Indemnité d’éviction : 20 avril 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 19/01554

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Indemnité d’éviction : 20 avril 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 19/01554

20 avril 2022
Cour d’appel de Nîmes
RG
19/01554

ARRÊT N°

N° RG 19/01554 – N° Portalis DBVH-V-B7D-HKIV

CC

TRIBUNAL DE COMMERCE D’AVIGNON

05 avril 2019

RG:2018010383

[B]

[B]

C/

S.A.S. LES DEMEURES DU VENTOUX

S.E.L.A.R.L. ETUDE BALINCOURT

Grosse délivrée le 20 avril 2022 à :

– Me POMIES RICHAUD

– Me EZZAITAB

+MP

COUR D’APPEL DE NÎMES

4ème CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 20 AVRIL 2022

APPELANTS :

Monsieur [O] [B] retraité

né le 02 Mai 1955 à LA CRESOT

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me JERVOLINO Christophe, substituant Me Jacques GOBERT de la SCP GOBERT & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

Représenté par Me Georges POMIES RICHAUD, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Madame [M] [B] Secrétaire

née le 05 Mars 1957 à [Localité 8]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me JERVOLINO Christophe, substituant Me Jacques GOBERT de la SCP GOBERT & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD, Postulant, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉES :

SAS LES DEMEURES DU VENTOUX, société par actions simplifiée, immatriculée au RCS d’AVIGNON sous le numéro 825 056 153, dûment représentée par son Président en exercice

[Adresse 2]

[Adresse 7]

[Localité 6]

Représentée par Me Wafae EZZAITAB, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Benjamin AYOUN, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

SELARL Etude BALINCOURT, représenté par Maître [X] [Z], ès qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la SAS LES DEMEURES DU VENTOUX, nommé à ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce d’AVIGON du 13/12/2017, et d’actuel commissaire à l’exécution du plan de redressement nommé à ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce lu 19/06/2019,domiciliée es-qualités au siège social sis

assignée à personne habilitée le 26/06/2019

assigné à personne habilitée en intervention forcée le 13/10/2021

[Adresse 3]

[Localité 5]

n’ayant pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,

Mme Corinne STRUNK, Conseillère,

Madame Claire OUGIER, Conseillère.

GREFFIER :

Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision

MINISTERE PUBLIC :

L’affaire a été communiquée au Ministère Public qui a présenté ses observations écrites, transmises aux conseils constitués.

DÉBATS :

A l’audience publique du 28 Mars 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 20 Avril 2022.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

ARRÊT :

Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 20 Avril 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.

EXPOSE

Vu l’appel interjeté le 15 avril 2019 par Monsieur [O] [B] et Madame [M] [B] à l’encontre du jugement prononcé le 5 avril 2019 par le tribunal de commerce d’Avignon sous le n° 2018 010383 ;

Vu la signification de la déclaration d’appel délivrée le 26 juin 2019 à la SELARL Etude Balincourt prise en sa qualité de mandataire judiciaire de la SAS Les Demeures du Ventoux, remise à personne se déclarant habilitée.

Vu l’ordonnance du 16 septembre 2020 de clôture de la procédure à effet différé au 3 juin 2021 avec fixation de l’audience de plaidoiries au 7 juin 2021 ;

Vu l’avis de déplacement d’audience, communiqué aux parties le 6 mai 2021 informant que la clôture de l’instruction interviendra le 27 mai 2021 en lieu et place du 3 juin 2021, à la suite du déplacement de l’audience de fond du 7 juin 2021 au 3 juin 2021 ;

Vu les conclusions du Procureur général du 21 mai 2021, concluant à la confirmation de la décision entreprise ;

Vu l’ordonnance du 3 juin 2021 révoquant l’ordonnance de clôture et ordonnant la communication de l’affaire au ministère public, afin d’obtenir tous éclaircissements sur la situation de la société Les Demeures du Ventoux dans la procédure collective dont elle fait l’objet.

