Accord de confidentialité : 2 février 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/03021

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Accord de confidentialité : 2 février 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/03021
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 02/02/2023

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N° de MINUTE :

N° RG 22/03021 – N° Portalis DBVT-V-B7G-ULGF

Ordonnance n° 2022001026 rendue le 14 juin 2022 par le juge des référés du tribunal de commerce de Douai

APPELANTE

SAS Favi agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Guillaume Gouachon, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉ

Monsieur [C] [U]

né le 26 février 1980 à [Localité 7], de nationalité française

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Anne Macchia, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué

DÉBATS à l’audience publique du 30 novembre 2022 tenue par Clotilde Vanhove magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Clotilde Vanhove, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 02 février 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 30 novembre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

En janvier 2020, M. [U] a créé une micro-entreprise spécialisée dans la destruction de nuisibles (dératisation et dépigeonnage).

La SAS Favi développe une méthode de destruction de nuisibles et de régulation d’animaux à tir par fusils ou armes à air comprimé, qu’elle qualifie de dépigeonnage par tir. Elle a déposé auprès de l’INPI la marque française verbale « Dove Busters », qu’elle utilise pour désigner ses services ainsi qu’à titre de nom commercial, nom de domaine, d’enseigne ainsi que dans les supports de communication et papèterie commerciale pour l’exploitation de son concept.

En février 2020, la SAS Favi et M. [U] concluaient un contrat de sous-traitance.

Les parties concluaient également un contrat de mandat.

Par courrier du 16 novembre 2020, M. [U] procédait à la résiliation des contrats avec la SAS Favi, dont celle-ci prenait acte par courrier du 26 novembre 2020.

Estimant que M. [U] ne respectait pas ses obligations de non-concurrence et non démarchage, la SAS Favi a sollicité, par requête du 7 mars 2022, la désignation d’un huissier de justice avec pour mission de se rendre chez M. [U], d’accéder au contenu des ordinateurs fixes et portables présents dans les locaux visités, des équipes de développement et si nécessaire aux serveurs et machines virtuelles, de passer outre les éventuelles protections informatiques qui empêcheraient l’huissier d’accomplir sa mission, de se faire communiquer par M. [U] les noms et coordonnées des prestataires informatiques et/ou des prestataires hébergeurs éventuels des données ou courriels, en cas d’hébergement de données ou courriels sur des serveurs tiers ou des plateformes tierces, de dire que M. [U] devra collaborer à lever toute difficulté technique et faciliter ainsi le travail de l’huissier, en particulier fournir toute clé de cryptage des données présentes sur les ordinateurs et serveurs concernés, d’accéder au disque dur de l’ordinateur de M. [U], en se faisant communiquer lors des opérations de constat la clé de cryptage du disque dur de l’ordinateur de M. [U] et procéder à la vérification du bon fonctionnement de cette clé lors des opérations de constat, de faire sommation à M. [U] de communiquer à l’huissier toute adresse électronique qu’il aurait ouverte, d’en communiquer les codes d’accès et mots de passe, qu’il soit demandé à l’huissier de rechercher dans l’ordinateur de M. [U], ainsi que dans ses courriels tous documents qui ressortiraient suite aux interrogations suivantes et d’en prendre copie (devis, bon de commande, facture, dépigeonnage, tir au pigeon, pigeon, nuisibles, carabine à air comprimé, vision nocturne, silencieux, Favi, Dove Busters), de consulter et prendre copie, pour la période du 16 novembre 2020 à ce jour des courriels de M. [U] figurant dans la messagerie électronique (ceci comprenant les courriels figurant dans sa boîte de réception, les courriels figurant dans sa boîte d’envoi, les courriels figurant dans sa poubelle, les courriels figurant dans sa boîte de messages indésirables ou de spams, dans le cache), de faire sommation à M. [U] de communiquer à l’huissier toute adresse électronique qu’il aurait ouverte, de lui ouvrir les sessions sur ses boîtes électroniques, dans le cas où il serait prétendu que les documents visés dans la mission seraient tenus en des lieux autres que le domicile de M. [U], de dire que l’huissier se rendra dans les lieux indiqués pour y effectuer ses constatations.

Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du président du tribunal de commerce de Douai du 9 mars 2022, complétée par ordonnance du 31 mars 2022 autorisant l’huissier à se faire accompagner de la force publique et à se faire assister d’un serrurier pour l’exécution de ses missions.

