Indemnité d’éviction : 28 avril 2022 Cour d’appel de Caen RG n° 19/02672

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Indemnité d’éviction : 28 avril 2022 Cour d’appel de Caen RG n° 19/02672

28 avril 2022
Cour d’appel de Caen
RG
19/02672

AFFAIRE : N° RG 19/02672 –

N° Portalis DBVC-V-B7D-GM6I

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance de COUTANCES en date du 01 Août 2019

RG n° 13/01666

COUR D’APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 28 AVRIL 2022

APPELANTE :

SARL LE BORSALINO

N° SIRET : 340 940 717

[Adresse 10]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Stéphane PIEUCHOT, avocat au barreau de CAEN

INTIMES :

Madame [D] [O]

née le 16 Septembre 1972 à [Localité 7]

[Adresse 9]

[Localité 3]

Monsieur [Y] [O]

né le 26 Mars 1947 à [Localité 6]

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentés et assistés de Me France LEVASSEUR, avocat au barreau de CAEN

S.C.I. JPM

N° SIRET : 407 632 280

[Adresse 1]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Alain LANIECE, avocat au barreau de CAEN

assistée de Me Thierry CHAPRON, avocat au barreau de PARIS

SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON

N° SIRET : 340 858 042 00013

[Adresse 4]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Christophe VALERY, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l’audience publique du 17 février 2022, sans opposition du ou des avocats, Madame EMILY, Président de Chambre et M. GOUARIN, Conseiller, ont entendu les plaidoiries et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme EMILY, Président de Chambre,

M. GANCE, Conseiller,

M. GOUARIN, Conseiller,

ARRÊT prononcé publiquement le 28 avril 2022 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

* * *

Par acte du 27 mars 1998 reçu par la SCP VIGNERON GERMAIN BEX, la SCI JPM a consenti a l’EURL LE BORSALINO un bail commercial pour une durée de 9 ans à compter du 1er avril 1998, moyennant un loyer annuel de 132.000 F HT, bail portant sur des locaux situés [Adresse 8] dans lesquels l’EURL LE BORSALINO exploitait un restaurant pizzéria.

Le bail s’est poursuivi par tacite reconduction.

Par acte d’huissier du 23 juin 2010, la SCI JPM a notifié à l’EURL LE BORSALINO un congé pour le 31 décembre 2010 avec offre de renouvellement du bail, moyennant un loyer annuel de 33.000 euros, les autres clauses et conditions du bail demeurant inchangées, à l’exception des clauses relatives aux modalités de paiement du loyer, des impôts, charges et redevances d’amodiation.

Par acte du 22 juillet 2010, l’EURL LE BORSALINO a accepté le renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2011 pour 9 années moyennant un loyer annuel de 33.000 euros TTC.

La SCI JPM n’ayant pas signé le bail, l’EURL LE BORSALINO l’a assignée le 12 septembre 2013 devant le tribunal de grande instance de Coutances aux fins de voir constater que le bail s’était trouvé renouvelé pour une période de 9 années à compter du 1er janvier 2011 moyennant un loyer annuel de 27.591,97 euros HT, soit 33.000 euros TTC, aux clauses et conditions du bail antérieur.

La SCI JPM a donné son accord pour le renouvellement du bail.

En cours de délibéré faisant suite à l’audience du 25 juin 2015, la société JPM a sollicité la réouverture des débats aux motifs que le notaire chargé d’établir l’acte de renouvellement avait indiqué que l’immeuble se trouvait situé sur le domaine public maritime et qu’un bail commercial ne pouvait être conclu.

La réouverture des débats a été ordonnée par avis du 10 septembre 2015.

La société LE BORSALINO a alors mis en cause la responsabilité de la SCI JPM pour lui avoir octroyé un bail commercial alors que ce statut n’était pas possible pour les biens situés sur le domaine public maritime ainsi que la responsabilité du notaire rédacteur du bail.

Les consorts [O], associés de la SARL LE BORSALINO, sont intervenus volontairement à la procédure.

Par jugement en date du 1er août 2019, le tribunal de grande instance de Coutances a :

– débouté la société LE BORSALINO de l’ensemble de ses demandes ;

– débouté la SCI JPM de ses demandes ;

– déclaré M. [O] et Mme [O] recevables en leur intervention volontaire ;

– débouté M.[O] et Mme [O] de leurs demandes à l’encontre de la SCI JPM ;

– déclaré l’action de M. [O] et Mme [O] irrecevable comme prescrite à l’encontre de la SCP VIGNERON GERMAIN BEX, devenue BEX-OUIN YHUELLO et VIGNERON ;

– rejeté en conséquence l’action des consorts [O] à l’encontre de la SCP VIGNERON GERMAIN BEX, devenue BEX-C-UIN YHUELLO et VIGNERON ;

– condamné les consorts [O] à payer, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à la SCI JPM la somme de 4.000 euros ;

– condamné in solidum la société LE BORSALINO, M. [O] et Mme [O] à payer à la SCP BOUL OUIN YHUELLO VIGNERON la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné in solidum la société LE BORSALINO, M. [O] et Mme [O] aux dépens ;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

– rejeté toutes autres demandes.

Par déclaration en date du 17 septembre 2019, la SARL LE BORSALINO a fait appel du jugement.

Dans ses dernières conclusions du 7 janvier 2022, la SARL LE BORSALINO demande à la cour d’appel de :

– infirmer le jugement déféré ;

A titre principal :

– juger que la SCI JPM a engagé sa responsabilité civile en lui consentant un bail commercial sur des biens situés sur le domaine public maritime ;

– juger que la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON, notaires, a engagé sa responsabilité civile en qualité de rédacteur du bail ;

– condamner in solidum la SCI JPM et la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON, à payer à l’EURL LE BORSALINO des dommages et intérêts d’un montant, à titre principal, de 1.195.098 euros correspondant à la perte de la valeur du fonds de commerce et des préjudices accessoires, hors indemnités de licenciement dues aux salariés, et à titre subsidiaire d’un montant de 1.165.098 euros et à titre encore plus subsidiaire à un montant de 1.046.098 euros, augmentés des intérêts calculés au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir ;

– condamner in solidum la SCI JPM et la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON, NOTAIRES, à payer à l’EURL LE BORSALINO des dommages et intérêts correspondant au montant des indemnités de licenciement et accessoires dus aux salariés de l’entreprise au moment de l’éviction, soit une somme complémentaire de 215.735,61 euros, augmentés des intérêts calculés au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir ;

– ordonner l’anatocisme, sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil ;

Subsidiairement,

– ordonner une expertise,

– en ce cas, condamner in solidum la SCI JPM et la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON, à verser à l’EURL LE BORSALINO, à titre provisionnel à valoir sur le préjudice subi, la somme de 800.000 euros ;

En tout état de cause,

– décerner acte aux parties de leur accord pour la conclusion d’un bail non soumis au statut des baux commerciaux arrivant à terme a minima le 28 mai 2023 et au-delà, dans l’hypothèse où les amodiations viendraient à être renouvelées après cette date, le tout moyennant un loyer annuel de 27.591,97 euros HT et moyennant des conditions et charges identiques que celles jusqu’alors applicables entre les parties,

– condamner in solidum la SCI JPM et la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON à payer à l’EURL LE BORSALINO une somme de 25.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Stéphane PIEUCHOT, avocat.

Dans leurs dernières conclusions du 6 janvier 2022, M. [O] et Mme [O] demandent à la cour d’appel de :

– déclarer recevable et justifié leur appel incident interjeté à l’encontre du jugement en toutes ses dispositions ;

Y faisant droit,

– déclarer recevable et justifiée leur demande présentée à l’encontre de la SCI JPM et la SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX ;

En tout état de cause,

– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré recevable leurs demandes formées à l’encontre de la SCI JPM et la SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX ;

– infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré prescrites et non justifiées leurs demandes formées à l’encontre de la SCI JPM et la SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX ;

– Condamner in solidum la SCI JPM et la SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX à payer à [Y] [O] la somme de 579 462,52 euros correspondant à la perte de valeur des parts sociales de la SARL LE BORSALINO ;

