30 août 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/01525
Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 30 AOÛT 2022
(n° / 2022, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01525 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBKRA
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Novembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 18/01993
APPELANTE
Madame [P] [M]
Née le [Date naissance 1] 1944 à MORTAIN (50)
Demeurant [Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034,
Assistée de Me Victor DAUDET, avocat au barreau de PARIS, toque R44,
INTIMÉE
SCI LZ III, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 433 234 135,
Ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée et assistée de Me Catherine DAUMAS de la SCP d’Avocats BOUYEURE BAUDOUIN DAUMAS CHAMARD BENSAHEL GOME Z-REY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0056,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Mars 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant la cour, composée en double-rapporteur, de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions de l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE:
Maître [M] a été désignée administrateur provisoire de l’immeuble en indivision sis [Adresse 2], du 9 février 2006 au 24 juillet 2014, par ordonnances successives du président du tribunal de grande instance de Paris, avec notamment pour mission de gérer et administrer l’immeuble, de vérifier les conditions d’occupation de l’immeuble, d’encaisser tous loyers ou indemnités d’occupation, de rechercher toutes solutions amiables en particulier sur la conclusion ou le renouvellement des baux, de représenter l’indivision tant en demande qu’en défense dans toutes les instances dont l’objet entre dans les limites de ses pouvoirs d’administration et d’accomplir tous actes d’administration nécessaires.
L’immeuble, comportant une boutique, était notamment occupé par la société Sonia K en vertu de deux baux commerciaux en dates des 21 septembre 1995 et 21 juin 1996 consentis par la famille [W] d’une part, et la famille [D] d’autre part, propriétaires indivis.
Par actes des 31 mars 2005 et 6 avril 2005, la société Sonia K a notifié une demande de renouvellement des baux.
Le 26 mai 2005, la SCI LZ III est devenue propriétaire d’un quart de l’immeuble.
En l’absence d’accord sur le montant des loyers du bail renouvelé, Maître [M] a fait assigner la société Sonia K devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris le 25 janvier 2008 pour voir fixer le montant du loyer en renouvellement en principal à 120.000 euros au 1er avril 2005
Par jugement avant-dire-droit du 24 septembre 2008, le juge des loyers commerciaux a constaté l’accord des parties sur le principe du renouvellement des contrats sous la forme d’un bail unique à effet du 1er avril 2005 et désigné M. [G], expert pour donner un avis sur le montant du loyer.
Par jugement du 22 mai 2014, le juge des loyers commerciaux a fixé à compter du 1er avril 2005 le loyer à un montant en principal de 41.650 euros hors taxe et hors charges.
Sur appel interjeté par Maître [M], ès qualités, le 16 juillet 2014, et repris par la SCI LZ III après que cette société est devenue entièrement propriétaire de l’immeuble le 24 juillet 2014, la cour d’appel de Paris a, par arrêt du 8 juillet 2016, confirmé la décision du juge des loyers commerciaux.
La mission de l’administrateur provisoire a pris fin le 24 juillet 2014.
Par acte du 27 septembre 2013, Maître [M], ès qualités, avait fait signifier à la société Sonia K un congé avec offre de renouvellement du bail arrivant à échéance le 31 mars 2014, moyennant un nouveau loyer à communiquer ultérieurement. Par acte du 1er août 2014, la SCI LZ III, devenue propriétaire de la totalité des locaux donnés à bail, a notifié à la société Sonia K qu’elle entendait voir appliquer un nouveau loyer de 96.000 euros HT et HC. Aucun accord n’étant intervenu sur le montant du loyer, la SCI LZ III a par acte d’huissier du 19 juin 2015 fait usage de son droit d’option et indiqué qu’elle entendait revenir sur son acceptation de principe du renouvellement et refuser ce renouvellement moyennant le paiement d’une indemnité d’éviction à laquelle la société locataire pourrait avoir droit.
Invoquant l’arrêt du 8 juillet 2016 et l’absence d’indexation, la société Sonia K a, par acte d’huissier du 9 février 2017, réclamé à la SCI LZ III la restitution d’un trop-versé de loyer pour la période postérieure au 1er avril 2006, par référence au montant judiciairement fixé, contestant en outre la révision triennale du loyer de 2008 et 2011, soit une somme de 103.706,74 euros.
Après avoir contesté le montant de cette réclamation, la société LZ III a payé les sommes appelées.
Par actes d’huissier des 13 février 2018 et 17 juin 2019, la SCI LZ III a fait assigner en responsabilité Maître [M] devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir le paiement de 80.000 euros de dommages et intérêts.
Par jugement du 27 novembre 2019, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Paris a condamné Maître [M] à payer à la SCI LZ III la somme de 71.158,80 euros de dommages et intérêts, ainsi que celle de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Pour statuer ainsi le tribunal a considéré que Maître [M], qui ne rapportait pas la preuve lui incombant qu’elle avait valablement procédé à la révision légale du loyer commercial litigieux pour les périodes triennales postérieures à la date du bail renouvelé, avait manqué à son devoir de diligence et exposé sa responsabilité délictuelle à l’égard de la SCI LZ III, que dès lors qu’aucune révision triennale du loyer n’était valablement intervenue, la locataire avait à juste titre sollicité l’application du loyer judiciairement fixé sur la période postérieure au 31 mars 2008 ouvrant droit à répétition de la partie de loyer indûment perçue du 1er avril 2008 au 31 mars 2014, date de fin du bail, soit 41.158,80 euros, que s’y ajoutait une somme de 30.000 euros au titre de la perte de chance pour la bailleresse d’obtenir à compter du 1er avril 2014, dans l’attente de la fixation de l’indemnité d’éviction, une indemnité d’occupation calculée sur la base du loyer révisé.
Maître [M] a relevé appel de ce jugement, selon déclaration du 14 janvier 2020.
Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 3 mars 2021, Maître [M] demande à la cour’d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer à la SCI LZ III la somme de 71.158,80 euros de dommages et intérêts, celle de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, juger que la société LZ III ne rapporte la preuve d’aucune faute qui lui est imputable en lien causal direct avec un préjudice certain, débouter la société LZ III de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, subsidiairement, juger que doivent être soustraites de la somme de 71.158,80 euros accordée à la SCI LZ III par le jugement déféré,’la somme de 34.518,21 euros au titre de la révision intervenue au 2ème trimestre 2006, la somme de 35.643,84 euros au titre de la révision intervenue par courrier du 26 décembre 2012, plus subsidiairement, la somme de 20.808,60 euros au titre de la révision intervenue par courrier du 26 juin 2014, encore plus subsidiairement, la somme de 21.298,20 euros au titre de la révision à laquelle la SCI LZ III aurait dû procéder postérieurement à la fin de sa mission, ainsi que la somme de 30.000 euros accordée par le jugement déféré au titre d’une perte de chance.
Elle sollicite en tout état de cause, la condamnation de la société LZ III à lui verser 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 8 mars 2021, la SCI LZ III demande à la cour’de confirmer en son entier le jugement entrepris, de condamner Maître [M] à lui payer une indemnité de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties, il est renvoyé à leurs écritures.
SUR CE
La SCI LZ III recherche la responsabilité de Maître [M] à raison de fautes qu’elle considère avoir été commises par celle-ci dans l’exercice de sa mission d’administrateur provisoire de l’immeuble.
– Sur la faute
La SCI LZ III expose que Maître [M] a commis une faute de gestion dans le cadre de sa mission d’administrateur provisoire en ce qu’elle n’a pas mis en ‘uvre la révision triennale des loyers dans les formes et délais requis par le statut des baux commerciaux, alors qu’une telle révision constituait une diligence élémentaire. Elle soutient que les deux lettres transmises par Maître [M], évoquant une révision du loyer sont nulles et de nul effet en ce qu’elles ne remplissent pas les conditions de forme requises par les dispositions d’ordre public des articles L 145-37 et suivants et R 145-20 et suivants du code de commerce et en ce qu’au surplus elles ne concernent qu’une partie des loyers afférents à l’un des baux et non le loyer pour les deux baux réunis, et qu’en s’abstenant d’envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception au 1er avril 2008, puis au 1er avril 2011, Maître [M] n’a pas permis au bailleur d’exiger ensuite du preneur le paiement d’un loyer révisé, et ce, y compris après le prononcé de l’arrêt du 8 juillet 2016 fixant à 41.650 euros le montant du loyer en principal dû au 1er avril 2005, alors que si la révision avait été valablement appliquée sur le montant du loyer exigible à l’époque, elle aurait permis ensuite une application sur le montant du loyer fixé ultérieurement par la décision de justice rétroactive au 1er avril 2005.
