [V] au paiement de la somme de 70 710,17 euros avec intérêts au taux contractuel à compter de la mise en demeure ;
à titre subsidiaire :
– limiter la déchéance du droit aux intérêts, aux intérêts échus et non payés ;
– assortir toute condamnation de M. [V] des intérêts au taux légal soumis à la majoration de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire en application de l’article L.313-3 du code monétaire et financier ;
en tout état de cause :
– ordonner la capitalisation des intérêts ;
– mettre les éventuels frais d’exécution forcée à la charge du débiteur (article R.444-55 du code de commerce) ;
– condamner M. [V] au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance.
A l’audience du 14 juin 2022, le JCP a relevé d’office divers moyens d’ordre public concernant la recevabilité de l’action et la régularité de l’opération au moyen d’une fiche récapitulative remise ou adressée aux parties à la suite de l’audience, la SA Créatis ayant été autorisée à adresser une note en délibéré. Celle-ci n’a pas utilisé cette faculté.
Par jugement réputé contradictoire du 09 août 2022, le JCP a :
– déclaré irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la SA Créatis;
– prononcé la déchéance du droit aux intérêts de la SA Créatis au titre du prêt consenti à M. [V] le 5 décembre 2019 ;
– condamné en conséquence M. [V] à payer à la SA Créatis la somme de 57 638,47 euros outre intérêts au taux légal non soumis à la majoration de l’article L.313-3 du code monétaire et financier à compter du 1er mars 2022 ;
– condamné M. [V] au paiement des dépens de l’instance ;
– rappelé que la décision était de droit exécutoire à titre provisoire ;
– débouté la SA Créatis du surplus de ses demandes.
Il a notamment relevé que le contrat signé produit par la demanderesse ne comportait aucun bordereau détachable de rétractation ; qu’elle ne produisait aucun autre élément probant laissant supposer que l’exemplaire remis à M. [V] était bien doté d’un tel formulaire ; qu’en tout état de cause, même à supposer qu’un formulaire détachable avait bien été remis à l’emprunteur, il n’existait aucune pièce permettant de s’assurer que ce bordereau était conforme au modèle-type prévu par l’article R.312-9 du code de la consommation.
La SA Créatis a interjeté appel de ce jugement, suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 15 septembre 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions reçues au greffe en date du 08 décembre 2022, l’appelante demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1231-1, 1902 du code civil, L.312-1 et suivants du code de la consommation, L.313-3 du code monétaire et financier, de :
– déclarer recevable et bien fondé l’appel interjeté ;
– infirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts sur le contrat de prêt consenti à M. [V] le 5 septembre 2019, condamné M. [V] à lui payer la somme de 57 638,47 euros outre intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2022, écarté la majoration des intérêts, débouté de sa demande de capitalisation des intérêts et du surplus de ses demandes ;
– en conséquence, et statuant à nouveau :
– à titre principal, condamner M. [V] à lui payer les sommes suivantes arrêtées au 31 mars 2022:
capital restant dû : 61 583 euros ;
intérêts : 3 357,09 euros ;
assurance : 843,44 euros ;
indemnité conventionnelle : 4 926,64 euros ;
outre frais et intérêts de retard au taux contractuel à compter de la mise en demeure et jusqu’à parfait paiement ;
– à titre subsidiaire, si la déchéance du droit aux intérêts devait être confirmée, assortir toute condamnation en paiement à l’encontre de M. [V] des intérêts au taux légal, avec majoration de 5 points en application de l’article L.313-3 du code monétaire et financier, et réformer le jugement en ce sens ;
– en tout état de cause, ordonner la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil ;
– condamner M. [V] à lui payer la somme de 1 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;
– dire que dans l’hypothèse où à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le jugement à intervenir, l’exécution devra être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier de justice, le montant des sommes retenues par l’huissier, en application de l’article R.444-55 du code de commerce et son tableau 3-1 annexé, devra être supporté par le débiteur, en sus de l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’article L.111-8 du code des procédures civiles d’exécution ne prévoyant qu’une simple faculté de mettre à la charge du créancier les dites sommes.
