22 juin 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/20653
Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRET DU 22 JUIN 2022
(n° 190 , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/20653 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA6UR
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Septembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 14/12434
APPELANTS
Monsieur [X] [S]
né le 22 Novembre 1938 à Blida (Algérie)
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Michel SEPTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0691
Madame [L] [O] épouse [S]
née le 22 Février 1944 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Michel SEPTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0691
INTIMEE
SOCIETE HOTEL DE BUCI agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 552 103 608
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Marie-anne LAPORTE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0455
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Monsieur Gilles BALA , président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Gilles BALA , Président de chambre
Madame Sandrine GIL, Conseillère
Madame Edmée BONGRAND, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Gilles BALA , Président de chambre et par Claudia CHRISTOPHE, Greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Le fonds de commerce dit hôtel de Buci est exploité par la société Hôtel de Buci, à titre principal dans des locaux situés à [Adresse 3], appartenant à la SCI Léonie Jennyfer, et accessoirement dans des locaux ayant permis son extension, situés [Adresse 1], ayant appartenu aux époux [Z] qui en ont consenti la jouissance par des baux en date du 19 janvier 2001, 16 mars 2001 et 6 décembre 2003.
Monsieur [X] [S] et Madame [L] [O] épouse [S] ont cédé à la Société Nouvelle du Terrass Hôtel (ci-après SNTH) toutes leurs participations dans la société Hôtel de Buci et dans la SCI Léonie Jennyfer par un protocole du 8 décembre 2005 suivi d’un acte de cession du 31 mars 2006.
Par acte sous seing privé du 8 décembre 2005, intitulé « convention annexe sur les locaux du [Adresse 1], les époux [S] ont affirmé leur intention d’acquérir les locaux situés [Adresse 1] ; ils ont notamment promis de donner à bail les locaux utilisés comme chambre et les locaux annexes, dans les conditions prévues dans une annexe B en remplacement des baux en cours auxquels la SNTH renoncerait, le nouveau bail ne portant que sur une partie de l’assiette des 3 beaux précédents ; et ils ont consenti à la SNTH, en cas d’acquisition, une promesse de lui revendre les locaux loués au prix de 750 000 €.
Or, par acte authentique du 31 mars 2006, les époux [S] ont acquis des époux [Z] l’immeuble situé [Adresse 1] ; par acte extrajudiciaire du 6 décembre 2007, la SNTH a manifesté sa volonté d’acquérir en levant l’option.
Plusieurs procédures ont opposé les parties. Par jugement du 26 octobre 2009, le tribunal de commerce de Paris a prononcé diverses condamnations des époux [S] au profit de la SNTH au titre de la garantie de passif.
Par arrêt définitif du 21 février 2013, la cour d’appel de Paris a jugé valable la promesse de vente, et elle a jugé la vente parfaite par suite de la levée d’option ; par arrêt définitif du 22 octobre 2015, elle a précisé que la propriété du bien immobilier a été transférée au jour de la levée d’option, le 6 décembre 2007.
Dans ce contexte procédural, et notamment en raison des pourvois en cassation exercés contre les décisions précitées, jusqu’au dernier arrêt de rejet en date du 23 mars 2017, d’autres procédures ont opposé les parties, relatives d’une part à la validité ou à la nullité du congé signifié à la requête des époux [S] le 23 juillet 2012, pour mettre fin au bail des locaux annexes, [Adresse 1], d’autre part aux prétentions d’une indemnité d’éviction, et enfin relatives au paiement des loyers, charges de copropriété, taxes foncières, et plus généralement à l’apurement des comptes.
Après jonction de toutes ces procédures, le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 10 septembre 2019, a :
– Déclaré irrecevables les demandes en paiement de loyers et charges à l’encontre de la société Hôtel de Buci comme étant prescrites;
– Déclaré recevables la demande en restitution de la somme de 39.840€ au titre des loyers 2010 et 2011;
– Rejeté la demande de la société Hôtel de Buci en restitution de la somme de 39.840€;
– Dit que le congé délivré le 23 juillet 2012 les consorts [S] est nul et de nul effet;
– Condamné la société SNTH à payer aux consorts [S] la somme de 46.354,13€ au titre des charges de copropriété et taxes foncières impayés;
– Ordonné la compensation de la créance d’un montant de 46.354,13€ avec la créance d’un montant de 9.200€ au profit de la société SNTH et représentant le solde de l’article 700 du CPC mis à la charge des époux [S] par l’arrêt de la cour d’appel du 21 février 2013;
– Condamné la société SNTH à payer aux époux [S] la somme de 2.000€ sur le fondement de l’article 700 du CPC;
– Ordonné l’exécution à titre provisoire;
– Condamné la société SNTH aux dépens.
Par déclaration du 7 septembre 2019, les consorts [S] ont interjeté appel de ce jugement à l’encontre de la société Hôtel de Buci.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 20 avril 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Vu les dernières conclusions déposées le 10 mars 2022, par lesquelles les époux [S], appelants, demandent à la Cour de réformer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes en paiement de loyers et charges à l’encontre de la société Hôtel de Buci comme étant prescrites,
A titre principal
-Dire et juger que la société Hôtel de Buci est redevable envers eux du paiement des loyers et des charges du 1er janvier au 6 décembre 2007 ;
-Condamner la société Hôtel de Buci à leur payer la somme de 45.723,31 € au titre des loyers et charges impayés, déduction faite du paiement effectué par compensation d’un montant de total de 39.716,35€, soit un solde de 6.006,96€ ;
A titre subsidiaire
-Confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de la société Hôtel de Buci en restitution de la somme de 39.840€ en jugeant par substitution de motif que la compensation en date du 29 juillet 2010 s’est imputée sur les loyers et charges locatives de 2007, et qu’elle a éteint la créance de la société Hôtel de Buci résultant du jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 26 octobre 2009 ;
En tout état de cause
– Débouter la société Hôtel de Buci de l’intégralité de ses demandes ;
– La condamner au paiement de la somme de 6.000€ en application de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions déposées le 24 septembre 2020, par lesquelles la société Hôtel de Buci, intimée, demande à la Cour de :
A titre principal,
– Confirmer purement et simplement le jugement du 10 septembre 2019 notamment en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes en paiement de loyers et charges à son encontre comme étant prescrites;
– Dire irrecevable, comme contraire au principe d’estoppel, la demande subsidiaire formée par les consorts [S] et tendant à dire que le loyer et les charges locatives pour la période allant du 1er janvier au 6 décembre 2007 ont été réglés, en 2010, par compensation, cette demande étant en totale contradiction avec leur demande principale de règlement du loyer et des charges locatives pour la même période;
– Débouter les époux [S] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions;
A titre subsidiaire,
– Limiter, en l’état des éléments communiqués et si la prescription n’était pas retenue, les condamnations prononcées à son encontre aux sommes suivantes :
– 18.442,53€ au titre des loyers dus pour la période allant du 1er janvier au 5 décembre 2007 par application de la minoration des loyers de 50%,
– ou à 17.024,09€ au titre des loyers dus pour la période allant du 1er janvier au 5 décembre 2007, si la minoration des loyers de 50% était écartée, auquel cas le loyer est déterminé par un prorata du loyer global en fonction des surfaces réellement occupées,
– Dire que les éventuelles sommes mises à sa charge devront se compenser en tout ou partie avec les sommes que lui doivent les époux [S] en exécution du jugement en date du 26.10.2009.
En tous cas,
– Condamner les époux [S] à lui payer une indemnité de 6.000€ en application de l’article 700 du CPC, et aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Marie-Anne Laporte.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur l’effet dévolutif de l’appel
L’exposé des moyens et prétentions des parties, par le visa de leurs conclusions ci-dessus, démontre que la disposition du jugement ayant déclaré nul et de nul effet le congé délivré le 23 juillet 2012 ne fait pas l’objet de critique ni de demande d’infirmation ; cette disposition est définitive.
De même, la SNTH n’est pas appelante ni intimée ; les dispositions du jugement l’ayant condamnée à payer diverses sommes avec compensation partielle, ainsi qu’aux dépens et frais irrépétibles, sont définitives.
Enfin, la société Hôtel de Buci n’a pas formé appel incident et elle demande à titre principal la confirmation du jugement ; la disposition relative au rejet de sa demande en restitution de la somme de 39’840 € est donc définitive. La demande par laquelle les époux [S] prétendent à titre subsidiaire que cette disposition soit confirmée est donc sans objet, puisqu’aucune partie n’en demande la réformation, de sorte que la substitution des motifs de cette disposition n’entre pas dans les questions dont la Cour est saisie par l’effet dévolutif.
Le litige en appel est donc circonscrit à l’action des époux [S] en paiement de loyers et charges pour la période du 1er janvier au 6 décembre 2007, à la prétention subsidiaire de la société hôtel de Buci aux fins de compensation avec les sommes qui lui sont dues en exécution du jugement du 26 octobre 2009 et aux prétentions des parties relatives aux dépens et frais irrépétibles d’appel.
Sur les loyers exigés pour la période du 1er janvier au 6 décembre 2007
À cette demande des époux [S], la société hôtel de Buci oppose une fin de non-recevoir tirée de la prescription.
Aux termes de l’article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. L’action en paiement de loyers et charges est soumise à cette règle de prescription.
Le fait permettant aux époux [S] d’exercer une action en paiement de loyers et charges, n’est autre que le constat d’impayés ; dès leur acquisition de l’immeuble du [Adresse 1], le 31 mars 2006, ils ont acquis la qualité de propriétaire bailleur et ils ont pu constater au fur et à mesure des échéances, leur défaut de paiement.
Leur demande en justice, pour la première fois par conclusions signifiées le 11 mars 2015, plus de 5 ans après l’échéance des loyers impayés pour la période du 1er janvier au 6 décembre 2007, est prescrite, si elle n’a pas été suspendue ou interrompue.
Les époux [S] invoquent quatre causes de suspension ou d’interruption de la prescription:
– l’assignation en date du, qui a saisi le tribunal de grande instance de Paris d’une action ayant donné lieu au jugement du 6 juin 2012,
– l’appel interjeté ayant donné lieu à l’arrêt du 21 février 2013,
– les congés délivrés le 23 juillet 2012 et la procédure introduite le 27 septembre 2012
– la reconnaissance du droit du créancier
aux termes de l’article 2241 du Code civil, « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. »
Les assignations par lesquelles la SNTH ou la société Hôtel de Buci ont saisi le tribunal, à l’évidence, n’ont pas d’effet interruptif pour le défendeur. Les époux [S] ne précisent pas quelles sont les demandes reconventionnelles en paiement de loyers qui auraient pu interrompre la prescription, admettant à l’inverse que leurs conclusions du 11 mars 2015 ont pour la première fois présentées au tribunal une demande en paiement de loyers et charges.
De même, l’acte d’appel ne peut être assimilé à une action en justice au sens du texte précité que s’il comporte le rappel d’une demande en paiement de loyers.
Le litige qui s’est poursuivi, relatif au transfert de propriété de l’immeuble loué, n’a pas de rapport avec la demande en loyers pour la période antérieure au 6 décembre 2007 ; aucun obstacle ne s’opposait à l’introduction par les époux [S] d’une demande en paiement de loyers à l’encontre de la société locataire.
Les actes de congés du 23 juillet 2012, n’ayant pas d’autre objet que de mettre fin au bail, n’ont pas davantage interrompu la prescription de l’action en paiement des loyers.
Aux termes de l’article 2240 du Code civil, » la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription. »
Les époux [S] prétendent qu’en s’acquittant du paiement des loyers de 2007 par compensation en date du 29 juillet 2010, la société hôtel de Buci a reconnu le droit du créancier, et de ce fait a interrompu la prescription.
Aux termes des articles 1289 et 1290 du Code civil, dans leur ancienne rédaction applicable à la date du 29 juillet 2010, lorsque deux personnes se trouvent débitrices l’une envers l’autre, il s’opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes, et la compensation s’opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs ; les deux dettes s’éteignent réciproquement, à l’instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives.
La créance des époux [S] était à cette date certaine, liquide et exigible, dans la mesure où la société Hôtel de Buci admet dans ses conclusions qu’elle n’a jamais été contestée par elle. La créance de la société Hôtel de Buci était également certaine, liquide et exigible, résultant des dispositions du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 26 octobre 2009, d’une part à son profit personnel pour un montant de 9738 € et d’autre part au profit de la SNTH pour un montant de 29’978,35 €, du fait de la cession de cette dernière créance à son profit.
Pour autant, cette compensation de plein droit, que la société Hôtel de Buci a elle-même revendiqué par sa lettre du 29 juillet 2010, ne vaut pas reconnaissance du droit du créancier pour des loyers sur la période du 1er janvier au 6 décembre 2007 dans la mesure où cette lettre ne mentionne aucune échéance de loyer en particulier, prétendant à une compensation avec la créance de loyers sans préciser de quelle créance il s’agit et sans reconnaître par conséquent le bien fondé d’un quelconque décompte, en l’absence de réclamation du bailleur.
En effet à la date du 29 juillet 2010, le loyer dû ne faisait pas l’objet de réclamations et le dossier ne comporte aucun décompte de cette époque, ou antérieur. De même le dossier ne révèle aucune contestation relative aux loyers antérieurs au 6 décembre 2007, que la compensation opposée en 2010 aurait pu concerner.
En l’espèce, la reconnaissance du droit de la société Hôtel de Buci à percevoir d’une manière générale des loyers, sans viser aucune échéance particulière, pouvait tout aussi bien concerner des loyers postérieurs puisque les époux [S] n’avaient pas renoncé à se prévaloir de la qualité de propriétaires bailleurs, et que le litige sur la validité de la promesse de vente, après exercice de l’option, était né.
Aussi, la demande de compensation ne concernant pas les loyers faisant l’objet de la demande en justice, n’a pas constitué une reconnaissance du droit de créance litigieux.
L’action en paiement de loyers exercée pour la première fois par conclusions du 11 mars 2015, doit être en conséquence déclarée irrecevable, en raison de la prescription.
Il n’y a donc pas lieu de statuer sur la demande subsidiaire formée par la société Hôtel de Buci.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En application des articles 696 et 699 du code de procédure civile, les époux [S] qui succombent devront supporter les dépens de l’instance d’appel dont la distraction sera ordonnée au profit de Maître Marie-Anne Laporte.
En équité, les appelants devront indemniser la société Hôtel de Buci en lui payant, en application de l’article 700 du code de procédure civile, une somme de 3000 € pour frais irrépétibles d’instance d’appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme, en toutes ses dispositions contestées, le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 10 septembre 2019,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Monsieur [X] [S] et Madame [L] [O] épouse [S] à payer à la société hôtel du Buci la somme de 3000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Les condamne in solidum aux dépens.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT