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9 mars 2016
Cour de cassation
Pourvoi n°
14-84.566
N° J 14-84.566 FS-P+B
N° 938
SC2
9 MARS 2016
CASSATION
M. GUÉRIN président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
CASSATION sur le pourvoi formé par le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, contre l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 13 juin 2014, qui a prononcé sur la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées par la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 3 février 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Chauchis, conseiller rapporteur, MM. Soulard, Steinmann, Mmes de la Lance, Chaubon, MM. Germain, Sadot, Mmes Planchon, Zerbib, conseillers de la chambre, Mme Pichon, conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Gauthier ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire CHAUCHIS, les observations de la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, de la société civile professionnelle BARTHÉLEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD et POUPOT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GAUTHIER ;
Vu les mémoires en demande, en défense, en réplique et en duplique produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et L. 420-2 du code de commerce, R. 123-18 du code de l’organisation judiciaire, manque de base légale :
“en ce que l’ordonnance attaquée a annulé la totalité des saisies opérées par les rapporteurs des services de l’instruction de l’Autorité de la concurrence dans le cadre de la visite des locaux de la société SRR des 12 et 13 septembre 2013 et a ordonné la restitution des pièces saisies ;
“aux motifs que Me Girard, avocat de SRR a adressé au JLD le 12 septembre 2013 à 20 h 20 par télécopie au n° XXXXXXXXXX le texte suivant, “Je me suis déplacé ce jour à, 18 h 15, au tribunal de grande instance afin de vous saisir d’une difficulté durant les opérations de saisie que vous avez autorisées au siège de la société SRR ainsi qu’aux bureaux situés au [Adresse 1]). En votre absence, un substitut du procureur a accepté de vous joindre téléphoniquement et vous a indiqué que je souhaitais m’entretenir avec vous d’une difficulté intervenant durant les opérations de saisie. Je regrette que vous ayez refusé de me prendre au téléphone, me faisant dire par ce substitut de revenir demain “aux heures d’ouverture du greffe”, alors même que vous ne pouvez ignorer que les opérations de saisie seront alors terminées. Je me dois de vous rappeler qu’en application des dispositions de l’article L. 450-4 du code de commerce, “la visite et la saisie s’effectuent sous l’autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées”. En l’espèce, je ne puis que constater et regretter que le contrôle du juge nous ait été refusé durant les opérations de saisie. La difficulté que la société SRR rencontre dans le cadre des opérations de saisie est au surplus particulièrement importante puisqu’elle touche à la confidentialité de la relation client-avocat ainsi qu’à la confidentialité de la défense dans le cadre de procédures en cours. En l’espèce, il apparaît que les agents actuellement présents, sous la coordination de M. [D], ont procédé à la saisie de l’intégralité des boîtes mail et archives de boîtes mail d’un certain nombre de salariés et, notamment, de M. [L] (dirigeant), de Mme [B] (DAF), M. [U] (responsable réglementation). Il a été attiré l’attention de M. [D] de ce que les éléments saisis comportaient des correspondances et pièces couvertes par le secret professionnel entre un avocat et son client ainsi que des correspondances et pièces liées à l’exercice des droits de la défense dans le cadre de procédures actuellement en cours. Il a été proposé à M. [D], notamment par une recherche par mots-clés, d’extraire lesdites correspondances et pièces avant qu’elle ne soient saisies, ce qui nous a été refusé ; que M. [D] a, par ailleurs, refusé que nos demandes soient actées au procès-verbal ou dans tout autre document annexe. Dès lors, de la même manière nous n’avons pu exprimer la moindre réserve sur le procès-verbal. J’exprime donc au nom de SRR les plus extrêmes réserves concernant la régularité des opérations de saisies” ; que la preuve de l’envoi de ce fax figure dans les pièces produites par SRR, l’Autorité de la concurrence ne peut sérieusement soutenir que SRR aurait ainsi pu faire connaître directement au juge, de manière argumentée, l’objet de la difficulté qu’elle rencontrait et ce, au cours de la visite, comme le démontre le rapport d’émission du fax, certifiant sa réception à 20 heures 42, alors que ledit fax n’a même pas reçu de réponse de la part de son destinataire ; que du reste, il a été adressé au parquet et non au secrétariat du JLD ; qu’en application de l’article L. 450-4 du code de commerce, la visite et la saisie s’effectuent