Bail d’habitation : 21 septembre 2022 Cour d’appel de Colmar RG n° 20/01934

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Bail d’habitation : 21 septembre 2022 Cour d’appel de Colmar RG n° 20/01934
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MINUTE N° 450/22

Copie exécutoire à

– Me Raphaël REINS

– Me Patricia CHEVALLIER – GASCHY

Le 21.09.2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRET DU 21 Septembre 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 20/01934 – N° Portalis DBVW-V-B7E-HLMO

Décision déférée à la Cour : 28 Avril 2020 par le Tribunal judiciaire de MULHOUSE – 1ère chambre civile

APPELANTE – INTIMEE INCIDEMMENT :

S.À.R.L. SOCIÉTÉ D’EXPLOITATION DU TRIDENT (SET)

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

Représentée par Me Raphaël REINS, avocat à la Cour

INTIMES – APPELANTS INCIDEMMENT :

Monsieur [U] [B]

[Adresse 3]

Madame [O] [X] épouse [B]

[Adresse 3]

Représentés par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 modifié du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Janvier 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, et Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère, un rapport de l’affaire ayant été présenté à l’audience.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

– signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte du 22 décembre 2011, M. et Mme [B] ont consenti un bail commercial d’une durée de neuf années à la SARL Société d’exploitation du Trident portant sur un appartement et un parking de l’immeuble situé [Adresse 1].

Par congé du 21 juin 2017, ladite société a dénoncé le bail à effet au 22 décembre 2017.

M. et Mme [B] se sont opposés à cette dénonciation et ont assigné la société afin de voir constater la nullité, subsidiairement, l’irrecevabilité du congé, de voir ordonner en conséquence la poursuite du bail commercial et d’obtenir paiement de loyers impayés et d’une somme en indemnisation du préjudice subi.

Par jugement du 28 avril 2020, le tribunal judiciaire de Mulhouse a :

– déclaré nul et de nul effet le congé délivré par la SARL Société d’exploitation du Trident, prise en la personne de ses représentants légaux, en date du 21 juin 2017 et dit, en conséquence, que le bail commercial conclu entre cette dernière, d’une part, et M. et Mme [B], d’autre part, s’est poursuivi,

– condamné la SARL Société d’exploitation du Trident, prise en la personne de ses représentants légaux, à payer à M. et Mme [B] la somme de 12 958,44 € au titre des loyers restés impayés au 31 mars 2019, avec intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2018 sur la somme de 6 672,74 euros et à compter du 12 juin 2019 sur le surplus,

– condamné la SARL Société d’exploitation du Trident, prise en la personne de ses représentants légaux, à payer, en deniers ou quittances, à M. et Mme [B] les loyers dus et échus d’un montant trimestriel de 2 316 euros HT et hors charges pour la période comprise entre le 31 mars 2019 et le jugement ;

– débouté M. et Mme [B] de leur demande d’indemnisation,

– ordonné la capitalisation annuelle des intérêts échus dus au moins pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil,

– condamné la SARL Société d’exploitation du Trident, prise en la personne de ses représentants légaux, à payer à M. et Mme [B] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la SARL Société d’exploitation du Trident, prise en la personne de ses représentants légaux, aux entiers dépens,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.

Le 13 juillet 2020, la SARL Société d’exploitation du Trident a interjeté appel de la décision.

Le 24 août 2020, M. et Mme [B] se sont constitués intimés.

Par ses dernières conclusions du 16 novembre 2021, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces daté du 9 octobre 2020 qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, la SARL Société d’exploitation du Trident (la société SET) demande à la cour de :

– déclarer l’appel recevable et bien fondé,

– faire droit à l’ensemble des demandes, moyens et prétentions de l’appelante,

Corrélativement,

– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Mulhouse le 8 avril 2020 RG 20/142,

Statuant à nouveau,

– dire et juger la demande des époux [B] irrégulière, irrecevable et en tout cas mal fondée,

– constater la validité du congé délivré par le Preneur

– constater que le Preneur pouvait bénéficier de son droit de résiliation triennale tel que prévu par l’article L.145-4 du Code de commerce

– constater, à titre subsidiaire, l’absence de préjudice des époux [B],

En conséquence et en tout état de cause,

– débouter les époux [B] de leurs entières demandes, fins et conclusions, y compris s’agissant de leurs demandes additionnelles,

– déclarer irrecevables et mal fondées les demandes nouvelles des époux [B],

– constater que le jugement fait état de loyers à la date du jugement,

– en conséquence, débouter les époux [B] ;

– à titre infiniment subsidiaire, réduire prorata temporis au 21 décembre 2020 le montant des loyers,

– condamner solidairement les époux [B] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile

– condamner les époux [B] aux frais et dépens de la procédure en ce compris ceux de la procédure de première instance.

