Your cart is currently empty!
22 janvier 2015
Cour d’appel de Paris
RG n°
14/01680
Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 2 – Chambre 1
ARRÊT DU 22 JANVIER 2015
AUDIENCE SOLENNELLE
(n° 47 , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 14/01680
Décision déférée à la Cour : Décision du 17 Décembre 2013 rendue par le Conseil de discipline des avocats de PARIS
DEMANDEUR AU RECOURS :
Monsieur [R] [S]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 13 Novembre 2014, en audience publique sur demande de Monsieur [R] [S], devant la Cour composée de :
– Monsieur Jacques BICHARD, Président
– Madame Anne VIDAL, Présidente
– Madame Sylvie MAUNAND, Conseiller
– Madame Marie-Claude HERVE, Conseiller
– Madame Marie-Caroline CELEYRON-BOUILLOT, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Melle Sabine DAYAN
MINISTERE PUBLIC :
L’affaire a été communiquée au Procureur Général, représenté lors des débats par M. [D] [X], qui a fait connaître oralement son avis lors des débats .
M. LE BATONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE PARIS ES-QUALITE D’AUTORITE DE POURSUITE:
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Antoine GENTY,
Avocat au Barreau de Paris
DÉBATS : à l’audience tenue le 13 Novembre 2014, ont été entendus :
– Mme [E] [I], en son rapport
– Monsieur [R] [S] , en ses explications
– Me Antoine GENTY, avocat représentant M. Le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Paris ès-qualités d’autorité de poursuite, en ses observations
– M. Michel LERNOUT, avocat Général, en ses observations
– M. [R] [S], en ses observations, ayant eu la parole en dernier
ARRÊT :
– contradictoire
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M. Jacques BICHARD, président et par Melle Sabine DAYAN, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
* * *
Par arrêté du 17 décembre 2013, la formation de jugement du conseil de l’ordre des avocats de Paris a
– dit que maître [R] [S] s’est rendu coupable d’un manquement aux principes essentiels de loyauté, probité et confraternité et a en conséquence violé les dispositions de l’ article 1.3 du règlement intérieur national,
– prononcé à son encontre la sanction d’interdiction temporaire de trois mois dont deux assortis du sursis,
– prononcé à titre de sanction accessoire, la privation du droit de faire partie du conseil de l’ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes et de se présenter aux fonctions de bâtonnier ou de vice-bâtonnier pendant une durée de cinq ans.
La notification de cet arrêté a été adressée à maître [R] [S] à une date ignorée.
Il a formé un recours contre cette décision le13 janvier 2014.
A sa demande, les débats ont eu lieu en audience publique.
Maître [R] [S] demande à la Cour aux termes d’écritures déposées et soutenues à l’audience, de surseoir à statuer et subsidiairement de réformer la décision du conseil de l’ordre et d’annuler toutes les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre. Il sollicite la condamnation du conseil de l’ordre au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris s’oppose, préalablement et oralement, à la demande de sursis à statuer formée récemment par l’intéressé puis, aux termes d’écritures déposées et soutenues à l’audience, il entend obtenir la confirmation de la décision rendue par le conseil de l’ordre le 17 décembre 2013 et le maintien des sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre de maître [R] [S].
Le procureur général qui n’a pas pris d’écritures écrites, entendu en ses observations, s’oppose à la demande de sursis à statuer formée par maître [S] et soutient la confirmation de la décision déférée.
Maître [R] [S] a eu la parole en dernier.
MOTIFS DE LA DECISION :
Après avoir pris connaissance de mails échangés entre ses deux collaboratrices sur leurs messageries électroniques privées, maître [S] a mis fin à leurs contrats de collaboration libérale. Celles-ci se sont adressées à la commission d’arbitrage et dans le cadre de cette instance, l’ avocate de l’une d’entre elles, a saisi la commission de déontologie à propos de la production desdits mails effectuée par maître [S] lors de la phase de conciliation. La commission de déontologie a émis un avis en demandant le retrait des correspondances en cause.
L’autorité de poursuite a décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de maître [S] en ce qu’il aurait manqué aux principes essentiels de la profession d’avocat par violation du secret des correspondances privées et utilisation de celles-ci et en ce qu’il n’aurait pas respecté l’avis de la commission de déontologie en maintenant les courriers litigieux dans le cadre de l’instance d’arbitrage.
Maître [S] sollicite tout d’abord le sursis à statuer jusqu’à l’issue du recours en nullité qu’il a exercé contre la sentence intervenue dans le litige l’opposant à ses deux anciennes collaboratrices. Il expose qu’il conteste la régularité de la procédure d’arbitrage et il soutient que la décision sur sa validité aura des conséquences sur les poursuites disciplinaires dont il fait l’objet, puisque l’acte de poursuite vise la production et le maintien des pièces litigieuses dans le cadre de cette instance d’arbitrage.
Maître [S] conteste également le grief relatif au non respect de l’avis de la commission de déontologie, lui demandant de retirer les mails. Il fait également valoir que cet avis n’a pu être enfreint que si la procédure d’arbitrage a été régulièrement conduite.
Néanmoins, la citation à comparaître délivrée à maître [S] le 1er juillet 2013 reprend le rapport d’instruction qui vise ‘un manquement aux principes essentiels de la profession d’avocat définis à l’article 1.3 du RIN notamment par violation du secret des correspondances privées et utilisation de celles-ci’
Il n’est pas contesté que maître [S] a remis les mails litigieux au cours d’une réunion de conciliation s’étant déroulée le 9 mai 2013.
La communication des mails litigieux pendant la phase de conciliation préalable suffit à constituer une utilisation et il n’est donc pas nécessaire de connaître la suite donnée au recours formé contre la sentence arbitrale pour statuer sur le grief relatif à l’utilisation de correspondances privées reproché à maître [S].
Par ailleurs, l’utilisation des pièces litigieuses est susceptible de constituer une faute déontologique, quel que soit le sort réservé à la procédure dans laquelle celle-ci a été effectuée, la nullité éventuelle de la procédure d’arbitrage ayant pour conséquence de dénuer de tout effet la production de ces pièces mais n’est pas susceptible de faire disparaître l’acte matériel d’usage reproché à maître [S]. Ainsi le maintien des mails au cours de la procédure d’arbitrage peut également être examiné sans qu’il soit nécessaire de connaître l’issue du recours en nullité de cette procédure.
La demande de sursis à statuer formée par maître [S] doit donc être écartée.
– le grief relatif à la violation de la correspondance privée et à leur utilisation :
Maître [S] conteste le caractère fautif de l’appréhension de ces correspondances électroniques : il fait valoir que ces documents ont été imprimés et lui ont été transmis par son prestataire informatique, que sa collaboratrice avait laissé son écran allumé et que les messages étaient visibles sur l’ordinateur professionnel.
Il soutient ensuite que le contenu des messages exclut qu’ils puissent revêtir un caractère privé et que le seul fait qu’ils figurent sur la messagerie personnelle des intéressées ne suffit pas à leur conférer ce caractère. Il étudie chacune des pièces litigieuses afin de démontrer qu’elles ne contiennent pas d’éléments relatifs à la vie privée de ses collaboratrices et il conclut qu’il ne peut lui être reproché une atteinte à une correspondance privée.
Enfin, maître [S] énonce qu’un tribunal ne peut écarter des pièces susceptibles de violer l’intimité de la vie privée sans rechercher si la production litigieuse n’est pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. Il considère que son droit à la preuve exigeait qu’il puisse produire ces correspondances qui fondaient la rupture des conventions de collaboration et qu’il n’y avait pas lieu de recourir aux dispositions de l’article 145 du code de procédure civile.
Le bâtonnier soutient au contraire que les correspondantes produites sont présumées privées dès lors qu’elles émanent des boites aux lettres privées des collaboratrices. Il conteste l’attestation du technicien informatique de maître [S]. Il déclare que si maître [S] estimait que les courriers en cause présentaient néanmoins un caractère professionnel, il lui appartenait d’en obtenir la communication en mettant en oeuvre les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile. Il invoque l’avis du comité d’éthique du barreau de Paris du 11 avril 2012 qui considère que commet une faute déontologique l’avocat qui produit une pièce dont il connaît l’origine douteuse. Il ajoute que les arrêts rendus par la chambre sociale de la cour de cassation ne sont pas applicables à la relation avec un collaborateur libéral.
Les pièces litigieuses sont des mails échangés entre [Q] [W] à l’adresse [Courriel 1] et [P] [Z] à l’adresse [Courriel 2]. les 21, 22 et 24 février 2012.
Il n’est pas allégué que les messages en cause figuraient dans des fichiers conservés dans le disque dur de l’ordinateur de l’une ou l’autre des deux collaboratrices. Ainsi ces messages se situaient uniquement sur leurs boites aux lettres privées accessibles aux adresses susvisées.
Maître [S] entend se prévaloir d’un arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation du 16 mai 2013 qui a retenu que ‘les courriels adressés et reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels’.
Néanmoins il ressort de cet arrêt que les messages en cause provenaient d’une messagerie électronique à laquelle il était possible d’accéder par la page d’accueil du site informatique de l’entreprise et la cour de cassation a relevé que ‘les messages visualisés par l’huissier de justice provenaient de la messagerie électronique mise à la disposition du salarié par l’entreprise’.
En l’espèce, les messageries utilisées par les deux collaboratrices – qui n’avaient pas le statut de salarié- étaient des messageries privées qui correspondent à des espaces personnels que la société Google, s’agissant d’adresses gmail, met à la disposition des internautes sur ses serveurs et elles n’étaient pas mises à leur disposition par maître [S].
Le fait que l’accès au serveur de l’opérateur Internet sur lequel se trouvent stockés les messages en cause, s’effectue par le moyen de l’ordinateur professionnel, est sans incidence sur le caractère privé de la boîte aux lettres électroniques.
