Secret des correspondances : 22 novembre 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 22-80.015

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Secret des correspondances : 22 novembre 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 22-80.015
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22 novembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n°
22-80.015

N° C 22-80.015 F-D

N° 01427

SL2
22 NOVEMBRE 2022

CAS. PART. PAR VOIE DE RETRANCH. SANS RENVOI

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 NOVEMBRE 2022

MM. [U] [T], [F] [G], [K] [L], [P] [A] et la société [1], parties civiles, ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, 4e chambre, en date du 10 décembre 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 3 mars 2021, n°19-87.125), dans la procédure suivie contre Mme [M] [J] des chefs de recel et violation du secret professionnel, a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [1], MM. [U] [T], [F] [G], [K] [L] et [P] [A], les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [M] [J] épouse [O], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l’audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [M] [J], épouse [O], inspectrice du travail, a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour recel d’atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique et violation du secret professionnel, commis au détriment notamment de la société [1] (la société).

3. Les juges du premier degré l’ont déclarée coupable de ces faits.

4. Mme [O] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a constaté qu’il ne résulte pas des éléments soumis à la cour d’appel statuant sur renvoi après cassation, qu’à l’occasion des faits dont elle a été déclarée définitivement coupable dans la présente instance, Mme [O] s’est rendue l’auteure d’une faute personnelle détachable du service et d’avoir en conséquence, constaté son incompétence pour connaître d’une demande de réparation des préjudices ayant résulté de ces faits, alors :

« 1°/ que la juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur la réparation des conséquences dommageables de la faute commise par un agent public et revêtant le caractère d’une faute personnelle, détachable de la fonction ; que constitue une telle faute celle qui révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique ; que le juge de l’action civile ne peut par ailleurs méconnaître ce qui a été nécessairement et définitivement jugé sur l’action publique ; que pour constater son incompétence pour connaître d’une demande en réparation des préjudices ayant résulté des infractions de recel de correspondances provenant d’un délit et de violation du secret professionnel dont la prévenue a définitivement été déclarée coupable en sa qualité d’inspectrice du travail, la cour d’appel énonce que, bien que Mme [O] ne se soit pas vu reconnaître le statut exonératoire de lanceuse d’alerte et qu’elle ait été déclarée coupable des infractions qui lui étaient reprochées, « il n’est pas établi qu’elle a été animée par une intention de nuire, mais seulement par la volonté de se protéger de manoeuvres dont elle estimait faire l’objet […], dans la mesure où il est établi qu’elle s’est trouvée dans une situation à tout le moins complexe, en conflit avec sa hiérarchie » ; qu’en se déterminant ainsi après avoir pourtant constaté que l’intéressée avait été définitivement déclarée coupable d’avoir sciemment recelé des correspondances qu’elle savait provenir d’un délit commis de mauvaise foi, et d’avoir délibérément transmis à des organisations syndicales ces documents à caractère secret qu’elle savait avoir été obtenus frauduleusement, dont elle avait eu connaissance en raison de ses fonctions d’inspecteur du travail, en violation du secret professionnel auquel elle était tenue, après que tout fait justificatif tiré tant de l’exercice des droits de la défense que du statut de lanceur d’alerte avait été expressément et définitivement écarté par le juge pénal, ce dont il résultait que la prévenue s’était rendue coupable de manquements volontaires et inexcusables à ses obligations d’ordre professionnel et déontologique, la cour d’appel n’a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s’imposaient, et privé sa décision de toute base légale au regard du décret du 16 fructidor an III, de la loi des 16-24 août 1790, des articles 2, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que les juridictions pénales sont compétentes pour apprécier, à la suite de sa condamnation pénale, la responsabilité d’une inspectrice du travail à raison de ses fautes personnelles détachables de la fonction ; que constituent de telles fautes, le fait, pour une inspectrice du travail, de se livrer personnellement et intentionnellement à la commission des délits de recel de correspondances provenant d’un délit et de violation du secret professionnel afin de satisfaire un intérêt personnel étranger au service ; qu’en l’espèce, après avoir rappelé les termes de la prévention et la condamnation pénale définitive de Mme [O] des chefs de recel de correspondances provenant d’un délit et de violation du secret professionnel qui lui étaient reprochés au préjudice des parties civiles, la cour d’appel s’est déclarée incompétente pour connaître d’une action en réparation des préjudices ayant résulté de ces faits, après avoir relevé que si elle a « pu en l’espèce, poursuivre un intérêt personnel, mais pas rechercher un gain, s’agissant d’une attitude défensive, et dans la mesure où, dans ce contexte, partie au moins des documents qui lui étaient parvenus et qu’elle a divulgués sans procéder à un tri la concernaient personnellement, il y a lieu de constater que cet agent public ne s’est pas rendue l’auteure d’une faute personnelle détachable du service » ; qu’en prononçant ainsi quand il résultait de ses propres constatations que la prévenue avait délibérément et de sa propre initiative commis les faits délictueux de recel de correspondances et de violation du secret professionnel afin de satisfaire un intérêt personnel, ce dont il résultait que les fautes ainsi commises étaient nécessairement personnelles et détachables de ses fonctions, la cour d’appel s’est abstenue de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et a méconnu le sens et la portée du principe énoncé au moyen, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les articles 2, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que si la responsabilité de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics est engagée en raison des fautes commises par leurs agents lorsque ces fautes ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service, cette responsabilité n’est pas exclusive de celle des agents auxquels est reproché un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique ; que par ailleurs, les constatations qui sont la cause nécessaire de la décision pénale s’imposent au juge civil ; que pour se déclarer incompétente aux fins de statuer sur les réparations civiles des préjudices résultant d’infractions intentionnelles de recel et de violation du secret professionnel commises par une inspectrice du travail dans l’exercice de ses fonctions, la cour d’appel énonce que la prévenue a été animée par « la volonté de se protéger de manoeuvres dont elle estimait faire l’objet-manoeuvres dont le Conseil national de l’inspection du travail a considéré qu’elles ne relevaient pas de la seule interprétation de l’intéressée », tout en relevant que ce dernier avait toutefois constaté que les pressions prétendument exercées n’avaient été suivies d’aucun effet ; qu’en se déterminant ainsi, quand la seule circonstance que la prévenue ait commis des faits délictueux en se considérant comme étant dans « une attitude défensive », ne pouvait exclure que son comportement relevât d’un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique et ce d’autant que la prévenue avait été déclarée définitivement coupable des infractions reprochées après que les juges avaient écarté tout fait justificatif en affirmant que cette divulgation publique d’informations à caractère secret n’était ni imposée par la loi, ni autorisée au sens de l’article 226-14 du code pénal, ni « légitimée par les nécessités de l’exercice des droits de sa défense », la cour d’appel a fait une inexacte application de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et des principes précités, privant sa décision de toute base légale au regard des articles 2, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que dans leurs conclusions régulièrement déposées, les parties civiles soutenaient que « le choix de rendre un panel extrêmement large d’organisations syndicales destinataires des documents litigieux, de surcroît, sans sélection préalable des seuls éléments de nature à caractériser l’éventuelle atteinte à son indépendance dans l’exercice de ses fonctions, constitue, en tout état de cause, une mesure non nécessaire et disproportionnée témoignant de l’intention de Mme [O] d’assurer une large diffusion de correspondances privées pourtant couvertes par le secret, en violation des règles déontologiques, et notamment du respect du secret professionnel auquel elle était pourtant tenue » ; qu’elles ajoutaient que « la diffusion de correspondances et de documents sans nul rapport avec la prétendue entrave à l’exercice de ses fonctions dont elle s’estimait victime, traduit parfaitement la volonté manifeste de Mme [O] de nuire aux personnes concernées et de porter atteinte à leur vie privée ainsi qu’à leur image », en rappelant que Mme [O] avait elle-même reconnu lors de son audition devant les services d’enquête qu’une « partie non négligeable des correspondances divulguées ont trait à des considérations étrangères à l’entrave qu’elle entendait dénoncer » ; qu’en se bornant à affirmer qu’il « n’est pas établi qu’elle a été animée par une intention de nuire mais seulement par la volonté de se protéger de manoeuvres dont elle estimait faire l’objet » pour écarter l’existence d’une faute personnelle détachable du service, sans même s’expliquer sur les éléments déterminants précités des conclusions des parties civiles, mettant en évidence que la divulgation aux organisations syndicales des documents confidentiels litigieux d’origine frauduleuse, en violation du secret professionnel, l’avait été délibérément sans précaution ni restriction aucune, alors même que nombre de ces documents étaient sans rapport aucun avec les manoeuvres dont elle s’estimait victime, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision et méconnu l’article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour se déclarer incompétente pour statuer sur les dommages-intérêts des parties civiles, en l’absence de faute personnelle de Mme [O], détachable du service, l’arrêt attaqué énonce qu’il n’est pas établi qu’elle a été animée par une intention de nuire mais qu’elle a agi par volonté de se protéger de manoeuvres dont elle estimait faire l’objet.

7. Les juges ajoutent que l’avis du Conseil national de l’inspection du travail (CNIT), organe chargé de se prononcer sur tout acte d’une autorité administrative de nature à porter directement et personnellement atteinte aux conditions dans lesquelles un membre de l’inspection du travail doit pouvoir exercer sa mission, ne saurait être tenu pour indifférent dans l’appréciation de l’existence éventuelle d’une faute détachable du service.

8. Ils indiquent que selon cet avis, les manoeuvres ne relevaient pas de la seule interprétation de Mme [O] et que l’intervention de son responsable afin d’évoquer son action de contrôle auprès de la société n’a pas répondu aux conditions normales d’un entretien professionnel et a pu donner à cette dernière le sentiment qu’il était porté atteinte à son indépendance ou à sa libre décision dans l’exercice de ses fonctions.

9. Ils retiennent qu’elle s’est trouvée dans une situation complexe, en conflit avec sa hiérarchie alors qu’elle pouvait légitimement en attendre un soutien quand son impartialité professionnelle dans l’exercice de ses fonctions était mise en cause par des responsables de la société.

10. Ils considèrent que, dans ce contexte de mise en cause de son activité professionnelle, la faute ne correspondait pas à la recherche d’un gain et que, si Mme [O] a poursuivi un intérêt personnel, il a consisté à assurer sa défense, dans la mesure où une partie au moins des documents qui lui étaient parvenus et qu’elle a divulgués sans procéder à un tri en les envoyant aux organisations syndicales de son ministère de rattachement, la concernaient personnellement.

11. Ils en déduisent que cet agent public ne s’est pas rendu l’auteur d’une faute personnelle détachable du service.

12. En l’état de ces seules énonciations, qui procèdent de son appréciation souveraine, la cour d’appel, qui n’était pas tenue d’entrer dans le détail de l’argumentation dont elle était saisie, n’a méconnu aucun des textes visés au moyen.

13. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

14. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré les constitutions de partie civile de la société [1], de M. [K] [L], de M. [U] [T], de M. [F] [G], et de M. [P] [A], irrecevables, alors « qu’il résulte des articles 567 et 609 du code de procédure pénale que la juridiction de renvoi n’est saisie que dans la limite de la cassation intervenue et ne saurait statuer au-delà de cette limite sans excéder ses pouvoirs ; qu’en l’espèce, saisie à la suite d’un arrêt de cassation partielle portant sur les seules dispositions de l’arrêt « ayant condamné Mme [O] au paiement de dommages et intérêts aux parties civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues », la cour d’appel de renvoi, a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des exposantes ; qu’en prononçant ainsi, quand la recevabilité de leur constitution de partie civile n’avait pas été remise en cause par la cassation prononcée laquelle se limitait au seul prononcé de dommages et intérêts à leur profit, la cour d’appel a méconnu l’étendue de sa saisine, en violation des articles 567 et 609 du code de procédure pénale. »

 


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