Par acte d’huissier de justice du 13 mai 2022, M. [U] a fait assigner la SAS Favi en référés devant le président du tribunal de commerce de Douai afin d’obtenir la rétractation des deux ordonnances.

Par ordonnance contradictoire du 14 juin 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Douai a :

déclaré recevable sur le fondement de l’article 496 du code de procédure civile l’action de M. [U],

dit ne pas y avoir de motif légitime à la mesure demandée,

retiré l’ordonnance du 9 mars 2022 et l’ordonnance complétive du 31 mars 2022 du président du tribunal de commerce de Douai,

ordonné la restitution à M. [U], sous inventaire, de l’intégralité des éléments saisis à son domicile par Maître [E], huissier de justice, selon les ordonnances sus-visées,

condamné la SAS Favi à verser à M. [U] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné la SAS Favi aux dépens, dont distraction au profit de Maître Nejjari.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 23 juin 2022, la SAS Favi a relevé appel de l’ordonnance en toutes ses dispositions.

Par ordonnance du 3 août 2022, le magistrat délégué par le premier président de la cour a ordonné le séquestre des pièces saisies et constats dressés entre les mains de l’huissier jusqu’au prononcé de l’arrêt à venir.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 28 novembre 2022, la SAS Favi demande à la cour de :

la recevoir en son appel, ses écritures et ses demandes,

juger que le juge délégué aux référés qui a rendu l’ordonnance n’est pas le juge des requêtes ayant rendu l’ordonnance d’autorisation des mesures d’investigation, ni celui ayant rendu l’ordonnance complétive et qu’il était donc dépourvu du pouvoir juridictionnel pour ordonner la rétractation de ces ordonnances,

en conséquence, annuler l’ordonnance de référé,

statuant à nouveau :

juger que les conditions de l’article 145 du code de procédure civile sont remplies, et qu’elle dispose d’un intérêt légitime à faire constater les faits et saisir les éléments énumérés dans sa requête sur la base de laquelle le juge des requêtes a rendu ses deux ordonnances,

lever le séquestre et autoriser que l’huissier lui communique des éléments et pièces ayant fait l’objet de la requête,

si par extraordinaire, la cour n’annulait pas l’ordonnance :

juger que les conditions de l’article 145 sont remplies et qu’elle dispose d’un intérêt légitime à faire constater les faits et saisir les éléments énumérés dans sa requête sur la base de laquelle le juge des requêtes a rendu ses deux ordonnances,

infirmer l’ordonnance,

lever le séquestre et autoriser que l’huissier lui communique des éléments et pièces ayant fait l’objet de la requête,

débouter M. [U] de ses demandes, fins et prétentions,

en tout état de cause, condamner M. [U] à lui payer la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Concernant l’annulation de l’ordonnance litigieuse, elle fait valoir que :

en vertu de l’article 496 du code de procédure civile, la demande de rétractation d’une ordonnance sur requête relève de la compétence exclusive du juge qui l’a rendue, ce dernier, saisi comme en matière de référé n’exerçant toutefois pas les pouvoirs juridictionnels du juge des référés mais ceux du juge des requêtes,

le président du tribunal de commerce de Douai ayant rétracté l’ordonnance d’autorisation n’est pas le même magistrat que le juge des requêtes ayant autorisé les mesures,

la sanction pour un jugement rendu par une juridiction dépourvue de pouvoir juridictionnel est l’annulation,

le jugement doit également être annulé en ce qu’il a statué ultra petita, en application des articles 4 et 5 du code de procédure civile dès lors que dans son assignation M. [U] arguait du fait que les contrats avaient été résiliés sans évoquer à aucun moment l’étendue de la mesure,

le juge a donc fondé sa décision de rétractation sur des prétentions qui n’avaient pas été soulevées par M. [U] et qui n’ont donc pas été soumises au débat contradictoire,

M. [U] n’avait pas sollicité la mainlevée des saisies réalisées.

Elle soutient que les mesures de constat fondées sur l’article 145 du code de procédure civile sont nécessaires, dès lors que :

elle dispose d’un motif légitime puisqu’elle établit l’existence d’une violation des accords de sous-traitance et de mandat conclus avec M. [U] et d’agissements parasitaires commis à son préjudice,

les mesures ont été sollicitées pour établir des violations d’engagements post-contractuels, des actes de concurrence déloyale, de parasitisme qui pourraient avoir été commis à son préjudice par M. [U] et que ces mesures pourraient permettre d’identifier ou de justifier de l’ampleur et ainsi d’éclairer le tribunal qui sera saisi au fond sur les agissements,

pour prouver l’usage illicite d’éléments confidentiels relevant de son savoir-faire en violation de l’engagement de confidentialité, pour prouver l’ampleur des opérations de démarchage et la conclusion d’accords en violation des clauses de non-concurrence et de non démarchage, il était indispensable, sur la base d’une première constatation d’une potentielle infraction caractérisée par l’intervention auprès de la mairie de [Localité 4], de passer par une procédure sur requête non contradictoire, faute de quoi M. [U] aurait pu faire disparaître les éléments l’incriminant.

Elle précise que les deux contrats (de sous-traitance et de mandat) ont des objets complémentaires, le contrat de sous-traitance ayant pour objet de confier des prestations de dépigeonnage à M. [U] alors que le contrat de mandat permet de rémunérer l’apport d’affaires par ce dernier. Il en ressort donc qu’ils coexistent et leurs clauses sont très claires, imposant à M. [U] une obligation de non-concurrence et de non démarchage, qu’il n’a pas respectée. Elle ajoute qu’il ne s’agit pas de contrats d’adhésion, M. [U] ayant négocié plusieurs clauses de ces contrats. La mention, en préambule du contrat de mandat, selon laquelle les accords antérieurs sont résiliés concerne évidemment les échanges ou accords ayant pour objet uniquement l’apport d’affaires et il s’agit d’une stipulation classique selon laquelle les engagements ou les échanges ayant le même objet que le contrat à conclure prennent fin à la signature du contrat. Les clauses du contrat de mandat ne laissent place à aucun doute en ce qui concerne la poursuite du contrat de sous-traitance puisque le contrat de mandat ne peut s’inscrire que dans la conclusion de celui de sous-traitance. Elle souligne que cela est confirmé par le fait que les mandats de sous-traitance qui ont été confiés à M. [U] postérieurement à la conclusion du contrat de mandat font mention et application des clauses du contrat cadre de sous-traitance.

Elle fait valoir que M. [U] a également commis des actes parasitaires dès lors qu’il a eu accès à des informations confidentielles sur les éléments caractéristiques du concept Dove Busters avant et pendant l’exécution des contrats, informations protégées conventionnellement par la conclusion d’un accord de confidentialité pour la phase précontractuelle et par des clauses de confidentialité prévues dans les deux contrats. En conséquence, l’usage par M. [U] d’éléments caractéristiques du concept de Dove Busters ou de signes distinctifs proches de ceux dont ce dernier est titulaire serait constitutif d’acte de concurrence déloyale par parasitisme, entraînant l’engagement de sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

Elle ajoute que M. [U] a commis des actes de concurrence déloyale par manquement à la loi ou à une réglementation, constituée par son absence d’agrément pour l’équarissage.

Elle souligne également que les mesures sollicitées sont proportionnées, la jurisprudence propre aux mesures in futurum en matière de concurrence déloyale ayant considéré qu’une mesure d’investigation à partir de mots clés, strictement limités à l’objet de la mesure in futurum étroitement en lien avec les faits de concurrence déloyale était admise.

Enfin, elle argue que l’absence de contradiction est légitime lorsque l’efficacité de la mesure demandée le requiert, notamment quand il y a lieu de craindre que les documents soient détruits ou qu’il y a un risque de dissimulation ou de suppression de preuve, ou lorsqu’il est nécessaire d’obtenir la production d’un élément de preuve détenu par la partie adverse. Elle ajoute qu’en l’espèce, le recours à cette procédure était indispensable en raison du risque de suppression des preuves, s’agissant de documents électroniques aisément supprimables.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 22 novembre 2022, M. [U] demande à la cour de :

confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,

en conséquence, débouter la SAS Favi de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

la condamner à lui verser, en cause d’appel, une indemnité de 5 000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile,

la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.

S’agissant de la demande d’annulation de l’ordonnance déférée, il fait valoir que le référé-rétractation est un référé spécial, provoquant le retour de l’affaire devant le juge qui avait préalablement statué sur requête, l’objet de cette procédure étant de rétablir la contradiction. Le juge qui a statué avait donc tout pouvoir pour ce faire.

Il soutient que la rétractation de l’ordonnance était fondée en l’absence de motif légitime au sens des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile. La requête de la SAS Favi est fondée sur un prétendue obligation de non-concurrence issue d’un contrat résilié, le contrat de sous-traitance ayant été résilié en mars 2020 par la conclusion du contrat de mandat qui prévoit la résiliation immédiate de tout contrat conclu précédemment entre les parties. Il rappelle que l’objet de la saisine du juge de la rétractation est limité aux mesures prononcées et qu’il doit de ce fait écarter toute question qui serait étrangère à la requête initiale telle que l’interprétation des contrats conclus entre les parties, étant rappelé qu’aux termes des articles 1192 et 1190 du code civil, les clauses claires et précises des contrats ne peuvent être interprétées à peine de dénaturation. La question liée à l’interprétation des contrats conclus par les parties ne peut être tranchée par le juge des requêtes qui ne peut se substituer au juge du principal et doit se référer à la lettre des contrats. En tout état de cause, si la mention du contrat de mandat devait être interprétée contrairement à ses termes, il précise que le contrat de mandat est un contrat d’adhésion qui doit être interprété en sa faveur conformément aux dispositions de l’article 1190 du code civil.

Il ajoute que le contrat de sous-traitance n’a jamais été exécuté, les tarifs pratiqués dans les bons de commande que lui adressait la SAS Favi ne correspondaient pas à ceux indiqués dans l’annexe du contrat de sous traitance.

S’agissant de son intervention auprès de la mairie de [Localité 4], il précise que la clause de non-démarchage insérée au contrat de mandat lui interdisait de démarcher les clients de la SAS Favi, alors que cette mairie n’a jamais été un client de cette société et n’a jamais été en contact avec cette société avant qu’elle ne se présente avec un huissier de justice pour obtenir l’arrêté municipal portant sur la destruction de pigeon qu’il a effectuée. Il estime donc qu’il n’y a aucune violation de ses engagements contractuels. En outre, la clause de non-concurrence du contrat de sous-traitance lui interdit la seule activité de dépigeonnage par fusil ou arme à air comprimé, et il était donc autorisé à intervenir pour la destruction de nuisibles autrement que par ces méthodes.

Il estime qu’en tout état de cause, la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de sous-traitance est nulle puisqu’elle n’est pas limitée dans l’espace et l’interdiction qu’elle prévoit est disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes à protéger. Il ajoute que, contrairement à ce qu’elle soutient, la SAS Favi n’a pas le monopole de l’activité de dépigeonnage par tir de fusil à arme à air comprimé, qui est utilisée par d’autres sociétés et qu’elle n’a pas développé ce concept ni provoqué la création d’un régime d’assurance civile pour cette activité.

Il soutient que l’activité de dépigeonnage à tir ne nécessite aucun agrément et qu’il ne pratique pas l’équarrissage, faisant systématiquement appel pour cela à la société Atemax, spécialisée dans l’élimination des cadavres d’animaux.

Il résulte selon lui de l’ensemble de ces éléments que la dérogation au principe du contradictoire n’était pas fondée.

L’affaire a fait l’objet d’une fixation à bref délai en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile.

Plaidé à l’audience du 30 novembre 2022, le dossier a été mis en délibéré au 2 février 2023.

* * * * *

MOTIVATION 

Sur la demande de nullité de l’ordonnance du 14 juin 2022

a) Sur la nullité pour absence de pouvoir du juge des référés

Aux termes de l’article 496 alinéa 2 du code de procédure civile, s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance.

Le juge de la rétractation est celui qui a ordonné la requête, le référé-rétractation prolongeant la procédure initiale en assurant le rétablissement de la contradiction. La demande en rétractation doit être portée non pas devant le juge des référés ordinaire, mais devant le juge qui a statué sur la requête.

En l’espèce, l’ordonnance du 9 mars 2022 et l’ordonnance rectificative du 31 mars 2022 ont été rendus par le président du tribunal de commerce de Douai pour la première et par un magistrat délégué à cet effet pour la deuxième.

Par acte d’huissier de justice du 13 mai 2022, M. [U] a fait délivrer à la SAS Favi une « assignation en référé-rétractation devant le président du tribunal de commerce de Douai ».

Si la SAS Favi soutient que l’ordonnance du 14 juin 2022 serait nulle en raison du fait que le nom du magistrat l’ayant rendu n’est pas le même que ceux des magistrats ayant rendu l’ordonnance sur requête et l’ordonnance complétive, cet élément importe peu dès lors qu’il s’agit ici d’une identité de fonction et non de personnes physiques des juges. Il ne résulte pas de l’article 497 du code de procédure civile que le juge de la rétractation ne puisse être que la personne physique qui a autorisé la mesure critiquée.

Le moyen sera donc rejeté.

b) Sur la nullité de l’ordonnance ayant statué ultra petita

Selon l’article 463 du code de procédure civile, la juridiction qui a omis de statuer sur un chef de demande peut compléter son jugement sans porter atteinte à l’autorité de la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et leurs moyens. L’article 464 du même code dispose que ces règles sont applicables si le juge s’est prononcé sur des choses non demandées ou s’il a été accordé plus qu’il n’a été demandé.

Selon l’article 4 du code de procédure civile, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et selon l’article 5 du même code, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

Il convient néanmoins de préciser que si la modification de la décision ayant statué ultra petita peut être demandée au juge qui a statué, ou à la cour d’appel saisie d’un appel à l’encontre de cette décision, la réparation de cette erreur ne passe pas par la nullité de la décision.

Le moyen sera donc rejeté, étant en tout état de cause précisé que si l’ordonnance du 14 juin 2022 a, après avoir retiré les ordonnances litigieuses, ordonné la restitution à M. [U] des éléments saisis, cette prétention figurait dans les conclusions récapitulatives n°2 de M. [U]. Et qu’en outre, le fait pour l’ordonnance d’avoir retenu que l’existence d’une seule infraction constatée n’apparaissait pas suffisante à constituer un motif légitime de voir mener les mesures d’investigation aussi générales et invasives que celles sollicitées par la SAS Favi, alors que M. [U] ne développait pas cette argumentation pour solliciter la rétractation des ordonnances ne constitue pas une « prétention qui n’a pas été soumise au débat contradictoire » comme le soutient la SAS Favi, mais relève de l’appréciation faite par le juge chargé de statuer sur le référé-rétractation du bien-fondé des mesures d’instruction sollicitées.

Sur la demande de rétractation des mesures prises sur requête

Le juge saisi d’un référé-rétractation à l’encontre d’une ordonnance rendue sur requête doit apprécier à nouveau, dans le cadre d’un débat contradictoire cette fois, le bien-fondé du recours à la procédure sur requête, la réunion des conditions d’une prise de décision non-contradictoire et plus généralement le bien-fondé de la requête.

Aux termes de l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

La SAS Favi a fondé ses demandes sur l’article 145 du code de procédure civile, lequel prévoit que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Il appartient en conséquence au demandeur à la mesure de démontrer d’une part la nécessité de conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve de faits et d’autre part que les mesures sollicitées sont en stricte adéquation avec les faits dont pourrait dépendre la solution du litige. Si l’article 145 du code de procédure civile n’exige pas d’établir le bien-fondé de l’action pouvant découler de l’exécution de la mesure d’instruction, je le juge de la requête ne peut ordonner cette mesure que s’il peut caractériser un litige potentiel entre les parties. Il doit également caractériser qu’il était nécessaire de déroger au principe du contradictoire.

En l’espèce, les parties ont conclu un contrat cadre de sous-traitance qui, s’il indique qu’il est en date du 2 février 2020, a en réalité été signé électroniquement par M. [U] le 4 février 2020 et par la SAS Favi le 5 février 2020. Le préambule de ce contrat précise que pour assurer la prestation des services de destruction de nuisibles et de régulation d’animaux par fusils et armes à air comprimé, Dove Busters a décidé de recourir à des sous-traitants chargés de « prester » les services. Il est également prévu que chaque mission qui sera confiée au sous-traitant donnera lieu à un bon de commande spécifique qui sera accompagné d’un mandat et détaillera spécifiquement les services à fournir dans le cadre de la mission considérée.

Ce contrat prévoit en son article 9 une clause intitulée « non-concurrence ‘ non démarchage » ainsi rédigée : « comme condition déterminante des présentes, et afin de préserver la réputation du réseau Dove Busters, et l’image de la marque pendant la durée du présent contrat, le sous-traitant s’interdit de créer, participer ou s’intéresser, directement ou indirectement, par lui-même ou par personne interposée, à l’exploitation de toute activité de destruction de nuisibles ou de régulation d’animaux par fusils ou armes à air comprimé concurrente à celle de Dove Busters, pour une clientèle d’entreprises commerciales ou industrielles, ainsi que pour des collectivités publiques.

Le sous-traitant sera toutefois libre de proposer ses services de destruction de nuisibles ou de régulation d’animaux à des entreprises et des collectivités publiques autrement que par fusils ou armes à air comprimé. Il restera libre de proposer ses services de destruction de nuisibles ou de régulation d’animaux par fusils ou armes à air comprimé aux particuliers et aux agriculteurs.

Il s’engage par ailleurs et plus spécifiquement à ne réaliser directement aucun démarchage ni aucune action commerciale à l’égard des clients de Dove Busters.

Ces obligations continueront à être applicables au sous-traitant pendant une durée d’un an après la cessation des effets du présent contrat, sur le territoire national ».

Les parties ont également conclu un contrat de mandat qui indique qu’il a été rédigé le 2 février 2020, mais a été signé électroniquement par M. [U] le 2 mars 2020 et par la SAS Favi le 3 mars 2020. Le préambule de ce contrat précise que dans le but d’augmenter la diffusion de ses services, Dove Busters a décidé de rémunérer ses sous-traitants auxquels il fait appel pour réaliser ses interventions de dépigeonnage lorsque ceux-ci lui apportent de nouveaux clients.

Ce contrat contient en son article 9 une clause intitulée « non démarchage », ainsi rédigée « comme condition déterminante du contrat, et afin de préserver les intérêts du mandant, le mandataire s’interdit pendant la durée du contrat et pendant une période d’un an suivant la cessation des effets du contrat, de démarcher, de quelque manière que ce soit, tant pour son propre compte que pour le compte de tout tiers, les clients en vue d’entretenir des relations commerciales avec eux en lien avec l’activité du mandant ».

Les parties s’opposent sur le point de savoir si le contrat de sous-traitance a été résilié par le contrat de mandat. En effet, le contrat de mandat dans son préambule, prévoit également « les parties se sont rapprochées et sont convenues de conclure le présent contrat de mandat devant gouverner leurs relations contractuelles et qui a pour objet de définir les droits et obligations réciproques existant entre les parties. La signature du présent contrat emporte résiliation immédiate de tout autre contrat conclu précédemment entre les parties, leurs relations étant gouvernées par le seul présent contrat ».

Contrairement à ce qu’affirme M. [U], le juge des requêtes, à qui il appartient de déterminer s’il existe un motif légitime à ce que soient ordonnées les mesures d’instruction sollicitées, est donc fondé à examiner les contrats et clauses que les parties y ont prévu, examen nécessaire pour évaluer le bien-fondé des mesures sollicitées.

Il ne peut être déduit de cette clause que les parties ont voulu dans le contrat de mandat résilier le contrat de sous-traitance dès lors que :

les deux contrats ont des objets différents, l’un régissant les relations des parties dans le cadre de prestations de services effectuées par M. [U] pour le compte de la SAS Favi et l’autre régissant les prospections effectuées par M. [U] mandaté par la SAS Favi pour lui apporter de nouveaux clients,

les deux contrats, bien que signés à des dates distinctes, ont été négociés en même temps puisque tous deux mentionnent une date de rédaction le 2 février 2020, M. [U] évoquant d’ailleurs dans sa lettre de résiliation des contrats « qui ont débuté le 02/02/2020 »,

postérieurement à la signature du contrat de mandat, la SAS Favi a confié à M. [U] plusieurs bons de commandes pour des prestations, accompagnés à chaque fois d’un mandat mentionnant qu’il intervient conformément à l’article 1.2 du contrat de sous-traitance (le 5 novembre 2020 pour une intervention sur le site de la mairie de [Localité 5], le 15 septembre 2020 pour une intervention sur le site de la société Ajinomoto d'[Localité 3], le 19 octobre 2020 pour une intervention sur le site de la mairie de [Localité 6]…), peu important à cet égard que les prix prévus dans les bons de commande ne soient pas les mêmes que ceux qui étaient indiqués dans les annexes du contrat de sous-traitance,

M. [U], dans son courrier de résiliation a indiqué informer la SAS Favi « de la résiliation de mes contrats de sous-traitance et contrat de mandat avec votre société à compter de ce jour qui ont débuté le 02/02/2020 »,

le contrat de mandat fait référence au contrat de sous-traitance dans son article 1-2 relatif à la zone de prospection, précisant « la représentation du mandant est confiée au mandataire pour la zone d’intervention définie dans le contrat de sous-traitance conclu entre le mandant et le mandataire »,

enfin, en son article 12, le contrat de mandat précise « les autres contrats conclus entre les parties existent de manière autonome et ne sont pas liés au contrat, avec lequel ils ne sauraient constituer un ensemble contractuel indivisible ».

Il ne résulte pas de l’ensemble de ces éléments que les parties ont manifestement entendu résilier le contrat de sous-traitance, peu important à cet égard qu’il s’agisse d’un contrat d’adhésion qui doit s’interpréter dans le doute contre celui qui l’a proposé.

Pour l’appréciation relevant du juge de la requête, il est donc vraisemblable que M. [U] était soumis, pendant un an à compter de la résiliation du contrat le 16 février 2021, aux obligations de non-concurrence et non démarchage précédemment énoncées.

Pour prétendre que M. [U] viole ses obligations de non concurrence et non démarchage à son égard, la SAS Favi soutient que :

en septembre 2021, la mairie de [Localité 8], qu’elle contactait dans le cadre d’un démarchage commercial, l’aurait informée qu’elle avait été démarchée par une société concurrente proposant le même type de prestations mais ne pouvant obtenir « son agrément » avant février 2022,

l’arrêté municipal du 5 janvier 2022 du maire de [Localité 4] démontre que M. [U] a pratiqué dans cette commune le dépigeonnage par tir.

Toutefois, s’agissant de la commune de [Localité 8], la SAS Favi se contente d’indiquer les propos qui lui auraient été tenus, sans néanmoins apporter le moindre indice rendant vraisemblable le fait allégué selon lequel le concurrent en question était nécessairement M. [U]. Aucune violation des obligations de non-concurrence ou non démarchage n’est donc plausible de ce chef.

S’agissant de la mairie de [Localité 4], l’arrêté municipal du maire pris le 5 janvier 2022 prévoit une autorisation de destruction de pigeons sur le territoire communal le 7 et le 14 janvier 2022, que les oiseaux seront euthanasiés ou détruits et que le prestataire, M. [U], est habilité à intervenir aux termes d’une convention du 3 janvier 2022. Il ne résulte aucunement de cet arrêté, ni d’aucune autre circonstance, qu’il soit vraisemblable que M. [U] ait procédé à la destruction des pigeons par utilisation d’un fusil ou d’une arme à air comprimé, seule méthode visée par son obligation de non-concurrence, qui prévoit qu’il est libre de proposer ses services de destruction de nuisibles à des collectivités publiques utilisant d’autres méthodes.

En conséquence, à défaut d’indice rendant vraisemblable le manquement de M. [U] à ses obligations de non-concurrence et non démarchage, la SAS Favi ne dispose pas d’un motif légitime à solliciter les mesures d’instruction étendues contenues dans sa requête initiale.

La SAS Favi ne justifie en outre d’aucune circonstance rendant vraisemblable la commission par M. [U] d’actes parasitaires qui justifieraient ces mesures.

Enfin, selon la SAS Favi, M. [U] ne respecterait pas la réglementation applicable en ne disposant pas d’un agrément pour l’équarrissage des animaux, ce qui constituerait une rupture d’égalité dans les moyens de concurrence. Cependant, outre le fait que M. [U] justifie faire appel à une société agréée pour l’équarrissage des pigeons, en tout état de cause, la preuve de l’éventuelle absence d’un agrément ne nécessite pas que soient autorisées les mesures d’instruction sollicitées pour être rapportée.

En conséquence, la SAS Favi ne justifiant pas d’un motif légitime pour que soient ordonnées les mesures d’instruction, les ordonnances des 9 et 31 mars 2022 doivent être rétractées. L’ordonnance du 14 juin 2022 sera confirmée.

Sur les prétentions annexes

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.

La SAS Favi sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel et, en équité, à payer à M. [U] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile concernant la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette la demande d’annulation de l’ordonnance formée par la SAS Favi ;

Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Favi aux dépens de la procédure d’appel ;

Condamner la SAS Favi à payer à M. [U] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

Dominique Gilles

 


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