Maître [M] conteste toute faute, soulignant qu’elle n’était tenue qu’à une obligation de moyens et que la seule omission d’une diligence ne saurait suffire à engager sa responsabilité. Elle fait valoir qu’il ne saurait lui être reproché une absence de révision triennale du loyer commercial, dès lors qu’elle a bien procédé à cette révision, laquelle a eu lieu pour la partie du loyer dit «’bail [D]’», au 2ème trimestre 2006, au 4ème trimestre 2008, au 4ème trimestre 2011 et au 3ème trimestre 2014 et pour la partie du loyer dit «’bail [W]’» au 3ème trimestre 2009. Elle considère que la SCI LZ III ne peut prétendre ne pas disposer des pièces attestant de ces révisions alors qu’elle lui a remis l’intégralité des documents en sa possession à la fin de sa mission.Elle ajoute, que même à supposer que les augmentations de loyers n’aient pas été réalisées par courrier recommandé, il ne peut en être déduit qu’elles auraient été inefficaces, dès lors qu’une simple lettre suffit si le destinataire reconnait l’avoir reçue et n’a subi aucun préjudice du fait de l’absence d’envoi en recommandé, qu’en l’occurrence s’il existait un contentieux quant au montant du loyer du bail renouvelé, la révision des loyers est quant à elle intervenue sans que la société Sonia K ne formule aucune contestation.
Dans sa demande de restitution d’un trop-perçu de loyers après l’arrêt du 8 juillet 2016, la société Sonia K arguait qu’aucun des deux baux ne comportant de clause d’indexation, le loyer fixé par la cour d’appel n’avait pas pu être indexé depuis le 1er avril 2005, et que conformément à l’article R 145-20 alinéa 1er du code de commerce, la demande de révision ne pouvait être formée que par acte extra judiciaire ou par lettre recommandée avec accusé de réception et devait préciser le montant du loyer demandé, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce.
Le bail ‘[W]’ du 21 septembre 1995 stipule un loyer annuel de 150.000 francs ( 22.867,35 euros), ‘révisable conformément à la législation en vigueur’. Le bail ‘[D]’du 14 juin 1996 prévoit un loyer annuel de 78.000 francs HT (11.891,02 euros), ‘révisable conformément à la législation en vigueur’.
A compter du 1er avril 2005 le prix du bail renouvelé (les deux baux ayant été réunis) a été judiciairement fixé à 41.650 euros par an en principal, le dépôt de garantie étant réajusté en conséquence.
Les baux ne comportant pas de clause d’indexation, le montant du loyer ne pouvait être révisé qu’en appliquant la procédure de révision prévue par l’article R145-20 du code de commerce selon lequel ‘ La demande de révision des loyers prévue à l’article L145-37 est formée par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Elle précise à peine de nullité, le montant du loyer demandé ou offert. A défaut d’accord, la demande est jugée dans les conditions prévues aux articles L145-56 à L145-60. Le nouveau prix est dû à dater du jour de la demande.’
Selon l’article L 145-37 les loyers des baux renouvelés ou non peuvent être révisés à la demande de l’une ou l’autre des parties sous les réserves prévues aux articles 145-38 et L145-39.
En application de l’article L 145-38 du code de commerce la demande de révision des loyers ne peut être formée que trois ans au moins après le point de départ du bail renouvelé, de nouvelles demandes de révision pouvant être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.
Les parties s’étant, à la suite de la demande de renouvellement formée par la société preneuse en 2005, accordées sur le principe du renouvellement, le bail s’est trouvé renouvelé à compter du 1er avril 2005, seul restant en débat jusqu’à l’arrêt du 8 juillet 2016 le prix du bail renouvelé.
En application des textes sus visés, une révision pouvait être demandée à l’issue de la première période triennale suivant le renouvellement du bail au 1er avril 2015, soit au 1er avril 2008, puis au 1er avril 2011 à l’issue de la seconde période triennale, sachant que le bail s’est trouvé ensuite résilié au 31 mars 2014.
A défaut de révision, le loyer restait fixé aux montants figurant dans les baux d’origine, jusqu’à la fixation par le juge des loyers commerciaux du prix du bail renouvelé avec effet au 1er avril 2005.
Une telle demande de révision constituait une diligence nécessaire et au demeurant habituelle, la procédure qui était en cours devant le juge des loyers commerciaux depuis 2008 tendant à la fixation du prix du bail renouvelé ne dispensant pas l’administrateur provisoire de procéder à une telle révision.
Maître [M] soutient d’ailleurs qu’elle a, parallèlement à la procédure pendante devant le juge des loyers commerciaux, procédé à une révision du loyer:
-pour le bail ‘[D]’ au 2ème trimestre 2006, au 4ème trimestre 2008, au 4ème trimestre 2011 et au 3ème trimestre 2014,
– pour le bail [W] au 2ème trimestre 2006, au 3ème trimestre 2009 et au 3ème trimestre 2012, ces révisions ayant fait l’objet d’un accord sans réserve de la part du preneur qui s’est à chaque fois acquitté du montant du loyer révisé.
La SCI LZ III, à la suite de la société Sonia K, conteste l’existence d’une révision régulière des loyers qui aurait pu lui permettre de limiter la créance de restitution de la société preneuse.
Ainsi que l’a relevé le tribunal, la référence à la révision du loyer dans les comptes rendus d’administration provisoire rédigés par Maître [M] ne permet pas d’établir qu’il a été procédé à une révision conforme aux exigences formelles de l’article R145-20 du code de commerce.
Il en est de même du bordereau de remise de pièces à la SCI LZ III en fin de mission de Maître [M], signé le 30 juillet 2014 par le mandataire de la SCI, dans lequel sont cochées les cases indiquant ‘ Avis de loyer et révision ( suivant bail [D])’ et Avis de loyer et révision (suivant bail MOSCOWICH)’. ‘Un avis de loyer et révision’ ne permettant pas en tant que tel d’établir que l’administrateur provisoire a procédé à des révisions par lettre recommandée ou acte extrajudiciaire. Ce bordereau ne permet pas non plus de démontrer que la SCI LZ III dissimulerait les courriers recommandés de révision, alors que si cette dernière avait été en possession de documents justifiant d’une révision des loyers conforme aux dispositions du code de commerce, elle n’aurait pas manqué de les opposer à la société Sonia K afin de réduire la créance de restitution de celle-ci.
La SCI verse aux débats des quittances de loyers adressées à la société Sonia K, qui lui ont été communiquées par cette dernière. Si certaines quittances mentionnent bien une augmentation de loyer, ces indications ne sont pas de nature à démontrer qu’il a valablement été procédé à des révisions du loyer.
Sont également produits deux courriers de Maître [M] adressés à la société Sonia K:
– le premier daté du 26 décembre 2012 mentionne que le loyer est révisable à l’expiration de chaque période triennale en fonction de l’indice du coût de la construction, qu’il est en conséquence passé à 4.498,75 euros au 15 juin 2011.
– le second daté du 26 juin 2014, rédigé dans des termes similaires, porte le loyer révisé à 4.739,39 euros à compter du 15 juin 2014.
Le seul accusé réception produit par Maître [M] ( pièce 8) se rapporte au courrier du 26 décembre 2012. Si ce courrier apparaît bien avoir été adressé en recommandé à la société Sonia K (l’accusé réception étant signé, mais à une date illisible sur la copie), il ne répond cependant pas aux exigences du code de commerce en ce qu’il prévoit une révision du loyer avec une rétroactivité de 18 mois, totalement incompatible avec le dernier alinéa de l’article R145-12 du code de commerce selon lequel le loyer révisé n’est dû qu’à compter du jour de la demande. Le courrier indique par ailleurs au locataire qu’il trouvera ‘ci-joint la révision de votre loyer au 15 juin 2021″, mais le document joint n’est pas versé aux débats, de sorte qu’il n’existe pas d’indication précise sur le calcul appliqué pour déterminer le montant du loyer révisé, la seule référence étant ‘l’indice du coût de la construction’, sans qu’il soit énoncé les indices comparés, alors de surcroît qu’il ne s’agissait pas d’appliquer une clause contractuelle d’indexation, inexistante dans les baux.
Ces courriers ne permettent pas de justifier d’une révision des loyers conforme aux exigences du code de commerce, étant en tout état de cause relevé qu’ils ne sauraient pallier l’absence de révision au 1er avril 2008 et au 1er avril 2011.