Vu l’ordonnance du 2 septembre 2021 enjoignant les appelants de mettre en cause le commissaire à l’exécution du plan par voie de conclusions signifiées à la SELARL Étude Balincourt, ès qualités de mandataire judiciaire, avant le jeudi 07 octobre, sous peine de radiation ;

Vu l’assignation du 13 octobre 2021 en intervention forcée de la SELARL Etude Balincourt prise en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement, et en signification des conclusions des appelants, délivrée à personne se déclarant habilitée.

Vu les dernières conclusions des appelants, remises par la voie électronique le 6 octobre 2021 et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions de la SAS Les Demeures du Ventoux, intimée, remises par la voie électronique le 14 octobre 2019 et le bordereau de communication de pièces qui y est annexé ;

Vu les conclusions du Procureur général du 15 février 2022, concluant à la confirmation de la décision entreprise ;

Vu l’ordonnance du 2 décembre 2021 de clôture de la procédure à effet différé au 17 mars 2022 avec fixation de l’audience de plaidoiries au 28 mars 2022.

* * *

Monsieur [O] et Madame [M] [B], sont propriétaires d’un logement donné à bail pour 11 ans à la société Les Demeures du Ventoux, laquelle exploite une résidence de tourisme, son fonds de commerce étant constitué de logements donnés à bail par 184 bailleurs.

Par jugement du 13 décembre 2017, le tribunal de commerce d’Avignon a placé l’intimée en redressement judiciaire et a désigné un mandataire judiciaire.

Après avis du mandataire judiciaire, l’intimée a, au visa de l’article L.622-13 IV du code de commerce, sollicité du juge-commissaire la résiliation de 13 baux à leur date anniversaire des 9 ans, dont celui des appelants et par ordonnance du 17 juillet 2018, le juge-commissaire a fait droit à sa demande.

Par courrier recommandé avec avis de réception du 24 juillet 2018 adressé au tribunal de commerce d’Avignon, réceptionné le 26 juillet 2018, les appelants ont formé un recours à l’encontre de cette décision.

Par jugement du 5 avril 2019, le tribunal de commerce d’Avignon a :

confirmé l’ordonnance enrôlée sous le n° 2018 000958 du 17 juillet 2018 prononçant la résiliation du bail des appelants à sa date anniversaire des 9 ans, soit le 1er septembre 2018,

laissé aux appelants la charge des dépens, dont frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 212,09 € TTC,

rejeté toute autre demande, fins ou conclusions contraires,

* * *

Le 15 avril 2019, les appelants ont interjeté appel de ce jugement pour le voir infirmer en toutes ses dispositions.

En cours d’instance d’appel, le plan de redressement de l’intimée a été arrêté par jugement du 17 juin 2019 prononcé par le tribunal de commerce d’Avignon. Il est indiqué par le ministère public, selon rapport du 18 juin 2021 que le plan est respecté.

Le commissaire à l’exécution du plan a été appelé en intervention forcée mais il n’a pas constitué avocat.

* * *

Les appelants rappellent que la résiliation des baux commerciaux ne reste qu’une faculté dans les cas de redressement ou de liquidation judiciaire aux termes de l’article L.145-45 du même code et qu’en application de l’article L.622-13 du même code, elle ne peut être prononcée par le juge-commissaire que si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.

Ils font valoir, qu’en l’espèce, la résiliation des contrats n’apparaît pas nécessaire à la sauvegarde de l’entreprise. Il n’est en effet pas démontré que la rupture de ces baux permettrait le redressement de l’entreprise, le montant des loyers n’étant pas exorbitant. Les appelants soutiennent qu’au contraire, la rupture des baux va aggraver le passif dans des proportions très importantes, par application de l’article L.622-13 V du code de commerce qui leur permet de déclarer au passif une demande d’indemnisation de toutes les conséquences de la rupture du contrat. C’est ainsi que serait créé un passif d’un montant de 507 220 euros remettant totalement en cause le projet de plan de redressement présenté, lequel n’a aucune chance d’aboutir.

Les appelants estiment que le tribunal de commerce a été instrumentalisé en vue d’obtenir des baisses de loyer et des ruptures de baux sans indemnité, et totalement injustifiées, alors que d’autres postes de charges pouvaient être améliorés. La société intimée est totalement dépendante de l’un de ses associés et l’opacité entourant la gestion de cette société ne permet pas de donner une visibilité réelle sur sa situation et sur la nécessité, pour sa sauvegarde, de rompre des baux commerciaux. En outre, cette résiliation porte une atteinte excessive aux intérêts des cocontractants, qui ont fait une acquisition immobilière dans un but de défiscalisation, avec réupération de la TVA, outre le fait que le règlement de copropriété exige une location d’une durée minimale de 11 ans, qui ne sera donc pas respectée. Ils indiquent avoir contracté un prêt pour l’acquisition de ce bien immobilier et n’ont plus de revenus locatifs en contrepartie à cet endettement.

Au terme de leurs dernières conclusions, les appelants demandent donc à la cour, au visa de l’article L.622-13 du code de commerce, de :

réformer le jugement du 5 avril 2019 du tribunal de commerce d’Avignon dans toutes ses dispositions.

dire et juger que la demande de résiliation des contrats n’apparait pas comme nécessaire à la sauvegarde de l’entreprise et qu’elle porte une atteinte excessive aux intérêts des cocontractants et rejeter la demande de rupture,

condamner l’intimée à payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à chacun des cocontractants et la condamner aux entiers dépens.

* * *

L’intimée indique tout d’abord avoir engagé un plan drastique d’économies : alors qu’elle avait une charge de loyers de 846 000 euros HT pour un chiffre d’affaires net de commissions de 1 200 000 euros HT. Des négociations ont été engagées avec les propriétaires afin de réduire la charge de loyers à 762 000 euros HT. Compte tenu du fait que la résiliation des baux litigieux permettrait de réduire encore cette charge qui serait alors de 650 000 euros HT, elle a sollicité l’avis du mandataire judiciaire pour résilier 15 baux, lequel a donné un avis conforme.

Elle précise que la résiliation envisagée ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts des appelants dans la mesure où ils ont perçu des loyers pendant neuf années consécutives et qu’ils restent propriétaires de leur logement. Elle soutient que le règlement de copropriété permet soit une location meublée soit une occupation personnelle.

Elle conteste être responsable de l’intégralité des conséquences de la sortie de l’assujettissement à la TVA qui n’est qu’éventuelle, selon qu’ils gardent ou vendent le bien et dont l’éventuel remboursement ne peut avoir lieu que prorata temporis. Elle relève que le remboursement de la TVA par les appelants n’est pas justifiée par les pièces.

Elle indique enfin qu’un bien grevé d’un bail commercial a moins de valeur qu’un bien disponible et que le propriétaire est également libéré du risque du paiement d’une indemnité d’éviction.

Au terme de ses dernières conclusions, l’intimée demande donc à la cour, au visa de l’article L.622-13 IV du code de commerce, de :

confirmer le jugement du tribunal de commerce du 5 avril 2019 ainsi que l’ordonnance rendue par Monsieur le juge commissaire le 17 juillet 2018, prononçant la résiliation du bail des appelants au 1er septembre 2018.

* * *

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

En vertu des dispositions des articles L.622-13 IV (applicable à la sauvegarde) et L.631-14 du code de commerce (applicable au redressement judiciaire), la résiliation d’un contrat est prononcée par le juge commissaire si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.

Le jugement déféré a exactement retenu que les développements concernant les relations sociales entre l’intimée et un de ses associés, l’opacité qui s’en dégagerait, ainsi que l’exacte détermination du passif de la société en procédure collective sont inopérants.

La requête en résiliation des différents baux a été présentée le 29 janvier 2018 par la société débitrice elle-même, en vertu des dispositions des articles L.627-2 et R.627-1 du code de commerce, le mandataire judiciaire ne s’opposant pas à une telle demande, par courrier du 11 janvier 2018.

A cette date, les éléments financiers ne pouvaient être extraits que de comptes annuels déposés le 30 septembre 2017, qui ne portent que sur un exercice partiel puisque l’activité de la société preneuse a débuté le 23 janvier 2017.

Il est indiqué dans la requête que « l’exploitation de cette résidence générait des pertes dues à des loyers trop importants depuis plusieurs années qui étaient absorbés par les exploitants successifs » mais aucune pièce n’est communiquée à ce sujet.

Il est également fait référence à des renégociations de loyers avec des copropriétaires, ayant abouti à des accords qui sont matérialisés dans un listing produit par la société preneuse.

Les comptes annuels 2017 mentionnent cette volonté de renégocier les contrats avec les propriétaires afin d’atteindre un équilibre financier, le résultat net étant effectivement négatif à hauteur de 175 196 euros.

Dans le projet de plan de redressement du 17 décembre 2018, la société intimée indique une progression du chiffre d’affaires de 5%du net, une maîtrise des charges, une renégociation des loyers partiellement réussie. La charge des loyers est réduite à la somme de 655 000 euros. Il est donc proposé le règlement du passif de 262 000 euros par dividendes progressifs sur une période de 10 ans.

Le plan de redressement a été arrêté par jugement du 19 juin 2019.

Le raisonnement suivi dans le jugement déféré repose uniquement sur les projections financières de la société débitrice, locataire des baux litigieux et requérante. Il entérine le fait que la résiliation de 13 baux permet une diminution conséquente des charges et contribue ainsi à la sauvegarde de la société. Le dossier de première instance communiqué en application de l’article 968 du code de procédure civile comporte un procès-verbal d’audience, dans lequel il est noté que Me [Z] es qualités expose au tribunal « qu’un projet de plan a été présenté et que, pour favoriser son homologation, il convient de confirmer l’ordonnance du juge-commissaire. ».

Il eût été utile, pour s’assurer de la fiabilité des allégations de l’intimée, de disposer des comptes annuels 2018 et du jugement arrêtant le plan. Mais ces pièces ne sont pas produites en appel.

Grâce au ministère public, la cour dispose tout de même d’un rapport du commissaire à l’exécution du plan, faisant état d’un passif soumis au plan d’un montant de 288 565,42 euros, avec paiement au 2 juin 2021 de la 3ème répartition semestrielle d’un montant de 7 214,19 euros représentant 2,5 % du passif.

Il résulte de ce qui précède qu’il est seulement démontré par l’intimée que la résiliation du bail litigieux, ainsi que d’une dizaine d’autres, contribue à une baisse de ses charges. Mais faute d’indiquer, et surtout de justifier, la proportion de baisse de charges résultant de ces résiliations par rapport à l’ensemble du plan d’économies mis en place, il n’est nullement établi que cette opération était nécessaire à la sauvegarde de l’entreprise comme le soutiennent les appelants. En effet, aucune pièce n’établit que l’élaboration d’un plan de redressement était impossible sans cette résiliation de quelques baux. Et contrairement à ce qui est soutenu par l’intimée, le mandataire judiciaire n’a pas délivré un avis conforme avant saisine du juge commissaire, il a seulement indiqué à la société requérante « ne pas être opposé à (sa) volonté de résilier certains baux afin de réduire les loyers et charges de la société ».

Il sera ici rappelé que l’article L.622-13 IV exige que la résiliation d’un contrat peut être prononcée si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur. Une simple contribution ne suffit pas.

Dès lors et sans qu’il ne soit besoin d’examiner le second moyen tenant à l’atteinte excessive aux droits du cocontractant, le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

L’équité ne commande pas l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’intimée, succombant en ses prétentions, supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Rejette la demande de résiliation du contrat de bail liant la société Les Demeures du Ventoux à Madame et Monsieur [B],

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Les Demeures du Ventoux aux dépens de première instance et d’appel.

Arrêt signé par Mme CODOL, Présidente de Chambre et par Monsieur LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

 


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