En substance, elle conteste que le congé délivré à M. et Mme [B] soit nul, soutenant que l’article 1er bis A de l’ordonnance du 2 novembre 1945 énumère strictement les personnes pour lesquelles les huissiers ne peuvent instrumenter et ne fait pas état des personnes morales, et que Maître [N] n’a pas instrumenté pour la famille de sa salariée. Elle ajoute que la chambre des huissiers a indiqué qu’il n’y avait aucune incompatibilité pouvant l’empêcher de délivrer des actes à la requête de cette société.

Elle soutient qu’elle avait la possibilité de donner congé à l’expiration de la seconde période triennale, faisant valoir que depuis la conclusion du bail, est entrée en vigueur la loi dite Pinel 18 juin 2014, modifiant l’article L.145-4 du code de Commerce en supprimant les clauses dérogatoires empêchant le locataire de donner congé d’un bail commercial tous les trois ans, qu’une réponse ministérielle a indiqué que ces dispositions s’appliquent aux baux en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi et que l’article L.145-7-1 du code de commerce liste de manière exhaustive les cas d’exclusion du droit de résiliation triennale, en visant les seules résidences de tourisme, ce qui n’est pas le cas de l’appartement loué dépendant d’une résidence services seniors.

Elle ajoute que le préjudice invoqué n’est pas justifié.

D’une part, elle conteste l’existence d’un préjudice fiscal consécutif à la résiliation du bail commercial. Elle soutient ainsi que M. et Mme [B] considèrent que le bail commercial a pris fin, que les trois prestations ne sont plus rendues à l’occupant du logement et que les loyers sont ainsi redevenus obligatoirement exonérés de TVA, mais qu’ils ont spontanément reversé la TVA, de sorte qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la fin du bail commercial et le reversement de TVA qui est dû jusqu’à une période de 20 années suivant l’acquisition.

D’autre part, elle soutient que s’ils ont perdu leur locataire principal, la société SET, ils ont conservé leur sous-locataire devenu leur locataire direct qui s’est acquitté directement du loyer.

Elle invoque l’irrecevabilité des demandes nouvelles en application de l’article 564 du code de procédure civile.

En tout état de cause elle fait valoir que les premiers juges ont arrêté son décompte au 31 mars 2019 et à titre subsidiaire que le montant sollicité correspond au total des loyers au 31 décembre 2020, alors que la date de résiliation est le 21 décembre 2020 et qu’il y a donc lieu de déterminer le loyer dû prorata temporis.

Par leurs dernières conclusions du 6 décembre 2021, auxquels était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation par la partie appelante, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, M. et Mme [B] demandent à la cour de :

– déclarer l’appel de la Société d’exploitation du Trident mal fondé et le rejeter,

– la débouter de l’ensemble de ses fins et conclusions,

ajoutant au jugement entrepris et sur demande additionnelle,

– déclarer la demande additionnelle recevable et bien fondée,

– condamner la Société d’exploitation du Trident au paiement d’un arriéré total entre le 21 décembre 2017 et le 21 décembre 2020 de 28 966,08 euros, hors taxes et hors charges augmentés des éventuelles taxes et charges dues, et les intérêts au taux légal à compter de chaque échéance au total incluant le montant de la condamnation de première instance pour la période du 31 mars 2017 au 27 septembre 2018,

– ordonner la capitalisation annuelle des intérêts échus dus au moins pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil,

– condamner la Société d’exploitation du Trident à 2 500 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur les préjudices consécutifs à la résiliation prématurée du bail commercial de façon invalide et en s’abstenant de payer les échéances mensuelles avec toutes conséquences de droit,

– débouter la Société d’exploitation du Trident de toutes conclusions plus amples ou contraires,

– la condamner aux entiers frais et dépens ainsi qu’à une indemnité de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Ils invoquent la nullité du congé, faisant valoir qu’il a été délivré par Me [N], respectivement son Clerc assermenté, alors que Me [I], huissier salarié au sein de l’Office de Me [N] est la belle-s’ur et belle-fille des dirigeants de la société SET.

Ils soutiennent que le pouvoir réglementaire stipule une exigence de neutralité inhérente à la qualité d’officier public et ministériel, d’où l’interdiction faite à ce dernier de s’intéresser personnellement à des affaires dans lesquelles il prête son ministère et l’interdiction qui lui est faite d’instrumenter pour ses proches, en invoquant l’article 1er bis A de l’ordonnance du 2 novembre 1945 et l’article 15 du décret du 29 février 1956, et, pour les notaires l’article 2 du décret du 26 novembre 1971. Ils ajoutent que selon l’article 2 du décret du 25 juillet 2011 relatif aux huissiers de justice, l’huissier de justice ne peut intervenir pour le compte de son huissier salarié ainsi que pour les alliés et parents de celui-ci, et que la Cour de cassation a appliqué l’interdiction alors que le parent est intervenu en qualité de représentant légal de la personne morale, que cette solution applicable aux notaires peut être transposée dans la présente espèce. Ils ajoutent qu’il s’agit d’une nullité de fond pouvant être invoquée à tout stade de la procédure.

Ils s’opposent à la mise en ‘uvre du congé à la première échéance triennale, en se prévalant de la clause de renonciation à la faculté de résiliation triennale contenue dans le contrat de bail.

Ils soutiennent que la réponse ministérielle ne saurait déroger aux dispositions législatives, au demeurant au motif que la loi Pinel serait en grande partie d’ordre public, mais que ordre public ne signifie pas application immédiate de la loi. Ils ajoutent qu’à la différence de l’article L.145-7 du code de commerce s’appliquant aux baux en cours, il n’est pas justifié par la modification de l’article L.145-6 du code aucun motif d’intérêt général d’ordre économique tenant à la nécessité de garantir cette faculté de résiliation et que la doctrine n’est pas favorable à l’application rétroactive de la loi, alors que les stipulations conventionnelles résultant des baux antérieurs étaient conformes au texte alors applicable et faisaient la convention des parties organisant un équilibre global des contrats.

Ils ajoutent que le bail vise une résidence senior, que le traitement fiscal de l’opération est tributaire du fait que les locaux sont donnés à bail aux fins d’exploitation d’une telle résidence et que la stipulation d’une durée de neuf ans était motivée par le montage juridique auquel chaque partie trouvait intérêt, ce qui doit exclure l’application rétroactive de la loi Pinel s’agissant de la faculté de résiliation. Ils soutiennent aussi que cette durée était déterminante du consentement des preneurs au bail et à l’opération tout entière.

Ils concluent à la confirmation des condamnations, la partie adverse restant tenue au règlement de l’ensemble des loyers jusqu’à la fin du bail, d’où leur demande complémentaire aux fins de condamnation à un montant trimestriel de 2 413,84 euros hors-taxes et hors charges pour la période du 1er avril 2019 à la fin du bail le 22 décembre 2020, faisant observer que le premier juge s’est arrêté fin mars 2019. Ils soulignent que cette demande, qui vise à actualiser les créances de loyers arrêtées par le premier juge à la date du jugement, est recevable et ne constitue pas une demande nouvelle en application de l’article 566 du code de procédure civile.

Pour répondre au moyen de la partie adverse qui s’oppose au paiement des loyers au motif de l’absence de préjudice, ils soutiennent que ce moyen manque en droit, le bail faisant la loi entre les parties, et manque en fait. Ils font valoir que M. [U] [B] et son frère sont cautions de leurs parents par le contrat de bail d’habitation conclu entre ces derniers et la société SET, et que la société SET leur réclame en tant que caution le règlement des loyers dus par les parents décédés, et que l’assignation ainsi délivrée confirme que la partie adverse

ne peut continuer à prétendre qu’ils n’ont subi aucun préjudice puisqu’ils ont touché un loyer de la part de leurs parents. Ils expliquent n’avoir réclamé aucun loyer à leurs parents puisqu’ils ont considéré que le congé n’avait pas été valablement délivré et que les loyers dus par leurs parents revenaient à la société SET.

Par ordonnance du 8 décembre 2021, la clôture de la procédure a été ordonnée et l’affaire renvoyée à l’audience de plaidoirie du 13 décembre 2021.

Le conseil des intimés n’ayant pas produit l’intégralité de ses pièces, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 10 janvier 2022.

Par requête du 15 décembre 2021, les intimés ont demandé que soit révoquée l’ordonnance de clôture pour modifier le bordereau joint aux conclusions et que soit maintenue la date de plaidoirie fixée au 10 janvier 2022.

Le même jour, leur conseil transmettait par voie électronique un bordereau de communication de pièces daté du 15 décembre 2021.

L’affaire a été appelée à l’audience du 10 janvier 2022.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION :

1. Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture :

En application des articles 907 et 803 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.

Les motifs invoqués par les intimés au soutien de leur demande de révocation de l’ordonnance de clôture ne constituent pas une cause grave justifiant ladite révocation.

La demande sera rejetée. Il ne sera donc pas tenu compte des pièces produites selon le bordereau de pièces daté du 15 décembre 2021.

2. Sur la demande de nullité du congé :

Selon l’article 1 bis A de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, ‘les huissiers de justice ne peuvent, à peine de nullité, instrumenter à l’égard de leurs parents et alliés et de ceux de leur conjoint en ligne directe ni à l’égard de leurs parents et alliés collatéraux jusqu’au sixième degré.’

La méconnaissance de cette prohibition est sanctionnée par la nullité de fond de l’acte instrumenté, laquelle peut être invoquée en tout état de cause conformément à l’article 118 du nouveau code de procédure civile (1re Civ., 31 mai 2007, pourvoi n° 06-12.173, Bull. 2007, I, n° 214).

Selon l’article 2 du décret du 25 juillet 2011 : ‘ (…) l’huissier de justice titulaire de l’office ou, si cet office a pour titulaire une société, l’un des huissiers associés ne peut instrumenter à l’égard d’un huissier salarié exerçant au sein de l’office ou de la société lorsque celle-ci est titulaire de plusieurs offices ou des parents ou alliés de ce dernier au degré prohibé par l’article 1er bis A de la même ordonnance.

L’huissier de justice salarié ne peut instrumenter à l’égard d’un autre huissier de justice exerçant au sein de l’office ou de la société lorsque celle-ci est titulaire de plusieurs offices ou des parents ou alliés de ce dernier au degré prohibé par l’article 1er bis A de la même ordonnance.’

En l’espèce, il est constant que, par acte du 21 juin 2017, Maître [N] a, à la requête de la SARL SET, signifié un congé à M. et Mme [B].

Il n’est pas contesté que les gérants de la SARL SET sont M. [T] et [J] [I], ni que Maître [I] est huissier salarié au sein de l’office de Maître [N] et est la belle-soeur et la belle-fille des gérants précités de la société SET, de sorte qu’elle se situe ainsi dans un lien d’alliance inférieur au 6ème degré avec ces derniers.

En délivrant l’acte litigieux, il a instrumenté au profit d’une société, la société SET, dont les gérants sont MM. [T] et [J] [I], dirigeants dont un huissier salarié de son étude est la belle-soeur et belle fille.

M. et Mme [B] concluent à la transposition à la présente espèce d’un arrêt de la Cour de cassation du 31 octobre 2012 (pourvoi n°11-25.789) rendu dans le cas d’un notaire instrumentaire qui était le fils du président du conseil d’administration de la personne morale intervenu à l’acte en qualité de représentant légal de ladite personne morale.

La société SET réplique que Me [N] n’a pas instrumenté pour la famille de sa salariée, mais a délivré un acte pour une société, personne morale distincte de la personnalité de ses gérants, et que l’article 1 bis A de l’ordonnance du 2 novembre 1945 énumère strictement les personnes pour lesquelles les huissiers ne peuvent instrumenter, invoquant un arrêt de la Cour de cassation du 6 janvier 1862.

Sur ce, la cour relève que, s’agissant des huissiers de justice, il a effectivement été jugé que, pour une société dont il est commanditaire, la qualité d’actionnaire de l’huissier de justice ne peut être une cause d’incapacité pour l’huissier de justice requis d’instrumenter pour le compte du gérant de cette société (Cass. civ. 6 janvier 1862, Bulletin Tome LXIV année 1862, n°2).

Certes, les incompatibilités d’instrumenter résultant des textes précités doivent s’apprécier de manière stricte.

Cependant, il convient de considérer qu’ils s’appliquent à la présente espèce, dès lors que Maître [N] a instrumenté pour le compte d’une société, la société SET, qui était nécessairement représentée à l’acte litigieux par son ou ses gérants en exercice, lesquels se trouvent être alliés, au degré cité par les textes précités, de Maître [I], huissier de justice qui était alors salarié de son office.

Le fait que Maître [I] ait été nommé huissier de justice en janvier 2017, soit après le début des relations d’affaires ayant existé entre la société SET et l’étude de Maître [N] ne permet pas de déroger à l’interdiction précitée.

Une solution comparable est d’ailleurs énoncée par la jurisprudence s’agissant des incompatibilités relatives à l’office des notaires pour lesquels les textes sont similaires : la Cour de cassation juge de manière constante que lorsque le notaire instrumentaire était le fils du président du conseil d’administration de la banque intervenu à l’acte en qualité de représentant légal de celle-ci, cet acte est instrumenté en méconnaissance de l’interdiction prévue par l’article 2 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 et ne valait pas titre exécutoire (arrêt précité : 1re Civ., 31 octobre 2012, pourvoi n° 11-25.789, Bull. 2012, I, n° 223 ; mais aussi : 1re Civ., 20 mars 2013, pourvoi n° 12-15.388 ), un arrêt ayant précisé que l’interdiction faite par l’article 2 du décret n 71-941 du 26 novembre 1971 aux notaires de recevoir des actes dans lesquels leurs parents ou alliés en ligne directe, à tous les degrés, et en ligne collatérale jusqu’au degré d’oncle ou de neveu inclusivement, sont parties ou qui contiennent quelque disposition en leur faveur, ne s’appliquait pas au notaire appelé à instrumenter pour une personne morale dans laquelle une personne physique, parente ou alliée au degré prohibé, était associée minoritaire, à condition toutefois que cette personne n’intervienne pas à l’acte comme y représentant la société (1re Civ., 2 février 1994, pourvoi n° 92-10.844, Bulletin 1994 I N° 37).

En conséquence, il convient de confirmer l’ordonnance ayant déclaré nul ledit congé et dit qu’en conséquence, le bail commercial s’est poursuivi.

3. Sur la demande en paiement de loyers :

Le tribunal a condamné le preneur à payer la somme de 12 958,44 euros au titre des loyers impayés au 31 mars 2019, outre intérêts, ainsi que les loyers dus et échus d’un montant trimestriel de 2 316 euros HT et hors charges pour la période comprise entre le 31 mars 2019 et le jugement, soit le 28 avril 2020.

Le preneur conteste devoir paiement des loyers au-delà du 22 décembre 2017, en invoquant l’absence de préjudice du bailleur.

Cependant, la présente demande ne vise pas à obtenir l’indemnisation d’un préjudice.

Le contrat de bail s’étant poursuivi, les bailleurs ont droit au paiement des loyers impayés ayant couru que le preneur est tenu d’acquitter. La SARL SET ne soutient pas s’être acquittée des sommes demandées, et ne démontre pas qu’elles ont été payées aux bailleurs par les sous-locataires occupant l’appartement.

Devant la cour, les bailleurs demandent, à titre de demande additionnelle, le paiement de la somme de 28 966,08 euros hors taxes et hors charges au titre de l’arriéré entre le 21 décembre 2017 et le 21 décembre 2020, augmentés des éventuelles taxes et charges dues, et les intérêts au taux légal à compter de chaque échéance au total, incluant le montant de la condamnation de première instance pour la période du 31 mars 2017 au 27 septembre 2018.

La lecture de leurs conclusions (p. 9 et 10) montre que leur demande complémentaire porte plus précisément sur le montant trimestriel de 2 413,84 euros hors taxes et hors charges pour la période comprise entre le 1er avril 2019 et la fin du bail le 21 décembre 2020.

En outre, la cour observe que les bailleurs indiquent (p. 10 de leurs conclusions) que le total dû, en tenant compte des condamnations prononcées par le juge et des montants dus jusqu’à la fin du bail au 21 décembre 2020 s’élève à 28 966,08 euros hors taxes et hors charges.

Au-delà de la condamnation prononcée à hauteur de 12 958,44 euros, ils demandent donc paiement de la somme de 16 007,64 euros.

Sur le montant des loyers au 31 mars 2019 :

Ainsi s’agissant des loyers impayés au 31 mars 2019, aucune des parties ne conteste que le solde des loyers hors taxes et hors charges s’élève à la somme demandée par les bailleurs en première instance et retenue par le tribunal, à savoir 12 958,44 euros. Cette condamnation sera dès lors confirmée.

Sur la recevabilité de la demande additionnelle :

S’agissant de la demande additionnelle, il s’agit d’une demande conduisant à obtenir paiement d’une somme de 2 413,84 euros par trimestre au lieu de la condamnation prononcée au paiement de 2 316 euros par trimestre pour la période du 31 mars 2019 et le 28 avril 2020 et d’une demande nouvelle formée à hauteur de cour au titre de la période postérieure au jugement, soit du 29 avril 2020 au 21 décembre 2020.

S’agissant des loyers dus entre le 1er avril 2019 et le 28 avril 2020, les bailleurs avaient demandé, en première instance paiement d’un loyer, mais sans le chiffrer. Le tribunal avait retenu un montant de loyer trimestriel de 2 316 euros. Devant la cour, les bailleurs demandent l’application d’un loyer trimestriel hors charges et hors taxes de 2 413,84 euros. La lecture du courrier contenant un décompte du 24 février 2019, ainsi que la pièce 28 produite par les bailleurs, montre que cette somme intègre l’indexation intervenue au 1er trimestre 2018 au montant du loyer trimestriel qui était alors de 2 316 euros.

Les bailleurs demandent, en outre, paiement d’un tel loyer pour la période postérieure à celle de la date du jugement.

Ces demandes, nouvelles, sont recevables en ce qu’elles constituent l’accessoire et le complément de la demande en paiement de loyer formée devant le premier juge.

Sur le bien fondé de la demande additionnelle :

L’indexation opérée par les bailleurs dans le décompte du 24 février 2019 et sa pièce 28 n’est pas contestée par le preneur. Au demeurant, celui-ci ne conteste pas que le loyer trimestriel s’élevait à 2 316 euros, de sorte qu’en application de la clause d’indexation, le bailleur est en droit de demander un loyer indexé de 2 413,84 euros par trimestre.

Dès lors, il convient d’infirmer le jugement ayant condamné le preneur au paiement de 2 316 euros par trimestre entre le 31 mars 2019 et le 28 avril 2020.

Du 1er avril 2019 au 21 décembre 2020, le loyer hors charges et hors taxes s’élève donc à la somme de : 2 413,84 x 4 (du 1er avril 2019 au 31 mars 2020) + 2 413,84 (du 1er avril au 30 juin 2020) + 2 413,84 (du 1er juillet au 30 septembre 2020) + 2 413,84 x 82/92 jours (du 1er octobre au 21 décembre 2020/ du 1er octobre au 31 décembre 2020) = 16 634,50 euros.

Dès lors, statuant à nouveau et y ajoutant, et ce dans la limite des prétentions des bailleurs, le preneur sera condamné au paiement, au titre des loyers hors charges et hors taxes dus du 1er avril 2019 au 21 décembre 2020 à la somme de 16 007,64 euros, outre intérêts au taux légal à compter de chaque échéance trimestrielle.

En outre, le bailleur ne chiffre pas sa demande au titre des charges dues en sus, et ne produit aucun élément à cet égard, de sorte que cette demande sera rejetée.

Il convient de faire droit à la demande de capitalisation annuelle des intérêts échus pour une année entière, la première demande en ce sens ayant été formée le 27 septembre 2018, date de la délivrance de l’assignation.

4. Sur la demande de dommages-intérêts :

Les bailleurs demandent paiement de la somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur les préjudices consécutifs à la résiliation prématurée du bail commercial de façon invalide et en s’abstenant de payer les échéances mensuelles.

Cependant, ils ne démontrent pas avoir subi un préjudice autre que celui résultant du retard de paiement et qui a déjà été indemnisé par les intérêts moratoires précités.

La demande sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.

5. Sur les frais et dépens :

La société SARL Société d’exploitation du Trident succombant, il convient de confirmer le jugement ayant statué sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Elle sera condamnée à supporter les dépens d’appel et à payer à M. et Mme [B] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sa propre demande de ce chef étant rejetée.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Rejette la demande de révocation de l’ordonnance de clôture,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse du 28 avril 2020, sauf en ce qu’il a condamné la société SET à payer en deniers ou quittances à M. et Mme [B] les loyers dus et échus d’un montant trimestriel de 2 316 euros HT et hors charges pour la période comprise entre le 31 mars 2019 et le présent jugement,

L’infirme de ce chef,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déclare recevable la demande additionnelle en paiement de M. et Mme [B],

Condamne la société SARL Société d’exploitation du Trident à payer à M. et Mme [B] la somme de 16 007,64 euros au titre des loyers hors charges et hors taxes dus du 1er avril 2019 au 21 décembre 2020, outre intérêts au taux légal à compter de chaque échéance trimestrielle,

Condamne la société SARL Société d’exploitation du Trident à supporter les dépens d’appel,

Condamne la société SARL Société d’exploitation du Trident à payer à M. et Mme [B] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de la société SARL Société d’exploitation du Trident au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La Greffière :la Présidente :

 


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