Si la société Sonia K a réglé en grande partie les loyers ainsi majorés, il ne ressort d’aucune pièce qu’elle a formalisé son acceptation d’un loyer révisé. Ces augmentations de loyer sont intervenues alors qu’une demande de renouvellement avait été formée par la société preneuse en 2005 et que les parties ne s’accordant pas sur le prix du bail renouvelé, Maître [M] avait en 2008 saisi le juge des loyers commerciaux pour faire fixer judiciairement le loyer du bail en renouvellement, cette procédure s’étant poursuivie jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel le 8 juillet 2016. Dans les semaines qui ont suivi cet arrêt, la société Sonia K a procédé au compte entre les parties comme le prévoit l’article L145-57 du code de commerce. Dans un tel contexte, Maître [M] soutient vainement que le paiement du loyer sans opposition vaut acceptation tacite par le preneur de la révision.
Il s’ensuit, que Maître [M] en omettant de procéder dans les conditions de forme imposées par le code de commerce aux révisions à compter de l’expiration de la période triennale suivant le renouvellement du bail le 1er avril 2005, a commis une faute dans l’exécution de son mandat qui portait notamment sur la gestion des locaux donnés à bail, que cette faute ne se limite pas à une simple négligence, le non respect du formalisme prescrit par le code de commerce privant d’effet la révision à laquelle le bailleur pouvait prétendre.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu la faute de Maître [M].
– Sur le préjudice et le lien de causalité
La SCI LZ III sollicite la confirmation du jugement ayant fixé son préjudice à 71.158,80 euros. Elle expose que son préjudice se décompose comme suit:
– à compter du 1er avril 2008 : un manque à gagner de 5.599,17 euros par an soit pour la période triennale considérée un manque à gagner de 16.797,51 euros,
– à compter du 1er avril 2011 un manque à gagner de 8.120,43 euros par an soit pour cette seconde période triennale un manque à gagner de 24.361,29 euros,
– à compter du 1er avril 2014, une perte de chance de percevoir des indemnités d’occupation à hauteur de à tout le moins de 49.770,43 euros par an durant la procédure en fixation d’une éventuelle indemnité d’éviction, ce qui l’a contraint à rembourser sur la période du 1er avril 2014 au 31 juillet 2017 un montant de 25.038 euros.
Maître [M] conteste tout lien de causalité entre la faute qui lui est reprochée et le préjudice allégué, exposant que la SCI LZ III est responsable des pertes qu’elle invoque, en ce qu’elle n’avait pas à rembourser à la société Sonia K l’intégralité des sommes que celle-ci réclamait sans émettre la moindre contestation, que seules les allégations mensongères de la société Sonia K et la négligence de la société LZ III sont à l’origine du préjudice invoqué par cette dernière, que si la SCI LZ III ne pouvait pas s’opposer au nouveau montant du loyer tel que judiciairement fixé, elle devait nécessairement s’opposer à la remise en cause par la société Sonia K des révisions précédemment intervenues, qui plus est au-delà du délai de prescription.
Il est tout d’abord soutenu que les demandes de la société Sonia K étaient prescrites, en ce que celle-ci ne pouvait dix ans plus tard remettre en cause les avis de révision correspondant à des loyers qu’elle avait réglés.
La SCI LZ III réplique à juste titre que les demandes de restitution n’étaient pas prescrites dès lors que la société Sonia K ne pouvait procéder au compte entre les parties qu’à partir du moment où le loyer du bail renouvelé a été fixé par l’arrêt du 8 juillet 2016, le montant des sommes à restituer dépendant de la fixation judiciaire du prix du bail renouvelé, l’article L 145-57 du code de commerce prévoyant que le compte est à faire entre le bailleur et le preneur après fixation définitive du prix du loyer. La société Sonia K a réclamé le paiement de la somme de 70.245,86 euros dès l’automne 2016 (mail officiel de l’avocat de la société Sonia K du 28 novembre 2016 pièce 12 de l’intimée) en soulevant l’absence de révision et d’indexation.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient Maître [M] la SCI LZ III n’a pas remboursé d’emblée et sans contrôle la société Sonia K, des échanges ayant eu lieu entre les avocats de la société Sonia K et de la bailleresse, et avec Maître [M] que la SCI avait sollicitée pour obtenir plus de précisions sur le montant des loyers. La SCI n’a réglé qu’après la délivrance d’un commandement de payer et afin d’éviter des mesures d’exécution forcée.
En l’absence de révision conforme des loyers, la société Sonia K était bien titulaire d’une créance de restitution à ce titre, et Maître [M] ne démontre pas que la SCI LZ III a commis une faute à l’origine de son préjudice en acceptant de régler une créance existante
Maître [M] soutient ensuite, que la SCI LZ III ne peut prétendre à aucune indemnisation dès lors qu’elle connaissait la situation locative et la procédure en cours contre la société Sonia K, et qu’elle adéclaré faire son affaire personnelle de toutes les conséquences en résultant, dans l’acte de cession du 24 juillet 2014. Elle ajoute qu’aux termes d’un avenant du 24 juillet 2014, la SCI s’est même vu verser une provision sur risques de 44.600 euros concernant toutes les conséquences auxquelles elle pouvait être exposée à raison des procédures et que la SCI ne saurait obtenir a posteriori de l’administrateur judiciaire personnellement ce dont elle a fait l’économie dans le cadre de sa négociation avec les cédants.
La clause dans l’acte de cession conclu le 24 juillet 2014 par Mmes [W], Mme [N] et la société LZ III, selon laquelle cette dernière s’est obligée à « prendre le bien licité dans son état actuel, sans pouvoir élever aucune réclamation ni prétendre à aucune indemnité (…) pour quelque cause que ce soit » et selon laquelle la perte ou le profit des procédures contre les locataires sera supporté exclusivement par le cessionnaire, n’a d’effet qu’entre les cédants et le cessionnaire et ne préserve que les cédants de tout recours du cessionnaire au titre des procédures en cours.
S’agissant de la provision de 44.600 euros remise par Maître [M] à la SCI LZ III , elle résulte d’un avenant du 24 juillet 2014 au protocole d’accord du 20 mai 2014, qui a été conclu entre la SCI LZ III, l’indivision [W] et Mme [N] à l’occasion d’un contentieux relatif à la répartition des revenus et dépenses entre les co-indivisaires à partir de l’exercice 2008. Cet avenant acte l’accord des signataires pour faire cesser l’indivision au moyen d’une licitation, et prévoit en son article 5 que les fonds se trouvant entre les mains de Maître [M] seront répartis entre les indivisaires comme il est prévu à l’article 3, sauf une provision de 44.600 euros ‘à conserver au titre des risques résultant des procédures ayant opposé l’Administrateur Judiciaire aux locataires’ qui sera remise par Maître [M] à la SCI LZ III sauf les honoraires de l’administrateur.
L’article 7 mentionne au titre des procédures en cours, dont la SCI LZ III devait faire son affaire personnelle des pertes ou profit en contrepartie de la provision pour risques remise par Maître [M], d’une part celle à l’encontre de la société Sonia K en fixation du loyer au 1er avril 2005, d’autre part celles à l’encontre de Mmes [E] et [B], qui avaient notamment donné lieu à un jugement du tribunal d’instance de Paris 2ème ,dont appel avait été relevé le 4 juillet 2014.
Il en résulte que la provision versée était destinée à couvrir les risques liés à plusieurs procédures, étant relevé que dans la procédure concernant l’une des locataires (Mme [E]), les bailleurs avaient été condamnés par un jugement frappé d’appel à payer des dommages et intérêts. Par ailleurs, les risques identifiés dans la procédure pendante devant le juge des loyers commerciaux ne pouvaient concerner que l’aléa tenant à la fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé, dès lors qu’il n’existait à la date de l’avenant aucun contentieux relatif à l’absence de révision triennale.
C’est en conséquence à juste titre que le tribunal a retenu qu’aucun élément ne permettait d’établir que les conditions dans lesquelles la SCI avait acquis le bien immobilier en 2014 auraient déjà intégré le préjudice découlant de l’absence de révision opposable au locataire.
– sur le préjudice au titre de la période du 1er avril 2008 au 31 mars 2014
Il sera rappelé que le bail s’est trouvé résilié à effet du 31 mars 2014, suite à l’exercice du droit d’option par la bailleresse.
L’indemnisation de la SCI LZ III doit être appréciée à l’aune de l’absence de révision des loyers au 1er avril 2008 et au 1er avril 2011. Si ces révisions avaient été formées correctement, la différence à rembourser à la société Sonia K après la fixation judiciaire du loyer à effet du 1er avril 2005 aurait été moindre.