Elle se prévaut des dispositions de l’article L.312-21 du code de la consommation et de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle : ‘La signature par l’emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.’ (Arrêt n°620 du 21 octobre 2020 n°19-18.971). Or, elle fait valoir que l’emprunteur a reconnu, sous signature, ‘rester en possession d’un exemplaire de ce contrat de crédit doté d’un formulaire détachable de rétractation.’. Et en outre, corroborant cette attestation, elle soutient verser aux débats l’exemplaire emprunteur adressé à ce dernier : il est bien doté dudit bordereau de rétractation, en page 33 sur 50. Il s’agit de l’indice complémentaire attendu permettant de corroborer la reconnaissance de l’emprunteur relativement à la remise de ce document préalablement à la conclusion du crédit litigieux. Elle ajoute que ledit bordereau respecte scrupuleusement le formalisme prescrit par les textes alors en vigueur à l’époque de l’acceptation de l’offre litigieuse.
À titre subsidiaire, elle fait valoir que le premier juge était incompétent pour écarter la majoration de cinq points du taux légal dans la mesure où seul le juge de l’exécution est en mesure d’apprécier précisément les sommes dues au titre des intérêts légaux, éventuellement majorés, et ce afin de les réduire, voire d’en exonérer le débiteur. La compétence du juge de l’exécution est d’ordre public.
De surcroît, elle observe que la déchéance du droit aux intérêts légaux et la majoration qui pourrait en résulter ne saurait donc être prononcée de manière automatique, sans l’établissement d’un calcul permettant de comparer, d’une part, les sommes que le prêteur aurait perçu par application du taux des intérêts contractuels, et, d’autre part, les sommes auxquelles il peut prétendre par l’application du taux légal éventuellement majoré et ensuite d’une déchéance du droit aux intérêts contractuels.
Ainsi, il appartenait au premier juge d’établir l’existence de ce bénéfice, ce qu’il n’a pas fait ou mal fait. En second lieu, la comparaison de ces sommes vient se heurter à une inconnue du fait de l’impossibilité de connaître à l’avance les sommes dues majorées des intérêts légaux. En effet, cette
somme sera calculée en fonction du temps écoulé entre la mise en demeure et le décompte établi au
jour du paiement.
Enfin, en tout état de cause, aucune disposition n’autorise le juge du fond, dans le cadre de la sanction édictée par le code de la consommation, à écarter l’application de l’intérêt moratoire résultant de l’article 1231-6 du code civil après avoir prononcé la déchéance du droit du prêteur à l’intérêt contractuel.
M. [Y] [V], à qui la SA Créatis a signifié la déclaration d’appel le 26 octobre 2022 (à étude) et ses conclusions le 9 décembre 2022 (à étude), n’a pas constitué avocat.
Il sera renvoyé aux conclusions de la SA Créatis pour l’exposé complet de ses demandes et moyens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L’offre préalable ayant été signée le 5 décembre 2019, le litige est soumis aux dispositions du code de la consommation dans sa rédaction et codification postérieures à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016.
L’article L.341-4 du code de la consommation sanctionne par la déchéance du droit aux intérêts contractuels le prêteur qui accorde un crédit sans remettre à l’emprunteur un contrat satisfaisant aux conditions fixées notamment par l’article L.312-21.
Ce dernier article dispose qu’afin de permettre l’exercice du droit de rétractation mentionné à l’article L.312-19, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit.
Il appartient au prêteur, en application de l’article 1353 du code civil, de rapporter la preuve qu’il a rempli son obligation de remettre à l’emprunteur un exemplaire doté d’un formulaire de rétractation conforme aux dispositions ci-avant énoncées. Le défaut de comparution de l’emprunteur ne dispense pas le prêteur de rapporter cette preuve, conformément à l’article 472 du code de procédure civile, selon lequel dans un tel cas, le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.
M. [Y] [V], en signant le 5 décembre 2019 l’exemplaire de l’acte contractuel resté en possession de la SA Créatis (et produit aux débats en copie par celle-ci), a reconnu selon une formule pré-imprimée figurant dans le paragraphe intitulé ‘Acceptation de l’offre de contrat de crédit’ en page 27, ‘rester en possession d’un exemplaire de ce contrat de crédit doté d’un formulaire détachable de rétractation’.
La signature par l’emprunteur de l’offre préalable, comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur, qui doit rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations, lui a remis le bordereau de rétractation, constitue seulement un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires (Cass. Civ. 1ère, 21 octobre 2020, n°19-18.971).
La SA Créatis verse aux débats l’exemplaire ’emprunteur’ adressé à ce dernier, doté d’un bordereau de rétractation en page 33 sur 50. La production de cette liasse ayant servi à la rédaction de l’acte, permet à la juridiction de vérifier que le formulaire de rétractation joint à l’exemplaire destiné à l’emprunteur était conforme aux textes en vigueur.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts sur le fondement sus-rappelé.
En vertu de l’article L.312-39 du code de la consommation, en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu’à la date de règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre le prêteur pourra demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l’application de l’article 1231-5 du code civil, sera fixée suivant un barème déterminé par décret (8 % du capital restant dû à la date de la défaillance).
En l’espèce, la SA Créatis produit notamment à l’appui de sa demande :
– l’offre préalable de crédit signée le 5 décembre 2019 ;
– la fiche de dialogues : revenus et charges et ses justificatifs;
– la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées ;
– le justificatif de consultation du FICP ;
– le document d’information propre au regroupement de créances ;
– la notice d’assurance ;
– le tableau d’amortissement ;
– l’historique du prêt ;
– un décompte de créance.
Elle justifie par ailleurs de l’envoi à M. [V] le 20 janvier 2022 d’un courrier recommandé de mise en demeure exigeant le règlement dans un délai d’un mois des mensualités impayées à hauteur de 8 033,49 euros sous peine de voir prononcer la déchéance du terme du prêt.
A défaut de régularisation des mensualités impayées, la déchéance du terme est intervenue et un courrier recommandé de mise en demeure a été adressé le 1er mars 2022 à M. [V] portant sur la somme totale de 70 473,76 euros.
Aussi, au vu des pièces justificatives produites, la créance de la SA Créatis s’établit de la façon suivante :
– capital restant dû : 61 583 euros
– intérêts : 3 120,68 euros
– assurance : 843,44 euros
soit la somme totale de 65 547,12 euros.
M. [V] sera ainsi condamné à payer cette somme augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,52 % l’an à compter du 1er mars 2022 sur la somme de 61 583 euros.
Aux termes de l’article 1231-5 alinéa 2 du code civil, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
Le caractère manifestement excessif de la peine peut notamment résulter de la comparaison de celle-ci avec le préjudice effectivement subi par le créancier, ou encore du cumul de l’indemnité avec d’autres charges majorant les coûts financiers supportés par le débiteur.
En l’espèce, l’indemnité de 4 926,64 euros réclamée par la SA Créatis apparaît manifestement excessive, d’une part en ce qu’elle se cumule avec les indemnités de retard calculées sur plusieurs échéances avant la déchéance du terme ainsi qu’il ressort de l’historique du compte, et d’autre part, en ce que le taux d’intérêt de 4,52 % était bien supérieur à la dépréciation monétaire, de sorte que le préjudice subi par le prêteur est limité.
Cette indemnité sera en conséquence réduite à la somme de 1 000 euros.
M. [V] sera condamné au paiement de cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2022.
La sanction de déchéance du droit aux intérêts n’étant pas prononcée, il n’y a pas lieu de statuer spécifiquement sur l’application de la majoration du taux légal prévue par l’article L. 313-3 alinéa 1er du code monétaire et financier.
De surcroît, la capitalisation des intérêts n’est pas prévue en matière de crédit à la consommation, les sommes auxquelles le prêteur peut prétendre étant limitativement énumérées par la loi. La SA Créatis ne peut donc se prévaloir de la capitalisation des intérêts.
– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Succombant à l’instance, M. [V] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel, toutefois l’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le droit proportionnel de recouvrement prévu par les articles R.444-3 tableau 3-1 et A.444-32 du code de commerce sera laissé à la charge du créancier conformément à l’article R.444-55 du même code et à l’article L111-8 du code des procédures civiles d’exécution.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt rendu par défaut, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction,
Infirme le jugement déféré ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [Y] [V] à payer à la SA Créatis la somme de 65 547,12 euros avec intérêts au taux contractuel de 4,52 % l’an à compter du 1er mars 2022 sur la somme de 61 583 euros, et celle de 1000 euros au titre de la clause pénale avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2022 ;
Déboute la SA Créatis de ses demandes au titre de la capitalisation des intérêts et de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [Y] [V] aux dépens de première instance et d’appel, sans qu’il y ait lieu de lui faire supporter le droit proportionnel mis à la charge du créancier par l’article R444-55 du code de commerce relatif au tarif des huissiers de justice.
Le greffier La Présidente