sous l’autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées, le juge peut se rendre sur place dans les locaux pendant l’intervention ; qu’à tout moment, il peut décider de la suspension ou de l’arrêt de la visite ; qu’il est rappelé par l’ordonnance du JLD du 10 septembre 2013 : “en outre, les opérations de visites et de saisies sollicitées n’apparaissent pas disproportionnées au regard de l’objectif à atteindre puisque les intérêts et droits de l’entreprise concernée sont garantis dès lors que les pouvoirs des agents mentionnés à l’article L. 450-1 du code de commerce sont utilisés sous notre contrôle” ; que cette ordonnance mentionne en son dispositif : “disons que pour assister aux opérations de visites et de saisies dans les lieux situés dans notre ressort et nous tenir informer de leur déroulement et de toute contestation le chef de service de police territorialement compétent nommera des OPJ…” ; que l’Autorité de la concurrence fait valoir que “si SRR avait voulu entrer en contact avec le juge du contrôle pour lui soumettre une difficulté, la voie la plus rapide et la plus sûre était de s’adresser directement aux OPJ qui étant les représentants du JLD sur place, auraient sans aucun doute relayé par un appel sur le téléphone mobile du magistrat toute contestation” ; que la saisie des officiers de police judiciaire ne constitue pour le conseil de l’entreprise qu’une simple alternative à celle du juge et non un préalable nécessaire, il était loisible au conseil de SRR de saisir directement le JLD, sans filtrage de l’OPJ ; que, dès le matin du 12 septembre 2013, le rapporteur de l’Autorité de la concurrence avait pu avoir un contact téléphonique direct avec le JLD pour lui demander d’autoriser les opérations de visites et de saisies à une autre adresse que celles visées dans l’ordonnance initiale et, dans les mêmes conditions, le conseil de SRR devait pouvoir joindre le JLD, sans passer par un OPJ ; que l’appelante ajoute que si l’avocat de SRR a tenté de saisir le JLD, c’est parce que les représentants de l’Autorité avaient refusé de faire droit sa demande tendant à empêcher la saisie de documents couverts par le secret professionnel ; qu’il ressort du fax susvisé que vainement SRR a “proposé à M. [D], notamment par une recherche par mots-clés, d’extraire lesdites correspondances et pièces avant qu’elles ne soient saisies, ce qui nous a été refusé. M. [D] a, par ailleurs, refusé que nos demandes soient actées au procès-verbal ou dans tout autre document annexe” ; que, si cette affirmation n’est pas attestée par des éléments de preuve, le fait que l’avocat de SRR ait pris la peine de se déplacer à 18 h 15 au tribunal de grande instance de Saint-Denis pour y rencontrer le JLD la rend très plausible ; qu’en l’occurrence, il est suffisamment établi par la pièce produite que le JLD, joint par un magistrat du parquet, a refusé de connaître en temps utile de la difficulté que Me Gérard voulait lui soumettre, l’invitant à se présenter à une heure à laquelle les opérations de visites et de saisies seraient nécessairement terminées, étant observé que la mission de contrôle du JLD prend fin lors de la remise de la copie du procès-verbal et de l’inventaire à l’occupant des lieux ou son représentant ; qu’à 18 h 15, heure à laquelle Me Gérard s’est présenté au tribunal de grande instance, les opérations étaient loin d’être achevées, elles se sont terminées à 0 h 25 ; qu’à bon droit, la société SRR affirme qu’elle n’a pas bénéficié de façon effective de la garantie fondamentale de ce contrôle de l’exécution de la visite et des saisies par le JLD, alors qu’elle invoquait un incident sérieux relatif à la saisie de correspondances avocat-client ; que dans ces conditions, il convient d’annuler la totalité des saisies effectuées, et d’ordonner la restitution des pièces saisies ;
“1°) alors que si la visite et la saisie s’effectuent sous l’autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées, lequel a la faculté de se rendre dans les locaux pendant l’intervention et de décider à tout moment la suspension ou l’arrêt de la visite, le cas échéant alerté par l’officier de police judiciaire chargé de le tenir informé, la personne qui fait l’objet de visite et saisie ne peut ni exiger d’entrer en contact avec le juge durant la visite, ni le contraindre à se saisir d’une difficulté qu’elle entend dénoncer ; qu’il lui appartient de saisir le premier président de la cour d’appel d’un recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie en se fondant sur cette difficulté ; qu’ainsi, c’est à tort qu’il a été jugé que la société SRR avait été privée d’une garantie fondamentale ;
“2°) alors que le juge des libertés et de la détention qui autorise des opérations de visite et saisie désigne le chef du service qui devra nommer les officiers de police judiciaire chargés de le tenir informé de leur déroulement ; que le contrôle des opérations de visite et saisie par le juge des libertés et de la détention qui les a autorisées n’implique pas que la personne dont les locaux sont visités puisse saisir elle-même ce magistrat, de sa propre initiative, sans avoir au préalable sollicité à cette fin l’officier de police judiciaire présent lors des opérations ; qu’ainsi, c’est à tort que le premier président a jugé que “la saisie des officiers de police judiciaire ne constituait pour le conseil de l’entreprise qu’une simple alternative à celle du juge et non un préalable nécessaire” et “qu’il était loisible au conseil de SRR de saisir directement le juge des libertés et de la détention, sans filtrage de l’officier de police judiciaire” ;
“3°) alors que le premier président a constaté “qu’à 18 h 15, heure à laquelle Me Girard s’est présenté au tribunal de grande instance, les opérations étaient loin d’être achevées ; qu’elles se sont terminées à 0 h 25” ; qu’il en résulte que, nonobstant l’impossibilité matérielle de joindre le juge, la société SRR avait eu la possibilité de s’adresser aux officiers de police judiciaire chargés de l’informer du déroulement des opérations aux fins qu’ils lui en réfèrent ; qu’en jugeant néanmoins que la société SRR n’avait pas bénéficié de façon effective de la garantie fondamentale du contrôle de l’exécution de la visite et des saisies par le juge des libertés, sans rechercher si cette absence de contrôle résultait du choix de la société SRR de ne pas demander aux officiers de police judiciaire d’informer le juge, le premier président a privé sa décision de base légale ;
“4°) alors qu’il appartient à la partie ou à son avocat qui souhaite saisir une juridiction de le faire avant l’heure de fermeture du greffe ; qu’il résulte de l’ordonnance attaquée que les opérations ont débuté le 12 septembre 2013, à 9 h 10 et que l’avocat de la société SRR s’est présenté au tribunal pour saisir le juge des libertés et de la détention à 18 h 15, après la fermeture du greffe ; que la société SRR, qui n’a pas justifié de l’heure à laquelle l’irrégularité qu’elle prétendait dénoncer aurait été commise et dont l’avocat s’est présenté tardivement au tribunal, ne pouvait utilement soutenir avoir été privée d’une garantie fondamentale ;
“5°) alors que l’invalidation de la saisie de documents confidentiels ou couverts par le secret professionnel n’entraîne pas la nullité de l’ensemble des opérations ; qu’ainsi, en l’état d’une contestation limitée à des correspondances entre un avocat et son client contenues dans des messageries électroniques, le premier président ne pouvait annuler la totalité des saisies” ;
Vu l’article L. 450-4 du code de commerce ;
Attendu que l’occupant des lieux ne dispose pas du droit de saisir lui-même le juge qui a autorisé la visite et la saisie, les officiers de police judiciaire chargés d’assister aux opérations devant, au cours de la visite, tenir ce magistrat informé des difficultés rencontrées ;
Attendu qu’il résulte de l’ordonnance attaquée que, le 12 septembre 2013, les enquêteurs de l’administration de la concurrence, agissant en vertu d’une ordonnance du juge des libertés et de la détention, en date du 10 septembre 2013, ont effectué des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la Société réunionnaise du radiotéléphone, dans le but de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; que ces opérations se sont achevées dans la nuit ; qu’à 18 h 15, l’avocat de cette société a, par l’intermédiaire d’un substitut du procureur, joint au téléphone le juge des libertés et de la détention chargé du contrôle des opérations, afin de lui demander de régler un incident relatif à la saisie d’un certain nombre de documents couverts par le secret des correspondances entre avocat et client ; que le juge a refusé d’examiner cette requête ;
Attendu que, pour annuler l’ensemble des opérations, le premier président retient que la Société réunionnaise de radiotéléphone, qui avait le droit de saisir le juge des libertés et de la détention sans passer par l’intermédiaire de l’officier de police judiciaire, n’a pas bénéficié de façon effective de la garantie fondamentale du contrôle de l’exécution de la visite et des saisies par ce magistrat, alors qu’elle invoquait un incident sérieux relatif à la saisie de correspondances avocat-client ;
Mais attendu qu’en prononçant ainsi, le premier président a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’ordonnance susvisée du premier président de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 13 juin 2014, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion autrement présidée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l’ordonnance annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf mars deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.