Dès lors qu’il vient d’être jugé qu’aucune révision n’est valablement intervenue sur les six années considérées (1er avril 2008 au 31 mars 2014), il n’y a pas lieu de procéder aux déductions invoquées subsidiairement par Maître [M], sauf à préciser que la contestation de la somme de 30.000 euros au titre de la perte de chance relative à l’indemnité d’occupation sera examinée ci-après.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné Maître [M] à payer 41.158,80 euros de dommages et intérêts à la SCI LZ III au titre du préjudice subi sur la période du 1er avril 2008 au 31 mars 2014.
– sur la perte de chance au titre de l’indemnité d’occupation
Par jugement du 15 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que par l’effet du congé signifié par Maître [M] le 31 mars 2014 et l’exercice du droit d’option par la SCI LZ III le 19 juin 2015, le bail avait pris fin le 31 mars 2014, que ce congé avait ouvert droit pour la société Sonia K au paiement d’une indemnité d’éviction, tandis que la SCI LZ III était redevable à la bailleresse d’une indemnité d’occupation du 1er avril 2014 jusqu’à son départ effectif.
Par jugement rectificatif du 2 février 2021, le tribunal judiciaire de Paris a dit que l’indemnité d’occupation sera fixée à la somme de 51.700 euros par an hors taxes et hors charges, après application de l’abattement de précarité de 10% pour la période du 1er avril 2014 au 19 juin 2015, puis à celle de 57.424 euros jusqu’à la libération effective des locaux.
La SCI LZ III soutient que cette décision démontre qu’elle a perdu la chance de percevoir une indemnité d’occupation au moins égale à 49.770,73 euros par an en principal pendant le cours de la procédure en fixation de l’indemnité éventuelle d’éviction et de l’indemnité d’occupation, et qu’elle doit se contenter de percevoir 41.650 euros par an alors qu’elle aurait dû pouvoir encaisser la somme de 49.770,43 euros sans avoir à restituer la différence.
Maître [M] déduit au contraire du jugement rendu le 2 février 2021 l’absence de perte de chance pour la SCI de percevoir une indemnité d’occupation calculée sur le montant du loyer révisé.
Si la SCI LZ III a été contrainte de rembourser en 2017 à la société Sonia K une somme de 25.038 euros (1er avril 2014 au 31 juillet 2017) au titre de la différence entre le montant de l’indemnité d’occupation à laquelle elle aurait eu droit si le montant de l’indemnité avait été calculé sur le loyer révisé, il n’en reste pas moins que postérieurement, cette indemnité d’occupation a été judiciairement fixée à une somme supérieure à celle de 49.770,43 euros que la société Sonia K avait payé avant d’obtenir restitution de la partie excédant le montant de 41.650 euros. La SCI LZ III dispose donc d’un titre lui permettant de prétendre à une indemnité d’occupation à compter du 1er avril 2014 sur la base de 51.700 euros par an, puis de 57.424 euros après le 19 juin 2015 et donc au paiement de la différence avec la somme de 41.650 euros réglée par la société preneuse. Il n’est ni justifié, ni même allégué de l’impossibilité de recouvrer cette indemnité d’occupation auprès de la société Sonia K.
Il s’ensuit que la SCI LZ III manque à établir l’existence d’une perte de chance certaine et qu’elle doit être déboutée de ce chef de préjudice, le jugement étant infirmé en ce qu’il a fixé ce poste de préjudice à 30.000 euros.
– Sur les dépens et les frais irrépétibles
Si Maître [M] a obtenu en appel une diminution du montant des dommages et intérêts alloués à la SCI LZ III, elle n’a pas pour autant été déchargée de toute condamnation en réparation de sa faute de gestion.
En conséquence, les dépens d’appel, comme ceux de première instance seront mis à sa charge.Devant supporter les dépens Maître [M] ne peut prétendre au paiement d’une indemnité procédurale. Elle sera condamnée à verser à la SCI LZ III une indemnité procédurale de 4.000 euros s’ajoutant au montant alloué par le tribunal sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement sauf sur le montant des dommages et intérêts auquel Maître [M] a été condamnée,
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Condamne Maître [M] à payer à la SCI LZ III la somme de 41.158,80 euros à titre de dommages et intérêts,
Déboute Maître [M] de sa demande d’indemnité procédurale,
Condamne Maître [M] à payer à la SCI LZ III une somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel,
Condamne Maître [M] aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés directement par Maître Daumas en application de l’article 699 du code de procédure civile.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La Présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT