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19 janvier 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/01041
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 JANVIER 2023
N° RG 21/01041 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UNWV
AFFAIRE :
[J] [L]
C/
S.A. SUNNY ASSET MANAGEMENT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : 20/01035
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Laurent OHAYON
Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [J] [L]
né le 08 Août 1987 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Laurent OHAYON, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0944
APPELANT
****************
S.A. SUNNY ASSET MANAGEMENT
N° SIRET : 509 296 810
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 – Représentant : Me Anne LEMARCHAND, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2130, substituée par Me Audrey CURIEN, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 21 Novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Juliette DUPONT,
Monsieur [J] [L] a été engagé par la société Sunny Asset Management à compter du 1er octobre 2019 en qualité de stagiaire pour une durée de six mois. Une convention de stage tripartite a été conclue entre Monsieur [L], la société et une université. La convention collective applicable est celle des sociétés financières.
Par requête reçue au greffe le 30 juin 2020, Monsieur [J] [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre afin de demander la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et d’obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 8 mars 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– dit qu’il n’y avait pas lieu de requalifier les relations de travail entre Monsieur [J] [L] et la société Sunny Asset Management,
– débouté Monsieur [L] de l’intégralité de ses prétentions,
– débouté la société Sunny asset management de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que les éventuels dépens de l’instance seront à la charge de Monsieur [L].
Par déclaration au greffe du 8 avril 2021, Monsieur [J] [L] a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 23 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, Monsieur [J] [L] demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
statuant de nouveau,
– dire et juger la requalification des relations de travail en contrat de travail à durée indéterminée recevable,
en conséquence,
– prononcer la requalification des relations de travail en contrat de travail à durée indéterminée en qualité de cadre coefficient 400,
– condamner la société Sunny asset management à lui verser les sommes suivantes :
*13771,5 euros à titre d’indemnités pour travail dissimulé
*41314,5 euros à titre de rappel de salaire
*4131,45 euros à titre de congés payés afférents
*27402,18 euros à titre d’heures supplémentaires
*2740,22 à titre de congés payés afférents
*14307,3 euros à titre d’heures supplémentaires les dimanches
*1430,73 euros à titre de congés payés afférents
*10000 euros à titre d’indemnités pour harcèlement moral
*776,94 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
*6885,75euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif
*6885,75 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
*688,57 euros à titre de congés payés afférents
– ordonner la remise du certificat de travail, du solde de tout compte, des bulletins de paie rectifiés et de l’attestation Pôle emploi conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document,
– condamner la société Sunny asset management à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner la société Sunny asset management aux entiers dépens.
Monsieur [L] fait essentiellement valoir que :
– dans le cadre d’échanges à compter de septembre 2018 avec Monsieur [C], employé et associé de la société Sunny Asset Management, qui lui laissait espérer un engagement par l’entreprise, il a réalisé à la demande de la société des travaux de recherches et de synthèses sur la base du volontariat avant que Monsieur [C] ne le sollicite pour réaliser des travaux, notamment de rédaction commune, de manière de plus en plus régulière précise et exigeante ; celui-ci lui donnait des instructions précises sur les tâches à effectuer et lui a proposé une convention de stage en avril 2019 en lui demandant de s’inscrire dans une université pour obtenir une fausse convention de stage ; il a été contraint de passer par un site spécialisé afin d’obtenir une convention de stage payante ; en août 2018, Monsieur [C] a indiqué l’existence d’un risque de requalification par l’Urssaf, ce qui caractérise un détournement de stage ; à partir de la proposition de stage, il a été sollicité tous les jours ; il s’est rendu à deux reprises dans les locaux en mai 2019 ;
– s’agissant de la période de stage du 1er octobre 2019 au 31 mars 2020, la fausse convention de stage mentionne une université en Afrique du Sud ; il a été chargé, au-delà des missions décrites dans la convention, de la mise en place complète de la stratégie digitale de l’entreprise sur consigne de Monsieur [C] et en collaboration avec les équipes commerciales ; il a traduit des présentations commerciales en anglais et a assuré une assistance pour sollicitations en anglais ; il a accomplis des heures supplémentaires ; il a subi de la manipulation, de la pression et du chantage en ce que la négociation de contrat de travail dépendait de la fourniture d’un travail gratuit sans quoi sa promesse de contrat pouvait être menacée ; le 20 avril 2020, on lui a proposé un contrat de travail de trois mois renouvelable pour 1750 euros bruts par mois, proposition ressemblant à une offre temporaire dans l’attente du nouveau directeur marketing ; la société l’accuse de soustraction frauduleuse de documents alors que les recherches faisaient partie de sa propriété intellectuelle ; la société a ‘élevé la voix à son encontre’ ;
– la rupture est abusive faute de toute procédure de licenciement ;
– les faits de harcèlement moral sont des humiliations, des pressions, notamment en conditionnant son avenir dans l’entreprise à la poursuite d’un travail gratuit, des commentaires désobligeants ;
– l’intention de dissimuler du travail résulte d’un travail sans contrepartie financière, de la mise en place d’une convention de stage frauduleuse et de l’absence de paiement d’heures supplémentaires.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 6 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la société demande à la cour de :
confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur [L] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires.
infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamner Monsieur [L] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La société fait essentiellement valoir que :
– Monsieur [C], reconnu très actif dans son domaine sur des réseaux sociaux et médias spécialisés, a été personnellement sollicité par Monsieur [L] qui lui a soumis des travaux dans l’espoir d’un engagement ; Monsieur [C] lui a suggéré en vain de créer sa propre activité puis il lui a proposé un stage indemnisé ; en dehors de la période de six mois de stage, Monsieur [L] ne s’est pas retrouvé sous la subordination de la société ni de celle de Monsieur [C] ; il travaillait chez lui avec son propre matériel et était libre de décider de son rythme de production, se consacrant à d’autres projets ; Monsieur [C] n’a jamais eu aucun pouvoir de donner des ordres ou des directives à Monsieur [L], encore moins de le sanctionner ; ce dernier était seul à l’initiative de ses productions ; des messages étaient destinés à la communauté sur les réseaux ;
– la requalification du stage en contrat de travail n’est pas plus fondée dès lors que Monsieur [L], qui ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, a conclu une convention par le biais d’une plate-forme d’inscription en ligne à des universités étrangères reconnues dans le seul but d’obtenir un stage ; pour sa part, elle a respecté son obligation de vérifier son statut d’étudiant ; les missions confiées étaient en adéquation avec la convention et ne s’étendaient pas à la prise en charge d’une stratégie digitale ; le stagiaire n’a rien contesté lors de son départ après avoir décliné l’offre qui lui était faite ; vexé, il a supprimé la majorité du travail effectué durant ce stage ; la classification revendiquée n’est pas justifiée ;
– Monsieur [L] n’a accompli aucune heure supplémentaire et aucune demande ne lui a été faite en ce sens ; le tableau purement déclaratoire qu’il produit est insuffisant ; il porte partiellement sur une période située en amont du stage ;
– elle ne l’a pas fait travailler sans contrepartie financière, n’a pas mis en place une convention de stage frauduleuse et lui a versé la gratification due ;
– aucune pression n’a été exercée ; Monsieur [C] ne lui a pas promis un recrutement même s’il lui exprimait son regret de ne pas être en capacité de répondre à ses attentes ; son message privé du 11 janvier 2020, obtenu en violant le secret des correspondances, n’est pas humiliant mais vise à apaiser la situation entre Monsieur [L] et Monsieur [Y] ; les messages isolés dont se prévaut Monsieur [L] ne caractérisent en rien le harcèlement allégué en considération du ton et de la teneur de l’ensemble des échanges.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 26 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualification de la période antérieure au stage :
Il convient de rappeler que le contrat de travail est constitué par l’engagement d’une personne à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre moyennant rémunération, le lien de subordination juridique ainsi exigé se caractérisant par le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son salarié. Il en résulte que le lien de subordination juridique, critère essentiel du contrat de travail, est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail. L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait, dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. C’est à celui qui se prévaut de l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve. Toutefois, il résulte des articles 1353 du code civil et L 1221-1 du code du travail qu’en présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve.
En l’espèce, il ne résulte pas des éléments d’appréciation une apparence de contrat de travail entre les intéressés.
Pour démontrer un lien de subordination vis-à-vis de la société Sunny Asset Management, société de gestion de fonds, Monsieur [L], sur lequel pèse la charge de la preuve, fournit essentiellement des échanges de messages via des réseaux sociaux entre lui-même et Monsieur [C] exerçant une activité de gestion au sein de la même société.
Il en ressort que : Monsieur [L] a pris contact avec Monsieur [C] en septembre 2018 après avoir suivi ses comptes Twitter et Linkedin, dans l’espoir de pouvoir le ‘soutenir’ en tant qu’ ‘analyste recherche et portefeuille’ dans le cadre du développement au sein de la société Sunny Asset Management d’une stratégie alternative de gestion de fonds basée sur des anticipations macro-économiques ( ‘ fonds global macro’) ; c’est dans ce cadre que le mois suivant, sans empressement ni proposition, même implicite, concernant la société, Monsieur [C] a évalué positivement la production rédactionnelle de Monsieur [L] en conseillant à celui-ci de ne pas tout miser sur ‘Sunny’ ( ‘ la route va être longue’) dans la perspective uniquement d’une ‘ rémunération de cette lettre’ quand il aura ‘ les moyens et que le track sera abouti’, ajoutant : ‘cela ne me paraît pas infaisable dans 9-12 mois par exemple’ ; le 21 octobre suivant, Monsieur [L], satisfait de voir Monsieur [C] prendre le temps d’une lecture qui devait lui permettre de s’améliorer, indiquait comprendre que le projet ‘Sunny Macro’ commençait et qu’il n’était ‘ pas encore possible de rejoindre la structure’, précisant qu’il pensait que sa ‘lettre’ pouvait être rémunérée ‘d’ici le mois prochain’ et : ‘ il est vrai qu’il me sera difficile de continuer à l’aimenter de manière assidue si je dois chercher un emploi’, ce à quoi son interlocuteur se voyait contraint de répondre : ‘ pour la rémunération de la lettre, je pense que c’est possible. Mais il faut pour cela que le fonds soit lancé, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui…Je te recommande de toutes les manières de déposer des statuts de sorte de pouvoir facturer de l’advisory…tu ne vivras pas avec un seul client…’ ; deux jours après, Monsieur [L] lui proposant de : ‘ s’arranger entre nous’ pour une couverture des frais de vie mensuels jusqu’au lancement du fonds prévu pour le début de l’année 2019, Monsieur [C] devait lui repréciser : ‘ Je comprends ton désir ‘de vouloir nous rejoindre’ mais à court terme, et j’inclus l’année 2019 et 2020 dedans, cela ne sera pas envisageable’, lui conseillant une nouvelle fois de trouver un ‘boulot’ et se faire connaître pour ses analyses sur les réseaux, limitant la perspective d’une collaboration à une simple rémunération de sa lettre de synthèse au démarrage du fonds, ‘ rien de plus’, tout en soulignant que la facturation de la lettre devait s’insérer dans un cadre légal : ‘dépot de statuts, code Siren, Tva etc’ ; c’est à cet instant que Monsieur [L] devait envisager de ‘diversifier’ ses revenus en citant le statut d’auto-entrepreneur ; le 21 décembre de cette même année, Monsieur [C] évoquait une absence de moyens pour le rémunérer à hauteur de ses besoins, lui conseillant à nouveau de trouver d’autres clients compte tenu d’une possibilité de l’ordre de 5000 euros annuels le concernant en débloquant un budget en milieu d’année 2019, sa priorité étant l’embauche d’un second gérant expérimenté vers la fin de la même année ; il repoussait dès lors à la fin de l’année 2020 une éventuelle collaboration comme celle proposée, ‘une embauche pourquoi pas’ ; à partir de février 2019, si les travaux et les échanges entre les deux intéressés étaient plus fréquents, il ne changeaient pas pour autant de nature et le ton employé n’était pas plus péremptoire ni autoritaire, Monsieur [C] lisant et au besoin corrigeant les travaux de Monsieur [L], y ajoutant parfois, tout en lui faisant des suggestions de recherches et d’analyse ou en l’orientant vers des études ; la forme des sollicitations de Monsieur [C] demeuraient non impérative, sans contrainte d’aucune nature : ‘ si tu penses à’, ‘ j’avais une question’, ‘ j’ai besoin de…dis moi si j’ai loupé un truc dans tes envois ou si tu penses des choses bien’, ‘dis moi si tu as un peu de temps’ ; pareillement, ce dernier ne ‘soufflait pas le chaud et le froid’ quant à l’éventualité d’une future collaboration rémunérée, eut-elle été en décalage avec ce à quoi aspirait Monsieur [L] qui dans le même temps participait de manière très active à la recherche d’une solution par le biais d’un stage ; à cet égard, Monsieur [C] estimait devoir de nouveau préciser qu’en cas de refus par le service des ressources humaines, décideur final, de la convention de stage proposée, aucun Cdd ni Cdi n’était possible ; il indiquait seulement, après avoir rappelé une nouvelle fois que la collecte de son fonds était un préalable indispensable, qu’un contrat de travail était une éventualité, et ce, en juin 2020 et sous réserve encore de validation par l’ensemble des ‘associés’, et s’il évoquait le risque de requalification par l’Urssaf qu’il savait devoir être constamment mesurée par le service des ressources humaines, il n’invitait nullement Monsieur [L] à la dissimulation ou à la fraude, prônant au contraire la transparence jusqu’à l’hypothèse d’une inscription en ‘FAC ou au CNAM en master’ en cas de rejet d’une convention via une plate-forme spécialisée ; c’est d’ailleurs dans le dessein d’obtenir ce stage que Monsieur [L] s’est rendu dans les locaux de l’entreprise en mai 2019 ; les relations n’ont pris aucune autre tournure jusqu’à la concrétisation du stage, Monsieur [L] n’étant pas plus intégré dans un service organisé ; il travaillait à son domicile avec son matériel personnel ; il n’était soumis à aucune directive, consigne ou sanction ; il ne devait pas respecter des horaires ou des rythmes de travail, si bien que lorsqu’il partait en vacances, Monsieur [C] indiquait à Monsieur [L] qu’il serait moins réactif dans leurs échanges, ce dernier continuant à avoir toute latitude pour décider de l’existence, de la nature et de la fréquence de ses envois.
En conséquence, Monsieur [L] n’établit pas avoir réalisé des prestations au profit de la société Sunny Asset Management dans le cadre d’un lien de subordination en l’absence de preuve que cette dernière lui donnait des ordres et directives, en contrôlait l’exécution et sanctionnait ses manquements ; échouant à démontrer l’existence d’un contrat de travail.
Sur la requalification du stage :
L’article L. 124-1 du Code de l’éducation prévoit que « Les périodes de formation en milieu professionnel et les stages correspondent à des périodes temporaires de mise en situation en milieu professionnel au cours desquelles l’élève ou l’étudiant acquiert des compétences professionnelles et met en ‘uvre les acquis de sa formation en vue d’obtenir un diplôme ou une certification et de favoriser son insertion professionnelle. Le stagiaire se voit confier une ou des missions conformes au projet pédagogique défini par son établissement d’enseignement et approuvées par l’organisme d’accueil ».
Selon l’article 124-7 du même code Aucune convention de stage ne peut être conclue pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent, pour faire face à un accroissement temporaire de l’activité de l’organisme d’accueil, pour occuper un emploi saisonnier ou pour remplacer un salarié ou un agent en cas d’absence ou de suspension de son contrat de travail.’
Une convention de stage implique nécessairement l’accomplissement de tâches professionnelles sous l’autorité fonctionnelle de l’entreprise d’accueil.
La convention de stage du 8 mai 2019 a été signée via une plate-forme spécialisée par le stagiaire, la société Sunny Asset Management, le représentant de l’université ‘East London University’, l’enseignant référent du stagiaire, et le tuteur de celui-ci, Monsieur [C].
Le caractère frauduleux de cette convention ne résulte d’aucun élément et Monsieur [L] n’allègue ni ne démontre l’existence d’un vice du consentement. Si cette convention prévoit une rémunération mensuelle de 1100 euros bruts quand une rémunération de 1300 euros nets avait été envisagée en avril 2019, ce montant évoqué par Monsieur [C] était hypothétique sans rien promettre.
Par ailleurs, l’organisme d’accueil n’a pas sollicité Monsieur [L] pour l’exécution de missions au-delà de celles prévues par la convention comme devant correspondre au projet pédagogique en matière de macro-économie, asset management, portofoglio optimisation, régulation, et ce, dans le cadre de l’acquisition de compétences professionnelles et de la mise en oeuvre des acquis de sa formation en vue de l’obtention d’un diplôme ou d’une certification ; aucun élément ne laisse penser que Monsieur [L] aurait accompli des tâches n’étant aucunement de nature à s’insérer dans celles prévues, soit : l’analyse macro-économique et financière de l’environnement, la formulation de recommandations actives d’investissement, les suivis quantitatifs des recommandations, l’analyse quantitative , ‘ data crunching’, et l’aide à la publication de reporting client.
Pareillement, il n’est pas établi que Monsieur [L] aurait exécuté une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent, pour faire face à un accroissement temporaire de l’activité de la société, pour remplacer un salarié ou pour anticiper le recrutement de personnel. Le fait qu’il se serait vu confier la responsabilité digitale de l’entreprise ne résulte que de ses seules affirmations, et si à la fin du stage Monsieur [L] vantait ses mérites à seule fin de lui permettre d’obtenir une prime, il ne peut s’en déduire l’existence ni le degré de participation alléguée dans le cadre d’une réelle stratégie digitale, sauf la mise en valeur générale, dans le contexte particulier d’une augmentation de gratification, d’un investissement personnel du stagiaire, ce dernier peut-il espérer plus, notamment pour faire changer la société de dimension sur son ‘approche média’.
L’accomplissement d’un travail au-delà des limites temporelles autorisées ne ressort pas non plus des éléments fournis.
S’agissant des heures supplémentaires revendiquées y compris durant quarante-trois jours au cours de week-ends et de jours fériés, le tableau présenté par Monsieur [L] est trop peu détaillé, ne mentionne aucun horaire précis et renvoie à des messages adressés, notamment avant huit heures et après dix-huit heures, via les réseaux sociaux, auxquels sont associés des nombres de pages.
Il en résulte un ensemble d’éléments insuffisant à l’appui de sa demande relative à des prestations qu’il estime avoir accomplies au-delà de la durée hebdomadaire de présence dans l’organisme d’accueil, soit 35 heures aux termes de la convention. De même, ces pièces sont insuffisantes quant à la réalisation effective d’un travail au cours du week-end ou de jours fériés.
Il s’ensuit l’inexistence d’une prestation de travail accomplie dans les conditions d’un contrat de travail et de tout détournement de la finalité de la convention qui dès lors ne peut être requalifiée en contrat de travail. En outre, Monsieur [L] n’est pas fondé en ses demandes financières à titre de salaire ou de gratification.
Les demandes de requalification et de rappel de salaire ou de gratification de Monsieur [L] seront donc en voie de rejet.
De même, en l’absence de requalification en contrat de travail, la procédure de licenciement ne devait pas être mise en oeuvre par la société Sunny Asset Management. Toute demande formulée à ce titre est par conséquent rejetée.
Par ailleurs, il convient d’observer que le dispositif du jugement entrepris qui mentionne qu’il n’y a pas lieu de ‘ requalifier les relations de travail…’ quand précisément il se déduit de ses constatations qu’il n’entendait pas faire droit à aucune des requalifications sollicitées dans le sens de la reconnaissance d’un contrat de travail, résulte d’une simple maladresse de rédaction qu’il échet de rectifier.
Sur le travail dissimulé :
Monsieur [L] ne caractérise par l’intention de la société Sunny Asset Management de dissimuler du travail en application des dispositions des article L. 8221-1 et suivants du code du travail. Le jugement est encore confirmé sur ce point.
Sur le harcèlement moral :
Il résulte des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail qu’aucun salarié, ni stagiaire en milieu professionnel, ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, à l’appui de sa demande au titre d’un harcèlement moral, M. [L] invoque des pressions pour travailler le week-end de la part de Monsieur [C] ; les messages concernés sont les suivants :
– le dimanche 5 mai 2019: Monsieur [C] évoque un travail à réaliser mais n’impose aucune prestation précise à accomplir impérativement ce jour-là, indiquant : ‘ …Je m’y mets ; idéalement on compare Lundi / Mardi nos premières conclusions.’ ;
– le vendredi 6 décembre 2019 : Monsieur [C] ne contraint pas Monsieur [L] à accomplir un travail au cours du week-end lorsqu’il indique : ‘ Si tu cherches des idées de trade ce week-end, je veux bien un sumup de ce que raconte la Boc depuis 3 mois par ex : à mettre en // avec pa CAD et rates. Y a un trade la…’ ;
– le samedi 11 janvier 2020 : Monsieur [C] évoque des tweets de Monsieur [L] et le fait que ceux-ci doivent emprunter la voie du compte ‘Sunny’ sans aucune demande d’un travail à réaliser le week-end ni aucune pression à ce titre ; un autre message de Monsieur [C] indique : ‘ Yes. Je te laisse y réfléchir un peu ce week-end ‘ Je pars courir un peu 🙂 Have a nice week’, là-encore sans aucune pression ni aucune demande d’un travail à effectuer sauf une simple réflexion ne renvoyant à aucune mission précise ;
– le samedi 1er février 2020, Monsieur [C] ne fait aucune référence à un travail le week-end : ‘ Lundi on renvoie un update de notre ‘what caught our attention ok ” On continue à faire parler de nous !’ ;
– le vendredi 20 mars 2020 : il n’est pas demandé à Monsieur [L] de travailler ou même de se charger lui même d’un simple envoi le dimanche : ‘ On envoie Dimanche, les gens lisent’ ;
– en fin de stage, aucun message ne laisse supposer l’existence d’une pression pour que Monsieur [L] travaille gratuitement pour la société ; à l’inverse, la décision de refuser l’offre d’un contrat de travail à durée déterminée de trois mois renouvelable est communiquée par Monsieur [L] dans un climat serein, ce dernier remerciant son tuteur notamment pour l’expérience acquise.
L’existence des pressions alléguées n’est donc pas matériellement établie.
Si, en l’absence d’élément de nature médicale dont il devrait être tenu compte, les messages qui suivent, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral, l’employeur démontre que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En effet, Monsieur [L] indique que Monsieur [C] l’a humilié auprès de son collaborateur, Monsieur [Y], dans un tweet du 11 janvier 2020 dans lequel il écrit : ‘ si tu en peux plus, tu le shootes, t’es pas marié…j’alterne l’affect (5%) et le totalitaire (95%)…Il encaisse assez bien les coups de gueule.’ ; toutefois, la société Sunny Asset Management fait valoir à juste titre que le message s’insère dans une discussion privée entre les deux intéressés auxquels Monsieur [L] n’était pas associé et que celui-ci n’a pu connaître qu’en utilisant de manière détournée les accès au compte Linkedin de Monsieur [C] ; de plus, ce message, qui répond à celui de Monsieur [Y] qui lui confesse son inquiétude face au ‘zèle’ de Monsieur [L], met en évidence les qualités de celui-ci sauf un manque de recul, et ce, afin précisément d’apaiser la situation en faveur de Monsieur [L].
Concernant des commentaires désobligeants à son égard :
– si le message du 29 mars 2020 contient cette phrase : ‘ Bon écoute j’ai le temps de m’épuiser avec toi’, le contexte dans lequel ces propos ont été prononcés n’est pas précisé et ceux-ci ne révèlent pas en eux-mêmes une attitude déplacée de la part de Monsieur [C] qui se borne à exprimer une certaine lassitude et n’utilise ni la forme exclamative ni aucune formule outrancière, injurieuse ou manifestement excessive ;
– de même, s’agissant du message du 14 février 2020 et plus particulièrement des passages cités par Monsieur [L], si écrire, notamment, dans le cadre d’un rapport de tuteur à élève, que le second doit changer de job s’il est susceptible, n’apparaît pas pédagogiquement exemplaire, le caractère très spontané de l’échange ne saurait être considéré comme dysfonctionnel en soi, les propos mis en cause ne traduisant aucune animosité à l’égard de Monsieur [L], celui-ci fût-il affecté par la réaction de la personne qu’il admirait, ni aucune volonté de l’humilier, ce d’autant que l’origine de cette réaction était le reproche fait par Monsieur [L] de l’utilisation du terme ‘ putain’ par Monsieur [C], celui-ci lui précisant qu’il ne s’appliquait qu’à l’article objet de l’échange, soit les ’60k de +’ .
En conséquence, en l’absence de harcèlement moral, le jugement sera confirmé en ce qu’il déboute Monsieur [L] de sa demande formée de ce chef.
Sur la remise de documents :
Vu les développements qui précèdent, le jugement doit être confirmé en ce qu’il la rejette.
Sur les frais irrépétibles :
En équité, le jugement est infirmé quant aux frais irrépétibles et il n’y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile qu’au profit de la société Sunny Asset Management à laquelle il est alloué la somme de 1500 euros de ce chef pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Sur les dépens :
Les entiers dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de Monsieur [L], partie succombante.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant ;
Dit n’y avoir lieu aux requalifications sollicitées par Monsieur [J] [L].
Le déboute de l’ensemble de ses demandes.
Le condamne à payer à la société Sunny Asset Management la somme de 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le condamne aux entiers dépens de première instance et d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Juliette DUPONT, Greffier en pré-affectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER EN PRÉ-AFFECTATION, LA PRÉSIDENTE,