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28 avril 2022
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
18/16635
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT AU FOND
DU 28 AVRIL 2022
N° 2022/
FB/FP-D
Rôle N° RG 18/16635 – N° Portalis DBVB-V-B7C-BDG6K
[B] [N]
C/
S.A. AUBERT FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
28 AVRIL 2022
à :
Me Stéphane CHARPENTIER, avocat au barreau de NICE
Me Jean-Françoise JOURDAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE en date du 01 Octobre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 17/00940.
APPELANTE
Madame [B] [N], demeurant 27 Route de Grenoble – Les Sagnes – Bt 2 Esc 2 – 06200 NICE
représentée par Me Stéphane CHARPENTIER, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
S.A. AUBERT FRANCE, demeurant 4 rue de la Ferme – 68700 CERNAY
représentée par Me Jean-Françoise JOURDAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
et par Me Magali BOUTIN, avocat au barreau de NICE substitué par Me Juliette MOSSER, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Janvier 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre
Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller
Madame Catherine MAILHES, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022
Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [N] (la salariée) a été engagée par la SA Aubert (la société) d’abord par contrat à durée déterminée du 2 octobre au 10 octobre 2007 en qualité de vendeuse puis dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée par avenant du 24 décembre 2007.
Par avenant du 1er août 2008 elle a été nommée première vendeuse, catégorie employé, niveau III, moyennant un salaire fixe mensuel brut de 1085 euros sur 13 mois outre un commissionnement mensuel sur chiffre d’affaires pour une rémunération ne pouvant être inférieure à 1352 euros bruts.
Par avenants temporaires successifs la société lui a confié à compter du 1er décembre 2008 le remplacement partiel de la responsable du magasin de Villeneuve Loubet, moyennant une prime de responsabilité de 110 euros par mois.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective du commerce de détail non alimentaire.
La société employait habituellement au moins 11 salariés au moment du licenciement.
La salariée a fait l’objet d’un avertissement le 30 novembre 2009.
Par lettre du 04 juillet 2011 la salariée a dénoncé sa souffrance au travail en raison du comportement de la responsable régionale à son égard.
Elle a été placée en arrêt maladie du 23 juin au 26 septembre 2011, puis en congé maternité suivi d’un congé parental de fin 2012 au 27 décembre 2013 avant de reprendre son poste dans le cadre d’un congé parental partiel du 28 décembre 2013 au 27 décembre 2014, renouvelé jusqu’au 27 décembre 2015 puis jusqu’au 16 octobre 2016.
Le 5 septembre 2015 elle déclarait un premier accident de travail puis un second accident du travail le 18 décembre 2015 et elle était placée consécutivement en arrêt jusqu’au 17 avril 2016. Elle était de nouveau placée en arrêt maladie à compter du 2 juin 2016.
Lors de la visite de reprise du 5 décembre 2016 le médecin du travail l’a déclarée définitivement inapte à son poste.
La salariée a été convoquée le 9 mars 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 20 mars 2017.
Par lettre du 23 mars 2017 la société lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
La salariée a initialement saisi le 27 juin 2016 le conseil de Prud’hommes de Grasse d’une demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral, puis par conclusions du 9 décembre 2016 d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de demandes subséquentes, ultérieurement d’une contestation du licenciement.
Par jugement du 1er octobre 2018, le conseil de Prud’hommes de Grasse a:
– constaté que le licenciement de Madame [B] [N] est parfaitement fondé;
– condamné la société Aubert France à payer la somme de 2000 € au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
– débouté Madame [B] [N] au titre de sa demande de résiliation judiciaire;
– débouté Madame [B] [N] au titre de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice résultant du caractère illicite du licenciement;
– débouté Madame [B] [N] au titre de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif;
– débouté Madame [B] [N] au titre de sa demande d’indemnité de préavis et des congés payés y afférents;
– débouté Madame [B] [N] au titre de sa demande d’astreinte et de remise de documents sociaux y afférents;
– condamné la société Aubert France à verser une somme de 900 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile;
– débouté la société Aubert France au titre de sa demande fondée sur l’article 700 du Code de Procédure Civile;
– condamné la société Aubert France aux entiers dépens de l’instance
La salariée a interjeté appel partiel du jugement par acte du 20 octobre 2018 en visant expressément les chefs du jugement ayant :
‘- dit que le licenciement de Madame [B] [N] est parfaitement fondé;
– débouté Madame [B] [N] de sa demande de résiliation judiciaire;
– débouté Madame [B] [N] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice résultant du caractère illicite du licenciement;
– débouté Madame [B] [N] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif;
– débouté Madame [B] [N] de sa demande d’indemnité de préavis et des congés payés y afférents;
– débouté Madame [B] [N] de sa demande d’astreinte et de remise de documents sociaux y afférents;
– débouté Madame [B] [N] de sa demande de mesure d’instruction relative aux faits de harcèlement moral
– débouté Madame [B] [N] de sa demande de paiement de la somme de 25.000 Euros, à titre d’indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement
– débouté Madame [B] [N] de sa demande de paiement de la somme de 25.000 Euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du caractère abusif du licenciement dont elle a fait l’objet
– débouté Madame [B] [N] de sa demande de paiement de la somme de 3292,96 Euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 329,29 Euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 329,29 euros de congés payés sur préavis
– débouté Madame [B] [N] de sa demande de paiement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral’
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 21 janvier 2019 Mme [N], appelante, demande de :
RECEVOIR Madame [N] en toutes ses demandes, fins et conclusions.
La RECEVOIR en son appel et l’y déclarer bien fondée.
CONFIRMER le jugement rendu, le 1er Octobre 2018, par le Conseil de prud’hommes de Grasse, en ce qu’il a :
– condamné la société Aubert France pour harcèlement moral
– condamné la société Aubert France à verser une somme de 900 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile;
Le REFORMER pour le surplus.
Statuant à nouveau ,
Sur le harcèlement moral
DIRE ET JUGER que la S.A. Aubert France est responsable des faits de harcèlement moral commis à l’encontre de Madame [N]
CONDAMNER en conséquence la S.A. Aubert France à payer à Madame [N] la somme de 15.000 € euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi de ce fait.
Sur la rupture du contrat de travail
A titre principal sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
PRONONCER la résiliation du contrat de travail.
DIRE ET JUGER que la rupture est imputable à la S.A.Aubert France et s’analyse en un licenciement nul et, subsidiairement, dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Partant, CONDAMNER la S.A. Aubert France, à verser à Madame [N] la somme de 25.000 Euros, à titre d’indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement
Subsidiairement, en application de l’article L1235-5 du Code du travail la somme de 25.000 Euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du caractère abusif du licenciement dont elle a fait l’objet
La CONDAMNER également à verser à Madame [N] la somme de 3292 96 Euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 329,29 Euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.
A titre subsidiaire sur le licenciement
DIRE ET JUGER que la rupture est imputable à la S.A. Aubert France et s’analyse en un licenciement nul et, subsidiairement, dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Partant, CONDAMNER la S.A. Aubert France, à verser à Madame [N] la somme de 25.000 Euros, à titre d’indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement
Subsidiairement, en application de l’article L1235-5 du Code du travail la somme de 25.000 Euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du caractère abusif du licenciement dont elle a fait l’objet.
La CONDAMNER également à verser à Madame [N] la somme de 3292,96 Euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 329,29 Euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.
Sur la remise des documents sociaux
CONDAMNER la S.A.Aubert France à remettre, sous astreinte de 50 Euros par jour de retard, à Madame [N], les documents sociaux suivants conformément au jugement à intervenir:
– l’attestation destinée à Pôle Emploi
En tout état de cause
DEBOUTER la S.A. Aubert France de l’ensemble de ses demandes.
CONDAMNER, en outre, la S.A. Aubert France aux entiers dépens de la présente instance.
CONDAMNER également la S.A. Aubert France à verser à Madame [N] une indemnité d’un montant de 3000 Euros, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 17 avril 2019 la SA Aubert, intimée, demande de :
REJETER la pièce adverse n° 19 : attestation de Monsieur [J]
REJETER la pièce adverse n°20 : échange facebook
CONSTATER l’absence de harcèlement moral;
INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Grasse en date du 1er octobre 2018 en ce qu’il a condamné la Société au paiement de la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
CONSTATER que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [N] est infondée;
‘ CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’homme de Grasse en date du 1er octobre 2018 en ce qu’il a débouté Madame [N] au titre de sa demande de résiliation judiciaire;
CONSTATER que le licenciement de Madame [N] est parfaitement fondé
CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Grasse en date du 1er octobre 2018 en ce qu’il a considéré que le licenciement de Madame [N] était parfaitement fondé;
DEBOUTER Madame [N] de sa demande d’indemnité de préavis et de congés payés y afférents
CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Grasse en date du 1er octobre 2018 en ce qu’il a débouté Madame [N] de sa demande d’indemnité de préavis et de congés payés y afférents
DEBOUTER Madame [N] de l’intégralité de ses demandes;
CONDAMNER Madame [N] à verser à la Société une somme de deux mille cinq cent euros (3.500 €) par application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile
LA CONDAMNER aux entiers dépens.
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 mai 2021.
Par arrêt avant-dire droit du 2 décembre 2021 la cour d’appel a ordonné la réouverture des débats sans révocation de l’ordonnance de clôture et renvoyé l’affaire à l’audience de plaidoiries du 26 janvier 2022.
SUR CE
Sur le harcèlement moral
En application des dispositions des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail dans leur rédaction applicable, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible notamment; en cas de litige reposant sur des faits de harcèlement moral, le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement; il incombe ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement; le juge forme alors sa conviction.
En l’espèce la salariée sollicite le paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant d’un harcèlement moral.
A l’examen des écritures de la salariée, celle-ci invoque au soutien de sa prétention des faits qui se présentent comme suit :
– par ses agissements, la responsable régionale Mme [YB] a tout fait pour l’évincer de son poste provisoire de responsable de magasin ;
– la direction de la société n’a pas pris en compte sa dénonciation des agissements de Mme [YB] par courrier du 4 juillet 2011 et a au contraire en retour mis en cause ses qualités professionnelles comme ses motifs, sans procéder à une enquête ni à de quelconques investigations;
– elle a subi des représailles en étant mise à l’écart, surveillée et dénigrée par la responsable du magasin Mme [T] qui en avait reçu consigne par la direction;
– à son retour de son congé parental fin 2013, la nouvelle responsable du magasin Mme [L], l’a isolée de ses collègues, dénigrée, a divulgué des éléments de sa vie privée, ce que cette dernière a reconnu après avoir été confondue par la divulgation d’échanges facebook, en indiquant avoir agi sur demande de sa hiérarchie.
La salariée conclut en indiquant que ces faits sont à l’origine de la dégradation de son état de santé et de ses arrêts maladie en 2011 puis à compter du 2 juin 2016.
La salariée produit :
– son courrier du 4 juillet 2011 par lequel elle dénonçait son ‘mal être actuel au travail… cette situation dure depuis 2009… [F] ([YB]) a tout fait pour me faire craquer en remontant toute l’équipe contre moi. … [F] continua de s’acharner contre moi avec des dénigrements auprès de l’équipe, menaces d’avertissements non fondés, propos injurieux auprès des vendeuses contre moi, fait courir des rumeurs. De plus, elle fait tout pour m’isoler, directive de ne plus rien me demander et de ne pas m’écouter. Elle ne prend même plus la peine de me dire bonjour. Je reste quand même 1ère vendeuse mais le souhait de [F] est que je m’en aille. Elle est totalement injuste avec moi dernier exemple en date: j’ai demandé à partir exceptionnellement plus tôt le Vendredi 24 Juin pour la kermesse de mon fils… . [F] me le refuse. Pourquoi le samedi précédent elle accepte que la responsable prenne sa matinée pour la même occasion…. … cette situation est insupportable pour moi, j’en suis malade et je suis actuellement sous anti-dépresseur. Aujourd’hui [F] veut que je m’en aille alors que je suis en arrêt elle accepterai et ferai tout pour que je puisse avoir une rupture conventionnelle Aujourd’hui ces 2 années me tombent sur la figure, je n’ai plus la force de lutter. Ma souffrance est énorme car j’aime mon travail… Tout ce que je demande c’est qu’on me laisse tranquille et qu’on ne me mette pas au “placard”…. Croyez moi mon seul but est que cette souffrance, cette injustice, cette acharnement cessent’.
– le courrier du directeur général commerce et développement du 26 juillet 2011 dans lequel il indiquait qu’au contraire, Mme [YB] et la direction l’avaient en vain portée ‘à bout de bras pendant un an et demi pour tenter de vous former au poste de responsable de magasin’, qu’ils ont constaté en retour ‘que vous êtes incapable de respecter les procédures, de manager votre équipe et d’organiser le bon fonctionnement de votre point de vente…. Tout cela se traduit par une chute vertigineuse du chiffre d’affaires et, à ce jour, le magasin de Villeneuve Loubet, qui a été un fleuron de la région PACA, est en contribution négative’ et ainsi que ‘Quand je lis vos propos, j’ai vraiment le sentiment que vous mettez tout en ‘uvre pour apparaître comme une victime, alors que nous avons fait nos meilleurs efforts pour vous aider. Nous n’avons jamais été récompensés de notre patience à votre égard et votre implication, contrairement à vos propos dans votre courrier, n’a été que d’apparence et superficielle.
Contrairement à ce que vous affirmez, Mme [YB] ne vous a jamais dénigrée auprès de l’équipe, bien au contraire elle a tout fait pour vous soutenir…..
Toutes les autres informations concernant le comportement de Mme [YB] me confortent dans l’idée, qu’une fois de plus, vous mettez tout en ‘uvre à travers vos propos afin de déstabiliser l’organisation, l’ambiance et la prise en charge du magasin.
Comment pouvez-vous parler de brimades ou d’acharnement de Mme [YB] alors qu’elle est reconnue par l’ensemble des collaborateurs de sa région comme une personne aux qualités humaines exceptionnelles. Il me paraît surprenant qu’elle puisse avoir ce comportement totalement différent avec vous. Néanmoins, je l’interrogerai à son retour de congés et vous ferai part de ses réponses quant à vos propos la mettant en cause’;
– son courrier du 5 septembre 2011 dans lequel elle réplique sur les causes des mauvais résultats commerciaux, le manque de soutien de Mme [YB], conteste les reproches et conclut en indiquant ‘c’est tout à votre honneur de défendre [F] [YB] mais n’oubliez pas que aussi une salariée Aubert et que vous vous devez d’être impartial’;
– le courrier du directeur général commerce et développement du 18 octobre 2011 qui revient sur la réponse de la salariée du 5 septembre 2011 en s’étonnant des bonnes intentions déclarées dans ce courrier avec la virulence de sa réaction à l’annonce par sa responsable de magasin du changement de son jour de repos et en affirmant sa volonté de voir le magasin retrouver une ambiance de travail sereine avec une bonne cohésion d’équipe. Le courrier conclut ‘Je n’ai malheureusement que des échos négatifs que ce soit en interne ou en externe, ce qui ne peut plus durer. Je souhaite que ce magasin retrouve une réputation digne de notre enseigne.
Vous semblez ne pas vouloir comprendre notre décision de ne pas vous avoir confirmé au poste de responsable de magasin et ce malgré nos différents entretiens et explications, ce qui provoque en vous un sentiment de frustration et de démotivation.
De plus, aussi bien par le biais du compte-rendu qui m’a été fait par [Z] [G] suite à votre entretien, que par votre courrier, je constate que vous portez toujours une profonde ranc’ur à l’encontre de [F] [YB], ranc’ur qui n’est pas justifiée car elle vous a toujours soutenue et que vos relations étaient très cordiales comme en témoigne plusieurs échanges de mails.
Dans ces conditions et compte tenu de votre état d’esprit actuel, je ne vois pas comment la poursuite sereine et professionnelle de notre collaboration est possible.
Aussi et afin de trouver une solution qui tienne compte des intérêts de chacun, je vous confirme la possibilité d’envisager une rupture conventionnelle de votre contrat de travail’;
– l’attestation de Mme [T], ancienne responsable du magasin de mai 2011 à janvier 2012, qui indique que: ‘Dès ma prise de poste on m’a dit de me méfier de [B] [N], 1ere vendeuse du magasin, qui soit disant était néfaste pour sa réussite. Au début il est vrai que la direction me demandait de la surveiller, de noter ses moindres faux pas, il voulait la faire craquer pour qu’elle démissionne. Au fur et à mesure je me suis rendue compte que c’était une très bonne vendeuse…on a créé des liens d’amitié par la suite qui n’ont pas du tout été appréciés par la direction qui s’est mise ensuite à me harceler sur ce que je faisais également. Mais je peux attester sur l’honneur qu’ils voulaient absolument que [B] [N] s’en aille’;
– l’attestation de M. [T], ex-époux de Mme [T] et également salarié, qui déclare avoir constaté ‘via le dire de mon ex-femme qui était mandatée pour faire craquer Mme [N] d’une par l’isolé de toute l’équipe, des remontrances abusive et régulières, faits et gestes noté, aucune faveur ne lui était accordé. Mme [N] était pour nous au dire de Mme [YB] la bête noir de Villeneuve Loubet, désorganiser dans son travail et vendeuse à problème… J’ai pu constater ayant travaillé avec elle tout le contraire’ ;
– les attestations de Mme [H], Mme [NC], Mme [E], Mme [U], salariées, qui affirment d’une part que Mme [L] les avait engagées à se tenir à l’écart de la salarié (s’en méfier, ne pas lui parler, ne rien lui demander, qualifiée de ‘veuve noire’, ‘fouteuse de merde’, ‘fille à histoire’, ‘racaille’ ), leur avait dévoilé des éléments de sa vie privée (relation extra-conjugale de son époux avec une ancienne vendeuse de la société), dénigrait et moquait ‘son physique’, ‘son origine turque’, ‘sa religion’, le fait qu’elle ait repris la vie conjugale avec la naissance d’un autre enfant, d’autre part que la responsable du magasin, piégée par la divulgation de conversations facebook, avait reconnu ses agissements harcelants qu’elle disait dictés par Mme [YB] (Mme [H], Mme [E],Mme [U]) et/ ou le siège de la société (Mme [H], Mme [NC]). Les attestantes précisaient que suite à cette divulgation elle avaient été sollicitées pour établir une attestation sur les agissements constatés de M. [L] à l’encontre de la salariée;
– l’attestation de Mme [C], salariée de mars à novembre 2015, qui déclare ‘j’ai constaté à plusieurs reprises des brimades et des reproches fait à [N] [B]….rien n’était jamais bien. Lorsque Mme [N] n’était pas là, j’ai entendu l’assistante régionale, la régionale la dénigrer devant tous les salariés à maintes reprises. En octobre 2015 Mme [N] qui est la première vendeuse dénonça une vendeuse de vol avec preuve vidéo, plus témoignage à [F]. Elle fut humiliée, insultée, brimée devant tout le monde pour cela par la responsable du magasin. La mère de cette vendeuse discute avec l’assistante régionale devant des clients et l’équipe au magasin, et j’ai entendu formellement des insultes envers Mme [N], l’assistante acquiesçait et enchérissait’;
– l’attestation de M. [J], ex-conjoint de Mme [L], (pièce 17) selon lequel celle-ci ‘la dénigrait régulièrement à la maison …elle demandait à sa responsable de la faire licencier ou de lui faire une rupture conventionnelle. Elle me répétait fréquemment que Mme [B] était je cite une fouteuse de merde et qu’elle aimerait bien la faire virer ou la pousser à démissionner en lui faisant vivre la misère au magasin. De surcroît elle se vantait de prévenir toutes les nouvelles vendeuse que si elles parlaient à Mme [N] elle ferait en sorte que leur contrat ou leur période d’essai ne serait pas renouvelée, elle leur demandait de la laisser à l’écart dans toutes les discussions personnelles sous la menace de représailles de la part de sa direction. Connaissant Mme [N] je lui ai demandé d’arrêter et pourquoi autant d’acharnement, la seule réponse que j’ai eu Je l’aime pas, qu’elle dégage et je ferai tout pour de toutes façons, j’en ai parlé à ma direction et ils me laissent carte blanche parce qu’eux aussi aimeraient qu’elle démissionne’;
– des copies d’échanges facebook sous les pseudo [V] [D] (M. [J]) et [A] [Y] (Mme [L]) dans lesquels cette dernière évoque la salariée dont elle dit notamment ‘c’est la bête noire de Villeneuve Loubet..les supérieurs voudraient qu’elle parte, ils lui ont même proposé une rupture qu’elle a refusé…elle bosse bien mais c’est une fouteuse de merde’ et l’attestation de M. [J] (pièce 19) qui indique avoir remis ces échanges privés à la salariée, qui est une amie et qu’il autorise à les utiliser;
– les certificats médicaux du docteur [P] par lequel il certifie que la salariée présente un syndrome anxiodépressif réactionnel à des problèmes sur son lieu de travail ( 24 mai 2016), qu’elle présente depuis avril 2016 des troubles anxiodépressifs récurrents suite à des problèmes réguliers sur son lieu de travail engendrant une inaptitude temporaire à ce jour ( 23 novembre 2016);
– le certificat médical du docteur [S], psychiatre, selon lequel il certifie donner des soins à la salariée pour des troubles anxieux dépressifs réactionnels à des problèmes professionnels.
La cour dit d’abord que :
– les échanges facebook (pièce 20) que la société demande de rejeter au dispositif de ses conclusions au motif qu’ils ont été obtenus par un procédé déloyal, ont été volontairement remis à la salariée par l’un des deux auteurs qui atteste en ce sens. Elle observe ensuite que la société à laquelle ces échanges ont également été adressés, s’en est saisie pour diligenter une enquête interne dont elle se prévaut d’ailleurs dans le litige. Ainsi ces échanges n’étaient plus couverts par le secret des correspondances ni protégés de toute violation par des tiers et sont dès lors recevables. Ils ont été contradictoirement débattus et il appartient à la cour d’en apprécier la valeur et la portée;
– l’attestation de M. [J] (pièce 19) par laquelle celui-ci ‘certifie avoir remis à Mme [B] [N] des messages privés la concernant pour la prévenir des actions entrepris par Mme [L] [K] pour la faire licencier. Mme [B] [N] étant une amie personnelle je l’autorise à utiliser ces messages privés que je lui ai remis en main propre de ma propre initiative pour se protéger et arrêter le harcèlement moral et la diffamation qu’elle subi de la part de sa responsable Mme [L] [K]’ que la société demande de rejeter au dispositif de ses conclusions au motif que le seul but du témoin était de nuire à son ex-femme et de se venger de la rupture, ne comporte pas toutes les mentions obligatoires de l’article 202 du code de procédure civile (absence de mention de sa connaissance des sanctions pénales encourues). Il en résulte seulement qu’il revient à la cour d’apprécier si elle présente des garanties suffisantes.
Ensuite à l’analyse des éléments de la procédure la cour relève que les faits reposant sur les agissements de la responsable régionale décrits par la salariée dans son courrier du 4 juillet 2011 et visant à lui faire perdre son poste provisoire de responsable de magasin ne sont pas établis dès lors que leur matérialité ne résulte directement et précisément d’aucune des pièces du dossier.
En revanche la cour relève que :
– les faits reposant sur l’absence de prise en compte par l’employeur de sa dénonciation en 2011 de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral et au contraire sur sa mise en cause personnelle et professionnelle en retour, sont établis par les courriers du directeur général commerce et développement du 26 juillet 2011 et du 18 octobre 2011; certes dans le premier, l’employeur indique in fine qu’il interrogera la responsable régionale à son retour de congés mais pour l’essentiel il énonce des griefs et se contente d’interpréter la plainte de la salariée sous le prisme du ressentiment pour ne pas avoir été titularisée au poste de responsable de magasin; la seule réponse finalement apportée est une proposition de rupture conventionnelle;
– les faits reposant sur l’existence de représailles par sa hiérarchie, en ce compris Mme [YB], sont encore établis par les témoignages concordants de Mme et M. [T], dont la première reconnaît avoir été l’instrument de ces pratiques;
– les faits reposant sur des pratiques de mise à l’écart, persécutrices et punitives à compter de son retour de congé parental fin 2013 par Mme [L], sont établies par les témoignages directs, précis et convergents des salariées, également corroborés par les échanges facebook produits; est également établie la mise en cause par Mme [L] de la direction de la société, notamment en la personne de Mme [YB] pour lui avoir donné consigne d’agir à l’encontre de la salariée.
En outre il résulte des certificats médicaux et arrêt de travail produits, la matérialité de la dégradation de l’état de santé de la salariée au temps de l’exécution de son contrat de travail.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la salariée établit la matérialité de trois faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral en ce qu’il auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible notamment d’altérer sa santé physique ou mentale.
Il revient donc à la société de justifier par des éléments objectifs que les agissements et décisions prises sont étrangers à tout harcèlement.
Sur les faits reposant sur la réaction de la société à l’alerte de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral le 4 juillet 2011, la société fait valoir que celle-ci était fondée au regard du soutien dont a toujours bénéficié la salariée de la part de Mme [YB], alors qu’elle n’était pas exempte de tout reproche et d’une dénonciation intervenue seulement consécutivement à sa non titularisation au poste de responsable de magasin pour un harcèlement, durant prétendument depuis deux ans.
La société produit :
– un mail de la salariée dont la reproduction est tronquée, y compris sur la date (pièce 16), dans lequel elle s’adresse à Mme [YB] pour évoquer des difficultés relationnelles avec les vendeuses en finissant par ‘gros bisous’ dont elle tire que la salariée usait d’un ton amical;
– un courrier de rappel à l’ordre adressé à Mme [O] le 15 avril 2009 pour notamment ne pas avoir appliqué ses consignes, rappelant ‘que la mission qui est confiée à [B] [N], qui a tout toute la confiance de sa hiérarchie, est d’être le chef d’orchestre du magasin’ et l’enjoignant d’améliorer son comportement notamment en respectant les consignes de la salariée;
– un avertissement notifié à la salariée le 30 novembre 2009 et non contesté, pour d’une part avoir financièrement engagé la société pour une formation soit disant gratuite proposée par un commercial, d’autre part manquer de rigueur et d’organisation dans la gestion quotidienne du magasin;
– le mail de Mme [YB] en date du 18 juillet 2011 déniant tout agissement, direct ou indirect, à l’encontre de la salariée et revenant sur tout le soutien consenti à celle-ci (disponibilité, déplacements, réunions, suivi de sa demande à l’encontre de Mme [O]) en dépit du mal être exprimé par les salariés du fait de son comportement à leur égard; Mme [YB] indiquait ainsi ‘Je n’ai pas remonté l’équipe contre elle puisque toute l’équipe était déjà remontée contre elle’, en se référant notamment au départ de deux vendeuses Mme [W] et Mme [X] ‘à cause de l’ambiance du magasin’, à l’avertissement notifié à Mme [O] le 15 avril 2009 notamment pour non application des consignes de la salariée appelante, que l’équipe estimait pourtant injustifié et aux pleurs de Mme [E] ‘car elle ne supportait plus les réflexions de Sev’;
– un courrier de Mme [M] du 25 septembre 2012 énonçant diverses critiques à l’égard de la salariée: elle l’appelait tous les vendredis et samedis pour s’assurer de sa présence car elle-même était en retard, en mai 2011 ‘en voulait à tout le monde’ de la perte de son poste de responsable de magasin, ‘s’est arrangée pour faire partir Mme [R] de violentes disputes avaient lieu au magasin’ , pénible au niveau du travail, ne partageait pas les clients pour gagner des points, semait la zizanie en manipulant, l’appelait au téléphone pour la faire venir une heure le samedi après-midi, ‘enregistrait des conversations en salle de pause par l’intermédiaire de son Iphone puis les faisait écouter de façon à mettre le bazar entre les vendeuses’ , ‘prenaient des pauses à rallonge à fumer et très souvent’ avec Mme [T] et concluant par des remerciements pour la rupture conventionnelle malgré son plaisir à travailler pour la société et ‘cela aurait pu peut-être continuer encore si Mme [B] [N] n’était plus au magasin’.
Toutefois un mail isolé, le courrier à charge d’une salariée adressé plus d’un an après et les dénégations de la responsable régionale dont les éléments qu’elle met en avant ne relèvent que d’affirmations, à l’exception du rappel à l’ordre de Mme [O], dont rien ne permet d’établir le caractère injustifié et la chronologie invoquée, ne constituent pas des éléments justifiant que la réponse apportée en 2011 était étrangère au harcèlement dès lors que pèse sur l’employeur une obligation de prévention du harcèlement et générale de sécurité et ce d’autant que la salariée était en arrêt maladie prolongé du 23 juin au 26 septembre 2011. Or la société n’a pas cherché à recueillir des informations pour lui permettre d’objectiver la situation face aux versions antagonistes des salariées en cause. Elle ne se prévaut d’aucune enquête, ni d’une quelconque investigation au sein du magasin de Villeneuve Loubet, encore moins de mesures prises pour anticiper ou remédier aux faits dénoncés.
Ainsi il y a lieu retenir que la société ne produit aucun élément objectif de nature à justifier que sa réponse aux faits dénoncés en 2011 était étrangère à tout harcèlement moral, quand bien même ces faits à l’encontre de Mme [YB] n’ont pas été retenus par la cour, dès lors que comme il a été dit, pesait sur l’employeur l’obligation de vérifier et d’agir face une dénonciation de faits susceptibles de constituer un harcèlement.
S’agissant des faits reposant sur l’existence de représailles en 2011-2012 via la responsable du magasin par des pratiques de surveillance, d’isolement et de dénigrement, la société remet en cause la neutralité du témoignage de Mme [I] en s’appuyant sur le courrier précité de Mme [M], aux termes duquel celle-ci indiquait que la salariée et Mme [I] ‘sont devenues les meilleures amies du monde’, ce que cette dernière n’avait d’ailleurs pas omis de préciser en déclarant qu’effectivement elles avaient créé des liens d’amitié. En tout cas ces liens ne discréditent pas de facto la véracité des faits qu’elle rapporte et ceux-ci font justement écho aux procédés similaires ensuite dénoncés à l’encontre de son successeur à la direction du magasin et sont renforcés par le témoignage de l’ex-époux de Mme [I], en partie indirect mais résultant également de ses contacts personnels avec le personnel de la société dont il fait partie.
En tout cas la cour constate que la société n’oppose aucun élément justificatif aux faits retenus.
S’agissant enfin des faits reposant sur les pratiques de mise à l’écart, persécutrices et punitives de Mme [L] à compter de fin 2013, la société fait valoir d’une part que les éléments émanant de M. [J] sont empreints d’une intention de nuire à son ex-femme, d’autre part le caractère mensonger du moyen de défense de Mme [L] qui a en réalité agi d’initiative, sans que l’employeur n’en ait eu connaissance avant mai 2016 ce qui l’a conduit à déclencher immédiatement une enquête qui n’a pas permis d’aboutir à un résultat certain et a donc amené à une rupture conventionnelle.
Elle produit les attestations rédigées par les salariées Mme [U], Mme [H], Mme [YK] le 6 mai 2016, y compris celle de la salariée appelante, dans le cadre de cette enquête qui confirment en partie la mise à l’écart de la salariée et plus généralement la division que les agissements de Mme [L] provoquaient dans l’équipe.
Toutefois la cour relève de ces éléments qu’à supposer avérée l’absence de neutralité de M. [J], celle-ci n’enlève rien aux propos spontanés de Mme [L] dans ses échanges facebook et l’ensemble des pièces produites de part et d’autres confirment les faits imputables à Mme [L].
Quant à l’instigation par la société soutenue par Mme [L], la société n’apporte aucun élément justificatif contraire et ne produit d’ailleurs aucune trace d’éventuels entretiens avec cette dernière dans le cadre de l’enquête, pas plus que de rapport.
Ainsi non seulement la société ne produit aucun élément objectif de nature à justifier qu’elle était étrangère aux agissements de Mme [L] mais même à supposer avérée sa méconnaissance même de la situation, cela ne l’exonère pas de sa responsabilité au regard des agissements de sa préposée et de ses obligations de sécurité et de prévention des risques de harcèlement, au surplus dans un contexte de difficultés relationnelles récurrentes dans le magasin de Villeneuve Loubet dont elle était informée depuis 2011.
Ainsi la cour constate que la société ne justifie pas que les agissements reconnus ci-dessus ne sont pas constitutifs d’un harcèlement.
En conséquence doit être retenue l’existence du harcèlement moral et la cour confirme de ce chef le jugement déféré.
La reconnaissance d’un harcèlement moral ouvre droit pour le salarié qui en est victime à l’indemnisation de son entier préjudice.
Au vu de la durée des faits, de leur répercussion sur l’état de santé de la salariée, la cour dit en infirmant le jugement déféré sur le quantum, qu’elle est fondée à obtenir en réparation du préjudice subi la somme de 9 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur la rupture du contrat de travail
En l’espèce la salariée demande à titre principal de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur emportant les effets d’un licenciement nul et demande à titre subsidiaire de requalifier le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement intervenu le 23 mars 2017 en licenciement nul, à défaut sans cause réelle et sérieuse.
La salariée a saisi le conseil de Prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail en cours d’instance le 9 décembre 2016, soit antérieurement au licenciement et il convient dès lors d’examiner en première lieu cette demande.
1° sur la demande principale de résiliation judiciaire
Il résulte de la combinaison des articles 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016 et L.1221-1 du code du travail que le salarié peut demander la résiliation du contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Lorsque le salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service et que ce dernier le licenciement postérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée, c’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
Lorsque le salarié n’est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement, de la prise d’acte ou au jour à partir duquel le salarié a cessé de se tenir à la disposition de l’employeur.
Il incombe au salarié qui demande la résolution de son contrat de travail d’apporter la preuve que son employeur a commis à ses obligations des manquements suffisamment graves pour avoir rendu impossible la poursuite de la relation contractuelle.
C’est au moment où il statue que le juge examine la gravité des manquements invoqués et non en se plaçant à la date où à la date où ils se sont prétendument déroulés.
En l’espèce au soutien de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, la salariée appelante invoque le harcèlement moral subi, qui comme il a examiné ci-dessus, est établi.
Elle fait valoir que l’ancienneté du harcèlement au jour de sa demande de résiliation judiciaire ne fait pas obstacle au prononcé de celle-ci au vu de la gravité des faits et de leurs conséquences.
La société fait valoir qu’en toutes hypothèses, le harcèlement moral invoqué est ancien et résolu non seulement au jour de sa demande de résiliation judiciaire en 2016 (ne tenant compte que des faits à l’encontre de Mme [YB] dénoncés en 2011 et de Mme [T] qui a quitté la société fin 2013 dès lors qu’elle était ignorante des faits à l’encontre de Mme [L] auxquels elle a réagi en diligentant une enquête), mais au jour où la cour statue.
A l’analyse des pièces du dossier la cour relève que :
– à compter de mai 2016 l’employeur a procédé à des investigations sur les agissements de la responsable régionale dont la salariée a eu connaissance puisqu’elle a rédigé une attestation dans ce cadre et le contrat de travail de la responsable régionale a été rompu à la suite par rupture conventionnelle;
– la salariée qui venait d’être placée en arrêt maladie à compter du 2 juin 2016, a saisi la juridiction prud’homale le 27 juin 2017 d’une demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral sans en tirer de conséquence sur la poursuite de la relation de travail;
– elle a élargi ses demandes en présentant une demande de résiliation judiciaire par conclusions du 9 décembre 2016 consécutivement à sa déclaration définitive d’inaptitude par le médecin du travail qui mentionnait dans son avis que ‘l’état actuel de la salariée ne permet pas de préconisation pour un reclassement éventuel dans la société’ ce qui ouvrait la voie à un licenciement.
Il s’évince de ces éléments que la salariée ne rapporte pas la preuve d’un manquement de l’employeur suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail justifiant la résiliation judiciaire de celui-ci.
En conséquence, la cour dit que la demande n’est pas fondée de sorte que le jugement déféré est confirmé en ce qu’il l’a rejetée.
2° sur la demande subsidiaire de requalification du licenciement en licenciement nul
Le licenciement prononcé pour une inaptitude physique qui a pour origine des faits de harcèlement moral est nul de plein droit.
En l’espèce la salariée fait valoir que son inaptitude a pour origine le harcèlement moral et se réfère aux certificats médicaux, à son dossier médical du service de médecine du travail, à ses arrêts de travail et à l’avis d’inaptitude.
La société conteste cette origine dès lors qu’elle réfute tout harcèlement moral.
Comme il a été retenu précédemment, la salariée a subi un harcèlement moral qui a affecté durablement sa santé.
Elle a été placée en arrêt maladie continu à compter du 2 juin 2016, son médecin traitant établissait le 24 mai 2016 et le 23 novembre 2016 des certificats médicaux constatant l’existence puis la persistance d’un syndrome anxiodépressif réactionnel à des problèmes sur son lieu de travail,; dans l’extrait de son dossier à la médecine du travail le médecin a notamment mentionné lors de la première visite de reprise du 21 novembre 2016 ‘syndrome dépressif réactionnel ++… crises d’angoisse’ et lors de la deuxième visite du 5 décembre 2016 ‘actuellement sous seroplex/ lexomil … ce jour se sent angoissée, la boule au ventre à l’idée d’être sur VLB, ne peut plus retourner travailler car elle me dit ‘que si elle doit y retourner elle se jettera sous une voiture malgré qu’elle soit mère de famille… crise de larmes +trbem’.
L’avis d’inaptitude du 5 décembre 2016 mentionne que ‘l’état actuel de la salariée ne permet pas de préconisation pour un reclassement éventuel dans la société’.
Il ressort de la lettre de licenciement qu’interrogé par l’employeur sur les possibilités d’aménagement de son poste de travail, de réduction de son temps de travail ou de mutation, le médecin du travail avait confirmé que ‘suite à l’étude des postes et des conditions de travail et à l’état de santé de la salariée lors de ces visites, aucune proposition d’aménagement, de mutation ou de reclassement ne peut être formulé’.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’inaptitude déclarée de la salariée est en lien avec le harcèlement moral qui a été reconnu ci-dessus. Dès lors le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 23 mars 2017 est nul.
La cour infirme en conséquence le jugement déféré.
Sur les conséquences de la rupture
– sur la demande d’indemnité compensatrice de préavis
La salariée est fondée à obtenir l’indemnité compensatrice de préavis nonobstant son incapacité physique à l’exécuter.
En application de l’article L.1234-1 du code du travail dans sa rédaction applicable, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit s’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
La salariée est donc fondée à obtenir une indemnité équivalente à deux mois sur la base du salaire qu’elle aurait perçu si elle avait travaillé pendant la durée du préavis, lequel comprend tout les éléments de la rémunération, à savoir la somme de 1646,48 euros.
En conséquence et en infirmant le jugement déféré, la cour condamne la société à payer à la salariée la somme de 3292, 96 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 329,29 euros de congés payés afférents.
– sur l’indemnité pour licenciement nul
Le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et qui est au moins égale à celle qui est prévue par l’article L.1235-3 du code du travail, quelque soit son ancienneté et la taille de l’entreprise.
En application de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017 l’indemnisation du préjudice résultant de la perte d’emploi ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.
Eu égard à son ancienneté, au salaire de référence devant être retenu (1646,48 euros) et aux éléments qu’elle produit sur l’étendue de son préjudice en ce qu’elle a perçu l’ARE jusqu’en mai 2018, la cour fixe, en infirmant le jugement déféré, à la somme de 17 000 euros le montant des dommages et intérêts qui l’indemniseront intégralement du préjudice résultant de perte d’emploi.
Sur la délivrance des documents de fin de contrat
En infirmant le jugement déféré, la cour ordonne à la société de délivrer à la salariée les documents de fin de contrat rectifiés et un bulletin de paie conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification.
La cour le confirme en revanche en ce qu’il a rejeté la demande d’astreinte dès lors qu’aucun élément n’en justifie le prononcé.
Sur les dispositions accessoires
En application de l’article 700 du code de procédure civile il est équitable que l’employeur contribue aux frais irrépétibles que la salariée a exposés en cause d’appel. La société sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 2000 euros et sera déboutée de sa demande à ce titre.
En application de l’article 696 du même code, il échet de mettre les dépens d’appel à la charge de l’employeur qui succombe.
PAR CES MOTIFS
statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré en ce qu’il a :
– fixé à 2000 euros le montant des dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– dit que le licenciement de Mme [N] était fondé,
– débouté Mme [N] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement illicite
– débouté Mme [N] de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis,
– débouté Mme [N] de sa demande de délivrance des documents de fin de contrat rectifiés,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Condamne la SA Aubert à verser à Mme [N] la somme de 9000 euros de dommages et intérêts au titre du harcèlement,
Dit que le licenciement est nul,
Condamne la SA Aubert à verser à Mme [N] les sommes de :
– 3292, 96 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 329,29 euros de congés payés afférents
– 17 000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement nul,
Dit que ces sommes sont exprimées en brut,
Ordonne à la SA Aubert de délivrer à Mme [N] les documents de fin de contrat rectifiés et un bulletin de paie conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification,
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SA Aubert à verser à Mme [N] la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SA Aubert à supporter les dépens d’appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT