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23 février 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
19/06443
7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°73/2023
N° RG 19/06443 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QECN
Association CAT ARMOR
C/
M. [H] [N]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 FEVRIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 05 Décembre 2022
En présence de Madame Florence RICHEFOU, médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
ADAPEI 35 venant aux droits de l’Association CAT ARMOR
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Marie MLEKUZ de la SELARL SELARL LARZUL BUFFET LE ROUX PEIGNE MLEKUZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur [H] [N]
né le 12 Juin 1962 à [Localité 6] (22)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Comparant en personne, assisté de Me Emmanuel TURPIN de la SELEURL SELURL JURIS LABORIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO
EXPOSÉ DU LITIGE
L’association CatArmor dont le siège social est à [Localité 5] a pour but de permettre l’intégration des personnes en situation de handicap dans la vie sociale. Elle assure la gestion de six établissements et services, implantés sur trois sites à [Localité 5] et un site à [Localité 4], avec un effectif de plus de 90 salariés.
Le 27 mai 2013, M. [H] [N] a été engagé par l’Association CatArmor dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de Directeur de l’ESAT de 233 places, implanté à [Localité 5].
Le 1er juin 2016, M.[N] a été promu par avenant aux fonctions de Directeur des établissements et services Catarmor correspondant à l’ESAT, aux services Pôle accueil, accompagnement et hébergement. Il bénéficiait d’une large délégation des pouvoirs confiés par le Président de l’association.
Le salarié percevait en dernier lieu un salaire moyen de 6 304,17 euros brut par mois.
M.[N] a été placé en arrêt de travail pour maladie du 19 mars au 23 mars 2018.
Au cours d’une réunion du 22 mars 2018, Mme [G] en sa qualité de Présidente de l’association, a été alertée par trois directrices ajointes du comportement de plus en plus ‘préoccupant’ de M. [N] de nature à entraîner des conséquences sur le fonctionnement du service, et notamment sur son attitude à l’égard de Mme [C] [S], Directrice adjointe. Informée par ailleurs des difficultés de gestion des services générées par l’absence du Directeur en l’absence de subdélégations, la présidente de l’association a organisé des réunions et des auditions des protagonistes en présence de plusieurs administrateurs les 28 et 29 mars 2018.
À l’issue d’une période de congés du 4 au 16 avril 2018, M.[N] a été placé en arrêt de travail pour maladie jusqu’au 25 avril 2018, prolongé jusqu’au 31 mai 2018.
Le 27 avril 2018, la présidente de l’association a convoqué M.[N] à un entretien préalable au licenciement fixé au 25 mai 2019, avec mise à pied à titre conservatoire.
Lors d’une réunion du 30 mai 2018, le conseil d’administration de l’association a décidé de valider le principe du licenciement de M.[N].
Le 8 juin 2018, M. [N] s’est vu notifier son licenciement pour faute grave pour les griefs suivants :
1- une attitude déplacée envers Mme [S], Directrice adjointe, ayant des conséquences inacceptables sur le fonctionnement des services, se traduisant ‘depuis le début du mois de janvier 2018 par des propos déplacés et insistants avec l’envoi de mails, sms troublants et messages par un supérieur hiérarchique envers une salariée placée sous sa subordination dans le but d’obtenir d’elle des faveurs amoureuses et ce alors même qu’elle a tenté de repousser ses avances. (..) Depuis le 6 janvier, ce sont plus de 200 sms, mails, messages glissés sous le clavier de l’ordinateur de Mme [S] que vous lui avez adressés… (..) transmis la nuit, tôt le matin, tard en soirée et aussi parfois à des heures où ils sont, lui et Mme [S], en situation de travail. (..) En outre , au cours des mois d’avril et mai 2018, vous n’avez pas hésité à essayer de déstabiliser encore plus Mme [S] lui adressant des mails et sms culpabilisateurs , faisant état de ‘ perte de loyauté’ , de ‘ trahison’, de
‘ vengeance groupée notamment les 20 avril et 6 mai 2018. (..)au cours de l’entretien préalable, vous nous avez indiqué que cette situation était privée et qu’elle était terminée suite à l’échange du 17 mars 2018 qui y mettait un terme. Outre le fait que cette situation dépasse largement le cadre privé, force est de constater à la lecture des éléments remis par Mme [S] que la situation que vous minimisez est loin d’être réglée. Au surplus, un tel comportement de la part du plus haut cadre de direction de l’association n’est pas acceptable et ce d’autant plus que vous disposez :
– d’un pouvoir hiérarchique sur la salariée concernée,
– des connaissances nécessaires à la bonne compréhension de la situation et aux conséquences qu’elle peut engendrer sur les relations de travail, la santé de la salariée concernée, le fonctionnement de l’établissement et les risques contentieux tant sur le plan pénal que prud’homal,
– d’un devoir d’exemplarité à l’égard des autres salariés comme des usagers.
Ces faits constituent ainsi incontestablement une faute grave.
Ce n’est malheureusement pas la seule puisque, outre ce comportement extrêmement déplacé, d’autres fautes ont pu être relevées à votre encontre.’
2 – la mauvaise gestion des ressources humaines avec deux personnes à temps plein sur le même poste
‘ Nous avons découvert le 13 mars 2018 que Mme [M] et Mme [D], toutes les deux salariées protégées, sont embauchées en CDI à temps plein, sur un même poste de Moniteur Principal d’Activité ( MPA) au service Maintenance Hygiène des Locaux( MHL). Le 8 février 2018, vous avez reçu Mme [D] pour l’informer que vous n’envisagiez absolument pas à ce jour de lui substituer à ses fonctions un éventuel retour de Mme [M]. Le 27 mars 2018 à 8h40, vous recevez Mme [M] et lui annoncez oralement qu’elle ne réintègre pas son poste de Moniteur principal d’activité mais qu’elle est affectée à un poste de moniteur d’atelier polyvalent modifiant ainsi les conditions de responsabilité et de rémunération d’une salariée protégée.
Le 4 avril 2018, vous adressez un courrier à Mme [M] afin de lui confirmer sa réattribution de fonction sur le secteur MHL de monitrice principale d’activité, soit une rémunération identique à celle perçue avant le départ en formation.
Force est de constater que Mme [D] et Mme [M] se trouvent toutes les deux aujourd’hui affectées sur le même poste ce qui génère une situation difficile humainement tant pour elles que pour les travailleurs en situation de handicap de ce service. Interrogé sur ce point lors de l’entretien préalable, vous avez balayé ce reproche indiquant que la situation avait été traitée le 27 mars 2018 et l’organisation revue.
Pour autant en votre qualité de Directeur des établissements et des services, disposant à ce titre de tous les moyens nécessaires propres à éviter de telles situations, il vous appartenait d’empêcher l’apparition de celle-ci puis, lorsque vous vous en êtes aperçu, d’alerter immédiatement le bureau.
Cette situation est en effet source de nombreuses difficultés tant sur le plan financier ( déséquilibre budgétaire notamment dès lors que le budget de l’association ne permettait pas d’embaucher ces deux salariées sur un même poste) que sur le plan humain ( incompréhension des salariés, des usagers et des familles notamment), que source de contentieux potentiel sur un plan administratif, prud’homal ou pénal dès lors que les deux salariées concernées bénéficient d’une protection spécifique.
Un tel traitement des ressources humaines et la minimisation par vos soins, une fois encore, des faits qui vous sont reprochés, constituent une faute grave.’
3- Le management inapproprié
‘Lors de l’entretien du 27 mars 2018, Mme [M] atteste de votre attitude alors qu’elle refuse de signer un courrier relatif à sa reprise de travail sur un poste de monitrice d’atelier polyvalent.
Ses propos sont les suivants : ‘ face à mon refus, M.[N] s’est levé, très énervé en tapant du poing sur le bureau et m’a redemandé de signer, chose que j’ai refusée.’ ‘ je lui ai répondu que cela ne valait pas la peine de se mettre dans cet état là’.
Mme [M] nous indique qu’à 11H30, vous vous êtes présenté à l’atelier conditionnement liquide dans lequel elle travaillait pour sa première journée de reprise et précise alors vous concernant ‘ il s’est mis en retrait au fond de l’atelier sans m’adresser la parole et m’a observée quelques minutes. Il s’est ensuite dirigé vers le couloir où il est resté pour m’observer à nouveau. A 12h40, pendant ma pause, je suis allée consulter mon médecin et j’ai transmis ces informations au médecin du travail’.
Outre le fait qu’un tel comportement particulièrement violent n’est pas tolérable de la part d’un salarié quel qu’il soit, et encore moins de la part du Directeur des établissements et services, Mme [M] a très mal vécu votre comportement et perçu celui-ci comme une véritable forme d’intimidation particulièrement violente.
Vous n’avez fourni aucune explication lors de l’entretien préalable.
Un tel comportement n’est pas compatible avec des fonctions de direction et ce d’autant plus qu’il survient dans un contexte social précédemment tendu.’
4 – L’absence de subdélégations pour les cadres à l’exception de Mme [X], directrice-adjointe du pôle administratif et financier et la remise en cause du fonctionnement de l’association.
‘ Suite à vos congés du 4 au 16 avril 2018, puis à votre arrêt maladie prolongé à ce jour au 16 juin prochain, il a été constaté l’absence de subdélégations formalisées pour des directrices adjointes Mme [S] et Mme [R] ainsi que pour les chefs de service Mme [P] et M.[B], contrairement à ce que vous précisiez dans le mail du 3 avril 2018 à 11h30 : ‘ (..) Pour ce qui est des délégations chaque directeur adjoint a , en sa qualité, délégation et toute ma confiance en leur capacité professionnelle, pour le champ de compétence qui est le sien.'(..)’
Lors de l’entretien préalable, vous nous avez indiqué que, sauf pour Mme [X], il n’existe pas de subdélégations formalisées, reconnaissant ainsi votre manquement.
Ce défaut de subdélégations précises aux cadres de l’association est une réalité qui met les administrateurs dans l’obligation de gérer les établissements et services durant votre absence générant ainsi des difficultés supplémentaires tant en termes d’organisation que de lisibilité des interlocuteurs responsables, ceci pour les salariés, les usagers mais également nos partenaires.
Ce manquement ainsi que le déni initial de la réalité et plus encore, la remise en cause des compétences et de l’autorité des administrateurs et de la présidente ( notamment pour exemple par mails des 10,16, 19 et 25 avril 2018) entrave le bon fonctionnement de l’association.
Toutes ces fautes commises, prises isolément ou dans leur ensemble, sont constitutives d’une faute grave et ce d’autant plus au regard de votre position hiérarchique, du contexte et de l’activité liée à un établissement médico-social ‘ accueil et accompagnement de personnes en situation de handicap’ sous contrôle des services des organismes de contrôle du Conseil Départemental et de l’Agence Régionale de Santé.
Compte tenu de la gravité de ces fautes prises isolément ou dans leur ensemble, et de leurs conséquences, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible. Le licenciement pour faute grave prend donc effet immédiatement ( ..) ”
***
Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Malo par requête en date du 29 août 2018 afin de voir :
A titre principal :
– condamner l’association à lui verser une somme de 6 304,17 euros à titre d’indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement,
– condamner l’association à lui verser la somme de 37 825,02 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre subsidiaire :
– Requalifier en faute simple la faute grave reprochée au salarié,
En tout état de cause,
– Condamner l’association CatArmor à lui payer les sommes suivantes :
– 37 825,02 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre
3 782,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents,
– 34.862,06 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– Ordonner à l’association CatArmor d’avoir à lui remettre les bulletins de salaire rectifiés, certificat de travail, attestation Pôle Emploi et solde de tout compte rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 15ème jour suivant la décision à intervenir,
– Outre exécution provisoire, article 700 du code de procédure civile et dépens.
L’association Cat Armor a demandé au conseil de prud’hommes de rejeter l’ensemble des demandes de M.[N] et le condamner au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par jugement en date du 13 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Saint-Malo a :
– Dit et jugé que la procédure de licenciement est régulière et que le licenciement de M. [N] est sans cause réelle et sérieuse.
