Indemnité d’éviction : 11 mai 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 18/07816

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Indemnité d’éviction : 11 mai 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 18/07816

11 mai 2022
Cour d’appel de Rennes
RG
18/07816

5ème Chambre

ARRÊT N°-144

N° RG 18/07816 – N° Portalis DBVL-V-B7C-PLGS

M. [E] [H]

Mme [T] [C] épouse [H]

C/

M. [M] [S]

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 11 MAI 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 23 Février 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 11 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [E] [H]

né le 29 Mai 1950 à [Localité 7] ([Localité 7])

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Nolvenn BOURRELIER, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Emmanuel LUDOT, Plaidant, avocat au barreau de REIMS

Madame [T] [C] épouse [H]

née le 02 Septembre 1947 à [Localité 6] ([Localité 6])

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Nolvenn BOURRELIER, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Emmanuel LUDOT, Plaidant, avocat au barreau de REIMS

INTIMÉ :

Monsieur [M] [S]

né le 30 Mars 1973 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représenté par Me Jean-Maurice CHAUVIN de la SELARL CHAUVIN JEAN-MAURICE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

************

Par acte authentique en date du 17 juin 1987, les époux [H] ont loué aux époux [X] un local à usage commercial situé à [Localité 8]. Ledit bail a été consenti pour une durée de 9 années entières et consécutives commençant à courir le 17 juin 1987 pour se terminer le 16 juin 1996. Les loyers convenus étaient d’un montant mensuel de 2 000 francs, soit 304,89 euros.

Par jugement en date du 2 mars 2000, le juge des loyers commerciaux du Tribunal de Grande Instance de Saint Malo a fixé à la somme de 43 930 francs le montant du loyer du bail renouvelé, portant sur ce bail commercial à partir du 16 juin 1996. Le Juge des loyers a considéré qu’il y avait lieu à déplafonnement du loyer du bail renouvelé du fait de l’évolution favorable et durable des facteurs locaux de commercialité intervenue au cours du bail précédent. Le juge des loyers a également constaté l’accord des bailleurs et de la SARL société Le Galion, preneur, pour un renouvellement du bail commercial à compter du 16 juin 1996 pour une durée de 9 années entières et consécutives pour se terminer à pareille époque de l’année 2005.

Par acte en date du 1er juin 2004, M. [M] [S] a acquis le fonds de commerce exploité dans les lieux. Dans le cadre de la cession du bail au profit de M. [M] [S], il était rappelé que le loyer tel qu’indexé au 16 juin 2004 était d’un montant annuel de 8 026 euros HT, soit 668,83 euros HT par mois. Actuellement, le loyer est d’un montant, indexation comprise, de 10 667 euros HT par an, soit de 888,91 euros HT par mois, soit encore 1 066,69 euros TTC par mois.

Par exploit en date du 9 mai 2005, M. [M] [S] a demandé le bénéfice du renouvellement du bail commercial du local. M. [H] a signifié son accord sur le principe du renouvellement, sous réserve du montant du loyer, qu’il souhaitait en effet fixer à la somme mensuelle de

1 200 euros HT, compte-tenu de la modification des facteurs locaux de commercialité.

Le 16 novembre 2005, M. [M] [S] a répondu qu’il n’acceptait pas le nouveau loyer.

Par acte du 28 mars 2014, M. [M] [S] a demandé le renouvellement de son bail commercial pour une durée de 9 ans, à compter du premier jour du trimestre civil suivant la date de signification de la demande de renouvellement, soit le 1 er avril 2014.

Par exploit du 27 juin 2014, les époux [H] ont signifié leur réponse à la demande de renouvellement portant refus de renouvellement.

Le refus de renouvellement était justifié de la façon suivante :

« Défaut de paiement des loyers, absence de jouissance des lieux en bon père de famille (défaut d’entretien). »

Par assignation du 24 avril 2015, les époux [H] ont saisi le Tribunal de Grande Instance de Saint Malo, aux fins de :

– prononcer la résiliation du bail commercial,

– ordonner l’expulsion de M. [M] [S]

– condamné M. [M] [S] au paiement d’une indemnité d’occupation

sans droit ni titre du jour du jugement à intervenir jusqu’au jour de la libération effective du logement sur la base du loyer contractuellement stipulé pour 1 066,69 euros par mois,

– condamner M. [M] [S] à payer aux époux [H] les loyers dus,

– assortir cette condamnation des intérêts au taux légal à compter de l’assignation.

Par assignation en date du 24 avril 2015, M. [M] [S] a également saisi le Tribunal de Grande Instance de Saint Malo.

Par jugement en date du 8 octobre 2018, le tribunal a :

– constaté le refus de renouvellement de bail commercial opposé par les époux [H] à M. [M] [S],

– dit que M. [M] [S] avait droit à une indemnité d’éviction et qu’il

était redevable d’une indemnité d’occupation,

– dit que M. [M] [S] était titulaire d’un droit d’occupation des lieux dans le local appartenant aux époux [H] depuis le 1er avril 2014 selon les clauses et conditions du bail souscrit le 17 juin 1987 et qu’il était donc autorisé à y demeurer jusqu’à perception de son indemnité d’éviction,

– condamné M. [M] [S] à payer aux époux [H] la TVA sur les

loyers non prescrits,

– avant dire droit sur le montant de l’indemnité d’occupation et de l’indemnité d’éviction,

– ordonné une expertise et a commis pour y procéder M. [O] [Y],

– dit que les frais d’expertise sont avancés par M. [M] [S] à hauteur de 1 500 euros et par les époux [H] à hauteur de 1 500 euros,

– commet M. Reynaud, Président du Tribunal de Grande Instance de Saint Malo pour surveiller l’exécution de la mesure,

– débouté les époux [H] de leur demande pour résistance abusive,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement

Le 4 décembre 2018, les époux [H] ont interjeté appel de cette décision et aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 1er mars 2021, ils demandent à la cour de :

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a constaté le refus de renouvellement du bail commercial opposé par les époux [H] à M. [M] [S],

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a condamné M. [M] [S] à payer aux époux [H] la TVA sur les loyers non prescrits,

– réformer le jugement dont appel sur le surplus de ses dispositions,

Et statuant à nouveau :

– ordonner l’expulsion de M. [M] [S] ainsi que celle de toute personne et de tout bien de son chef, et ce dès la décision à intervenir,

– condamner M. [M] [S] au paiement d’une indemnité d’occupation à compter du 1er avril 2014 jusqu’au jour de la libération effective du logement sur la base du loyer contractuellement stipulé pour 1 079, 95 euros TTC par mois à cette date, indexée sur l’indice du coût de la construction,

– condamner M. [M] [S] à payer aux époux [H] la somme de 83 630,202 euros correspondant aux loyers et indemnités d’occupation selon décompte arrêté au mois de janvier 2019 outre au paiement des indemnités d’occupation postérieures jusqu’au jour de la libération effective des lieux,

– condamner M. [M] [S] à payer aux époux [H] la somme de 2 488 euros correspondant aux taxes foncières 2015, 2016, 2017, 2018,

– condamner M. [M] [S] à payer aux époux [H] la somme de 505,55 euros correspondant aux charges récupérables 2016/2017,

– assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de l’assignation,

– dire que les requérants pourront avoir recours à tous serrurier, Huissier de

Justice et forces de l’ordre pour l’exécution de cette expulsion,

– condamner M. [M] [S] à payer aux époux [H] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, et celle de 4 500 Euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile, pour la première instance et à la même somme en cause d’appel,

– débouter M. [M] [S] de l’ensemble de ses demandes et conclusions et notamment de son appel incident,

-subsidiairement, si une expertise judiciaire devait être ordonnée, mettre

l’entière consignation à la charge de M. [M] [S],

– le condamner en tous les frais et dépens, de première instance et d’appel.

-ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

Par dernières conclusions notifiées le 18 janvier 2022, M. [M] [S] demande à la cour de :

– déclarer irrecevables les demandes des époux [H] tendant à voir condamner M. [S] à leur payer la somme de 5 001 euros au titre des taxes foncières pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018 ainsi que la somme de 887,88 euros au titre des charges récupérables pour les années 2016 et 2017,

– recevoir M. [M] [S] en son appel incident et l’y dire bien fondé,

– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a condamné M. [M] [S] a payer aux époux [H] la TVA sur les loyers non prescrits,

– réformer le jugement dont appel en ce qu’il a dit que les frais d’expertise seront avancés par M. [M] [S] à hauteur de 1 500 euros et par les époux [H] à hauteur de 1 500 euros et statuant à nouveau, dire que les frais d’expertise seront avancés intégralement par les époux [H],

– confirmer le jugement dont appel sur le surplus de ses dispositions,

– débouter les époux [H] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

– condamner les époux [H] à payer à M. [M] [S] Ia somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pour la première instance, et à la même somme en cause d’appel,

– condamner les époux [H] aux entiers dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés par Maître Jean-Maurice Chauvin, SELARL, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Par arrêt du 25 juin 2020, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement de M. [S] de son incident de communication de pièces et a débouté M. et Mme [H] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et les deux parties de leur demande sur le fondement de l’article 70à du code de procédure civile et a dit que les dépens suivront le sort de l’instance au fond.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 3 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

– Sur l’irrecevabilité des demandes des époux [H] de voir condamner M. [S] à leur payer les sommes dues au titre des taxes foncières pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018 ainsi que la somme due au titre des charges récupérables pour les années 2016 et 2017

M. [S] soulève l’irrecevabilité des demandes présentées par les époux [H] tendant à le voir condamner à leur payer la somme de 5 001 euros au titre des taxes foncières pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018 et la somme de 887,88 euros au titre des charges récupérables pour les années 2016 et 2017 comme étant nouvelles au sens de l’article 564 du code de procédure civile. Il ajoute que ces demandes ne peuvent être considérées comme constituant une demande accessoire aux prétentions des époux [H] soumises en première instance au sens de l’article 566 du code de procédure civile.

M. et Mme [H] rétorquent que le paiement de ces impôts et charges est un accessoire et une conséquence du contrat de bail et en déduisent que leur demande en paiement est parfaitement recevable au sens des dispositions de l’article 566 du code de procédure civile.

L’article 564 du code de procédure civile dispose ‘ à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait’.

L’article 566 du code de procédure civile dispose ‘les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire’.

En l’espèce, M. et Mme [H] avaient assigné M. [S] notamment en résiliation du bail commercial, en condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation et en condamnation au paiement des loyers dus. Ils n’avaient pas présenté en première instance de demande en paiement relative à la taxe foncière ni aux charges récupérables puisque si leurs conclusions n°7 devant la juridiction de première instance mentionnaient que la taxe foncière 2015 et 2016 n’avait pas été réglée ni les charges, ils n’avaient formulé aucune demande en paiement spécifique.

En tout état de cause, si le paiement de ces impôts et charges est distinct du paiement du loyer, il n’en demeure pas moins qu’il a pour objet le même fait originaire en l’occurrence le contrat du bail querellé. La demande présentée par M. et Mme [H] constitue, dès lors, l’accessoire de la prétention soumise aux premiers juges et est parfaitement recevable au sens de l’article 566 du code de procédure civile. M. [S] sera débouté de sa fin de non recevoir.

– Sur le refus de renouvellement du bail commercial

M. et Mme [H] demandent de voir confirmer le jugement en ce qu’il a constaté leur refus de renouvellement de bail commercial opposé à M. [S], celui-ci n’a pas remis en cause cette disposition. Le jugement sera ainsi confirmé sur ce point.

M. et Mme [H] considèrent avoir respecté la procédure applicable en la matière. Ils concèdent ne pas avoir adressé une mise en demeure précédant le refus de renouvellement mais ils soutiennent que leur mise en demeure délivrée au preneur le 12 janvier 2017 lui a néanmoins permis de disposer d’un délai supérieur à un mois avant que le jugement ne soit rendu pour mettre fin aux faits qui lui étaient reprochés. Ils sollicitent le bénéfice des dispositions de l’article L.145-17 du code de commerce relatif au refus de renouvellement du bail commercial sans indemnité d’éviction en invoquant l’existence de motifs graves et légitimes en l’espèce un défaut de paiement des loyers et un défaut d’entretien.

M. [S] sollicite la confirmation du jugement qui a reconnu le principe d’une indemnité d’éviction. Il soulève le fait que M. et Mme [H] ne peuvent se prévaloir des dispositions de l’article L.145-17 du code de commerce faute de lui avoir fait signifier une mise en demeure préalable au refus de renouvellement alors qu’il s’agit d’un préalable indispensable pour permettre au locataire de régulariser sa situation dans le mois suivant sa notification.

L’article L.145-17 du code de commerce dispose : ‘Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d’aucune indemnité : 1° S’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant. Toutefois, s’il s’agit soit de l’inexécution d’une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l’exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l’article L. 145-8, l’infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s’est poursuivie ou renouvelée plus d’un mois après mise en demeure du bailleur d’avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du présent alinéa ;

2° S’il est établi que l’immeuble doit être totalement ou partiellement démoli comme étant en état d’insalubrité reconnue par l’autorité administrative ou s’il est établi qu’il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état. II.-En cas de reconstruction par le propriétaire ou son ayant droit d’un nouvel immeuble comprenant des locaux commerciaux, le locataire a droit de priorité pour louer dans l’immeuble reconstruit, sous les conditions prévues par les articles L. 145-19 et L. 145-20″

* S’agissant de la mise en demeure prévue par les dispositions de l’article L.145-17 du code de commerce

En l’espèce, les bailleurs ont signifié leur réponse à la demande de renouvellement du bail commercial de M. [S] portant refus de renouvellement par exploit du 27 juin 2014 pour ‘défaut de paiement des loyers et absence de jouissance des lieux en bon père de famille (défaut d’entretien)’ mais ils n’ont fait délivrer une mise en demeure par exploit d’huissier que le 12 janvier 2017 soit 2 ans et 7 mois après le refus de renouvellement du bail.

En principe, la mise en demeure est délivrée préalablement au refus de renouvellement pour permettre au locataire de régulariser la situation dans un délai d’un mois. La jurisprudence admet que la mise en demeure et le congé puissent être signifiés dans le même acte ou concomitamment.

Les bailleurs soutiennent que la jurisprudence admet que l’ultime limite pour la délivrance de la mise en demeure de l’article L.145-17 du code de commerce est le jugement à intervenir en se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation du 21 mai 1970 (Cass.Civ. 3, 21 mai 1970, pourvoi n°68-11263) mais comme le relève à juste titre le conseil du preneur dans ses écritures, cet arrêt a été rendu pour défaut d’exploitation du local commercial et dans le cas d’espèce s’agissant d’une infraction particulièrement grave, la mise en demeure était intervenue un mois et demi après le refus de renouvellement et non plus de 2 ans après comme dans le cas présent. Cet arrêt n’est donc pas transposable en l’espèce.

Aux termes de la mise en demeure délivrée le 12 janvier 2017, M. et Mme [H] demandent à M. [S] de :

– payer la somme de 66 689,55 euros pour solde des arriérés de loyers, indemnités d’occupation et TVA

– nettoyer votre commerce

– réparer les équipements cassés

– vous mettre en conformité avec le règlement de copropriété

– déposer les décorations de façade

en précisant qu’il dispose d’un délai d’un mois pour mettre fin aux infractions qui lui étaient reprochées et que passé ce délai, l’inexécution d’une seule de ces obligations ‘vaudra pour refus de renouvellement de bail sans paiement d’aucune indemnité’.

Mais en l’espèce, le refus de renouvellement des bailleurs avait déjà été signifié au preneur et ce depuis le 27 juin 2014. Le preneur se trouve ainsi privé de la possibilité de réparer les infractions reprochées pour éviter un refus de renouvellement du bail puisqu’un tel refus lui avait été préalablement signifié. Or ce n’est que si le preneur n’a pas réparé ou mis fin aux infractions invoquées dans la mise en demeure que le refus sans indemnité peut être invoqué par les bailleurs.

La Cour de cassation a retenu que la simple absence de mise en demeure, soit parce qu’effectivement aucune mise en demeure n’a été délivrée, soit parce que celle délivrée l’a été tardivement comme en l’espèce ou est nulle pour vice de forme, ne suffit pas à entraîner la nullité du congé, qui met bien fin au bail qui ne peut donc être renouvelé par le juge, mais ouvre droit au paiement de l’indemnité d’éviction (Civ 3ème, 15 mai 2008, no07-12.669) faute de manquement contractuel opposable au locataire.

De surcroît, il convient de relever que les motifs invoqués à l’appui du refus de renouvellement par les bailleurs le 27 juin 2014 ‘pour défaut de paiement des loyers et absence de jouissance des lieux en bon père de famille (défaut d’entretien)’ ne sont pas précis et ne sont pas étayés s’agissant de la période antérieure au refus de renouvellement. Les motifs invoqués dans la mise en demeure délivrée le 12 janvier 2017 soit postérieurement au refus de renouvellement ne peuvent être retenus au titre des motifs graves et légitimes définis par l’article 145-17 du code de procédure civile.

Par conséquent, M. [S] a droit à une indemnité d’éviction.

Aux termes de l’article L.145-28 alinéa 1 du code de commerce, aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7 compte tenu des éléments d’appréciation.

Le jugement qui a considéré que M. [S] avait droit à une indemnité d’éviction et était redevable d’une indemnité d’occupation sera confirmé.

– Sur l’expertise judiciaire et la consignation

M. et Mme [H] s’opposent à l’expertise judiciaire ordonnée par le jugement aux fins de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation due depuis le 1er avril 2014, date de la résiliation du bail. S’agissant de l’indemnité d’éviction, ils considèrent que M. [S] ne prouve pas l’existence de son préjudice et qu’il ne justifie pas être toujours immatriculé. S’agissant de l’indemnité d’occupation, ils proposent de la voir fixer au montant du loyer majoré de la TVA et indexé sur le coût de la construction soit la somme de 1 066,69 euros TTC par mois.

A titre subsidiaire, ils demandent de voir mettre à la charge de M. [S] l’entière consignation.

M. [S] sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a ordonné une expertise judiciaire mais demande de dire que les frais d’expertise seront intégralement avancés par M. et Mme [H].

Aux termes de l’article L.145-14 du code de commerce, l’indemnité d’éviction a pour objet de réparer le préjudice subi par le locataire en raison de son départ des lieux et comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée selon les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

L’article L.145-33 précise que le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage ; un décret en conseil d’Etat précisant la consistance de ces éléments.

Il ressort de ce qui précède que le preneur, qui peut rester dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, est redevable d’une indemnité d’occupation qui doit être fixée à la valeur locative.

Les bailleurs ne peuvent soutenir que le locataire ne justifie pas de l’existence d’un quelconque préjudice dans la mesure où le refus de renouvellement du bail constitue, de fait, un préjudice pour le locataire qui se voit priver de sa propriété commerciale. M. [S] justifie par la production d’un extrait Kbis son immatriculation au RCS de [Localité 8] pour son établissement le Galion.

Par ailleurs, l’indemnité d’occupation, qui doit correspondre à la valeur locative du local loué affectée notamment d’un abattement pour tenir compte de la précarité de l’occupation actuelle, est distincte du loyer auquel elle ses substitue de plein droit à l’expiration du bail non renouvelé.

Compte tenu de la complexité pour évaluer l’indemnité d’éviction et l’indemnité d’occupation, une expertise judiciaire préalable est nécessaire.

Le jugement sera confirmé sur le principe et la mission d’expertise ordonnée. En revanche, il sera réformé en ce qu’il a dit que les frais d’expertise seront avancés par M. [S] à hauteur de 1 500 euros et par M. et Mme [H] à hauteur de 1 500 euros, M. [S] ayant droit à une indemnité d’éviction sera tenu d’avancer les frais d’expertise en totalité.

– Sur le paiement de la TVA des loyers

M. et Mme [H] reprochent à M. [S] de ne pas avoir réglé le montant de la TVA en sus du loyer qui était prévu au contrat de bail.

M. [S] rétorque que si le bail prévoit effectivement que le loyer est assujetti à la TVA, M. et Mme [H] n’ont pas justifié de leur assujettissement à la TVA et qu’au contraire, ils ont reconnu, à l’occasion de la procédure devant le conseiller de la mise en état que M. [S] avait saisi pour voir produire le justificatif de cet assujettissement, qu’ils n’étaient pas assujettis à cette taxe. Il considère que cet aveu judiciaire des bailleurs qui ont admis ne pas avoir opté pour la TVA ne leur permet pas de réclamer la TVA sur les loyers.

Aux termes des dispositions de l’article 1134 ancien du code civil applicable au litige, les conventions tiennent légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Aux termes des dispositions de l’article 1353 du code civil, ‘celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit le prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation’.

Aux termes de l’article 260 du code général des impôts, les personnes qui donnent en location des locaux nus peuvent, sur leur demande, acquitter la taxe sur la valeur ajoutée, y compris, si le bail est conclu à compter du 1er janvier 1991, pour les besoins de l’activité d’un preneur non assujetti lorsque le bail fait mention de l’option par le bailleur.

En l’espèce, le contrat de bail du 17 juin 1987 mentionne que le bailleur opte pour l’assujettissement à la TVA et le contrat de cession de fonds de commerce du 1er juin 2004 indique un ‘loyer annuel hors TVA de 24 000 francs soit 3 658,78 euros payable mensuellement et d’avance le premier de chaque mois, TVA en sus au taux en vigueur’. Le bail mentionne un loyer soumis à la TVA mais également l’option du bailleur à l’assujettissement à la TVA.

L’option pour l’assujettissement à la TVA en ce qui concerne l’activité de location nue doit faire l’objet d’une déclaration expresse qui doit prendre la forme de la déclaration visée à l’art. 286-1° et ne peut résulter seulement de la facturation, de la déclaration et de l’acquittement de la taxe. Mais ces dispositions sont relatives à la validité de l’option, du point de vue de l’administration fiscale et du bailleur, et elles n’ont pas d’effet sur la validité de la stipulation contractuelle du bail.

L’article 1356 alinéa 1 du code civil (devenu l’article 1383-2 du code civil) dans sa version applicable au litige dispose que ‘l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques’.

Il résulte de la production des conclusions d’incident de M. et Mme [H] en date du 19 mai 2020 devant le conseiller de la mise en état qu’ils indiquent ‘il convient donc d’observer que les bailleurs, particuliers, ne sont pas des commerçants et ne sont pas assujettis à la TVA et n’ont pas exercé l’option à la TVA’. M. et Mme [H] reconnaissent ainsi dans le cadre d’une même procédure de manière non équivoque ne pas avoir exercé l’option pour être assujettis à la TVA. Ils ne peuvent pas, dans ces conditions, solliciter le versement de la TVA sur les loyers à leur preneur alors qu’ils ne sont pas assujettis à cette taxe.

De plus, il n’est pas contesté le fait que les bailleurs n’ont pas sollicité le règlement de la TVA avant l’assignation délivrée à M. [S].

Au vu des ces éléments, M. et Mme [H] seront déboutés de leur demande de condamnation de M. [S] à leur payer la TVA en sus des loyers. Le jugement sera réformé sur ce point.

– Sur la taxe foncière et les charges récupérables

M. et Mme [H] sollicitent le paiement par M. [S] des taxes foncières 2015, 2016, 2017 et 2018 pour des montants respectifs de 1 187, 423, 433 et 445 euros et le paiement des charges récupérables dans le cadre des charges communes de copropriété pour 2016 et 2017 représentant une somme globale de 505,55 euros au motif que le bail prévoit le paiement des impôts et charges divers.

M. [S] s’y oppose en arguant que ces taxes et charges ne sont pas prévues au contrat de bail et que les bailleurs ne lui ont jamais réclamées.

Aux termes des dispositions de l’article 1134 ancien du code civil applicable au litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Si l’article R.145-35 du code de commerce permet de répercuter la taxe foncière sur le locataire, il n’en demeure pas moins que cette taxe, dont la charge pèse en vertu du code général des impôts sur le propriétaire, ne peut être imputée au locataire qu’en vertu d’une disposition expresse du bail.

De même, l’obligation pour le locataire de supporter les charges liées à la propriété des locaux, incombant normalement au bailleur, doit être expressément prévue au contrat. Si ces charges ne sont pas précisées dans une clause particulière, elles ne sont pas récupérables par le bailleur qui en reste redevable.

Il résulte de l’article 10 du bail intitulé ‘impôts et charges divers’ que ‘ le preneur devra acquitter exactement les impôts, contributions et taxes à sa charge personnelle et dont le bailleur pourrait être responsable sur le fondement des dispositions fiscales en vigueur. Il devra justifier de leur acquit, notamment en fin de bail et avant tout enlèvement d’objets mobiliers, matériel et marchandises.

Il remboursera au bailleur, en même temps que chaque terme de loyer, les taxes locatives et les différentes prestations et fournitures que les propriétaires sont en droit de récupérer sur les locataires, sauf remboursement du solde en même temps que le paiement du terme annuel du loyer’.

S’agissant de la taxe foncière, la mention ‘les impôts, contributions et taxes’ que le preneur devra acquitter est relative aux impôts et taxes qui sont à sa charge personnelle et non à la charge du bailleur, ce qui exclut la taxe foncière. Il doit en être déduit que le bail ne prévoit pas expressément que la taxe foncière soit mise à la charge du locataire.

S’agissant des charges récupérables, aucune clause particulière du bail ne mentionne qu’elles sont mises à la charge du preneur. En effet, la mention relative aux ‘taxes locatives et les différentes prestations et fournitures que les propriétaires sont en droit de récupérer sur les locataires’ ne peuvent être considérées comme faisant référence aux charges récupérables dans le cadre des charges communes de copropriété.

M. et Mme [H] seront déboutés de leur demande à ce titre.

– sur la demande au titre de la résistance abusive

M. et Mme [H] sollicitent la condamnation de M. [S] à leur verser une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive caractérisée par le fait de M. [S] de contester les motifs du non renouvellement et de réclamer une indemnité d’éviction.

M. [S] demande de voir confirmer la décision entreprise qui les a déboutés de leur demande faute de justifier une quelconque résistance abusive.

Il convient de rappeler que l’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol, ce dont M. et Mme [H] ne justifient pas en l’espèce.

Le jugement qui les a déboutés de leur demande à ce titre sera confirmé.

– Sur les frais irrépétibles et les dépens

Succombant en leur appel, M. et Mme [H] seront condamnés à verser la somme de 1 500 euros à M. [S] au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens en cause d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Le jugement sera infirmé sur les dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens et M. et Mme [H] seront condamnés à verser la somme de 1 500 euros à M. [S] au titre des frais irrépétibles et aux dépens de première instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe :

Déboute M. [M] [S] de la fin de non recevoir soulevée au visa de l’article 564 du code de procédure civile ;

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le paiement par M. [S] de la TVA sur les loyers non prescrits, la consignation à valoir sur la rémunération de l’expert commis, les frais irrépétibles et les dépens ;

Statuant à nouveau,

Déboute M. [E] [H] et Mme [T] [C] épouse [H] de leur demande de paiement par M. [M] [S] de la TVA sur les loyers non prescrits ;

Dit que les frais d’expertise seront avancés par M. [M] [S] à hauteur de 3 000 euros à valoir sur la rémunération de l’expert commis par le jugement ;

Condamne M. [E] [H] et Mme [T] [C] épouse [H] à verser la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Condamne M. [E] [H] et Mme [T] [C] épouse [H] aux dépens de première instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Déboute M. [E] [H] et Mme [T] [C] épouse [H] du surplus de leur demande, fins et conclusions ;

Condamne M. [E] [H] et Mme [T] [C] épouse [H] à verser la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles en cause d’appel ;

Condamne M. [E] [H] et Mme [T] [C] épouse [H] aux dépens en cause d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente,

 


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