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18 mai 2022
Cour d’appel de Versailles
RG n°
20/00285
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
15e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 18 MAI 2022
N° RG 20/00285
N° Portalis DBV3-V-B7E-TXEE
AFFAIRE :
Société J.P. [I]
C/
[V] [D]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Janvier 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de Nanterre
N° Section : Industrie
N° RG : 17/01995
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
– Me Pierre CHEVALIER
– Me Karine HISEL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX HUIT MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant fixé au 02 mars 2022 puis prorogé au 06 avril 2022 puis prorogé au 18 mai 2022 les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Société J.P. [I]
N° SIRET : 328 834 148
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Pierre CHEVALIER de la SELARL MCM AVOCAT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0228 substitué par Me Fanny TEMAM-BERTILOTTI, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
Madame [V] [D]
née le 24 Mars 1961 à Alger (Algérie), de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Karine HISEL, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2408
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 janvier 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Perrine ROBERT, Vice-président placé chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,
Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,
FAITS ET PROCÉDURE,
Madame [V] [D] a été engagée par la société J.P. [I] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 04 juin 2012 en qualité de technico-commerciale, statut ETAM, niveau G, coefficient 240 de la convention collective du bâtiment – région parisienne.
La salariée a été convoquée, par courrier du 20 février 2017, à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique fixé le 1er mars 2017.
Le 13 mars 2017, la société lui a notifié son licenciement pour motif économique. La salariée a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 20 mars 2017.
Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre le 20 juillet 2017 afin de contester son licenciement et d’obtenir le versement de diverses sommes.
Par jugement de départage du 17 janvier 2020, auquel la cour renvoie pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– dit que le licenciement de Mme [D] par la S.A.S. J .P. [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement ;
– fixé la moyenne mensuelle brute des salaires à la somme de 3 560 euros ;
– condamné la S.A.S. J .P. [I] à payer à Mme [D] les sommes suivantes :
– 23 336 euros à titre de rappel de salaires sur les heures supplémentaires ;
– 2 333,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur le rappel de salaires;
ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2017 ;
– condamné la S.A.S. J .P. [I] à payer à Mme [D] les sommes suivantes :
– 11 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
– 21 360 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;
ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du présentjugement ,
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement à hauteur de la moitié des sommes allouées ;
– condamné la S.A.S. J .P. [I] à payer à Mme [D] la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– débouté les parties de leurs autres demandes ;
– condamné la S.A.S. J .P. [I] aux dépens de l’instance.
– rappelé qu’en vertu de l’article R.1454-28 du Code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire les condamnations ordonnant la délivrance de toutes pièces que l’employeur est tenu de remettre ainsi que celles ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l’article R. 1454-14 du Code du travail dans la limite de neuf mensualités.
Par déclaration du 30 janvier 2020, la société a interjeté appel de cette décision en ce qu’elle a dit que le licenciement de Mme [D] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et l’a condamnée à payer à Mme [D] les sommes de 23 336 euros à titre de rappel de salaires sur heures supplémentaires, 2 333,60 euros à titre de congés payés, 11 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, 21 360 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé et 1 200 euros au titre de l’article 700 du CPC.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 19 mars 2020, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la société [I] demande à la cour de :
– réformer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Nanterre du 17 janvier 2020,
– dire que le licenciement pour motif économique de Mme [D] est fondé,
– débouter Mme [D] de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
– dire qu’il n’y a pas lieu à travail dissimulé
– dire que ses demandes de rappel de salaire sur la période antérieure au 21 juillet 2014 sont prescrites,
– si la cour envisage de retenir l’existence d’heures supplémentaires, ordonner la communication par Madame [V] [D] des agendas 2014, 2015 et 2016 à la partie appelante et leur production à la Cour,
– la débouter de l’ensemble de ses demandes,
– la condamner au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux entiers dépens d’instance.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 19 octobre 2021 , auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, Mme [D], intimée, demande à la cour de :
– confirmer le jugement de départage rendu par le Conseil de Prud’hommes de Nanterre en date du 17 janvier 2020, ayant alloué à Mme [V] [D] les sommes de :
– 23 336 euros de rappel d’heures supplémentaires
– 2 336 euros au titre des congés payés y afférents
– 21 360 euros d’indemnité de travail dissimulé (L. 8223-1)
– 11 000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive
– 1 200 euros d’article 700 code de procédure civile
Y ajoutant
– élever le montant des condamnations aux sommes suivantes :
– 28 836,68 euros de rappel d’heures supplémentaires de juillet 2014 à mars 2017
– 2 883,66 euros au titre des congés payés y afférents
– 40 000 euros d’indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse (L. 1235-3 CT)
Puis, statuant de nouveau
– condamner la SAS JP [I] à verser à Mme [D] les sommes de :
– 15 000 euros pour non respect des critères d’ordre de licenciement
– 2 000 euros en application de l’article 700 code de procédure civile
– dire et juger que les intérêts légaux courront à compter du 15 mai 2017, date de la 1ère mise en demeure de la partie adverse sur les sommes contractuelles et conventionnelles.
– fixer le point de départ des intérêts légaux sur les sommes indemnitaires à la date de l’introduction de la demande soit le 20 juillet 2017.
– dire et juger que les intérêts échus porteront eux-mêmes intérêts dans les conditions de l’article 1154 du Code Civil.
– condamner la SAS JP [I] aux dépens qui comprendront le coût de l’exécution éventuelle de la décision à intervenir, et notamment les frais de l’article 10 du Décret du 12 décembre 1996 portant tarif des Huissiers.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 24 novembre 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La lettre de licenciement notifiée à Mme [D], qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :
‘L’activité de l’entreprise est principalement réalisée en Ravalement, Peinture Intérieure et Rénovation TCE (Tous Corps d’État).
Le chiffre d’Affaires de l’entreprise a considérablement chuté sur les deux dernières années. Jusqu’en 2015 il se situait entre 1,7 Meuros et 1,8 Meuros pour atteindre 1M556euros en 2016 soit une chute de 15 % environ.
En 2016, l’entreprise affiche une baisse de 10 % pour l’activité de ravalement et de 20 % pour l’activité peinture intérieure et TCE.
Les résultats financiers de l’entreprise accusent le même déclin avec une baisse de 20 % entre 2015 et 2016.
L’analyse de l’activité chantiers « peinture intérieure-TCE » affiche les plus lourdes baisses.
Sur les trois derniers trimestres civils 2016, la perte de chiffre d’affaires est successivement de 53 %, 42 % et 55 %.
Cette situation résulte de la combinaison de plusieurs facteurs :
– Une baisse drastique des prix sur les chantiers de peinture intérieure de gamme moyenne où les prix continuent à s’effondrer. Ce secteur d’activité est fortement investi par l’artisanat ; la peinture est perçue comme étant un « métier facile » et voit arriver un nombre croissant de prestataires contribuant au développement de la concurrence souvent déloyale, voire illégale.
En effet, de plus en plus d’entreprises de l’union européenne proposent des travaux ou de la main-d”uvre à des tarifs très bas, bafouant la réglementation sociale et fiscale applicable sur le territoire national. Cette tendance qui se développe met gravement en danger les PME comme la nôtre.
– Une sous-traitance accrue sur les corps d’états étrangers au savoir-faire de l’entreprise pour les chantiers TCE rendant complexe l’organisation, le déroulement et la viabilité financière du chantier.
La situation intermédiaire au 31 janvier 2017, soit sur les quatre premiers mois de l’exercice fiscal qui s’étend du 1er octobre 2016 au 30 septembre de 17 confirme cet état de fait.
L’entreprise enregistre une perte de 39.884 euros pour un CA de 580.000 euros soit 7,3 % du CA.
La réalité de l’activité du premier trimestre de l’exercice 2017 affiche une chute d’environ 40 % dans l’activité « peinture intérieure & TCE » et les prévisions de prises de commandes pour l’exercice en cours laisse augurer la poursuite de la baisse d’activité pouvant atteindre 50 %.
Nous sommes donc contraints de reconsidérer la stratégie de l’entreprise en renonçant à concourir sur des marchés de peinture intérieure/TCE pour les raisons indiquées ci-avant et de réduire nos charges de fonctionnement.
Nous poursuivrons l’activité « ravalement et isolation thermique par l’extérieur » pour laquelle le savoir-faire est moins concurrencé et l’entreprise dispose de compétences et de l’organisation de fonctionnement approprié.
Nous avons souligné au cours de l’entretien que nous tenons régulièrement des réunions de travail. Les difficultés rencontrées particulièrement sur le marché de la «peinture intérieure & TCE » ainsi le niveau d’activité réalisé et/ou engendré étaient connus.
Nous sommes au regret de vous notifier, par le présent courrier, votre licenciement pour motif économique.
En effet, le poste de travail que vous tenez depuis 2012 consacré à la recherche et au suivi des chantiers de « peinture intérieure et TCE » est de ce fait supprimé.
Nous restons à votre écoute pour d’éventuelles prestations ponctuelles relevant de votre champ de compétence et qui pourraient servir la stratégie de l’entreprise en tant que prestataire externe.’
Mme [D] conteste son licenciement au motif que l’employeur ne produit aucune preuve des difficultés économiques alléguées, que son poste n’a pas été supprimé et que l’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement.
La société soutient que les difficultés économiques sont établies, que le poste de Mme [D] a bien été supprimé et qu’il n’a pas été possible de la reclasser dans l’entreprise.
Aux termes de l’article L. 1233-3 du code du travail, ‘constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;
[…]
La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, résultant de l’une des causes énoncées au présent article.’
Selon les dispositions de l’article L. 1233-4 du code, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie.
Ce reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.
En l’espèce, le motif du licenciement réside dans les difficultés économiques de la société dont le chiffre d’affaires aurait baissé de 2015 à 2017 et notamment pour l’activité peinture intérieure et TCE (tout corps d’état) dont le chiffre d’affaire aurait connu une chute d’environ 40%.
Au soutien du motif du licenciement, la société produit les éléments suivants :
– la note sur l’activité économique de la société envoyée à la salariée le 1er mars 2017,
– le bilan et compte de résultat pour la période du 1er octobre 2016 au 31 janvier 2017 et le bilan pour la période du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2016,
– des tableaux des chiffres d’affaires 2016 et 2017 par commercial et par type de prestation,
– l’attestation de l’expert-comptable sur les chiffres d’affaires des commerciaux de 2013 à février 2017.
Il résulte de ces éléments que la société a obtenu des résultats d’exploitation positifs de 51 717 euros à la clôture de l’exercice le 30 septembre 2015 et de 28 057 euros au 30 septembre 2016, soit une baisse de 45,75%.
Au 31 janvier 2017, après quatre mois d’exercice, ce résultat d’exploitation était négatif et s’élevait à – 39 589,53 euros.
Le chiffre d’affaires nets s’est élevé à 1 807 226 euros au 30 septembre 2015, à 1 575 533 euros au 30 septembre 2016, soit une baisse de 12%. Il s’élevait à 583 836,68 euros au 31 janvier 2017.
La preuve est rapportée par la société de la baisse du chiffre d’affaires et du résultat d’exploitation.
Les difficultés économiques sont établies.
Toutefois, la société ne rapporte pas la preuve de la suppression du poste de Mme [D] et de l’impossibilité de la reclasser. En effet, d’une part le registre d’entrée et de sortie du personnel produit aux débats ne contient pas l’ensemble des salariés de la société, MM. [W] [I] et [P] [R] dont il est établi qu’ils sont salariés de la société n’y figurant pas. D’autre part, le dernier salarié embauché selon ce même registre après le 3 janvier 2017, est Mme [F] [I], au statut Etam comme Mme [D] mais sans précision de la date d’embauche ni de l’emploi occupé
Dans ces conditions, la preuve de la suppression du poste et du respect de l’obligation de reclassement n’étant pas rapportée, le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse et le jugement sera confirmé de ce chef.
Mme [D], licenciée alors qu’elle avait 4 ans et 9 mois d’ancienneté par une entreprise employant moins de onze salariés, peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi. Au regard de l’âge de la salariée au jour du licenciement (56 ans) et du contrat de travail de chantier prenant effet le 06 mars 2018, le préjudice subi par la salariée sera réparé par l’allocation d’une indemnité d’un montant de 22 000 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les critères d’ordre du licenciement
Mme [D] soutient que la société n’a pas respecté les critères d’ordre de licenciement et sollicite à ce titre la somme de 15 000 euros.
La société soutient que Mme [D] n’a pas fait la demande de précision sur les critères d’ordre retenus par l’employeur, qu’elle était la seule salariée de sa catégorie professionnelle car les deux autres salariés concernés par des tâches commerciales résiduelles étaient technicien de chantier et non technico-commercial, qu’elle avait moins d’ancienneté et aucune charge de famille connue.
En application de l’article L.1233-5 du code du travail, il ne peut être alloué au salarié licencié sans cause économique, en plus de l’indemnité fixée à ce titre pour réparer l’intégralité du préjudice subi par la perte injustifiée de son emploi, des dommages et intérêts pour inobservation de l’ordre des licenciements.
En conséquence, Madame [D] à qui a été allouée une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera déboutée de sa demande au titre du non-respect des critères d’ordre du licenciement. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les heures supplémentaires
Mme [D] soutient avoir effectué de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées et sollicite à ce titre les sommes de 28 836,68 euros bruts au titre des heures supplémentaires accomplies du mois de juillet 2014 au mois de mars 2017 et 2 883,66 euros au titre des congés payés afférents.
La société conteste le décompte de la salariée et indique que les parties avaient convenu d’une rémunération forfaitaire incluant les dépassements d’horaires. Elle ajoute que la salariée travaillait pour son compte personnel durant son temps de travail. Elle soulève enfin la prescription des demandes en rappels de salaire sur la période antérieure au 21 juillet 2014.
En application de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Il est observé tout d’abord s’agissant de la prescription des demandes que l’article L.3245-1 du code du travail que l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Madame [D] ayant été licenciée le 13 mars 2017 et ayant saisi le conseil de prud’hommes le 20 juillet 2017, sa demande en paiement d’heures supplémentaires sur la période de juillet 2014 à mars 2017 n’est pas prescrite.
Par ailleurs, le contrat de travail du 04 juin 2012 a prévu en son article 4 sur la durée du travail que ‘l’horaire collectif hebdomadaire appliqué dans l’entreprise est de 35 heures’. L’article 6 sur la rémunération stipule que ‘il est entendu entre les parties que votre rémunération s’inscrit dans une convention de forfait et constitue la contrepartie forfaitaire de votre activité dans le cadre de l’horaire collectif de la société et de tout dépassement d’horaire que vous pourrez être amené à effectuer compte tenu de la latitude dont vous disposez dans l’organisation de votre travail’.
Cette clause, qui ne répond pas aux conditions de validité des conventions individuelles de forfait en jours sur l’année, ce que ne soutient pas au demeurant la société, ne peut être opposée à la salariée pour faire obstacle à la réclamation de rappels de salaire au titre d’heures supplémentaires.
La société a été rémunérée sur une base de 151,67 heures mensuelles, soit 35 heures hebdomadaires.
Au soutien de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires qu’elle prétend avoir effectuées, la salariée produit :
– un décompte mentionnant le nombre d’heures supplémentaires effectuées par semaine,
– la copie de ses agenda de 2014 à la rupture du contrat avec le détail de sa journée de travail et l’heure de fin de journée,
– deux attestations de clients sur la participation de Mme [D] à des rendez-vous de chantier le matin à 8 heures ou le soir après 19 heures,
– des courriels envoyés aux clients après 18h30.
La salariée a ainsi produit des éléments suffisamment précis sur les heures qu’elle prétend avoir réalisées pour permettre à l’employeur de répondre en produisant ses propres éléments. Il n’y a pas lieu d’ordonner la production des agendas originaux de la salariée.
La société, à qui il appartenait de contrôler le temps de travail de sa salariée, ne produit aucun élément précis sur les horaires qu’elle a effectivement réalisés.
Les courriels produits par l’employeur provenant de la messagerie personnelle de la salariée seront écartées en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances.
Au regard des pièces produites, la cour retient que Mme [D] a effectué des heures supplémentaires non rémunérées et confirme le jugement en ce qu’il a fixé la créance à ce titre à la somme de 23 336 euros, outre la somme de 2 333,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé
Mme [D] sollicite la somme de 21 360 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé au motif que la société n’a pas déclaré les heures supplémentaires sur les bulletins de paie.
La société conteste avoir eu l’intention de réaliser du travail dissimulé, soutenant que la salariée organisait ses journées de façon autonome et n’a jamais réclamé le paiement d’heures supplémentaires.
Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à ses obligations en n’accomplissant pas la déclaration préalable à l’embauche, en mentionnant sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ou en se soustrayant intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales auprès des organismes sociaux et fiscaux (article L. 8221-5 du code du travail).
La caractérisation de l’infraction de travail dissimulé est subordonnée à la démonstration, d’une part, d’un élément matériel constitué par le défaut d’accomplissement d’une formalité (déclaration d’embauche, remise d’un bulletin de paie, etc.) et d’autre part, d’un élément intentionnel constitué par la volonté de se soustraire à cette formalité. Le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 et dont le contrat est rompu a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire (article L. 8223-1 du code du travail).
Il appartient au salarié de rapporter la preuve des éléments constitutifs de l’infraction de travail dissimulé.
En l’espèce, la salariée ne rapporte pas la preuve que la société a, de manière intentionnelle, omis de mentionner sur ses bulletins de salaire les heures qu’elle a effectuées. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande en paiement d’une indemnité pour travail dissimulé sur le fondement de l’article L. 8223-1 du code du travail et le jugement infirmé de ce chef.
Sur les intérêts
Les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter de la première demande qui en a été faite en justice, soit à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, en l’absence de courrier antérieur valant sommation de payer.
La créance indemnitaire allouée par la présente décision produira intérêts au taux légal à compter de son prononcé.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens sans qu’il soit nécessaire d’y inclure les frais d’exécution forcée en l’absence de litige né de ce chef.
Il apparaît en outre équitable de la condamner à verser à Mme [D] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME partiellement le jugement de départage rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 17 janvier 2020,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
CONDAMNE la société J.P. [I] à payer à Mme [V] [D] la somme de 22 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
DÉBOUTE Mme [V] [D] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé,
CONFIRME pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris,
Y ajoutant,
DIT la demande en rappel de salaires pour heures supplémentaires formée par Mme [V] [D] recevable comme étant non prescrite,
DÉBOUTE la société J.P. [I] de sa demande de production des originaux des agendas professionnels de Mme [V] [D] et de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation,
DIT que la créance au titre de l’indemnité pour rupture abusive produira intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,
ORDONNE la capitalisation des intérêts,
CONDAMNE la société J.P. [I] à verser à Mme [V] [D] la somme de 1 500 euros à titre d’indemnité pour les frais irrépétibles exposés en appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société J.P. [I] aux dépens, sans y inclure les frais d’exécution forcée.
– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,