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ARRET N° 23/125
R.G N° 21/00258 –
N° Portalis
DBWA-V-B7F-CIY5
Du 07/07/2023
Association [2]
C/
[Z]
COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 07 JUILLET 2023
Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Fort de France, du 21 Octobre 2021, enregistrée sous le n° 19/00415
APPELANTE :
Association [2]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentée par Me Carole FIDANZA, avocat au barreau de MARTINIQUE
INTIMEE :
Madame [J] [Z]
[Adresse 1]
[Adresse 1]/MARTINIQUE
Représentée par Me Miguélita GASPARDO de la SELARL THEMYSAVOCATS, avocat au barreau de MARTINIQUE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 mai 2023, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle TRIOL, Conseillère présidant la chambre sociale, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
– Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente
– Madame Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre
– Monsieur Thierry PLUMENAIL, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Rose-Colette GERMANY,
DEBATS : A l’audience publique du 12 mai 2023,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l’arrêt fixée au 07 juillet 2023 par mise à disposition au greffe de la cour.
ARRET : Réputé contradictoire
************
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Suivant contrat à durée indéterminée du 28 septembre 2004, Mme [H] [B] a été embauchée par l’Association [4] en qualité d’assistante maternelle non permanente agréée à compter du 1er octobre 2004.
Suivant convention de partenariat du 1er janvier 2005 conclue entre l’Association [2], qui a reçu de la commune de [Localité 6] (Martinique) la mission d’accueil de la petite enfance, et l’Association [4], cette dernière s’est engagée à mettre à disposition de la première un personnel qualifié agréé par le Conseil Général pour le fonctionnement d’une crèche familiale en contrepartie d’une rétribution financière.
Le contrat de travail de Mme [B] a été rompu au 31 août 2018.
Mme [B] a ensuite signé avec l’Association [2] un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en qualité d’assistante maternelle non permanente agréée à compter du 5 septembre 2018.
Par courrier du 26 octobre 2018, la salariée a dénoncé son contrat de travail à l’Association [2].
Une rupture conventionnelle a été homologuée, le 18 juillet 2019.
Par courriers du 2 août 2019 et du 11 septembre 2019, Mme [B] a remis en cause la validité du contrat de travail qui la liait à l’Association [2] et a indiqué avoir fait usage de son droit de rétractation quant à la rupture conventionnelle.
Le 14 septembre 2020, Mme [H] [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Fort de France pour qu’il juge que son employeur a toujours été l’Association [2] depuis 2004 et condamne cette dernière à lui verser des dommages-intérêts et une indemnité spéciale de rupture conventionnelle, outre lui remettre des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte.
Par jugement contradictoire du 25 mai 2022, le conseil de prud’hommes a débouté la demanderesse de toutes ses prétentions, dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et condamné la même aux dépens.
Le conseil a, en effet, considéré que :
– l’Association [2] a été l’employeur de Mme [B] à compter du 5 septembre 2018 ;
– la salariée ne justifie la commission par l’Association [2], ni du délit de prêt de main d”uvre illicite, ni du délit de marchandage et ne démontre pas l’existence d’un préjudice,
– le recours formé contre la rupture conventionnelle intervenant plus de 12 mois après la date de l’homologation est irrecevable et la salariée est déboutée de sa demande au titre de l’indemnité spéciale de rupture conventionnelle.
Par déclaration électronique du 15 juillet 2022, Mme [H] [B] a relevé appel du jugement.
Par acte d’huissier de justice du 26 septembre 2022, l’appelante a fait signifier à l’Association [2] sa déclaration d’appel. L’acte a été remis à une personne habilitée. L’arrêt est réputé contradictoire.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 février 2023.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 septembre 2022 et signifiées à l’intimés le 26 septembre 2022, l’appelante demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
reconnaître à l’Association [2] la qualité d’employeur depuis 2004,
condamner, en conséquence, l’association à lui verser les sommes de :
50 000 euros, à titre de dommages-intérêts,
8 702,43 euros, à titre d’indemnité spéciale de rupture conventionnelle,
3 000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner l’Association [2] à lui délivrer sous astreinte de 100 euros par jour de retard une attestation pôle emploi rectifiée, un reçu pour solde de tout compte, une attestation pour la sécurité sociale rectifiée.
Au soutien de ses prétentions, l’appelante fait valoir que l’Association [2] et l’Association [4] ont commis les délits de marchandage et de prêt de main d”uvre illicite et affirme que lorsqu’une entreprise a recours à une autre entreprise alors qu’elle dispose des moyens d’accomplir la tâche elle-même, le prêt de main d”uvre est très certainement illicite. Elle énonce que l’intimée a bénéficié pendant 14 ans de son travail par le truchement d’un montage qui constitue une fraude au droit social.
Elle expose que l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle doit être fixée en fonction de son ancienneté et ne peut être inférieure à l’indemnité légale de licenciement.
MOTIVATION
Sur la qualité d’employeur de l’Association [2] depuis 2004 :
Mme [B] prétend que la convention de partenariat conclue entre l’Association [4] et l’Association [2] est constitutive d’un prêt de main d”uvre illicite et, qu’en conséquence, la juridiction prud’homale doit réparer son préjudice et reconnaître l’existence d’un contrat de travail entre l’Association [2] et elle-même.
Les premiers juges se sont contentés de dire que Mme [B] ne justifiait pas de l’existence de ce prêt de main d”uvre illicite sans rechercher si l’opération qualifiée de sous-traitance par l’intimée, et consistant à sa mise à disposition en sa qualité d’assistante maternelle agréée auprès de [2] ne constituait pas davantage un prêt de main d”uvre illicite.
Aux termes de l’article L 8231-1 du code du travail, le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main d”uvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, est interdit.
Selon les dispositions de l’article L 8241-1 du même code, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d”uvre est interdite. Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre :
1° des dispositions du présent code, relatives au travail temporaire, aux entreprises de travail à temps partagé et à l’exploitation d’une agence de mannequins lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d’agence de mannequins,
2° des dispositions de l’article L 222-3 du code du sport, relatives aux associations ou sociétés sportives,
3° des dispositions des articles L 2135-7 et L 2135-8 du présent code, relatives à la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d’employeurs mentionnées à l’article L 2231-1.
Une opération de prêt de main d”uvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés aux salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition.
La convention de partenariat conclue entre les deux associations, le 1er janvier 2005, a pour objet «une prestation de mise à disposition d’assistantes maternelles agréées», l’association [2] s’engageant «à régler la facture mensuelle de l’association Le Nounous, correspondant à cette prestation».
L’opération ainsi intitulée «prestation de mise à disposition» a pour unique objet le prêt de main d”uvre de salariées à titre onéreux.
Les associations ne peuvent entrer dans les dispositions dérogatoires de l’article L 8241-1 alinéa 2 du code du travail.
De plus, il résulte du préambule de la convention de partenariat que l’Association [2] gère, entre autres, un relais d’assistantes maternelles. Dès lors, la cour en déduit que l’association utilisatrice compte déjà parmi ses salariées d’assistantes maternelles. La nature de la tâche à accomplir par l’association prêteuse de la main d”uvre ne présente par rapport à l’association cliente aucune spécificité. Les assistantes maternelles de l’une ou l’autre association devant effectuées des tâches similaires et ayant des conditions de travail identiques. En tous cas, la convention ne précise nullement en quoi la prestation des assistantes maternelles des Nounous présente un savoir-faire spécifique.
La convention est vague quant au contenu de la «facture mensuelle». Pour autant, elle prévoit une rétribution financière pour l’Association prêteuse et pas le remboursement des salaires versés, des charges sociales correspondantes ou d’éventuels frais professionnels.
Enfin, il ressort de l’ensemble des attestations rédigées par des parents dont les enfants ont été gardés, pour une période donnée, par Mme [B], en sa qualité d’assistante maternelle, qu’en réalité l’Association [2] détenait dans les faits le pouvoir de direction. Il est en effet rapporté par les témoins que c’était l’intimée qui organisait l’accueil des enfants chez Mme [B] et qui percevait les paiements des parents.
La convention de partenariat qui a pour objet exclusif le prêt de main-d”uvre à but lucratif est donc constitutive du délit de prêt de main-d”uvre illicite.
De plus, il est démontré que ce prêt de main d”uvre a eu pour effet de causer un préjudice à Mme [B] puisque celle-ci a été licenciée par l’Association [4] lorsque la convention a été résiliée par l’Association [2] alors que son employeur désigné n’avait pas les moyens financiers d’assumer les indemnités de licenciement et que, si elle a signé un contrat de travail, par la suite, avec l’Association [2], son ancienneté n’a pas été reprise’. Il est ainsi évident que la mise en ‘uvre de la convention a permis d’éluder nombre de dispositions légales protectrices des salariés, et, au cas particulier, de Mme [B].
Il en résulte que le délit de marchandage est également constitué.
Au regard de l’ensemble de ces considérations, Mme [B] démontre parfaitement que son employeur a été l’Association [2], dès son embauche en 2004. En effet, le contrat de travail signé avec l’Association [4] prévoyait l’exercice de son activité sous la direction de la crèche familiale [3], gérée par l’Association [2].
L’appelante justifie également avoir subi un préjudice du fait des agissements de l’Association [2]. Elle chiffre son préjudice à la somme de 50 000 euros en indiquant uniquement à la cour que ce prêt de main d”uvre illicite a duré 15 ans.
Cette situation illicite a effectivement causé à Mme [B] un préjudice matériel et moral. La salariée n’a pu que subir l’organisation ainsi mise en place, le positionnement de l’Association [2] sur l’accueil de la petite enfance sur les communes du nord atlantique de la Martinique étant constitutif d’un quasi-monopole.
Les éléments ci-dessus développés permettent à la cour d’évaluer le préjudice subi par Mme [B] à la somme de 8 000 euros.
La cour infirme, en conséquence, le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [B] de sa demande tendant à voir dire que l’Association [2] a été son employeur à compter de 2004 et de sa prétention au versement de dommages-intérêts.
Sur la demande au titre de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle :
Vu les dispositions des articles L 1237-11 et suivants du code du travail,
Aux termes de l’article L 1237-14 dernier alinéa, tout litige concernant la convention, l’homologation ou le refus d’homologation relève de la compétence du conseil de prud’hommes (‘). Le recours juridictionnel doit être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date d’homologation de la convention.
La cour ne dispose pas de la notification de l’homologation de la rupture conventionnelle. Cependant, l’homologation est réputée acquise dès le lendemain de la fin du délai d’instruction de 15 jours ouvrables dont dispose la DIECCTE. Ce dernier délai court à compter de la date de réception de la demande.
Cette date n’est pas davantage connue de la juridiction de sorte qu’il y a lieu de considérer qu’elle a eu lieu le lendemain de la fin du délai de rétractation qui a été fixé dans le formulaire de rupture conventionnelle au 2 août 2019.
Après calcul, le délai d’instruction de 15 jours ouvrables a couru du lundi 5 au vendredi 23 août 2019. L’homologation de la rupture conventionnelle a donc pour date, le lundi 26 août 2019. Le délai pour agir expirait donc, le mercredi 26 août 2020. Or, Mme [B] a saisi le conseil de prud’hommes, le 14 septembre 2020.
Les premiers juges, même s’ils ont commis une erreur dans le calcul du délai, ont parfaitement considéré que la demande formée par Mme [B] au titre de l’indemnité de rupture conventionnelle était irrecevable.
Le jugement est confirmé de ce chef par substitution de motifs.
Sur la remise des documents sous astreinte :
La cour ayant déterminé que l’Association [2] a été l’employeur de Mme [B] depuis son embauche, à compter du 1er octobre 2004, il convient d’ordonner à l’intimée la remise à l’appelante des documents rectifiés sollicités (attestation pôle emploi, attestation à destination de la sécurité sociale). La rectification du reçu pour solde de tout compte est inutile, la demande au titre de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle étant irrecevable.
La cour constate que la salariée n’a pas réclamé la remise de bulletins de salaire rectifiés.
L’astreinte n’est pas nécessaire à l’exécution de l’obligation de remise des documents.
Sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :
L’Association [2] est condamnée aux dépens et à verser à Mme [B] la somme de 2 000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement, par substitution de motifs, en ce qu’il a déclaré la demande en paiement de Mme [B] au titre de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle irrecevable,
L’infirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau,
Déclare que l’Association [2] est l’employeur de Mme [H] [B] depuis le 1er octobre 2004,
Condamne l’Association [2] à verser à Mme [H] [B] la somme de 8 000 euros, à titre de dommages-intérêts,
Ordonne à l’Association [2] la remise à Mme [H] [B] d’une attestation pôle emploi rectifiée et d’une attestation à destination de la caisse de sécurité sociale,
Dit que l’astreinte n’est pas nécessaire à l’exécution de l’obligation de remise des documents,
Y ajoutant,
Condamne l’Association [2] aux dépens,
Condamne l’Association [2] à payer à Mme [H] [B] la somme de 2 000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier
La Greffière La Présidente