– Fixé le salaire brut de M. [N] 6 304,17 euros sur la base de la moyenne des trois derniers mois
– Condamné l’association Cat Armor à payer à M.[N] les sommes suivantes:
– 37 825,02 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de 3 782,50 euros d’indemnité de congés payés afférents.
– 34 862,06 euros an titre de l’indemnité de licenciement
– 28 368 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– Ordonné la délivrance des bulletins de salaire rectifiés, du certificat de travail, de l’attestation pôle emploi et du solde de tout compte, conformément à la présente décision, sous un délai de un mois à compter du prononcé du jugement, sans astreinte.
– Condamné l’association CatArmor à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– Débouté les parties de leurs autres demandes et demandes reconventionnelles.
– Condamné l’Association CatArmor à supporter les entiers dépens de l’instance.
L’association Cat Armor a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 26 septembre 2019.
Parallèlement, l’association Cat Armor a fait l’objet d’une fusion absorption par l’association ADAPEI 35 le 12 juillet 2019.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 24 octobre 2022, l’Association Adapei 35 venant aux droits de l’association CatArmor demande à la cour de :
– Confirmer le jugement en ce qu’il a dit non prescrits les faits fondant le licenciement de M.[N],
– Infirmer le jugement en ce qu’il a :
‘ Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
‘ Fixé le salaire mensuel moyen à hauteur de 6 304,17 euros,
‘ Condamné l’association CatArmor à payer à M.[N] les sommes de :
– 37 825,02 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 3 782,50 euros au titre des congés payés sur préavis,
– 34 862,06 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 28 368 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ Ordonné la délivrance des bulletins de salaire rectifiés, du certificat de travail, de l’attestation Pôle Emploi et du solde de tout compte, conformément aux termes du jugement, sous un délai d’un mois à compter du prononcé du jugement, sous astreinte,
‘ Condamné l’association CatArmor à payer à Monsieur [N] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Débouté l’association CatArmor de sa demande tendant à voir Monsieur [N] condamné à lui payer une somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamné l’association CatArmor aux dépens,
En conséquence :
-A titre principal :
– Dire que le licenciement notifié pour faute grave par courrier du 8 juin 2018 est bien-fondé,
– Rejeter l’ensemble des moyens, fins et conclusions de Monsieur [N],
– Condamner M. [N] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de première instance et aux entiers dépens de première instance,
– A titre subsidiaire et si la cour venait à considérer que le licenciement ne repose pas sur une faute grave:
– Fixer le salaire mensuel moyen des trois derniers mois à hauteur de 5 378,99 euros brut,
– Réduire en conséquence à de plus justes proportions les sommes allouées à Monsieur [N],
– Confirmer le jugement en ce qu’il a dit la procédure de licenciement régulière,
– Rejeter l’ensemble des demandes,
– Condamner M.[N] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et aux entiers dépens.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 24 octobre 2022, M. [N] demande à la cour de :
– Confirmer le jugement;
A défaut, en cas d’infirmation du jugement en ce qu’il a retenu l’absence de faute grave de Monsieur [N], statuant à nouveau,
– Dire et juger irrégulière la procédure de licenciement suivie par l’association CatArmor, aux droits de laquelle vient l’association Adapei 35 ;
– Condamner en conséquence l’association Adapei 35 au paiement d’une indemnité de 6 304,17 euros;
– Constater la prescription des faits reprochés ;
– Déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave dont a fait l’objet Monsieur [N], les faits étant prescrits ;
– Condamner l’association Adapei 35 à verser à Monsieur [N] la somme de 37 825,02 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
A titre subsidiaire, requalifier en faute simple la faute grave reprochée à M.[N] ;
En tout état de cause :
– Condamner l’association Adapei 35 au paiement :
– d’une indemnité compensatrice de préavis de 37 825,02 euros, outre 3 782,50 euros pour les congés payés afférents ;
– d’une indemnité de licenciement de 34 862,06 euros;
– Ordonner à l’association Adapei 35 de lui remettre les bulletins de salaire rectifiés ainsi qu’un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et un solde de tout compte conformes à la décision à intervenir, le tout sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision à intervenir ;
– Condamner l’association Adapei 35 au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux éventuels dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 25 octobre 2022 avec fixation de l’affaire à l’audience du 05 décembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la régularité de la procédure de licenciement
M.[N] soutient que la procédure de licenciement est irrégulière en ce que la décision de le licencier était prise par la Présidente de l’association avant l’entretien préalable du 25 mai 2018, en ce qu’elle avait déjà informé au préalable devant de nombreux tiers des fautes reprochées au salarié et annoncé que le comportement du salarié ne permettrait pas son maintien dans l’association ; qu’elle a par la suite organisé un simulacre d’instruction lors des réunions du conseil d’administration ;que les procès-verbaux des réunions ne sont d’ailleurs pas signés par les participants et ont été établis par la seule présidente ; que des administrateurs ont fait part de leurs doutes sur les faits reprochés au Directeur et certains ont démissionné en réaction de l’attitude de Mme [G]. Il conclut à l’infirmation du jugement qui l’a débouté de sa demande en paiement d’une indemnité de 6 304,17 euros pour irrégularité de la procédure de licenciement.
L’association Adapei 35 rétorque que le conseil d’administration n’a envisagé la mise en oeuvre d’une procédure de licenciement du Directeur, qu’à l’issue des auditions et investigations menées pour faire le point sur les dysfonctionnements dénoncés ; que la décision de le licencier n’était pas arrêtée le 24 avril 2018 mais seulement envisagée, que ce n’est que lors de la réunion du 30 mai 2018, soit 5 jours après l’entretien préalable que le conseil d’administration a pris la décision de procéder au licenciement du salarié après une discussion et un vote à bulletin secret; que la procédure de licenciement a été régulièrement mise en oeuvre.
C’est à juste titre, en l’absence d’éléments nouveaux, et pour des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu la régularité de la procédure de licenciement et jugé que la décision de rupture du contrat de travail a été prise après l’entretien préalable du 25 mai 2018. Le conseil a procédé à une analyse exacte des pièces produites dont il résulte que l’association a procédé à un certain nombre d’investigations et d’auditions afin d’apprécier l’existence et la gravité des faits reprochés à M.[N], avant d’initier le 26 avril 2018 une procédure disciplinaire à l’encontre de M.[N] et d’organiser l’entretien préalable le 25 mai 2018. Il est observé au surplus que la décision de licencier le salarié a été prise de manière collégiale par les membres du conseil d’administration ; qu’il n’est pas justifié que cette décision ait fait l’objet d’une quelconque contestation à l’issue d’un vote qui s’est déroulé à bulletin secret et à l’unanimité lors de la réunion du 30 mai 2018. Les éléments fournis par M.[N] ne fournissant aucun élément sérieux à l’appui de ses allégations quant à une prétendue ‘ mascarade’ destinée à dissimuler la prise de pouvoir par Mme [G], sa demande d’indemnité pour licenciement irrégulier sera rejetée par voie de confirmation du jugement.
Sur le licenciement pour faute grave
1- Sur la prescription des faits
M.[N] conclut à l’infirmation du jugement qui a écarté le moyen tiré de la prescription des faits qui lui étaient reprochés, en ce que l’association avait organisé un premier entretien le 28 mars 2018 avec le salarié, au cours duquel la présidente lui a fait part d’un certain nombre de griefs, soit plus de deux mois avant l’envoi de la lettre de licenciement du 8 juin 2018; que la prescription était donc acquise à cette date.
L’association Adapei 35 réplique que l’entrevue du 28 mars 2018 avec le salarié ne constituait que l’audition de M.[N] suite à la dénonciation de la situation faite le 22 mars 2018 par des cadres placées sous sa responsabilité directe , correspondant tant à l’insistance amoureuse de M.[N] envers l’une de ses directrices adjointes que le bon fonctionnement du service; que l’engagement de la procédure disciplinaire exigeait de recueillir la parole des différents protagonistes afin d’établir la réalité et la gravité des faits reprochés. Elle ajoute au surplus avoir respecté le délai des deux mois suivant la révélation des faits du 22 mars 2018, en ce qu’elle a initié la procédure disciplinaire le 27 avril 2018, l’engagement des poursuites disciplinaires correspondant à la convocation du salarié à l’entretien préalable.
C’est à juste titre que le conseil a jugé non prescrits les faits invoqués dans la lettre de licenciement en ce que les pièces produites révèlent que l’employeur n’a eu connaissance des faits litigieux qu’à l’occasion d’une réunion du 22 mars 2018 des cadres en présence de la Présidente de l’association , durant l’arrêt de travail pour maladie de M.[N]; que le délai de deux mois prévu par l’article L 1332-4 du code du travail n’était pas expiré lorsque l’employeur a engagé la procédure disciplinaire en convoquant le salarié le 27 avril 2018 à un entretien préalable.
Le moyen tiré de la prescription des faits soulevé par le salarié sera donc rejeté.
2- Sur les motifs du licenciement
L’association Adapei 35 demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a considéré à tort que les faits reprochés au salarié n’étaient pas constitutifs d’une faute grave ni d’une faute simple alors que :
– les correspondances échangées entre M.[N] et Mme [S], remises spontanément par la salariée pour justifier du comportement de son supérieur hiérarchique à son égard et de sa réelle souffrance, ne constituent pas des moyens de preuve illicites dans la mesure où la violation du secret des correspondances alléguée par M.[N] est largement proportionnée à la protection légitime des intérêts de l’entreprise résultant de l’obligation pour l’association d’assurer la santé et la sécurité de ses salariés et de permettre le bon fonctionnement de ses services.
– le contexte était tel au sein de l’association que Mme [S] se trouvait dans l’impossibilité de couper toute relation avec M.[N], du fait de ses fonctions de Directeur de l’établissement, et de l’éconduire brutalement malgré le caractère insistant et répété de ses messages sur ses téléphones personnel et professionnel et ses mails personnels ou professionnels, à toute heure du jour ou de la nuit. que certains messages étaient déposés sous le clavier de son ordinateur professionnel durant le temps de travail ou en dehors; que bien qu’il ait été éconduit une première fois en janvier 2018, il renouvelait ses demandes insistantes.
– alors qu’il appartenait à M. [N], en sa qualité de cadre disposant des délégations de pouvoir de la Présidente, de veiller à la protection des conditions de travail de la salariée et d’assurer sa santé et sa sécurité, le salarié a adopté un comportement inadapté envers sa Directrice adjointe et a entretenu la confusion entre sphère privée et sphère professionnelle avec une subordonnée, manquant ainsi à ses obligations contractuelles.
– le comportement de M.[N] n’a pas manqué de créer un trouble important au sein de l’association et plus particulièrement parmi les cadres de la direction, qui ont alerté la présidente le 22 mars 2018.
– la situation ne s’est pas apaisée après l’audition de M.[N] fin mars 2018, le salarié continuant de contacter Mme [S] par des propos culpabilisants, notamment le 25 mai 2018 après l’entretien préalable.
– la réalité et la gravité du comportement de M.[N] envers Mme [S], malgré la banalisation de la situation par le salarié, sont confortées, à la suite de la plainte pour harcèlement moral déposée par Mme [S], par les motifs du jugement de condamnation du salarié de ce chef, rendu par le tribunal correctionnel de Saint Malo du 3 septembre 2020, dont l’appel est en cours.
– concernant le second grief lié à une mauvaise gestion des ressources humaines, M.[N] a pris des engagements envers une salariée remplaçante Mme [D] sur le poste de Mme [M], durant le congé de formation de cette dernière, de sorte qu’au retour de Mme [M], les deux salariées se trouvaient affectées sur le même poste compte tenu du refus de Mme [M] de modifier son contrat de travail, impliquant une qualification inférieure et une baisse de rémunération. Ces faits relèvent d’un comportement fautif du salarié à l’origine de cette situation difficile au regard notamment de la qualité de salariée protégée de Mme [M] et de l’absence de financements et de besoin d’un second poste.
– le troisième grief lié au management inapproprié correspond au comportement violent et inadapté de M.[N] envers Mme [M] lorsqu’elle a refusé la proposition de modifier son contrat de travail.
– le dernier grief sur l’absence de subdélégations dont la réalité est établie par les pièces produites et l’aveu de M.[N] dans ses conclusions de première instance présente un caractère de gravité en ce qu’il empêchait le bon fonctionnement de l’association en cas d’absence du Directeur. Il lui est également fait grief d’avoir menti en affirmant auprès de la Présidente que les subdélégations existaient au profit des cadres.
– les faits avérés sont d’une particulière gravité et justifient le licenciement pour faute grave de M.[N].
M. [N] soutient que les griefs à l’appui de son licenciement pour faute grave reposent soit sur une déformation grossière quant à la nature des relations entretenues avec Mme [S] soit sur des motifs factices en ce que:
– concernant le premier grief, il s’agissait d’une relation interpersonnelle entretenue depuis janvier 2018 avec Mme [S] au cours de laquelle M.[N] lui a déclaré ses sentiments amoureux à laquelle l’intéressée lui a répondu ne pas les partager mais accepter son amitié.
– l’attestation de Mme [S] non conforme aux dispositions légales sera écartée des débats.
– ses correspondances privées échangées avec Mme [S] ne peuvent pas être utilisées par l’employeur pour lui infliger une sanction, peu importe le respect ou non d’une certaine proportionnalité de l’atteinte au regard des intérêts de l’entreprise. Le contenu des messages étant d’ordre privé, les pièces produites par l’employeur seront donc écartées.
– les messages transmis fin mai 2018 ont été envoyés à Mme [S] dans un contexte de souffrance psychologique extrême pour le salarié, alors que son licenciement était déjà acquis et connu de tous, sur fond de tentative de suicide qui aurait sans doute abouti sans l’intervention de son épouse.
– sa prétendue faute ne reposant que sur des éléments tirés de ses correspondances personnelles, qui doivent être écartés, le licenciement pour faute grave n’était pas fondé.
– dans l’hypothèse même où un trouble objectif serait constaté, les faits reprochés en lien avec sa vie privée ne constituent pas une violation grave de ses obligations contractuelles.
– à propos du second grief, il conteste toute erreur de gestion dans le règlement de cette affaire estimant qu’il s’agit, non pas d’un motif disciplinaire, mais d’un motif de licenciement pour insuffisance professionnelle. Il fait valoir que l’association ne s’est pas retrouvée dans une situation embarrassante avec deux salariées sur le même poste à l’exception d’une période de quelques jours afin d’organiser la réintégration de Mme [M] dans son poste à l’issue d’un congé de formation ; que la solution a été trouvée finalement après le départ en congés du Directeur avec une réaffectation de Mme [D].
– à propos de son management qualifié d’inapproprié, il conteste tout emportement de sa part envers Mme [M] laquelle opposait son refus de signer une proposition de modification de son contrat de travail. Il dément les pressions dénoncées par la salariée et invoque le caractère mensonger de l’attestation de Mme [M].
– s’agissant de l’absence de subdélégations, il fait valoir que deux directrices adjointes bénéficiaient d’une subdélégation de pouvoirs, ce qui était suffisant pour assurer le fonctionnement normal de l’association pendant son absence ; qu’en tout état de cause, il incombait à la Présidente de prendre les décisions nécessaires ; qu’au surplus, la subdélégation au profit des cadres ne constituait pas une obligation mais une simple faculté pour le Directeur ; que la présidente pouvait par ailleurs prendre les décisions nécessaires voire transférer temporairement les pouvoirs à un suppléant désigné dans une annexe de la délégation de pouvoirs, non produite aux débats, conformément à la précédente délégation consentie aux cadres par le précédent Président M. [O].
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.
Aux termes de la lettre de licenciement du 8 juin 2018 qui fixe les limites du litige, l’employeur reproche à M. [N] les manquements suivants:
1- une attitude déplacée envers Mme [S], Directrice adjointe,ayant des conséquences inacceptables sur le fonctionnement des services.
L’association verse aux débats :
– un courrier établi et signé le 3 octobre 2018 par Mme [C] [S] exerçant les fonctions de Directrice adjointe du Pôle socio éducatif de l’ESAT ( pièce 4) dénonçant les pressions subies de la part de son supérieur hiérarchique M.[N], ‘à partir du début du mois de janvier 2018 lorsqu’il s’est déclaré amoureux d’elle et qu’il lui a transmis par la suite une série de messages sms, Mms, mails et courriers . Bien qu’elle ait repoussé les avances de M.[N] à plusieurs reprises, en prenant soin de rester correcte dans les propos employés, en les mesurant et en tenant compte du fait que M.[N] traversait des moments difficiles notamment avec le décès de sa belle-fille et qu’il exprimait les difficultés dans le cadre de sa fonction de Directeur. Malgré cela, M.[N] a persisté. Mme [S] explique qu’elle ne savait plus que faire, ne pas savoir porter assistance à personne en danger quand M.[N] parlait d’un passage à l’acte ou bien révéler la situation mais au risque de mettre l’association en grande difficulté. De plus, elle évoquait sa crainte des représailles de par le rôle de supérieur hiérarchique de M.[N]. ‘ j’avais également très peur, peur pour tout : mon travail, mes enfants, les conséquences de dévoiler la situation dans un climat social déjà très tendu. Après une altercation téléphonique avec M.[N] le 17 mars 2018 où je lui expliquais ne plus savoir et pouvoir gérer cette situation, M.[N] a choisi de me mettre à l’écart des informations nécessaires à l’exercice de son travail. (..)Au regard de cela , j’ai informé les deux Directrices adjointes Mme [R] et Mme [X] de ce qui se passait et nous avons informé le conseil d’administration de cette situation le 22 mars 2018. Pour permettre au CA de mesurer la situation, j’ai transmis les documents en ma possession : messages, mails et courriers. Devant la gravité de la situation, j’ai également pris les mesures nécessaires pour me protéger et pour protéger mes enfants.’
– une attestation établie le 1er mai 2019 par Mme [S] confirmant en tous points les termes de son courrier du 3 octobre 2018.( Pièce 65)
La demande de M.[N] tendant à voir écarter le témoignage de Mme [S] dans son courrier du 3 octobre 2018, en l’absence des mentions légales prescrites et de production de sa pièce d’identité, n’est pas justifiée au regard de la nouvelle attestation délivrée le 1er mai 2019, conforme aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, lesquelles ne sont pas prescrites à peine de nullité, tandis qu’il n’est pas justifié d’un quelconque grief, le salarié ayant eu toute latitude de répondre au témoignage litigieux dans le cadre du débat contradictoire.
– un procès-verbal de constat établi le 14 septembre 2018 par Me [A] huissier de justice ( pièce 23), ayant constaté la présence de nombreux messages sms laissés sur le téléphone portable personnel de Mme [S] et sur son téléphone professionnel en provenance des téléphones de M.[N] : la première liasse des messages envoyés entre le 6 janvier 2018 et le 17 mars 2018 sur son téléphone personnel représente 48 pages, la seconde liasse de messages envoyés entre le 26 mars 2018 et le 25 avril 2018 sur son téléphone professionnel représente 15 pages, et la troisième liasse des messages envoyés le 14 mai 2018 sur son téléphone professionnel représente 4 pages.
– trois mots dactylographiés, dont deux signés ‘[H]’, retrouvés sur le bureau de Mme [S] (pièce 24) exprimant ses sentiments amoureux ainsi que ses ‘tourments’, faute pour l’intéressée de répondre à ses propositions.
– le témoignage de Mme [G], ancienne administratrice bénévole de l’association Catarmor de 2005 à 2019 et présidente de l’association de juillet 2017 à septembre 2019 : le 22 mars 2018, elle a rencontré, sur leurs demandes en urgence les trois Directrices adjointes Mme [R], Mme [S] et Mme [X], alors que M.[N] était hospitalisé (pour un infarctus) depuis le 20 mars. Elle a ainsi découvert la situation préoccupante rapportée par Mme [S] ‘placée dans une situation de stress du fait du comportement de M.[N], embourbé dans une relation amoureuse non consentie et qui poursuivait sa directrice-adjointe sur son temps professionnel’ . Cette situation se révélait au surplus dans un climat social très difficile depuis plusieurs mois avec des tensions et des mouvements de grève, en lien avec une dénonciation des accords collectifs, la remise en cause des plannings, la suppression des congés trimestriels, des revendications salariales et des discussions compliquées avec les IRP.
– le jugement du tribunal correctionnel de Saint Malo rendu le 3 septembre 2020, frappé d’appel (pièce 72) rapportant les auditions des témoins et des parties lors de l’audience :
– de Mme [R] Directrice adjointe rapportant avoir vu Mme [S] en pleurs le 13 février 2018 en évoquant ‘ un point de désaccord avec M.[N]’, avoir appris par Mme [S] en mars 2018 qu’elle ‘ avait envoyé balader le 17 mars M.[N] parce qu’il ne la lâchait pas nuit et jour’. Elle se souvenait alors qu’ ‘à partir de janvier 2018, [C] ( [S]) a commencé à me coller . J’ai trouvé ça bizarre mais je n’ai pas fait le lien’
– de Mme [X] Directrice adjointe déclarant avoir eu l’impression que lors des échanges avec son Directeur, ce dernier souhaitait lui faire croire qu’il entretenait une relation privilégiée avec Mme [S] et que celle-ci ‘était gênée lors de réunions alors qu’il lui parlait en aparté’.
– de Mme [G] Président de l’association indiquant avoir ressenti le 22 mars 2018 un ‘ véritable appel au secours ‘ de Mme [S].
– de M.[N] qui n’a pas contesté lors de son audition par les services enquêteurs l’envoi des messages à Mme [S] , s’agissant d’une relation privée, mais interrogé sur son insistance alors que Mme [S] avait refusé ses avances, il répondait ‘ Parce qu’on ne s’avoue pas vaincu comme ça. Et puis elle continuait à y répondre et je considérais que ce n’était pas une fin de non-recevoir.’
– un extrait des conclusions de M.[N] n°2 en première instance ( pièce 66) reconnaissant que ‘s’il a déclaré ses sentiments amoureux à Mme [S] en janvier 2018, celle-ci lui a indiqué à cette occasion ne pas ressentir la même chose, leur relation n’allant pas au-delà de l’amitié(..) C’est dans ce cadre que de nombreux échanges, par l’intermédiaire de sms et de mails, ont pris place entre les deux salariés, M.[N] continuait de faire part de ses sentiments à Mme [S] dans l’espoir que ses propres sentiments à son égard évoluent.(..) Ce n’est que de manière très occasionnelle que des messages écrits ont pu être laissés par M.[N] dans le bureau de Mme [S] . Ces messages écrits à l’avance relèvent eux aussi de la sphère de la vie privée et ne venaient causer aucun ralentissement de l’activité professionnelle.’
– le compte-rendu de la réunion du 29 mars 2018 en présence de Mme [G], Mme [S], de M.[N], des deux autres directrices-adjointes ( Mme [R] et Mme [X]) et de quatre administrateurs de l’association, aux termes de laquelle est évoquée la situation ‘indésirable’ entre Mme [S] et M.[N] après que le Directeur lui ait avoué qu’il était amoureux d’elle le 5 janvier 2018 et qu’elle ait refusé ses avances, tout en lui consentant des liens d’amitié, mais Mme [S] ayant constaté le comportement intrusif de M.[N], voulant savoir si elle a une personne dans sa vie et lui demandant à plusieurs reprises de la rencontrer dans un cadre hors du travail, elle a manifesté une attitude très ferme le 17 mars 2018 en refusant de répondre à ses questions et en prenant ses distances. Elle constate par la suite que M.[N] ‘ soufflait le chaud et le froid’ en lui adressant d’une part un mail sur la boîte professionnelle pour l’informer qu’il est malheureux de la situation et qu’il ‘ne pouvait la considérer que comme une simple collègue et qu’elle valait bien plus que cela’, et d’autre part en indiquant à Mme [R] Directrice adjointe qu’il ‘devenait difficile de travailler avec Mme [S].’
Lors de cette réunion, Mme [S] et ses deux collègues Mme [X] et Mme [R], très affectées, faisant le constat d’une relation de confiance déteriorée avec le Directeur et inquiètes pour l’avenir de l’association, ont été autorisées à faire valoir leur droit de retrait dans les jours à venir en raison de leur état de fragilité et du désarroi exprimé ( pleurs) à l’issue de leurs auditions du 22 mars et du 29 mars 2018. Mme [S] a également rappelé lors de cette réunion des événements douloureux vécus lors du suicide de son collègue en juillet 2012.
Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas en principe justifier un licenciement disciplinaire à moins qu’il ne se rattache à sa vie professionnelle et constitue un manquement à l’obligation découlant de son contrat de travail.
Si la retranscription des messages adressés par M.[N] avec la mention ‘ Personnel’ destinés à Mme [S], s’agissant d’une correspondance amoureuse exprimée par le salarié à partir de sa messagerie et de son téléphone professionnels, seront écartés des débats en ce qu’ils sont de nature à contrevenir aux dispositions relatives au secret des correspondances même s’ils ont été transmis à l’employeur par la destinataire, il résulte des autres pièces précises et concordantes du dossier, notamment des témoignages de Mme [S], de ses deux collègues et de la présidente de l’association, recueillis durant la procédure prud’homale et durant l’audience correctionnelle, et des procès-verbaux des réunions ayant suivi les plaintes de la salariée, que M.[N] a adopté un comportement déplacé et humiliant envers Mme [S] malgré le refus opposé par l’intéressée, ce qu’il ne conteste pas, se traduisant par des demandes insistantes sur le lieu et le temps de travail pour entretenir une relation amoureuse avec elle.
Le salarié ne peut utilement arguer de ce que le contenu des messages rédigés par M.[N] relèvent de sa vie privée, dès lors qu’ils ont été émis par l’intéressé au temps et au lieu de travail et déposés sous le clavier de l’ordinateur professionnel de Mme [S], ce qui suffit à caractériser le lien existant entre le comportement adopté et son activité professionnelle. Les éléments de fait versés aux débats révèlent l’instauration d’un climat de pressions, de discours culpabilisateur et de domination envers sa subordonnée dont le refus de céder aux avances était parfaitement connu de M.[N], lequel ne voulait ‘pas s’avouer vaincu’ dans l’espoir de faire évoluer les sentiments de Mme [S] qui entendait le maintenir seulement pour un ami.
La réalité de la souffrance morale éprouvée par Mme [S] en raison des attitudes pressantes de M. [N] est établie au travers des différents témoignages décrivant la salariée stressée, angoissée par la situation et ‘en pleurs ‘ lors de l’entretien du 29 mars 2018, la salariée expliquant dans son courrier du 3 octobre 2018 qu’elle était tiraillée entre sa volonté de ne pas éconduire brutalement M.[N] au regard des ‘ moments difficiles’ évoqués par ce dernier (décès de sa belle-fille) et des tensions liées à ses fonctions, sa volonté de révéler les faits dans un contexte social dégradé et sa crainte des représailles pour son emploi. Le fait, non contesté par M.[N], que Mme [S] ait été amenée de manière ponctuelle à cette période à solliciter de pouvoir travailler sereinement à domicile en évitant les contacts avec le Directeur témoigne de la détérioration de ses conditions de travail. Enfin, la crainte des représailles exprimée par Mme [S], s’est manifestée, après son ‘altercation téléphonique’ du 17 mars 2018 avec M.[N] et son refus d’être contactée sur son téléphone personnel, par sa ‘mise à l’index lorsque le Directeur a critiqué ouvertement son travail devant une collègue Mme [R] et qu’il a informé le 20 mars 2018 l’ensemble des cadres de direction, à l’exception de Mme [S], de son absence momentanée à la suite d’une hospitalisation afin de le remplacer. Ces éléments établissent, malgré les dénégations du salarié, l’existence des troubles objectifs dans le fonctionnement du service ainsi que leur lien avec le comportement déplacé et différencié du Directeur envers l’une de ses Directrices adjointes.
M.[N] qui se borne à banaliser son comportement envers Mme [S] dans une sphère privée en occultant totalement le lien de subordination existant entre eux et la persistance de ses agissements sur le lieu et le temps de travail, ne produit quant à lui aucune pièce de nature à contredire utilement les témoignages et pièces produites par l’employeur. L’attestation de M.[O], ancien Président de l’association ( 2011-2016) à l’origine du recrutement de M.[N], ne présente que peu d’intérêt en ce qu’il n’a constaté personnellement aucun fait en lien avec le litige. Le témoignage de M.[K] administrateur bénévole durant la période en cause, se disant surpris par l’animosité de la Présidente envers M.[N] et des accusations jugées ‘outrancières’ à son encontre, a eu l’impression que la Présidente avec l’aide de nouveaux administrateurs ont cherché à monter une cabale à l’encontre du Directeur, à l’époque opposant à l’absorption de l’association par une association plus importante. Toutefois, le témoin se disant également opposant au projet de fusion de l’association, n’a rapporté aucun fait en lien avec les griefs invoqués à l’encontre du salarié, notamment sur les relations du Directeur avec ses subordonnées.
Alors que M.[N] était tenu, en sa qualité de Directeur des établissements et services de l’association depuis le 1er janvier 2016 dans le cadre d’une délégation de pouvoirs consentie depuis le 25 septembre 2017 par la Présidente, de veiller à l’application et au respect des dispositions légales résultant du code du travail en préservant et en assurant la sécurité physique et morale des salariés, le comportement déplacé et insistant du salarié envers une subordonnée hiérarchique, sur le lieu et durant le temps de travail, dans le but d’entretenir une relation amoureuse en dépit du refus manifesté par celle-ci, constitue un manquement à ses obligations découlant de son contrat de travail. La matérialité du premier grief est établie contrairement à ce qu’a jugé le conseil.
2 – la mauvaise gestion des ressources humaines avec deux personnes à temps plein sur le même poste
Il résulte des pièces produites que Mme [M], salariée protégée, occupant un poste de Monitrice Principale d’activité, est revenue le 27 mars 2018 d’une formation à l’issue d’une période d’absence de 6 mois ; que son poste avait été attribué entre-temps le 15 mars 2018 de manière définitive par M.[N] à Mme [D], salariée ayant remplacé la titulaire depuis le mois d’octobre 2016 et occupant précédemment des fonctions de Monitrice d’atelier; que Mme [M] a refusé la proposition de M.[N] de voir modifier son contrat de travail entraînant une baisse corrélative de sa rémunération et de ses indemnités; que Mme [D] titulaire d’un mandat de salariée protégée a été maintenue à son poste.
