Secret des correspondances : 15 janvier 2015 Cour d’appel de Paris RG n° 12/09668

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Secret des correspondances : 15 janvier 2015 Cour d’appel de Paris RG n° 12/09668
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15 janvier 2015
Cour d’appel de Paris
RG n°
12/09668

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 5

ARRÊT DU 15 Janvier 2015

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S 12/09668

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Juin 2012 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section encadrement –

APPELANTE

Madame [J] [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Carine DURRIEU DIEBOLT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1165

INTIMEE

Etablissement ALLEN ET OVERY LLP

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Hubert FLICHY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 novembre 2014, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame Murielle VOLTE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [J] [T], qui avait été engagée le 23 avril 2001 en qualité de secrétaire bilingue par le cabinet d’avocats Allen & Overy LLP, et promue en 2006 ‘support team leader’ sous la responsabilité du directeur informatique Europe, en charge en dernier lieu de l’équipe d’assistance aux utilisateurs, était membre du comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail depuis décembre 2009. Le 6 juillet 2010, l’inspection du travail a autorisé le licenciement de Mme [T] qui a été licenciée pour faute grave le 12 juillet 2010.

Mme [T] a saisi la juridiction prud’homale le 29 septembre 2010 d’une demande de paiement de diverses sommes relatives à la rupture de son contrat de travail.

Par jugement du 20 juin 2012 notifié le 6 octobre suivant, le Conseil de prud’hommes de Paris l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et condamnée aux dépens.

Mme [T] a interjeté appel de cette décision le 9 octobre 2012.

A l’audience du 25 novembre 2014, elle demande à la Cour de condamner le Cabinet Allen et Overy à lui payer les sommes de :

– 12447 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

– 1244 € au titre des congés payés afférents

– 76682 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, vexatoire et brutal

– 8536 € au titre du salaire de la mise à pied conservatoire du 29 avril au 12 juillet 2010,

avec intérêts au taux légal capitalisés,

– et 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle expose que, au retour de son congé de maternité en septembre 2008, des tensions sont apparues avec son employeur et un différend est né relatif à ses horaires de travail. Elle soutient que celui-ci constitue le véritable motif de son licenciement comme l’a d’ailleurs retenu le conseil de prud’hommes et que les avertissements qui lui ont été notifiés les 22 mai 2009 et 23 avril 2010, qui ne pouvaient sanctionner son droit d’expression, dépeignent le contexte conflictuel dans lequel s’est inscrit le licenciement.

Elle conteste tout d’abord le constat d’huissier qui établirait les prétendues consultations de dossiers et courriers électroniques confidentiels qui lui sont reprochées, allègue que les documents litigieux étaient tous situés dans des dossiers partagés avec la directrice des ressources humaines et le directeur informatique, que si elle a eu connaissance de mails personnels à des salariés c’est parce qu’ils étaient classés dans lesdits dossiers auxquels elle avait donc un accès permanent comme l’a reconnu l’employeur pour les besoins de son activité professionnelle, et qu’enfin les courriels échangés entre la société et son avocat qui la concernaient personnellement étant utiles à sa défense sociale, elle était en droit de les appréhender. Elle nie donc toute intrusion informatique et sollicite, outre les indemnités de rupture et le salaire de la mise à pied conservatoire, des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier résultant de son licenciement ‘monté’ depuis plusieurs mois et de l’acharnement de l’employeur au travers de la procédure pénale à son encontre.

La société de droit anglais Allen & Overy Limited Liability Partnership demande pour sa part la confirmation du jugement et le rejet de toutes les demandes, ainsi que la condamnation de Mme [T] à lui payer la somme de 4000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir qu’étant un cabinet international d’avocats constitué sous la forme d’un partnership à Londres, elle comprend un bureau parisien regroupant plus de 250 personnes, salariés ou avocats, qui dispose d’un service informatique dont tous les membres ont accès à des informations de nature confidentielle. Elle reproche à Mme [T] d’avoir profité de ses fonctions pour consulter, imprimer et même copier certains documents relatifs aux ressources humaines et avoir de surcroît consulté des correspondances échangées avec l’avocat de la société la concernant personnellement. Elle relève que Mme [T] n’a pas contesté l’autorisation administrative de licenciement, si bien que ni la matérialité des faits commis, ni la cause réelle et sérieuse de licenciement ne peuvent être remises en cause, et qu’elle a été condamnée par le tribunal correctionnel pour violation du secret des correspondances. Elle considère donc que la fouille de dossiers virtuels dont la salariée a emporté chez elle certains documents la concernant est bien constitutive d’une faute grave, ces documents n’ayant pour aucun d’eux vocation à être produits en justice pour les besoins de sa défense. Elle conteste enfin les dommages-intérêts sollicités à hauteur de 24 mois de salaire qui ne consistent qu’en une tentative de contournement du principe de la séparation des pouvoirs.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l’audience des débats.

MOTIFS

Attendu que si, lorsqu’une autorisation administrative de licenciement d’un salarié protégé a été accordée à l’employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux de la cause du licenciement ni la régularité de la procédure antérieure à la saisine de l’inspecteur du travail, il reste compétent pour apprécier le degré de gravité de la faute sur laquelle s’est fondée l’autorité administrative pour autoriser le licenciement, au regard du droit aux indemnités de préavis et de licenciement ;

Attendu que le licenciement de Mme [J] [T], en sa qualité de membre du CHSCT, a été autorisé par décision administrative de l’inspection du travail du 6 juillet 2010, aux motifs que ‘la réalité des faits reprochés, à savoir avoir accédé de façon répétée, en utilisant ses droits d’accès liés à ses fonctions, à des fichiers et des dossiers informatiques du directeur informatique et de la directrice des ressources humaines, qu’elle a parfois copiés, à leur insu et en dehors de toute intervention de maintenance informatique dûment tracée, a été établie lors de l’enquête, sans que Mme [T] ait pu nous apporter des explications satisfaisantes sur ces ‘intrusions’ ; que ces faits sont de nature à justifier la mesure de licenciement envisagée et sans rapport avec son mandat’ ;

que l’intéressée a ainsi été licenciée par lettre du 12 juillet 2010 pour faute grave, aux motifs suivants : ‘Vous exercez les fonctions de support team leader au sein du département informatique de notre cabinet. Vous disposez de ce fait d’un accès permanent aux dossiers informatiques et aux courriers électroniques de l’ensemble des membres du cabinet : cela vous permet de leur apporter, à leur demande, l’assistance nécessaire en cas de dysfonctionnement informatique.

Vous avez outrepassé les droits d’accès qui vous étaient confiés dans la stricte limite de vos fonctions : vous avez pris connaissance, de manière totalement illégitime, des fichiers et dossiers informatiques du directeur informatique et de la directrice des ressources humaines et ce, à leur insu. Vous avez ainsi consulté, depuis le mois de janvier 2010, et plus particulièrement au mois de mars dernier, de très nombreux dossiers ou courriers électroniques confidentiels figurant dans les dossiers des deux directeurs ; vous avez copié une partie de ces documents.

A titre d’exemple :

– vous avez pris connaissance des courriers électroniques échangés entre notre conseil et notre cabinet (emails des 22 et 23 février 2010, consultés les 16 mars et 28 avril 2010). Vous en avez par ailleurs fait une copie le 28 avril à 9h35 ;

– vous avez pris connaissance de plusieurs emails et fichiers du directeur informatique, et notamment d’e-mails très confidentiels adressés aux seuls managers du cabinet (tels que celui du 12 février 2010, intitulé ‘compte rendu de la réunion des managers’, adressé par la direction générale aux 6 managers du cabinet et au managing partner) ou encore, d’emails échangés avec la direction des ressources humaines (e-mails du 4 août 2009 par exemple) ;

– vous avez également lu de nombreux courriers électroniques et fichiers figurant dans les dossiers de la direction des ressources humaines et de son équipe ; ces courriers ne vous concernaient nullement.

Ceci est d’autant plus grave que vous avez ainsi accédé à des documents concernant la gestion des ressources humaines du cabinet, et ainsi, à des informations portant sur la vie personnelle et professionnelle de salariés et d’avocats du cabinet (évaluations, offres d’emploi, contrats de travail, etc..)

Vous avez notamment pris connaissance de documents concernant le recrutement de salariés et d’avocats, et en particulier de CV de candidats, d’offres d’emploi faites à ces candidats, de contrats de travail de collaborateurs en cours de recrutement ou encore de correspondances expressément identifiées comme ‘personnelles et confidentielles’ notamment entre un cabinet de recrutement et la Direction des RH.

Vous avez enfin consulté de nombreux documents concernant la situation individuelle de salariés ou d’avocats du cabinet (avenants au contrat de travail, évaluation de performances, demandes de formation, bilan de compétences, demande de congé parental, modifications de contrats de travail, etc).

Il s’agit là d’agissements extrêmement graves, confortés par le constat d’huissier réalisé en votre présence le 26 mai dernier. (…)’ ;

Attendu que la décision administrative d’autorisation n’a pas été contestée par Mme [T], si bien que le caractère réel et sérieux de la cause du licenciement n’est plus discutable, ce qui signifie que tant la matérialité des faits reprochés que leur caractère fautif ont aujourd’hui un caractère définitif ; qu’il n’y a donc pas lieu d’examiner la question de la validité ou du caractère probant du constat d’huissier, ni celle du droit de la salariée de consulter et d’appréhender les documents qu’elle a consultés et, pour certains, copiés, encore moins de l’existence d’une prétendue autre cause au licenciement, seuls les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixant les termes du litige ;

Attendu que, s’agissant de la gravité de la faute reprochée, il convient de relever que le fait que Mme [T] ait eu un accès libre de par ses fonctions aux documents litigieux ne l’autorisait pas pour autant à prendre connaissance, encore moins à en prendre copie, la salariée ne justifiant aucunement, comme l’a retenu l’inspecteur du travail, l’avoir fait pour les besoins de son travail, la gestion des comptes utilisateurs, la gestion du logiciel d’intervention dédié à l’assistance à distance et la formation informatique des nouveaux arrivants au sein du cabinet ne nécessitant pas ces intrusions dans les fichiers de la DRH ou du directeur informatique ; que le fait que certains documents l’aient concernée personnellement ne justifiait pas davantage la violation du secret des correspondances qu’elle a commise ; que le fait que le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 27 juin 2014, au demeurant non définitif à ce jour puisque l’intéressée en a interjeté appel, n’ait requalifié qu’une partie des faits reprochés, qualifiés dans la poursuite d’accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données, considéré comme non établi, en atteinte au secret des correspondances, est sans incidence sur l’appréciation par la Cour, qui porte sur la gravité de la faute de la salariée au regard de ses obligations contractuelles et non des dispositions pénales ; que compte tenu du caractère répété de ses intrusions soit dans des dossiers du personnel ou des avocats, soit dans son propre dossier dans un intérêt personnel, il s’agit là, de la part d’un cadre responsable ayant accès à toutes les données informatiques de l’entreprise dans lequel l’employeur ne pouvait plus conserver plus longtemps sa confiance, d’un détournement de ses fonctions d’une particulière gravité justifiant la rupture immédiate de son contrat de travail et privatif de toute indemnité au titre du licenciement ; que le jugement sera en conséquence confirmé qui a rejeté l’ensemble des demandes ;

Et attendu qu’il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de la société intimée les frais de procédure qu’elle a pu engager en appel ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [T] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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