Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 25 OCTOBRE 2022
RP
N° RG 19/06394 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LLDP
[T] [R]
[K] [F] épouse [R]
c/
[E] [B]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 29 octobre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 1, RG : 16/10639) suivant déclaration d’appel du 06 décembre 2019
APPELANTS :
[T] [R]
né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 9] ([Localité 9])
de nationalité Française
demeurant [Adresse 2]
[K] [F] épouse [R]
née le [Date naissance 5] 1972 à [Localité 8] ([Localité 8])
de nationalité Française
demeurant [Adresse 2]
représentés par Maître COMBEAU substituant Maître Philippe LECONTE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocats au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
Maître [E] [B]
né le [Date naissance 6] 1973 à [Localité 10] ([Localité 10])
de nationalité Française
demeurant [Adresse 4]
représenté par Maître Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER – SAMMARCELLI – MOUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 20 septembre 2022 en audience publique, devant la cour composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par acte notarié du 22 avril 2002, M. [X] [M] [R] et Mme [K] [F] épouse [R] ont fait l’acquisition, par vente en l’état futur d’achèvement, d’un appartement situé au [Adresse 3]) pour un montant de 140.405 euros.
Le bien, achevé en mai 2003, a été mis en location dans le cadre du dispositif de défiscalisation prévu par la loi Robien.
L’opération avait été faite sous l’égide d’un cabinet de gestion de patrimoine FCI-Finance Conseil Investissement et son entité connexe sous forme d’association ACI, société aujourd’hui en liquidation judiciaire.
Le bail initial a été signé le 23 juin 2003 avec une date d’effet au 15 juillet 2003.
Souhaitant mettre en vente cet appartement, M. et Mme [R] ont, par lettre du 23 octobre 2011, avisé le locataire en place qu’ils ne comptaient pas renouveler le bail à son expiration le 26 novembre 2012 pour cause de vente.
Le locataire a donné congé avant l’expiration du terme de son bail et quitté le logement le 1er mars 2012.
M. et Mme [R] ont vendu l’appartement selon acte notarié passé devant Me [E] [B], notaire à [Localité 7] (Gironde) le 2 juillet 2012.
Le 23 septembre 2015, M. et Mme [R] ont reçu un avis de redressement des services fiscaux sous forme d’une proposition de rectification, mise en taxation le 12 novembre 2015 malgré leur demande de remise gracieuse, les services fiscaux estimant que le délai pendant lequel le bien doit être loué n’a pas été respecté, le bien ayant été vendu le 2 juillet 2012 alors qu’il aurait dû l’être au plus tôt le 15 juillet 2012, et demandant la restitution des sommes correspondant à un avantage fiscal dont les conditions nécessaires n’ont pas été respectées.
Les époux [R] ont ainsi payé à ce titre une somme totale de 41.417,00 euros.
Estimant que le cabinet FCI-Finance Conseil Investissement, qui leur avait indiqué en tant que conseil en gestion de patrimoine qu’ils arriveraient à la fin de la période obligatoire de location à partir de juin 2012, a manqué à son devoir d’information et de conseil, de même que Me [B], notaire ayant procédé à la vente, M. et Mme [R] ont fait assigner par acte en date du 13 octobre 2016 la SELARL Christophe Mandon, ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL FCI- Finance Conseil Investissement ainsi que M. [E] [B].
Par jugement du 29 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :
– reçu la SELARL EKIP’ en son intervention volontaire à l’instance,
– déclaré irrecevables les demandes des époux [R] à l’encontre de la SELARL EKIP’ ès qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société FCI-Finance Conseil Investissement,
– débouté M. et Mme [R] de leurs demandes à l’encontre de M. [E] [B],
– condamné M. et Mme [R] aux dépens et à payer à la SELARL EKIP’ ès qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société FCI-Finance Conseil Investissement et à M. [E] [B] une somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les époux [R] ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 6 décembre 2019, en n’intimant que M. [B].
Par conclusions déposées le 16 août 2022, ils demandent à la cour de :
– réformer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 29 octobre 2019,
– condamner M. [E] [B] à leur payer la somme de 49.492,40 € correspondant à leur préjudice,
– condamner M. [E] [B] notaire à leur payer la somme de 6.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Par conclusions déposées le 8 juillet 2022, Me [B] demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris,
En conséquence :
– débouter les consorts [R] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
– condamner les consorts [R] à verser à Maître [B] une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de la SCP Laydeker Sammarcelli Mousseau, sur ses affirmations de droit.
L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 20 septembre 2022.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 6 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les époux [R] font grief au jugement d’avoir écarté la responsabilité du notaire rédacteur de l’acte de vente du 2 juillet 2012 alors que le notaire a un devoir de conseil et d’information qui lui impose d’informer et d’éclairer les parties sur la portée, les effets et les risques de l’acte auquel il prête son concours, notamment quant à ses incidences fiscales.
Les appelants soutiennent qu’en l’espèce, Me [B] a manqué à ses obligations en établissant un acte de vente relatif à un immeuble neuf acheté en l’état futur d’achèvement, par l’intermédiaire d’un cabinet de conseil en gestion de patrimoine avec qui il travaille régulièrement et n’ayant été ni la résidence principale ni secondaire du vendeur dont il ne pouvait ignorer que l’objectif comportait des conséquences fiscales sur lesquels il se devait spontanément de les interroger et d’apporter son conseil alors qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que le notaire les ait interrogés sur les aspects fiscaux de la détention du bien.
Les appelants font valoir que le notaire connaissait nécessairement le contexte fiscal de l’opération, compte tenu des actes préparatoires de l’acte de vente litigieux pour lequel Me [B] s’est adressé directement au gestionnaire de patrimoine avec lequel il travaille régulièrement et à qui il a notamment demandé copie du bail et de l’état des lieux d’entrée de sorte qu’il aurait dû vérifier les conditions de leur investissement puis leur conseiller de retarder la vente de l’immeuble de quelques jours s’ils ne voulaient pas subir un redressement fiscal.
Me [B] demande confirmation du jugement en maintenant qu’il ne disposait d’aucune information lui permettant de penser que l’appartement vendu avait été acquis dans un objectif de défiscalisation, ce qui ne ressortait nullement de l’acte de vente initial du 22 avril 2002 ni des documents qui lui avaient été remis dans le cadre de la vente de juillet 2012.
Sur ce point, il confirme avoir sollicité de la société FCI la communication de certains éléments préparatoires de la vente comme la copie du bail d’habitation, l’état des lieux d’entrée, et le dernier relevé de gestion locative, pièces qui ont pour seul but d’informer l’acquéreur de la situation juridique de l’appartement , qui ne concernent pas l’opération fiscale et ne contiennent aucun information susceptible d’alerter le notaire sur son existence.
Me [B] ajoute qu’interrogés sur ce point dans l’acte de vente, les époux [R] ont passé sous silence le fait qu’ils avaient acquis l’appartement dans le cadre d’une opération de défiscalisation et qu’il ne disposait d’aucun élément lui permettant de douter des déclarations des vendeurs.
Il est acquis en jurisprudence que si le notaire est tenu d’un devoir de conseil qui découle de son obligation d’assurer la validité et l’efficacité des actes qu’il reçoit, il n’est pas soumis à un devoir général d’investigation et en particulier, il n’a pas à procéder au contrôle des déclarations des parties sauf en cas de doute sur leur véracité au regard des éléments dont il dispose.
En l’espèce, les pièces et les débats d’appel établissent que le notaire n’est pas intervenu à l’acte de vente initial en l’état futur d’achèvement du 22 avril 2002 qui ne fait d’ailleurs aucune mention de l’opération de défiscalisation entreprise par les appelants, que Me [B] a seulement constaté la vente du 2 juillet 2012, après avoir obtenu communication de la société FCI des pièces utiles à la connaissance de la situation juridique du bien, notamment locative, pièces qui ne contiennent en elles mêmes aucune information sur le contexte fiscal de l’opération.
Aucune pièce n’est produite par les époux [R] de nature à conforter leurs affirmations sur la connaissance par Me [B] du contexte fiscal de leur investissement immobilier ou sur les éléments qui auraient dû l’alerter à ce sujet alors qu’au contraire, expressément interrogés par le notaire sur l’existence d’avantages fiscaux liés à la location, les vendeurs ont déclaré en page 22 de l’acte notarié, ne pas avoir souscrit à l’un des régimes fiscaux leur permettant de bénéficier de la déduction des amortissements, ce qui était inexact, leur investissement ayant été réalisé dans les termes et conditions de la loi Robien.
Le premier juge ne peut ainsi qu’être approuvé lorsqu’il écarte tout manquement du notaire à son devoir de conseil en rappelant que Me [B] n’avait pas pour obligation de rechercher les conséquences économiques et fiscales de l’acte qu’il authentifie ni de renseigner les vendeurs sur les conséquences fiscales d’une situation qui n’avait pas été portée à sa connaissance.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé et les appelants verseront à l’intimé une indemnité de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement entrepris;
Y ajoutant;
Condamne in solidum M. et Mme [R] à payer à M. [B] une indemnité de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
Condamne in solidum M. et Mme [R] aux dépens qui pourront être recouvrés par le conseil des appelants dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,