– condamner in solidum la SCI JPM et la SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX à payer à [D] [O] la somme de 140 537,48 euros correspondant à la perte de valeur des parts sociales de la SARL LE BORSALINO ;

– condamner tout contestant à payer à [Y] [O] et [D] [O] une somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile

– condamner tout contestant aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Me France LEVASSEUR pour ceux dont elle aurait fait l’avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions du 5 janvier 2022, la SCI JPM demande à la cour d’appel de :

A titre principal,

Sur les demandes de la société LE BORSALINO :

– infirmer le jugement uniquement en ce que le tribunal n’a pas décerné acte à la société JPM et à la société LE BORSALINO de leur accord pour la conclusion d’un bail sui generis moyennant un loyer annuel de 27.591,97 euros HT et moyennant des conditions et charges identiques que celles jusqu’à lors applicable entre les parties ;

Sur ce, statuant à nouveau,

– donner acte aux parties de l’accord de la SCI JPM et de la SARL LE BORSALINO pour la conclusion d’un bail non soumis au statut des baux commerciaux dont le terme dépendra du sort des contrats d’amodiation en 2023, moyennant un loyer annuel de 27.591,97 euros HT et moyennant des conditions et charges identiques que celles jusqu’à lors applicables entre les parties et dans l’hypothèse où les contrats d’amodiation seraient poursuivis après le 28 mai 2023, le bail sui generis se renouvellerait conformément aux conditions applicables jusqu’alors entre les parties sur la base de la réelle valeur locative ;

– confirmer pour le surplus l’intégralité du jugement en ce qu’il déboute la SARL LE BORSALINO de ses demandes à l’égard de la SCI JPM ;

– débouter la SARL LE BORSALINO de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes ;

– condamner la SARL LE BORSALINO à payer à la société JPM la somme de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens ;

Sur les demandes des consorts [O] :

– infirmer le jugement du 1er août 2019 en ce qu’il a déclaré recevable la demande d’intervention volontaire à titre principal des consorts [O] à l’égard de la SCI JPM

– déclarer irrecevable l’action des consorts [O] comme prescrite à l’égard de la SCI JPM et rejeter leur action à son égard ;

– Confirmer le jugement pour le surplus et notamment en ce qu’il a débouté les consorts [O] de l’intégralité de leurs demandes à l’égard de la SCI JPM et les a condamnés à payer à la SCI JPM la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions du code de procédure civile ;

– débouter les consorts [O] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions

– condamner M. [O] et Mme [O] solidairement à payer à la SCI JPM la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel outre à supporter les dépens ;

Sur les demandes de la SCP BEX, OUIN-YHUELLO et VIGNERON :

– débouter la SCP BEX, OUIN-YHUELLO et VIGNERON de l’intégralité de ses demandes formulées à l’encontre de la SCI JPM ;

– condamner la SCP BEX, OUIN-YHUELLO et VIGNERON à payer à la société JPM la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens ;

Subsidiairement,

-condamner la SCP BEX, OUIN-YHUELLO et VIGNERON à garantir la SCI JPM de toute condamnation qui pourrait être prononcée au bénéfice de la SARL LE BORSALINO et au bénéfice des consorts [O] ;

En tout état de cause,

– condamner in solidum toutes parties succombantes à payer une indemnité de 15.000 euros à la SCI JPM sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner in solidum toutes parties succombantes aux entiers dépens .

Dans ses dernières conclusions du 8 février 2022, la SCP SEBASTIEN, BEX, NICOLAS OUIN YHUELLO et ALBAN VIGNERON demande à la cour d’appel de :

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

– débouter la SARL LE BORSALINO et la SCI JPM de leurs demandes à l’encontre de la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON, anciennement dénommée SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes d’ [Y] [O] et [D] [O] à l’égard de la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON anciennement dénommée SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX ;

A défaut :

– débouter [Y] [O] et [D] [O] de l’intégralité de leurs demandes à l’encontre de la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON, anciennement dénommée SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX ;

– débouter la SCI JPM de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON, anciennement dénommée SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX ;

Subsidiairement :

Pour le cas où une faute de la SCP serait retenue,

– dire que la SARL LE BORSALINO ne pouvait bénéficier d’un bail commercial, et qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la prétendue perte du fonds de commerce en raison de l’absence de bail commercial et la préparation du bail du 27 mars 1998 ;

