Secret des correspondances : 14 septembre 2022 Cour d’appel d’Amiens RG n° 21/05179

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Secret des correspondances : 14 septembre 2022 Cour d’appel d’Amiens RG n° 21/05179
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14 septembre 2022
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
21/05179

ARRET

[E]

C/

S.A.R.L. [6]

copie exécutoire

le 14/09/2022

à

Selarl BERTHAUD

Me SIMON

LDS/IL/

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2022

*************************************************************

N° RG 21/05179 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IIHK

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 23 SEPTEMBRE 2021 (référence dossier N° RG 20/00032)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [K] [E] épouse [N]

née le 19 Mars 1984 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée, concluant et plaidant par Me Grégory FLYE de la SELARL BERTHAUD ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de BEAUVAIS

ET :

INTIMEE

S.A.R.L. [6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

concluant par Me Murielle SIMON, avocat au barreau de BEAUVAIS

DEBATS :

A l’audience publique du 22 juin 2022, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

– Madame Laurence de SURIREY en son rapport,

– l’avocat en ses conclusions et plaidoirie

Madame Laurence de SURIREY indique que l’arrêt sera prononcé le 14 septembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 14 septembre 2022, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [N], née le 19 mars 1984, a été embauchée par la société [I] Lacle à compter du 2 juin 2010 par contrat à durée indéterminée en qualité de manipulatrice radio.

Par avenant en date du 2 janvier 2018, son contrat de travail a été transféré au sein de la société [6] (la société ou l’employeur).

Son contrat est régi par la convention collective nationale des cabinets médicaux.

La société emploie plus de onze salariés.

A l’issue d’un arrêt de travail du 1er octobre 2018 au 7 avril 2019, la salariée a régularisé un avenant au contrat de travail le 8 avril 2019 afin de convenir d’un mi-temps thérapeutique jusqu’au 21 juin 2019.

Elle a été convoquée par la société à un entretien préalable fixé au 7 octobre 2019.

Par courrier du 11 octobre 2019, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse.

Mme [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Beauvais, le 20 février 2020, afin de contester la légitimité de son licenciement.

Le conseil, par jugement du 23 septembre 2021, a :

– dit les demandes de Mme [N] recevables mais non fondées ;

– débouté Mme [N] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamné cette dernière à payer la somme de 400 euros à la SELARL Iroise en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 15 juin 2022, Mme [N], qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de :

– la juger recevable et fondée en son appel, et, en conséquence faire droit à l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

– réformer le jugement rendu par le conseil de Prud’hommes de Beauvais le 23 septembre 2021 en ce qu’il l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes et en ce qu’il l’a condamnée à payer à la SELARL Iroise la somme de 400 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens ;

Statuant de nouveau,

– juger qu’elle a fait l’objet d’agissements constitutifs de harcèlement moral ;

– condamner la SELARL [6] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison du harcèlement moral dont elle a été victime ;

A titre principal,

– dire et juger nul son congédiement en raison du contexte de harcèlement moral ou à titre subsidiaire comme reposant sur un critère discriminatoire à savoir son état de santé

A titre subsidiaire,

– dire et juger son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence et en tout état de cause,

– condamner la SELARL [6] à lui payer les sommes suivantes :

– 27 387 euros à titre de dommages et intérêts

– 5 000 euros pour violation de la vie privée

– condamner la SELARL [6] à lui payer la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société à lui remettre un certificat de travail, solde de tout compte et attestation Pôle emploi conformes aux termes du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 50 euros par jour, passé le délai de 15 jours suivant la notification de l’arrêt

– condamner la même aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Par conclusions remises le 17 mars 2022, la SELARL [6] demande à la cour de :

– dire et juger Mme [N] recevable mais mal fondée en son appel ;

– confirmer la décision rendue par le conseil de prud’hommes de Beauvais le 23 septembre 2021 déboutant Mme [N] de l’ensemble de ses demandes ;

– débouter Mme [N] de l’ensemble de ses demandes ;

– la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

1/ Sur l’existence d’un harcèlement moral :

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, la salariée fait valoir que depuis que, courant mai 2018, elle a averti le Dr [I] de ce que certains salariés consommaient des alcools forts pendant les heures de service, elle s’est trouvée isolée par une partie de ses collègues et employeurs, certains refusant même de la saluer, que cette situation ayant engendré une souffrance au travail, elle a bénéficié d’un arrêt de travail du 1er octobre 2018 au 7 avril 2019, qu’à son retour en mi-temps thérapeutique, elle a subi une affectation sanction au service radiologie alors que précédemment, elle travaillait au service IRM plus gratifiant, que son isolement a continué, que l’employeur lui a proposé une rupture conventionnelle le 17 juin 2019 au prétexte qu’il fallait apaiser les tensions et parce que son arrêt de six mois avait été problématique, qu’une collègue avait été interpellée par le Dr [U] pour lui demander si elle ne trouvait pas «qu’elle traînait la patte » ce qui constitue un message subliminal laissant entendre qu’elle ne faisait pas son travail et que ces faits, constitutifs de harcèlement moral, ont eu un effet délétère sur sa santé.

Elle se prévaut des pièces suivantes :

– des courriels adressés à son médecin traitant les 17 juin et 24 août 2019 danslesquels elle relate la proposition de rupture conventionnelle de l’employeur et le fait que le Dr [U] ait demandé à sa collègue si elle ne trouvait pas « qu’elle traînait la patte », interprétant cette interpellation comme une provocation,

– un courriel adressé au médecin du travail (Dr [D]) relatant l’incident précédemment cité, y ajoutant un sentiment d’injustice à l’égard du fait qu’une certaine collègue était autorisée à rentrer chez elle déjeuner alors qu’il était exigé des autres salariés qu’ils déjeunent sur place,

– un courriel adressé au Dr [I], le 22 juillet 2019, par lequel elle indique refuser sa proposition de rupture conventionnelle motivée d’une part par le souci d’apaiser les tensions qui pourtant existent depuis un moment et d’autre part car son congé maladie avait été un problème,

– une photographie d’une table garnie notamment d’une bouteille de rhum autour de laquelle sont attablées deux femmes en blouse blanche et une autre d’une bouteille de porto dans un réfrigérateur à côté de bouteilles de jus de fruit étiquetées « IRM »,

– son dossier médical dans lequel le Dr [D] fait état du fait qu’elle se sent moins bien, est dépressive, se plaint de surcharge de travail, de favoritisme et l’informe qu’elle a échangé avec un responsable à propos de la consommation d’alcool le midi,

– une lettre de sa psychologue adressée au médecin du travail, évoquant « une réelle situation de souffrance au travail avec des signes de burnout chez une personne fragilisée par une histoire de vie marquée par des épreuves douloureuses »,

– une lettre du 24 septembre 2019 par laquelle, le Dr [I], répondant visiblement à des SMS et courriels du mari de Mme [N], se défend d’être responsable de la souffrance au travail ressentie par cette dernière,

– une attestation de Mme [F], qui a travaillé en CDD dans l’entreprise, relatant qu’elle a constaté la consommation d’alcool sur le lieu de travail et dénonçant la mentalité des employeurs qui n’ont pas renouvelé son contrat.

La société fait valoir que Mme [N] n’établit aucun fait laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral, ses allégations ne reposant sur aucune preuve.

Il est démontré par l’attestation même du Dr [I] que Mme [N] lui a fait part de ce que la consommation d’alcool avait cours dans l’établissement.

Pour autant, la salariée ne produit pas de pièce de nature à établir qu’elle ait fait l’objet, à compter de ce jour, d’un isolement de la part de certains de ses collègues et des médecins.

S’agissant des motifs allégués au soutien de la proposition de rupture conventionnelle, la salariée ne verse aux débats que ses propres écrits.

Il en va de même en ce qui concerne le « message subliminal » qu’aurait envoyé le Dr [U] pour la provoquer.

Par ailleurs, le médecin du travail et le psychologue n’ont pu constater personnellement les conditions de travail de Mme [N] et ne peuvent donc qu’évoquer les doléances et propos de cette dernière.

Reste l’affectation majoritaire de la salariée au service radiologie qui ne constitue qu’un fait unique ne pouvant comme tel caractériser un harcèlement moral.

En l’état des explications et des pièces fournies, la matérialité d’éléments de faits significatifs, précis et concordants laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral n’est par conséquent pas établie.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que Mme [N] n’avait pas été victime de harcèlement moral et a rejeté sa demande de dommages-intérêts de ce chef.

2/ Sur le licenciement

– Sur la nullité du licenciement:

A titre principal, Mme [N] demande que son licenciement soit déclaré nul comme faisant suite à une situation de harcèlement et, à titre subsidiaire, comme ayant été prononcé à raison de son état de santé et étant donc discriminatoire.

La société s’oppose à ces demandes et conteste tout caractère discriminatoire au licenciement.

Aux termes de l’article L 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.

L’article L 1152-3 dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Ainsi qu’il a été dit précédemment l’existence d’un harcèlement moral n’est pas établie.

Selon les dispositions de l’article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte au sens de l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, pour quelque motif que ce soit, et notamment en raison de son état de santé.

Selon l’article L.1134-1 du même code, lorsqu’un litige survient en ce domaine, il incombe au salarié de présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et il incombe alors à la partie défenderesse, au vu de ces éléments de prouver que sa décision est justifiée par des considérations objectives étrangères à toute discrimination.

Mme [N] soutient avoir fait l’objet d’une discrimination en raison de son état de santé en reprenant les propos qu’elle prête à l’employeur à l’occasion de la proposition de rupture conventionnelle. Or, la cour a dit que la matérialité de ce fait n’était pas établie.

La salarié évoque également le fait que l’employeur était informé depuis 2015 de ce qu’elle était atteinte d’une sclérose en plaques dont les prémices ont été constatés en 2005 par les Drs [U] et [I] qui ont réalisé les examens.

Elle ne produit pas de pièce permettant de faire le lien entre cette maladie dont les signaux seraient apparus quatre ans plus tôt et le diagnostic qui aurait été posé plusieurs mois plus tard et son congédiement.

C’est donc également à juste titre que les premiers juges ont rejeté ces demandes.

– Sur le caractère réel et sérieux du licenciement:

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d’autres griefs que ceux qu’elle énonce.

En l’espèce, la lettre de licenciement est motivée comme suit :

« Madame,

Nous faisons suite à l’entretien qui s’est tenu le 7 octobre 2019 au cours duquel vous étiez assisté et vous informons de notre décision de vous licencier pour cause réelle et sérieuse pour les motifs ci-après énoncés.

Depuis plusieurs mois déjà vous créez dans le service des tensions entre les salariés et n’hésitez pas à tenir des propos malveillants ou injurieux à l’encontre de vos employeurs, notamment via le réseau Facebook.

Vous n’adressez plus la parole à une partie de vos collègues qui d’ailleurs ne veulent plus travailler en binôme avec vous.

Nous vous dispensons d’effectuer votre préavis qui vous sera payé aux échéances habituelles ».

Il résulte de l’article L.1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties, toutefois, le doute devant bénéficier au salarié, l’employeur supporte, sinon la charge du moins le risque de la preuve

Mme [N] ne conteste pas avoir tenu les propos litigieux mais fait valoir que les échanges ont été obtenus en violation du secret de la correspondance, l’employeur ayant pris connaissance de messages échangés sur Facebook, qui par nature est un réseau privé, en consultant le téléphone portable de sa collègue laquelle atteste ne pas s’être connectée sur Facebook au travail; qu’en tout cas, il s’agit d’une conversation privée tenue en dehors des heures de travail ce qui permet de leur ôter tout caractère fautif. Elle en déduit que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

L’employeur répond qu’il n’a nul besoin de produire les messages envoyés par Mme [N] sur Facebook dès lors que celle-ci a reconnu lors de l’entretien préalable avoir tenu les propos reprochés et qu’il était en droit de se servir de ces échanges qui n’étaient pas de nature privée dans la mesure où ils sont en rapport avec l’activité professionnelle.

Il est constant que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée, que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances, que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale consacrée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et la Constitution, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail.

Toutefois, l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la pièce n°1 de l’employeur est composée d’échanges par l’intermédiaire de la messagerie instantanée Facebook Messenger, entre Mme [N] et une collègue de travail, Mme [T]. Le contenu de ces conversations qui s’étendent sur plus d’un mois, est privé même s’il est fait état de considérations en rapport avec le travail et le fonctionnement du service.

Ces conversations étaient donc couvertes par le secret des correspondances de sorte qu’en en prenant connaissance, l’employeur a porté atteinte au secret de la correspondance et au droit à la vie privée de Mme [N]. Ce moyen de preuve est donc illicite.

L’employeur n’a pas accédé à cette messagerie dans le but de se constituer une preuve légitime mais c’est en s’immisçant dans la vie privée de Mme [N] qu’il a pris connaissance des propos tenus à l’encontre du Dr [U].

Dans ces conditions la société ne pouvait se prévaloir d’une conversation obtenue de manière déloyale pour fonder le licenciement de Mme [N], peu important que cette dernière ait admis au cours de l’entretien préalable avoir tenu les propos injurieux qui lui étaient reprochés.

Au surplus, au regard de leur caractère privé, ces échanges n’étaient pas de nature à justifier un licenciement.

Par ailleurs, l’employeur n’apporte aucun élément au soutien des griefs selon lesquels Mme [N], depuis plusieurs mois créait dans le service des tensions entre les salariés et n’adressait plus la parole à une partie de ses collègues qui ne voulaient plus travailler en binôme avec elle.

Infirmant en cela le jugement, il y a lieu de dire par conséquent que le licenciement de Mme [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

– Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Le licenciement étant injustifié, la salariée peut prétendre, non seulement aux indemnités de rupture mais également à des dommages et intérêts à raison de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.

Justifiant d’une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, Mme [N] peut solliciter une indemnisation de l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, d’un montant compris entre 3 et 9 mois de salaire.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salarié, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l’entreprise et de l’effectif de celle-ci (plus de dix salariés au moment du licenciement), la cour fixe à 18 300 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme [N] ayant plus de deux ans d’ancienneté et l’entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d’ordonner à l’employeur de rembourser à l’antenne Pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressée depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.

Il n’y a pas lieu à remise des documents de fin de contrat et attestation Pôle emploi rectifiés compte tenu de l’issue du litige.

3/ Sur la demande de dommages-intérêts pour violation de la vie privée :

La violation par l’employeur du secret de la correspondance de Mme [N] a causé à celle-ci un préjudice moral qui sera intégralement réparé par l’octroi d’une indemnité de 2 000 euros.

4/ Sur les autres demandes :

La société, qui perd le procès, doit en supporter tous les dépens, et sera condamnée à payer à la salariée la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en première instance et en appel. Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

confirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [N] de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral et de prononcé de la nullité du licenciement,

l’infirme pour le surplus,

statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

dit que le licenciement de Mme [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

condamne la SELARL [6] à payer à Mme [N] les sommes de 18 300 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de la vie privée et 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

ordonne à la SELARL [6] de rembourser à l’antenne Pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à Mme [N] depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.

dit n’y avoir lieu à nouvelle délivrance de documents de fin de contrat,

rejette toute autre demande,

condamne la société aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

 


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