Secret des correspondances : 3 novembre 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00096

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Secret des correspondances : 3 novembre 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00096
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3 novembre 2022
Cour d’appel de Dijon
RG n°
21/00096

OM/CH

[R] [J]

C/

S.A.S. JOEL DEMANGE

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 03 NOVEMBRE 2022

MINUTE N°

N° RG 21/00096 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FT4Z

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 07 Janvier 2021, enregistrée sous le n° F 18/00713

APPELANTE :

[R] [J]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Cédric MENDEL de la SCP MENDEL – VOGUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉE :

S.A.S. JOEL DEMANGE

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Antoine CONVERSET de la SELAS AGIS, avocat au barreau de DIJON, et Me Aurélie DEGOURNAY de la SELAS AGIS, avocat au barreau du JURA

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 27 Septembre 2022 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [J] (la salariée) a été engagée le 7 août 2013 par contrat à durée indéterminée en qualité de comptable par la société Joël Demange (l’employeur).

Elle a été licenciée le 28 août 2018 pour faute grave.

Estimant ce licenciement infondé, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 7 janvier 2021 a rejeté toutes ses demandes.

La salariée a interjeté appel le 5 février 2021.

Elle demande, au regard de la nullité de ce licenciement, le paiement des sommes de :

– 117,15 euros de rappel de salaires pour la période de mise à pied,

– 11,71 euros de congés payés afférents,

– 5 154,60 euros d’indemnité de préavis,

– 515,46 euros de congés payés afférents,

– 3 402,04 euros d’indemnité de licenciement,

– 30 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire, 15 463,80 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 15 463,80 euros de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur,

– 8 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 1 157 euros de rappel de prime dite bonus équipe,

– 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

et réclame la délivrance d’une fiche de paie et des documents légaux rectifiés à savoir une fiche de paie et l’attestation Pôle emploi.

L’employeur conclut à la confirmation du jugement et sollicite le paiement de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 3 août 2021 et 24 août 2022.

MOTIFS :

Sur le harcèlement moral :

En application des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laisse supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de la loi. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements indiqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, la salariée invoque l’existence d’un tel harcèlement à compter d’octobre 2017 et plus particulièrement à compter de sa demande de passer de 35 heures de travail par semaine à 38 heures, ce qui a été perçu comme une volonté de vouloir “se faire de l’argent sur le dos de la société”.

Elle indique qu’elle a subi des menaces et réprimandes par mails de la part de M. [E], ancien salarié devenu consultant pour celle-ci, une surveillance par plusieurs caméras dont l’une permettant de visualiser l’écran de son ordinateur ainsi que son profil, des critiques permanentes de la part de Mme [A], responsable administrative, utilisant la boîte mail pour la dénigrer et que ces faits ont eu des répercussions sur son état de santé et notamment une tentative de suicide en mars 2017.

Elle produit comme éléments une plainte adressée à la CNIL datée du 23 juillet 2018, deux mails de Mme [A] des 6 février 2017 et 9 mars 2018 ainsi qu’une capture d’écran d’un SMS adressé à M. [M], outre un certificat médical du Dr [O].

L’employeur répond que la salariée se montrait exécrable avec ses collègues de travail alors qu’elle n’était présente qu’un jour par semaine sur le site de [Localité 5].

Il ajoute que la salariée partageait un bureau avec M. [M] et que le système de vidéo mis en place n’avait pas pour but de la surveiller et que les écrans de contrôle se trouvaient dans cette même pièce avec possibilité de piloter ces écrans de son poste de travail.

Il sera relevé que la plainte adressée à la CNIL est demeurée lettre morte et que la mise en place des caméras n’a pas pour objet de surveiller spécifiquement la salariée qui partageait un bureau avec un autre salarié.

Il n’est pas établi que le comportement de Mme [A] est à l’origine des départs de Mmes [T], [H] et [B].

Si Mme [B] atteste que Mme [A] se permet de critiquer et de rabaisser les employés, elle n’apporte aucun élément précis quant à un éventuel harcèlement moral dirigé contre la salariée.

Enfin, aucun élément n’accrédite le comportement imputé à M. [E].

De même, aucun élément ne permet de rattacher la tentative de suicide alléguée par la salariée à son environnement professionnel.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, ne laissent pas présumer ou supposer l’existence d’un harcèlement moral.

La demande de dommages et intérêts sera rejetée et le jugement confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur le licenciement :

La salariée invoque la nullité du licenciement pour violation du statut protecteur, ayant demandé l’organisation d’élections professionnelles et, à titre subsidiaire, conteste la faute grave reprochée.

1°) La salariée indique qu’elle a été la première à demander l’organisation d’élections professionnelles le 9 août 2018 (élection de délégués du personnel) ce qui a entraîné le bénéfice d’une protection de six mois rendant nul le licenciement notifié par lettre datée du 28 août 2018, sans autorisation préalable de l’inspection du travail.

L’employeur répond que la demande de la salariée n’ayant été relayée par aucune organisation syndicale, la protection précitée n’est pas acquise.

L’article L. 2411-6 du code du travail dispose que : “L’autorisation de licenciement est requise, pendant une durée de six mois, pour le salarié ayant demandé à l’employeur d’organiser les élections au comité social et économique ou d’accepter d’organiser ces élections. Cette durée court à compter de l’envoi à l’employeur de la lettre recommandée par laquelle une organisation syndicale a, la première, demandé ou accepté qu’il soit procédé à des élections.

Cette protection ne bénéficie qu’à un seul salarié par organisation syndicale ainsi qu’au premier salarié, non mandaté par une organisation syndicale, qui a demandé l’organisation des élections”.

La protection instaurée pour les salariés ayant demandé l’organisation des délégués du personnel est restée applicable, avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, lorsque ont été mises en place, au plus tard le 31 décembre 2017, une ou plusieurs des institutions représentatives du personnel concernées par ces dispositions.

Ici, tel n’est pas le cas au regard d’une demande portant sur l’organisation d’une élection professionnelle pour élire des délégués du personnel et non pour organiser des élections au comité social et économique.

Au surplus, il n’est pas établi que la demande de la salariée ait été reprise par une organisation syndicale.

La demande de nullité sera donc écartée, faute pour la salariée de pouvoir bénéficier de la protection instaurée par les dispositions de l’article L. 2411-6 précité.

2°) Il appartient à l’employeur qui s’en prévaut à l’appui du licenciement de démontrer la faute grave alléguée.

La lettre de licenciement reproche à la salariée une faute grave consistant en la mise en oeuvre d’une procédure pénale initiée par le procureur de la République le 2 août 2018 pour atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique en référence à un message transmis par Mme [A] et après plainte de cette dernière le 22 mars 2018 pour piratage d’un mail privé le 11 mars 2018 et transmission à deux salariés du service commercial, à un consultant extérieur, à trois fournisseurs, au directeur commercial, à la direction, à la responsable des achats et à la salariée.

La lettre précise que l’employeur a été informé de la décision de poursuite pénale le 7 août 2018 et que cette décision a entraîné une perte de confiance définitive et irrévocable.

La salariée conteste ces griefs niant en être l’auteur, M. [V], son compagnon, ayant admis avoir diffusé le mail litigieux.

Elle précise ne pas avoir été poursuivie pénalement pour ces faits qui sont, par ailleurs, prescrits.

L’article L. 1332-4 du code du travail dispose qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

La fin de non-recevoir liée à la prescription peut être soulevée à tout moment et donc pour la première fois, à hauteur d’appel.

Elle est donc recevable.

Par ailleurs, lorsqu’un fait fautif a donné lieu à des poursuites pénales c’est-à-dire par la mise en mouvement de l’action publique, avant l’expiration du délai de deux mois, l’employeur peut engager des poursuites disciplinaires après l’expiration de ce délai.

Ici, les faits sont datés du 11 mars 2018 et la convocation à l’entretien préalable à un éventuel licenciement date du 14 août suivant.

La poursuite pénale a été initiée le 2 août 2018 et l’employeur vise une information portant sur cette décision, le 7 août 2018.

Rien ne permet de retenir que l’employeur ait été informé du dépôt de plainte de Mme [A] le 22 mars 2018 ni qu’il ait eu connaissance de l’identification de l’auteur des faits avant le 7 août 2018.

Il en résulte que les poursuites ont été engagées dans le délai de deux mois précité et à bref délai au regard de la faute grave reprochée.

La fin de non-recevoir sera donc écartée.

3°) Au fond, la salariée produit une attestation de M. [V] (pièce n° 33) où il reconnaît être l’auteur des faits ainsi que la copie de la procédure pénale (pièce n° 38) d’où il ressort que seul M. [V] a été poursuivi par l’intermédiaire de la procédure de composition pénale.

Par ailleurs, la seule identification de l’adresse IP (Internet Protocol) ne suffit pas à démontrer que le titulaire de cette adresse est l’auteur de la diffusion du mail litigieux dès lors que cette adresse est un numéro d’identification d’un périphérique relié à un réseau informatique qui utilise ce protocole.

En conséquence, la preuve de la faute grave reprochée n’est pas rapportée et le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, ce qui implique l’infirmation du jugement sur ce point.

4°) Le rappel de salaire demandé au titre de la période de mise à pied est fondé pour la somme reprise au présent dispositif.

L’indemnité de licenciement sera évaluée à 3 402,04 euros.

L’indemnité compensatrice de préavis, correspondant à deux mois de salaire, sera chiffrée à 5 154,60 euros, outre les congés payés afférents.

Au regard d’une ancienneté de 5 années entières, du barème applicable et d’un salaire mensuel moyen de 2 577,30 euros, le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera évalué à 7 750 euros.

Sur les autres demandes :

1°) Sur la prime dite bonus équipe, la salariée demande le versement de cette prime de mars 2017, date d’interruption de paiement, à août 2018.

L’employeur répond que cette prime a été intégrée au salaire de l’intéressée à compter de mars 2017, à sa demande ce qu’il a accepté.

Dès lors que la salariée conteste cette intégration de prime et l’accord donné, il appartient à l’employeur de l’établir, la majoration de salaire constatée à compter de mars 2017 ne correspondant pas à cette intégration, faute d’élément probant.

La demande sera donc accueillie pour un montant de 1 157 euros.

2°) L’employeur remettra à la salariée un bulletin de paie correspondant au paiement des sommes dues, ainsi que les documents réclamés.

3°) Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’employeur et le condamne à payer à la salariée la somme de 1 300 euros.

L’employeur supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :

– Infirme le jugement du 7 janvier 2021, sauf en ce qu’il rejette les demandes de Mme [J] en paiement de somme à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour violation du statut protecteur et pour licenciement nul ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

– Dit que le licenciement de Mme [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– Condamne la société Joël Demange à payer à Mme [J] les sommes de :

* 117,15 euros de rappel de salaires pour la période de mise à pied,

* 11,71 euros de congés payés afférents,

* 5 154,60 euros d’indemnité compensatrice de préavis,

* 515,46 euros de congés payés afférents,

* 3 402,04 euros d’indemnité de licenciement,

* 7 750 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 157 euros de rappel de prime dite bonus équipe ;

– Dit que la société Joël Demange remettra à Mme [J] un bulletin de paie correspondant au paiement de ces sommes ainsi que l’attestation destinée à Pôle emploi ;

– Rejette les autres demandes ;

Y ajoutant :

– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Joël Demange et la condamne à payer à Mme [J] la somme de 1 300 euros,

– Condamne la société Joël Demange aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffierLe président

Kheira BOURAGBAOlivier MANSION

 


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