– constater l’absence de préjudice certain né et actuel ;

– débouter la SARL LE BORSALINO et la SCI JPM de leurs demandes ;

– débouter [Y] [O] et [D] [O] de leurs demandes à l’encontre de la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON, anciennement dénommée SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX notamment en raison de l’absence de lien de causalité entre le préjudice qu’ils allèguent et le bail du 27 mars 1998 ;

A titre infiniment subsidiaire :

– dans l’hypothèse où la cour estimerait que la SCP concluante a commis une faute entraînant un préjudice, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration de l’amodiation en cours, c’est-à-dire au 1er janvier 2024, afin de connaître la situation de la SARL LE BORSALINO à ce moment ;

– dire que le préjudice subi par la SARL LE BORSALINO et les consorts [O] est une perte de chance qui ne saurait être supérieure à 10 % du préjudice qu’ils allèguent ;

– débouter la SARL LE BORSALINO et [Y] [O] et [D] [O] de toute autre demande ;

En toutes hypothèses,

– condamner la société JPM à garantir la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON de toutes condamnations prononcées contre elle ;

– condamner in solidum SARL LE BORSALINO , [Y] [O] et [D] [O], la société JPM, à payer une indemnité de 10 000 euros à la SCP SEBASTIEN BEX, NICOLAS OUIN-YHUELLO ET ALBAN VIGNERON, anciennement dénommée SCP VIGNERON-GERMAIN-BEX au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner les mêmes in solidum aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 février 2022.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

SUR CE, LA COUR

– Sur l’intervention volontaire des consorts [O]

Aux termes de l’article 328 du code de procédure civile, l’intervention est principale ou accessoire.

L’article 329 du code de procédure civile précise que l’intervention est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention.

Selon l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

La société LE BORSALINO demande à titre principal, au motif que le bail commercial qui lui a été concédé est irrégulier, l’indemnisation de la perte de valeur du fonds de commerce.

M. [O] et Mme [O], associés de la SARL LE BORSALINO, demandent une indemnisation au titre de la perte de valeur de leurs parts sociales dans la société LE BORSALINO au motif que la perte du bénéfice de la propriété commerciale du fonds exploité par la société LE BORSALINO rend invendable leurs parts sociales.

Si les associés ne sont pas admis à agir conjointement avec la société pour obtenir réparation du seul préjudice subi par la société, en l’espèce, la demande des consorts [O] vise à la réparation d’un préjudice qui leur est personnel et qui est distinct de celui de la société puisque la dévalorisation des parts sociales affecte leur patrimoine propre.

Dès lors, l’intervention des consorts [O] à la procédure est recevable.

– Sur la prescription de l’action des consorts [O]

La société JPM et la SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON soutiennent que l’action des consorts [O] est prescrite, ceux-ci ayant eu connaissance des contrats d’amodiation et de l’occupation précaire du domaine maritime en découlant dès la signature du bail de 1998.

A titre subsidiaire, la SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON fait valoir que le droit à indemnisation est né le 27 mars 1998, date de signature du bail et date de la faute hypothétique du notaire, et qu’en application des dispositions de l’article 2232 du code civil, le report du point de départ de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de 20 ans à compter du jour de la naissance du droit.

M. [O] et Mme [O] contestent la prescription de leur action et indiquent que celle-ci a commencé à courir à partir du jour où ils ont eu connaissance de la nullité du bail à savoir par les conclusions de la SCI JPM du 13 octobre 2015 dans lesquelles celle-ci précisait que le bail se situait hors du champ d’application du statut des baux commerciaux.

L’article 2224 du code civil énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Il convient de relever que la société LE BORSALINO était titulaire d’un bail commercial depuis 1996 et qu’en mars 1998 un nouveau bail a été conclu.

Le 23 juin 2010, un congé a été adressé par le bailleur avec offre de renouvellement moyennant un loyer de 33000 euros.

Le preneur ayant accepté le bail renouvelé et le bailleur ne signant pas celui-ci, une action a été engagée devant le tribunal de grande instance de Coutances aux fins de voir constater le renouvellement du bail.

Ce n’est qu’au cours de cette procédure que le notaire a indiqué que l’immeuble donné à bail se trouvait sur le domaine maritime et qu’un bail commercial ne pouvait être conclu.

La société JPM a informé le tribunal de cette situation par courrier du 3 juillet 2015.

La réouverture des débats a été ordonnée par avis du 10 septembre 2015.

Par conclusions du 13 octobre 2015, la SCI JPM a précisé que le bail renouvelé ne pourrait être un bail commercial.

C’est au jour où ils ont connaissance de l’impossibilité de renouveler le bail commercial que les consorts [O] ont vu naître leur droit d’agir en responsabilité à l’encontre de la SCI JPM et du notaire.

Le délai de prescription de leur action a donc commencé à courir en octobre 2015.

Les consorts [O] sont intervenus volontairement à la procédure en février 2019.

Leur action n’est donc pas prescrite.

– Sur la faute de la SCI JPM

La société LE BORSALINO soutient que la SCI JPM a commis une faute en consentant un bail commercial sur des biens situés sur le domaine public maritime, alors que la connaissance de l’étendue de ses droits lui aurait permis de constater qu’elle ne pouvait consentir un tel bail.

Elle indique que son préjudice consiste en la perte de la propriété commerciale laquelle résulte de la nullité du bail commercial qui lui a été consenti à tort par la SCI JPM et de l’obligation faite aux parties en conséquence de conclure un bail sui generi non soumis au statut des baux commerciaux.

Elle fait état d’un préjudice actuel et certain.

La société JPM soutient qu’elle n’a commis aucune faute, que les contrats d’amodiation étaient connus de la SARL BORSALINO et de M. [O] avant la signature du bail du 27 mars 1998 et que ceux-ci avaient une parfaite connaissance de la situation juridique du bien donné à bail et de la potentielle précarité de la location.

Elle précise qu’elle n’est pas un professionnel du droit et qu’elle était dans l’incapacité de relever l’erreur de droit commise par le notaire au moment de la signature du bail.

Les consorts [O] indiquent que la SCI JPM a commis une faute en consentant un bail commercial sur le domaine public maritime et que cette faute entraîne inéluctablement la dévalorisation totale des parts sociales de la SARL LE BORSALINO.

Il est constant que la SCI JPM a consenti un bail commercial à la EURL LE BORSALINO alors qu’un bail commercial ne peut être conclu sur un bien situé sur le domaine public maritime.

Toutefois, si la SCI JPM avait connaissance des contrats d’amodiation et de leur caractère précaire, elle a pu, de bonne foi n’étant pas juriste, ne pas avoir eu conscience des conséquences en découlant et considérer que la conclusion d’un bail commercial n’était pas incompatible avec la situation de l’immeuble, les contrats d’amodiation énonçant que les installations mises en place par l’amodiataire restaient sa propriété pendant toute la durée de l’occupation autorisée, et la SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON précisant dans ses conclusions que la solution pouvait ne pas être évidente au moment de la conclusion du bail.

Il sera relevé de surcroît que la SCP JPM n’a pas dissimulé la situation juridique de l’immeuble au preneur puisque comme l’a jugé le premier juge, dont la cour adopte la motivation, la société LE BORSALINO avait également pleinement connaissance des contrats d’amodiation qui lui avaient été communiqués.

Il en ressort que la société LE BORSALINO, qui avait la même connaissance que La SCI JPM de la situation de l’immeuble donné à bail et qui pour autant a accepté de conclure un bail commercial, n’établit pas l’existence d’une faute commise par la SCI JPM.

Dès lors, la faute de la SCI JPM lors de la conclusion du contrat de bail du 27 mars 1998 n’est pas établie.

Le jugement déféré a retenu une faute de la SCI JPM mais a rejeté la demande d’indemnisation de la SARL LE BORSALINO et des consorts [O] faute de préjudice.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes d’indemnisation de la SARL LE BORSALINO formées à l’encontre de la SCI JPM mais par substitution de motifs.

Les consorts [O] qui font valoir un préjudice lié à la perte de valeur de leurs parts sociales dans la société LE BORSALINO au motif que la perte du bénéfice de la propriété commerciale du fonds exploité par la société LE BORSALINO rend invendable les parts sociales, seront déboutés de leurs demandes d’indemnisation formées à l’encontre de la SCI JPM contre laquelle aucune faute n’est retenue. Le jugement sera confirmé sur ce point.

– Sur la responsabilité du notaire rédacteur de l’acte

La SARL LE BORSALINO fait valoir que le notaire a manqué à son obligation professionnelle de s’assurer de l’efficacité de l’acte qu’il a reçu et rédigé et qu’il a manqué à son devoir d’information et de conseil en n’informant pas le preneur de la situation du fonds ni du fait qu’il serait privé de la propriété commerciale de manière certaine.

La SARL LE BORSALINO précise que le bail conclu le 27 mars 1998 était un nouveau bail et que l’existence d’un bail commercial antérieure ne déchargeait pas le notaire de ses obligations.

Elle indique que son préjudice consiste en la perte de la propriété commerciale laquelle résulte de la nullité du bail commercial qui lui a été consenti à tort par la SCI JPM et de l’obligation faite aux parties en conséquence de conclure un bail sui generi non soumis au statut des baux commerciaux.

Elle fait état d’un préjudice actuel et certain.

La SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON conteste avoir manqué à son devoir d’information et de conseil. Elle fait valoir que la SARL LE BORSALINO avait connaissance dès son acquisition du fonds de commerce des contrats d’amodiation et que son occupation était précaire.

Elle soutient qu’il n’existe en tout état de cause aucun lien de causalité entre la rédaction du bail du 27 mars 1998 et la croyance par la société LE BORSALINO qu’elle pouvait bénéficier de la propriété commerciale dès lors que le bail de 1998 était un simple bail de renouvellement d’un bail commercial initial sous seing privé signé le 28 juin 1996.

La SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON indique en outre qu’il n’existe pas de préjudice certain et actuel. Elle explique que la SARL LE BORSALINO ne peut prétendre à un préjudice égal à la valeur du fonds de commerce qui serait perdu en l’absence de droit au renouvellement, un appauvrissement supposant que l’on ait perdu quelque chose que l’on a détenu à cause d’une faute alors qu’en l’espèce, la SARL LE BORSALINO ne pouvait avoir de bail commercial et ne pouvait bénéficier d’un droit au renouvellement. La SCP précise en outre que l’exploitation continue et que la disparition du fonds de commerce n’est pas avérée.

Les consorts [O] soutiennent que le notaire a manqué à son obligation d’information, de conseil et de mise en garde et que le préjudice en résultant pour la SARL LE BORSALINO est la perte de la propriété commerciale. Ils précisent que la faute du notaire entraîne inéluctablement la dévalorisation totale des parts de la SARL LE BORSALINO.

La responsabilité du notaire ne peut être recherchée que sur le fondement de l’article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable au litige.

Elle suppose que soit démontrée l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

Il sera relevé que le notaire ne peut se contenter de retranscrire les conventions des parties ; il doit rédiger des actes authentiques dont la fiabilité est telle que la sécurité des transactions juridiques est ainsi assurée.

Le notaire est tenu d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes rédigés par lui.

Le notaire par sa fonction ne peut ignorer les règles de droit positif. Il doit informer ses clients de ce qui est juridiquement possible ou de ce qui ne l’est pas.

La SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON ne peut se prévaloir du fait que le bail commercial avait été conclu initialement en 1996 et qu’elle n’avait fait que reprendre un acte existant. Cette antériorité du bail ne la relevait pas de son obligation de conseil.

Par ailleurs, il sera relevé que dès le 24 janvier 1996, la cour de cassation a statué sur l’impossibilité de conclure un bail commercial sur le domaine public maritime.

Contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, il ne peut être considéré que la référence au bail commercial dans le contrat de bail est une erreur de plume.

Le bail litigieux du 27 mars 1998 est intitulé « Bail Commercial ». Il est précisé que le bailleur donne à bail à loyer «  dans les termes du décret numéro 53-960 du 30 septembre 1953 ».

Si le bail prévoit que « Le locataire paiera pour le compte du bailleur, les loyers à la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Granville, résultant des amodiations des 6 janvier 1981 et 11 janvier 1982 et leurs avenants », il ne comprend toutefois aucune restriction sur l’application du statut de bail commercial, aucune information sur la précarité de la concession, sur le fait que la location n’ouvrait droit au preneur ni au renouvellement du bail, ni à l’indemnité d’éviction.

Le preneur n’était pas un professionnel du droit, sa connaissance de l’existence des contrats d’amodiation n’impliquait pas nécessairement une conscience parfaite des conséquences sur le bail dénommé « commercial » dont il a pu penser bénéficier du statut protecteur puisque ce bail commercial a été validé par le notaire sans aucune restriction.

Il en résulte que le notaire a manqué à son devoir de conseil et a commis une faute.

Le préjudice de la société LE BORSALINO résulte de la perte de chance de ne pas s’engager si elle avait été informée du statut du local donné à bail.

La fonction de la responsabilité civile est de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit.

Il est constant que la SARL LE BORSALINO était déjà titulaire d’un bail commercial depuis 1996. Elle avait déjà acheté le fonds de commerce qu’elle exploitait.

Si le notaire avait respecté son obligation d’information lors de la conclusion du bail, la SARL LE BORSALINO soit donnait suite à l’opération à ses risques, soit y renonçait mais elle restait toutefois titulaire d’un bail commercial. Le dommage était donc déjà né.

Le préjudice allégué par la SARL LE BORSALINO est donc dépourvu de lien de causalité avec la faute du notaire.

La responsabilité du notaire ne peut donc être retenue à défaut de lien de causalité entre la faute et le dommage.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demande d’indemnisations de la SARL LE BORSALINO formées à l’encontre de la SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON mais par substitution de motifs.

Les consorts [O] qui faisaient valoir un préjudice lié à la perte de valeur de leurs parts sociales dans la société LE BORSALINO au motif que la perte du bénéfice de la propriété commerciale du fonds exploité par la société LE BORSALINO rend invendable les parts sociales, seront déboutés de leurs demandes d’indemnisation formées à l’encontre de la SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON dont la responsabilité n’est pas retenue. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Il sera donné acte à la SCI JPM et à la SARL LE BORSALINO de leur accord pour la conclusion d’un bail non soumis au statut des baux commerciaux dont le terme dépendra du sort des contrats d’amodiation en 2023, moyennant un loyer annuel de 27.591,97 euros HT et moyennant des conditions et charges identiques que celles jusqu’à lors applicables entre les parties.

L’accord formalisé par les parties se limite à cette formulation.

Le jugement sera confirmé sur les condamnations au titre de l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens.

La SARL LE BORSALINO et les consorts [O], qui succombent, seront déboutés de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable que la SCI JPM et la SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON supportent leurs frais irrépétibles.

La SARL LE BORSALINO, M. [O] et Mme [O] seront condamnés in solidum à payer au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, à la SCI JPM la somme de 3000 euros et à la SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON la somme de 3000 euros.

La SARL LE BORSALINO, M. [O] et Mme [O] seront condamnés in solidum aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a jugé irrecevable comme prescrite l’action des consorts [O] à l’encontre de la SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON ;

Statuant à nouveau sur ce point ;

JUGE recevable l’action des consorts [O] à l’encontre de la SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON ;

Ajoutant au jugement ;

DONNE acte à la SCI JPM et à la SARL LE BORSALINO de leur accord pour la conclusion d’un bail non soumis au statut des baux commerciaux dont le terme dépendra du sort des contrats d’amodiation le 28 mai 2023, moyennant un loyer annuel de 27.591,97 euros HT et moyennant des conditions et charges identiques que celles jusqu’à lors applicables entre les parties ;

CONDAMNE in solidum la SARL LE BORSALINO, [Y] [O] et [D] [O] à payer à la SCI JPM la somme de 3000 euros et à la SCP BEX OUIN-YHUELLO et VIGNERON la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

CONDAMNE in solidum la SARL LE BORSALINO, [Y] [O] et [D] [O] aux dépens d’appel ;

DEBOUTE les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ;

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

N. LE GALLF. EMILY

 


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