Sans contester la matérialité des faits, M.[N] a expliqué qu’il avait résolu avant son départ en congés fin mars 2018 la situation sans apporter plus d’éléments sur les solutions.
Toutefois, les allégations du salarié sont formellement contredites par les pièces produites et notamment par le procès-verbal de réunion du conseil d’administration du 9 avril 2018 ( pièce 15) dont il résulte que ‘la situation n’est pas tenable’ avec deux salariées sur le même poste alors qu’il n’y a pas de besoin de deux Monitrices Principales d’Activités ; qu’au surplus, Mme [M] a sollicité le rétablissement de ses indemnités et astreintes liées à ses fonctions contractuelles ainsi que le maintien de l’attribution d’un véhicule de fonction; qu’une solution éventuelle a été évoquée lors de cette réunion par les directrices adjointes et par les chefs de services afin de proposer un échange de poste de Mme [M] avec un autre salarié souhaitant intégrer l’ESAT.
Si M.[N] disposait en vertu de la délégation de pouvoirs de la Présidente du pouvoir de recrutement des contrats de travail à l’exception des cadres hiérarchiques, force est de constater qu’il était tenu d’informer la présidente et le Conseil de direction, se réunissant chaque semaine, des difficultés posées dans le domaine de la gestion des ressources humaines. En affectant une salariée sans son accord préalable sur un poste de moindre qualification, sans prise en compte des répercussions financières pour l’association dont le budget, en difficultés, ne permettait pas d’embaucher ces deux salariées sur un même poste et des risques encourus par l’employeur sur le plan prud’homal, les deux salariées concernées bénéficiant d’une protection liée à leur mandat électif, M.[N] a manqué gravement à ses obligations résultant de son contrat de travail ainsi qu’à son obligation de loyauté envers les représentants de l’association qu’il n’a pas tenu informés.
Ce grief est donc établi.
3- Le management inapproprié
Le salarié se voit reprocher son comportement agressif le 27 mars 2018 à l’égard de Mme [M], occupant un poste de Monitrice principale, qui a opposé un refus à la proposition du Directeur à son retour de formation de changer de fonction de monitrice d’atelier, avec perte d’indemnité de responsabilité et de mise à disposition d’un véhicule.
L’employeur se fonde sur le témoignage précis et circonstancié de Mme [M] selon laquelle:
– le 27 mars 2018, avant sa reprise d’activité à 8h40, M.[N] lui a demandé de venir dans son bureau et lui a demandé de signer un document l’informant de son changement de fonction de monitrice d’atelier au lieu de monitrice principale; que M.[N] mécontent du refus opposé par la salariée de signer le document, ‘s’est levé et, très énervé en tapant du poing sur le bureau et en lui redemandant de signer en haussant le ton. La salariée, maintenant sa position de refus, lui a dit que’ cela ne valait pas la peine de se mettre dans cet état-là’ ; qu’avant de conclure l’entretien, il s’est montré menaçant en lui indiquant qu’elle allait recevoir ce courrier en recommandé et que leurs relations n’allaient plus être comme avant; qu’en fin de matinée, M.[N] s’est présenté sur l’atelier sur le site de l’ESAT de [Localité 4] où elle travaillait pour la première journée, qu’il s’est mis en retrait de l’atelier sans lui adresser la parole et l’a observée quelques minutes avant de se diriger vers le couloir pour l’observer à nouveau. Mme [M] explique qu’elle a consulté son médecin traitant et alerté le médecin du travail. Son collègue M.[F], a confirmé que M.[N] avait souhaité recevoir Mme [M] seule et n’avait pas souhaité sa présence pour assister Mme [M] qui l’avait sollicité pour l’accompagner dans le bureau du Directeur, au motif qu’il ne s’agissait pas d’un entretien à caractère officiel.
Si M.[N] conteste tout emportement de sa part lors de l’entretien avec Mme [M] à son retour de formation, il ne fournit aucune explication sérieuse et cohérente sur le fait qu’il ait tenté de ‘régulariser’ les difficultés posées par la situation dont il était à l’origine en affectant de manière définitive une autre salariée sur le poste occupé par Mme [M], en soumettant à sa signature un document modifiant les dispositions de contrat de travail relatives à sa qualification professionnelle et de ses indemnités. Il ne s’est pas expliqué sur les motifs de son déplacement extérieur le jour même sur le site de [Localité 4] et sur son comportement intimidant pour ‘observer’, sans même lui adresser la parole, Mme [M] dans l’atelier ESAT dans lequel elle travaillait.
Un tel comportement de la part d’un supérieur hiérarchique, correspondant à des agissements agressifs et intimidants à l’égard d’une salariée dans le but d’obtenir la régularisation d’erreurs dans le traitement des ressources humaines qui lui étaient imputables, constitue un manquement à ses obligations contractuelles, contrairement à ce qui a été jugé par le conseil.
Sans qu’il soit nécessaire d’examiner les deux autres griefs invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement, force est de constater que les manquements établis à l’encontre de M.[N] étaient d’une gravité telle, notamment au regard de ses fonctions hiérarchiques, qu’ils rendaient impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Son licenciement pour faute grave est ainsi justifié et la demande subsidiaire du salarié tendant à obtenir la requalification de sa faute en une cause réelle et sérieuse doit être rejetée comme non fondée au regard de la nature et de la gravité des faits commis.
M.[N] sera en conséquence débouté de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité légale de licenciement et d’indemnité compensatrice de préavis, le jugement étant infirmé de ces chefs.
Sur les dépens et les indemnités de procédure
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de l’association Adapei 35 les frais non compris dans les dépens. M.[N] sera condamné à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile
M.[N] qui sera débouté de sa demande d’indemnité de procédure sera condamné aux entiers dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
-Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts de M.[N] pour procédure de licenciement irrégulier.
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
– Dit que le licenciement pour faute grave notifié le 8 juin 2018 par l’association Cat Armor à M.[N] est justifié,
– Déboute M. [N] de toutes ses demandes,
– Condamne M.[N] à payer à l’association Adapei 35 venant aux droits de l’association Catarmor la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamne M.[N] aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier Le Président