Ainsi si maître [S] estimait qu’il avait un intérêt légitime à connaître un message stocké dans cette boîte aux lettres, en ce qu’il aurait présenté un caractère professionnel, il lui appartenait de solliciter l’autorisation du juge, selon les règles de l’article 145 du code de procédure civile.
Par ailleurs, le droit à la preuve n’est pas un droit absolu et il suppose que celle-ci soit obtenue loyalement.
Maître [S] verse aux débats une attestation de madame [A] [O] assurant la maintenance du réseau informatique de son cabinet qui déclare qu’elle devait installer un programme sur l’ordinateur de madame [P] [Z], qu’elle a constaté que celui-ci était en veille et que son activation faisait apparaître sur l’écran, la messagerie de l’intéressée que celle-ci n’avait pas fermée.
Elle ajoute que les messages apparaissant sur l’écran qui concernaient le cabinet [S], des dossiers du cabinet et qui étaient adressées à des collaborateurs du cabinet, lui ont paru insultants à l’égard de [R] [S] de sorte qu’elle les a imprimés et transmis à ce dernier.
Sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur le comportement du prestataire informatique, il ressort de ces éléments que maître [S] savait que les messages provenaient de la messagerie personnelle de sa collaboratrice et il ne pouvait pas déduire du fait qu’elle l’ait laissée ouverte, qu’elle consentait à ce qu’il la consulte. En en prenant connaissance dans ces conditions, il a commis un manquement à la délicatesse.
De même, alors que la provenance de ces messages était pour le moins douteuse, maître [S] a commis un manquement à la délicatesse en les produisant devant la commission de conciliation, peu important que ces messages aient présenté ou non un caractère purement privé.
– le grief relatif au non respect de l’avis de la commission de déontologie :
L’arrêté du 17 décembre 2013 a également retenu que maître [S] avait commis un manquement à ses obligations en ne respectant pas l’avis de la commission de déontologie du 24 octobre 2012 qui avait demandé que les pièces soient retirées dès débats dès lors qu’il existait un doute sérieux sur leur origine.
Maître [S] fait valoir que le document du 24 octobre 2012 n’est signé ni du bâtonnier ni d’un délégué régulièrement mandaté. Il invoque l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, qui énonce que toute décision prise par une autorité administrative doit comporter la signature de son auteur avec la mention lisible de son nom et de sa qualité. Il fait en outre valoir qu’aucun élément du dossier ne permet de retenir qu’il a reçu cet avis.
Il est versé aux débats une lettre du 24 octobre 2012 dans laquelle il est exposé que la commission demande à maître [S] et à son conseil de retirer les mails des débats et de modifier leurs écritures. Il est également mentionné que dans l’hypothèse où l’avis ne serait pas respecté, la partie qui s’en plaindrait, justifiant d’un préjudice, peut demander la saisine du Conseil de discipline auquel il appartient seul d’examiner les faits de la cause et d’apprécier l’existence d’une éventuelle faute disciplinaire. Cette lettre est signée de façon illisible pour [H] [K], membre du conseil de l’ordre, secrétaire de la commission de déontologie, secret professionnel et confidentialité.
La pièce XC 18 du dossier du bâtonnier est constituée de la télécopie de la lettre du 24 octobre 2012 et d’ un relevé de diffusion qui fait apparaître un envoi au n° de télécopie de maître [S] le 24 octobre 2012 à 9H32.55; néanmoins, il n’existe pas d’accusé de réception.
Ainsi ce second grief ne sera pas retenu dans la mesure où il ne ressort pas suffisamment de la pièce produite que la télécopie du 24 février a effectivement été reçue par maître [S] et qu’il a eu connaissance de l’avis en temps utile.
Cependant le 1er grief justifie que soit prononcé à l’encontre de maître [S] la sanction d’interdiction temporaire d’exercice de la profession d’avocat de deux mois assortie d’un sursis d’un mois ainsi qu’une sanction accessoire telle que prévue à l’article 184 du décret du 27 novembre 1991.
PAR CES MOTIFS :
Rejette la demande de sursis à statuer,
Confirme l’arrête du 17 décembre 2013 du conseil de discipline de l’ordre des avocats du barreau de Paris en ce qu’il a dit que maître [R] [S] s’est rendu coupable d’un manquement au principe de délicatesse et a en conséquence violé les dispositions de l’article 1.3 du règlement intérieur national,
Infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
Prononce à l’encontre de maître [R] [S] la sanction d’interdiction temporaire de deux mois dont un mois assorti du sursis,
Prononce à son encontre à titre de sanction accessoire la privation du droit de faire partie du conseil de l’ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes et de se présenter aux fonctions de bâtonnier ou de vice-bâtonnier pendant une durée de cinq ans,
Dit que la présente décision sera notifiée aux parties par lettre recommandée avec accusé de réception.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,