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23 novembre 2022
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/03146
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 23 NOVEMBRE 2022
N° RG 21/03146
N° Portalis DBV3-V-B7F-UZVD
AFFAIRE :
[H] [K]
C/
S.A.S. GARCIA MUNTE ENERGIA FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Octobre 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : F 18/03108
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Frédéric MURA
Me Nathalie LESENECHAL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [H] [K]
né le 03 Janvier 1971 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Frédéric MURA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E294
APPELANT
****************
S.A.S. GARCIA MUNTE ENERGIA FRANCE
N° SIRET : 834 639 437
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Nathalie LESENECHAL, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2090
Représentant : Me Eva KOPELMAN de la SELARL AXIPITER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 28 Septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Madame Laure TOUTENU, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,
M. [H] [K] a été embauché, à compter du 18 mars 2008, selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité de ‘commercial industrie’ par la société Oxbow Coal.
À compter du 1er février 2018, le contrat de travail a été transféré à la société GARCIA MUNTE ENERGIA FRANCE (ci-après la société GME), spécialisée dans la distribution de combustibles.
La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale du négoce et de distribution de combustibles solides, liquides, gazeux, produits pétroliers.
Par lettre du 13 août 2018, la société GME a convoqué M. [K] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Par lettre du 10 septembre 2018, la société GME a notifié à M. [K] son licenciement pour faute grave.
Au moment de la rupture du contrat de travail, la société GME employait habituellement au moins onze salariés et la rémunération moyenne mensuelle de M. [K] s’élevait à 14 497 euros brut.
Le 27 novembre 2018, M. [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre pour contester le bien-fondé de son licenciement et demander la condamnation de la société GME à lui payer des indemnités de rupture.
La société GME a demandé reconventionnellement la condamnation de M. [K] à lui payer des dommages-intérêts pour détournement de clientèle.
Par jugement du 6 octobre 2021, le conseil de prud’hommes (section encadrement) a :
– débouté les parties de leurs demandes ;
– condamné M. [K] à payer à la société GME une somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [K] aux dépens.
Le 22 octobre 2021, M. [K] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions du 23 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens, M. [K] demande à la cour d’infirmer le jugement attaqué sur le débouté de ses demandes et les condamnations prononcées à son encontre, de le confirmer sur le débouté de la demande de dommages-intérêts formée par la société GME et, statuant à nouveau, de :
– dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
– condamner la société GME à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2018 date de la saisine du conseil de prud’hommes :
* 144 970 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 43 491 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 4 349 euros au titre des congés payés afférents ;
* 59 223,59 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
– débouter la société GME de toutes ses demandes ;
– condamner la société GME à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions du 1er juillet 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens, la société GME demande à la cour de :
– à titre principal, confirmer le jugement sur le débouté des demandes de M. [K] et l’application de l’article 700 du code de procédure civile et débouter M. [K] de l’ensemble de ses demandes;
– à titre subsidiaire, limiter le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au strict minimum ;
– en tout état de cause, infirmer le jugement attaqué sur le débouté de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts et statuant à nouveau condamner M. [K] à lui payer les sommes suivantes :
* 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour détournement de clientèle ;
* 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [K] aux dépens qui seront recouvrés conformément aux positions de l’article 699 du code de procédure.
Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 28 septembre 2022.
SUR CE :
Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :
Considérant que la lettre de licenciement pour faute grave notifiée à M. [K], qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée : ‘ (…) Nous sommes par conséquent contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave en raison d’importants manquements à vos obligations de loyauté et de confidentialité vis-à-vis de la société.
En effet, le 30 juillet 2018, nous avons découvert que, en complicité avec un de vos collègues, vous avez entamé des discussions avec une société concurrente (Hargreaves) afin de vous plaindre de vos conditions de travail au sein de notre société et surtout afin de lui proposer vos services.
Plus grave encore, vous avez dans ce contexte communiqué par e-mail à cette société concurrente des informations confidentielles sur notre société et ses activités (en particulier les données financières et commerciales sensibles) et lui avez transmis un document Excel s’apparentant à un business plan afin de convaincre ses dirigeants de l’opportunité d’un rapprochement.
Vous aviez d’ailleurs pleinement conscience de la nature confidentielle des informations divulguées puisque vous avez expressément attiré l’attention de vos interlocuteurs au sein d’Hargreaves sur ce point.
Une telle divulgation, qui plus est à un de nos concurrents, crée un préjudice extrêmement important à notre société et pourrait avoir un impact financier significatif. À cet égard, nous nous réservons le droit de mettre en ‘uvre de mesures destinées à obtenir réparation du préjudice que nous subissons.
Par ailleurs, vous avez indiqué à vos interlocuteurs au sein de Hargreaves que :
– vous souhaiteriez les rejoindre rapidement ;
– vous n’étiez plus disposé à enseigner vos connaissances aux autres employés de GME France et que,
– vous pourriez les rejoindre avec d’autres employés de GME France.
Votre décision de ne plus vous impliquer au sein de notre société ainsi que cette tentative de débauchage de nos employés constitue également un manquement à votre obligation de loyauté.
Enfin, vous avez rencontré à deux reprises (le 13 juin et le 22 juin 2018) les représentants de Hargreaves afin de vous présenter et de discuter les conditions d’un rapprochement. Le 22 juin à Duisburg en Allemagne.
Un tel comportement constitue une violation de vos obligations de loyauté et de confidentialité vis-à-vis de votre employeur et rend impossible le maintien de votre contrat de travail (…)’ ;
Considérant que M. [K] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que :
– les courriels sur lesquels la société GME se fonde sont issus de sa messagerie personnelle et leur production constitue donc une atteinte au secret des correspondances ;
– en tout état de cause, les faits reprochés sont très imprécis et ne sont en rien établis ;
– les faits ne lui sont pas imputables puisque les courriels en cause, dont il est seulement destinataire en copie, sont échangés entre son collègue (M. [M]) et la société Hargreaves;
Qu’il demande en conséquence l’allocation d’indemnités de rupture ;
Considérant que la société GME soutient que le licenciement est fondé sur une faute grave et qu’il convient de débouter M. [K] de ses demandes en ce que :
– les courriels produits proviennent de la messagerie professionnelle de M. [K] et n’étaient pas protégés au titre de la vie privée ;
– les faits reprochés sont établis et imputables au salarié et sont constitutifs d’une faute grave ;
Considérant que la faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise; que la charge de la preuve de cette faute incombe à l’employeur qui l’invoque ;
Qu’en l’espèce, tout d’abord, il ressort des débats et des pièces que les courriels versés aux débats par la société GME ont été obtenus exclusivement à partir de la messagerie professionnelle de M. [K] et donc sans atteinte au secret des correspondances ; qu’il n’y a donc pas lieu de les écarter des débats ;
Qu’ensuite, s’agissant des griefs tirés de ce que M. [K] se serait plaint auprès de la société Hargreaves de ses conditions de travail, aurait décidé de ne plus s’impliquer dans son travail, ou n’aurait plus été disposé à enseigner ses connaissances aux autres employés, la société GME ne verse aucun élément pour établir la réalité de tels faits, lesquels sont niés par l’appelant ;
Que s’agissant des griefs tirés de ce que M. [K] a proposé ses services à la société Hargreaves et a rencontré ses dirigeants, la société GME n’allègue pas que M. [K] était lié par une clause de non-concurrence ; que ces faits ne peuvent, à eux seuls, constituer un manquement du salarié à ses obligations ;
Que s’agissant du grief tiré de la divulgation d’informations confidentielles, la société GME n’invoque tout d’abord pas de manquement à une obligation contractuelle de confidentialité de la part de M. [K] ; que la société GME verse aux débats des échanges de courriels entre le collègue de M. [K] (M. [M]) dont l’appelant est en copie, sans démontrer en quoi ils contiennent des informations financières et commerciales confidentielles la concernant ; que la pièce n°6 qu’elle invoque également est selon elle un ‘document Excel s’apparentant à un business plan’, sans autre précision, et contient seulement des données chiffrées sur les années 2019 à 2021, qui sont donc prospectives, sans que ne soit même expliqué d’où viennent les chiffres en cause ni à quelle société ils s’appliquent ; que la société GME ne démontre donc pas que M. [K] a participé à la communication à un concurrent d’informations la concernant et dont il avait connaissance à raison de ses fonctions ; que le manquement à une obligation de confidentialité n’est donc pas établi ;
Que s’agissant du grief tiré d’une tentative de débauchage de salariés, les échanges de courriels en cause, dont M. [K] est en copie, font seulement ressortir que M. [M] évoque de manière obscure et lapidaire avec des responsables de la société Hargreaves de simples ‘scénarios’ relatifs à l’arrivée de cinq ou trois salariés de la société GME dans ses effectifs et ses conséquences sur l’activité de l’intimée sans qu’il n’en ressorte l’existence de manoeuvres déloyales auxquelles aurait participé directement ou indirectement l’appelant pour provoquer ces embauches ; que ces éléments sont donc là encore insuffisants pour établir un manquement de l’appelant à son obligation de loyauté ;
Qu’il résulte de ce qui précède que les manquements reprochés à M. [K] ne sont pas établis et que son licenciement est dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse contrairement ce qu’ont estimé les premiers juges ;
Qu’en conséquence, il y a lieu d’allouer à M. [K] les sommes suivantes, dont les montants ne sont pas contestés par la société intimée :
– 43 491 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 4 349 euros au titre des congés payés afférents ;
– 59 223,59 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
Qu’en outre, M. [K] est fondé à réclamer, eu égard à son ancienneté de 10 années complètes et à l’effectif de la société GME, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant minimal de 2,5 mois de salaire brut et d’un montant maximal de 10 mois en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige ; qu’eu égard à son âge (né en 1971), à sa rémunération, à l’absence d’élément sur sa situation postérieure au licenciement, il y a lieu d’allouer à l’appelant une somme de 37 000 euros;
Que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ces points ;
Sur les intérêts légaux :
Considérant qu’il y a lieu de rappeler que les sommes allouées ci-dessus à M. [K] portent intérêts légaux à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes pour ce qui est des créances de nature salariale et à compter du présent arrêt en ce qui concerne la créance d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Sur la demande de dommages-intérêts formés par la société GME au titre d’un détournement de clientèle :
Considérant que la société GME reproche à M. [K] d’avoir, après la rupture du contrat de travail, détourné de façon déloyale des clients au profit de son nouvel employeur, dont le client ‘Taranis Commodities’ représentant 4,4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018 ; qu’elle réclame en conséquence une somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice ;
Mais considérant que la société GME ne démontre en rien l’existence de manoeuvres déloyales de la part de M. [K], ni en tout état de cause ne verse le moindre élément pour justifier du préjudice allégué ; qu’il y a donc lieu de confirmer le débouté de sa demande ;
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Considérant qu’eu égard à la solution du litige, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il statue sur ces deux points ; que la société GME, partie succombante, sera condamnée à payer à M. [K] une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement attaqué, sauf en ce qu’il déboute la société GARCIA MUNTE ENERGIA FRANCE de sa demande de dommages-intérêts pour détournement de clientèle,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [H] [K] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société GARCIA MUNTE ENERGIA FRANCE à payer à M. [H] [K] les sommes suivantes:
– 37 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 43 491 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 4 349 euros au titre des congés payés afférents,
– 59 223,59 euros à titre d’indemnité de licenciement,
Rappelle que les sommes allouées à M. [H] [K] portent intérêts légaux à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes pour ce qui est des créances de nature salariale et à compter du présent arrêt en ce qui concerne la créance d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la société GARCIA MUNTE ENERGIA FRANCE aux dépens de première instance et d’appel,
Condamne la société à payer à M. [H] [K] une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,