Indemnité d’éviction : 21 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/06270

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Indemnité d’éviction : 21 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/06270

21 septembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG
21/06270

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2022

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 21/06270 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEBLR

Décision déférée à la Cour : Jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes d’Evry le 5 Décembre 2011sous le RG n° 09/01056 ; infirmé par un arrêt de la chambre 6/6 de la Cour d’appel de PARIS rendu le 27 Novembre 2013 sous le RG N° 12/0021 lui-même cassé par la Cour de Cassation dans son arrêt rendu le 29 Septembre 2016, ayant renvoyé la cause et les parties devant la Cour d’appel de PARIS autrement composée. 

Puis, confirmé par un arrêt de la chambre 6/5 de la Cour d’appel de PARIS rendu le 16 Mai 2019 sous le RG N°16/08247, lui-même cassé par la Cour de Cassation dans son arrêt n°534 F-D rendu le 12 Mai 2021 ayant renvoyé la cause et les parties devant la Cour d’appel de PARIS autrement composée. 

DEMANDEUR

M. [J] [C]

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représenté par Me Nathalie LEHOT, avocat au barreau D’ESSONNE

DÉFENDEURS

SELAFA MJA prise en la personne de Me [D] [O] ès qualité de mandataire liquidateur de la SOCIÉTÉ ALTIS SEMICONDUCTOR

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Joël GRANGÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461 substitué par Me Roman GUICHARD, avocat au barreau de PARIS

ASSOCIATION UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF OUEST

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représenté par Me Florence ROBERT DU GARDIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0061 substitué par Me Pierre LEBART, avocat au barreau de PARIS, toque : R0245

S.A.S.U. X-FAB FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Frédéric NAVARRO, avocat au barreau de PARIS, toque : R090 substitué par Me Marc-Antoine AIMARD, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, chargé du rapport, et M. Fabrice MORILLO, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [C] a été engagé à compter du 23 février 1979 en contrat de travail à durée indéterminée par la société IBM France, en qualité d’agent de fabrication.

La société Altis semiconductor a repris le site de [Localité 6] auquel il était affecté, le 24 mars 2000, et la société IBM a informé le salarié du transfert de son contrat de travail à la société Altis semiconductor en application de l’article L.122-12 devenu L.1224-1 du code du travail.

M. [C] a engagé des actions prud’homales en référé afin d’obtenir sa réintégration au sein de la société IBM.

Par ordonnance de référé du 18 juillet 2002, le conseil de prud’hommes d’Evry a dit que le contrat de travail n’avait pas été transféré à la société Altis Semiconductor et que le salarié était toujours au service de la société IBM qui a été condamnée à sa réintégration et au paiement d’une provision sur salaires. Cette société s’est exécutée.

Par jugement au fond du 22 juillet 2004, statuant en formation de départage, le conseil de prud’hommes a dit que le contrat de travail avait été transféré à la société Altis Semiconductor en application de l’article L.1224-1 du code du travail, que le salarié n’était plus au service de la société IBM depuis avril 2000 et a condamné le salarié à rembourser à celle-ci les sommes perçues en exécution des ordonnances de référé.

Par arrêt du 7 septembre 2006, la cour d’appel de Paris, infirmant le jugement de départage du 22 juillet 2004, a dit que M. [C] était resté salarié de la société IBM France jusqu’au 14 décembre 2000, a condamné cette dernière au paiement de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour inexécution fautive du projet social d’entreprise du 1er octobre 1999, et 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 21 février 2008, la Cour de Cassation a déclaré non admis le pourvoi principal du salarié et le pourvoi incident de la société IBM

Par courrier du 6 avril 2007, M. [C] a demandé à la société Altis Semiconductor de l’informer quant aux conditions de sa reprise d’activité au terme de son arrêt de travail qui prenait fin le 5 mai 2007.

Par courrier du 23 mai 2007, la société Altis Semiconductor a informé le salarié qu’elle n’avait pas de poste disponible à lui proposer.

Par ordonnance du 4 décembre 2008, le conseil de prud’hommes d’Evry, statuant en référé a fixé la moyenne des salaires à 1 700 euros, constaté que M. [C] était salarié de la société Altis Semiconductor depuis le 1er avril 2000, ordonné à la société Altis Semiconductor de verser au salarié une provision de 10 000 euros à titre de rappel de salaires, outre la somme de 1 000 euros au titre des congés payés afférents.

Par arrêt du 10 septembre 2009, la cour d’appel de Paris a infirmé cette décision.

Le salarié a saisi au fond la juridiction prud’homale.

Le conseil de prud’hommes d’Evry a, par jugement du 5 décembre 2011 :

– dit que M. [C] avait été salarié de la société Altis Semiconductor à compter du 14 décembre 2000 mais que la relation de travail avait été rompue le 23 juillet 2003 ;

– dit que cette rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamné la société Altis au paiement de diverses sommes.

Sur appel du salarié, la cour d’appel de Paris a, par arrêt du 27 novembre 2013 :

– infirmé le jugement en toutes ses dispositions,

– prononcé la nullité de la rupture du contrat de travail fixée au 7 septembre 2006,

– ordonné la réintégration du salarié au sein de la société Altis Semiconductor sur le poste occupé avant la rupture et en cas de suppression, sur un poste équivalent compatible avec son aptitude physique, sous astreinte,

– condamné la société Altis Semiconductor à payer au salarié les sommes de 176 644 euros à titre d’indemnité pour perte de salaires du 7 septembre 2006 au 14 novembre 2013 et de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,

– dit que les parties devront faire leurs comptes,

– ordonné à la société Altis de remettre au salarié des bulletins de paie conformes depuis le 14 décembre 2010 et de régulariser sa situation auprès des caisses de retraite pour la même période, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai de 2 mois à compter de la présente décision.

La société Altis Semiconductor s’est pourvue en cassation.

Par arrêt du 29 septembre 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt du 27 novembre 2013 en toutes ses dispositions, a remis la cause et les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant ledit arrêt, et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris autrement composée, aux motifs que :

‘ pour prononcer la nullité de la rupture du contrat de travail fixée à la date du 7 septembre 2006, ordonner la réintégration du salarié sur le poste qu’il occupait avant la rupture ou à défaut sur un poste équivalent compatible avec son aptitude physique et condamner la société Altis Semiconductor au paiement d’une indemnité au titre de perte de salaires entre le 7 septembre 2006 et le 14 novembre 2013, de dommages-intérêts pour le préjudice distinct de celui résultant de la perte de l’emploi et à régulariser la situation du salarié auprès des caisses de retraite pour la même période, l’arrêt retient qu’il résulte clairement de l’arrêt de la cour d’appel du 7 septembre 2006, seule décision définitive, que ce dernier était resté salarié de la société IBM France jusqu’au 14 décembre 2000 puis est devenu salarié de la société Altis Semiconductor à compter de cette date ; qu’en ne comparaissant pas à l’audience devant cette juridiction et en s’abstenant de solliciter une interprétation des dispositions de cet arrêt afin de déterminer précisément ses obligations, la société Altis Semiconductor a privé le salarié de l’effectivité de la décision de justice ainsi rendue et l’a maintenu dans une situation de totale précarité, qu’en ne poursuivant pas l’exécution du contrat de travail du salarié à compter du 7 septembre 2006, la société Altis Semiconductor a manifesté de manière claire la rupture du contrat de travail à compter de cette date, celle-ci étant confirmée par les lettres du 23 mai 2007 informant le salarié de l’absence de tout poste disponible correspondant à ses qualifications et du 11 septembre 2008 adressée à l’inspection du travail, qu’en l’absence d’autorisation de licenciement de l’inspection du travail, le licenciement du salarié est nul et que celui-ci peut prétendre à sa réintégration dans le poste qu’il occupait avant la rupture ou sur un poste équivalent compatible avec son aptitude physique ainsi qu’au paiement d’une indemnité pour perte de salaire entre le 7 septembre 2006 et le 14 novembre 2013 ;

l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif et que l’arrêt de la cour d’appel du 7 septembre 2006 s’est borné à dire que le salarié est resté salarié de la société IBM jusqu’au 14 décembre 2000, a condamné cette dernière à lui payer des dommages-intérêts pour inexécution fautive du projet social d’entreprise du 1er octobre 1999 et à lui remettre les bulletins de salaire pour les mois d’avril à octobre 2000 et a rejeté la demande de la société IBM tendant au remboursement des sommes supérieures aux salaires dus au salarié jusqu’au 31 octobre 2000 ; qu’en attribuant ainsi l’autorité de la chose jugée à de simples motifs, la cour d’appel a violé les deux premiers textes susvisés ;

ensuite, ayant constaté qu’en présence en 2000 d’un projet d’application volontaire des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail par les deux sociétés, le salarié avait constamment contesté un tel transfert conventionnel de son contrat de travail, prétendant être resté au service de la société IBM et avait intenté plusieurs actions prud’homales aux fins d’obtenir sa réintégration en son sein et le paiement de salaires correspondant, et que le cessionnaire entendait, ainsi qu’il en avait la faculté, se prévaloir du refus opposé pendant de longues années par le salarié de passer à son service et de ne pas se tenir à sa disposition, la cour d’appel qui devait rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si le refus et le comportement du salarié ne s’opposaient pas à la formation de tout contrat de travail entre lui et la société Altis Semiconductor, n’a pas donné de base légale à sa décision ;’

Le tribunal de commerce de Paris a placé la société Altis Semiconductor en redressement judiciaire, par jugement du 4 août 2016, puis a arrêté un plan de cession de la société Altis Semiconductor au profit de la société X-FAB France, avec reprise de l’ensemble des contrats de travail, par jugement du 30 septembre 2016, et a prononcé l’ouverture d’une liquidation judiciaire à l’encontre de la société Altis Semiconductor en désignant la Selafa MJA en qualité de liquidateur, par jugement du 14 février 2017.

Par arrêt du 16 mai 2019, la cour d’appel de Paris a :

– confirmé le jugement prud’homal en ce qu’il a fait droit à la demande du salarié au titre de l’article 700 à hauteur de 1 500 euros, sauf à condamner la Selafa MJA, en sa qualité de liquidateur de la société Altis Semiconductor au paiement de cette somme,

– infirmé le jugement pour le surplus,

– dit que M. [C] et la société Altis Semiconductor ont été liés par un contrat de travail entre le 14 décembre 2000 et le 5 mai 2007,

– dit que la rupture des relations contractuelles, intervenue le 5 mai 2007, constitue un licenciement nul,

– fixé la créance de M. [C] au passif de la société Altis Semiconductor aux sommes suivantes:

° 20 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

° 40 137,50 euros à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur,

° 4 225 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

° 422,50 euros de congés payés afférents,

° 2 699,77 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– rappelé que les intérêts au taux légal cessent de produire effet au jour de l’ouverture de la procédure collective,

– déclaré l’arrêt opposable à l’AGS CGEA Ile de France Ouest,

– dit que l’AGS CGEA Ile de France Ouest devra garantir ces créances dans la limite du plafond légal,

Y ajoutant,

– condamné la SELAFA MJA en sa qualité de liquidateur de la société Altis Semiconductor à payer à M. [C] une indemnité de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

– débouté M. [C] du surplus de ses demandes à l’encontre de la procédure collective de la société Altis Semiconductor,

– débouté M. [C] de ses demandes à l’encontre de la société X-FAB France.

M. [C] s’est pourvu en cassation.

Par arrêt du 12 mai 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi incident, a cassé et annulé l’arrêt du 16 mai 2019 en ce qu’il a débouté M. [C] de ses demandes formées à l’encontre de la société X-Fab France et de sa demande de fixation au passif de la société Altis Semiconductor d’une créance à titre de salaire pour la période du 5 mai 2007 au 30 septembre 2016 et en ce qu’il avait fixé au passif de la société Altis Semiconductor les sommes de 20 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul, de 40 137,50 euros à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur, de 4 225 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et de 422,50 euros à titre de congés payés afférents et de 2 699,77 euros à titre d’indemnité légale de licenciement, a remis sur ces points l’affaire et les parties en l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt précité, et a condamné les société X-FAB et la société MJA en sa qualité de liquidateur de la société Altis Semiconductor au paiement de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

La cour de cassation a renvoyé l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

Elle a motivé son arrêt comme suit :

‘Vu les articles L. 631-22, L. 642-5 et R. 642-3 du code de commerce et l’article L. 1224-1 du code du travail :

10. La cession de l’entreprise en redressement judiciaire arrêtée par le tribunal de commerce entraîne, en application des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail, le transfert d’une entité économique autonome conservant son identité et, par voie de conséquence, la poursuite par le cessionnaire des contrats de travail des salariés attachés à l’entreprise cédée. Il ne peut être dérogé à ces dispositions que lorsqu’en application des articles L. 631-22 et L. 642-5 du code de commerce, le plan de redressement prévoit des licenciements pour motif économique qui doivent intervenir dans le délai d’un mois après le jugement. Le jugement arrêtant le plan doit indiquer le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées, d’où il suit qu’une liste nominative des salariés licenciés ou repris par le cessionnaire n’a pas à être dressée et serait en toute hypothèse dépourvue d’effet.

11. Pour débouter le salarié de ses demandes formées à l’encontre de la société X-Fab France, l’arrêt retient que le plan de cession arrêté par le jugement du tribunal de commerce du 30 septembre 2016 prévoyait la reprise des salariés dont la liste était annexée, dans laquelle n’apparaissait pas le salarié, et que la société X-Fab France n’était tenue que dans les limites de ce jugement.

12. En se déterminant ainsi, après avoir jugé que le licenciement du salarié par la société Altis Semiconductor, entreprise cédante, était nul, sans constater que le plan de cession prévoyait des licenciements pour motif économique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

13. Conformément à l’article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif critiqué par le second moyen, se rapportant à la demande de rappels de salaire courant entre la date du licenciement et la cession de la société Altis Semiconductor, ainsi que des chefs de dispositif ayant, sur les demandes subsidiaires du salarié, fixé au passif de la procédure collective de la société Altis Semiconductor des sommes à titre d’indemnité pour licenciement nul, d’indemnité pour violation du statut protecteur, d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et d’indemnité légale de licenciement.’

Par déclaration du 11 juin 2021, M. [C] a saisi la cour d’appel de Paris.

Dans ses conclusions soutenues oralement à l’audience, M. [C] demande à la cour de :

– dire qu’il est salarié de la société Altis Semiconductor depuis le 14 décembre 2000 et de la Société X-FAB France depuis le 30 septembre 2016 ;

– Ordonner la poursuite de son contrat de travail et sa réintégration au sein de la Société X-FAB France, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la présente décision ;

– Ordonner sa régularisation sociale, par l’établissement de bulletins de paie, par déclaration auprès des organismes sociaux, le tout sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la présente décision,

– Fixer au passif de la société Altis Semiconductor sa créance, à titre de salaire pour la période du 5 mai 2007 au 30 septembre 2016, date du plan de cession à la Société X-FAB, à la somme de 192 096,66 euros ;

– Condamner la société X-FAB France à lui verser la somme de 155 690,87 euros à titre de salaire à compter du 30 septembre 2016 et provisoirement arrêtée à la date du 30 avril 2022 ;

– Dire que l’AGS CGEA Ile de France Ouest devra sa garantie sur les sommes fixées au passif de la société Altis Semiconductor ;

– Condamner solidairement la société X-FAB France et la SELAFA MJA en sa qualité de liquidateur de la société Altis Semiconductor au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.

– Débouter la société X-FAB France, la SELAFA MJA, en sa qualité de liquidateur de la société Altis Semiconductor et l’AGS CGEA Ile de France Ouest de leurs demandes.

Dans ses conclusions soutenues oralement à l’audience, la SELAFA MJA, en sa qualité de liquidateur de la société Altis Semiconductor demande à la cour de :

– Réduire les demandes de rappels de salaires assortis des congés payés afférents, formées par M. [C] sur les deux périodes comprises entre le 5 mai 2007 et le 30 septembre 2016,

– Débouter M. [C] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner M. [C] à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses conclusions soutenues oralement à l’audience, la société X-FAB France demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [C] des demandes formées à son encontre, de le débouter de l’ensemble de ses prétentions, subsidiairement d’en réduire le quantum, en tout état de cause de le condamner au paiement de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Dans ses conclusions soutenues oralement à l’audience, l’AGS CGEA Ile de France Ouest appelée en garantie demande à la cour de prononcer sa mise hors de cause, subsidiairement de limiter à six mois l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de débouter M. [C] du surplus de ses demandes, en tout état de cause de limiter sa garantie aux assiettes et plafonds légaux, et de condamner le salarié au dépens, subsidiairement de ne pas les mettre à sa charge.

L’affaire a été plaidée le 25 mai 2022.

MOTIFS

Sur la jonction

La procédure ayant été enrôlée deux fois, la jonction des affaires inscrites au rôle de la cour sous les numéros 21/06270 et 21/07589 sera ordonnée.

Sur les effets de l’arrêt du 12 mai 2021

Il résulte des articles 623 et 625 du code de procédure civile que, devant la juridiction de renvoi, l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit, à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation.

Selon l’article 624, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce. Elle s’étend également à l’ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

Ainsi, selon le dispositif de l’arrêt du 12 mai 2021, la cassation n’atteint pas les chefs du dispositif de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 mai 2019 qui ont confirmé le jugement prud’homal en ce qu’il a fait droit à la demande du salarié au titre de l’article 700 à hauteur de 1 500 euros, sauf à condamner la Selafa MJA, en sa qualité de liquidateur de la société Altis Semiconductor au paiement de cette somme, infirmé le jugement pour le surplus, dit que M. [C] et la société Altis Semiconductor ont été liés par un contrat de travail , que la rupture des relations contractuelles, intervenue le 5 mai 2007, constitue un licenciement nul et condamné la Selafa MJA en sa qualité de liquidateur de la société Altis Semiconductor aux dépens de première instance et d’appel.

Sur les demandes à l’égard de la société Altis Semiconductor

M. [C] fait valoir, d’une part, que la réintégration du salarié protégé est de droit et que le salarié réintégré a droit à une indemnité compensatrice de la perte de ses salaires pour la période comprise entre son licenciement et sa réintégration.

La SELAFA MJA réplique que la demande de réintégration de M. [C] au sein de la société Altis Semiconductor a été tardive et ne permet pas de rappel de salaires avant le 21 novembre 2008, que ces demandes font en outre fi des sommes perçues par le salarié en exécution de l’ordonnance de référé rendue par le conseil de prud’hommes d’Evry le 4 décembre 2008 qui n’ont jamais été remboursées à la suite de l’infirmation de l’ordonnance, que les demandes de rappel de salaires se basent sur un salaire erroné et que devront également être déduits de celles-ci, les revenus de remplacement ou autres revenus que le salarié a pu percevoir sur toute la période considérée et dont il lui appartiendra de s’expliquer précisément.

L’AGS CGEA Ile de France Ouest soutient que M. [C] n’a jamais travaillé au sein de la société Altis Semiconductor, puisqu’au contraire, il s’y est toujours opposé et qu’il ne justifie pas de la réunion de trois conditions pour caractériser une relation de travail – la réalisation d’une prestation de travail, le versement d’une rémunération, l’existence d’un lien de subordination – dès lors qu’à la suite de l’ordonnance du 18 juillet 2002, il a été réintégré au sein de la société IBM et ce jusqu’au 7 septembre 2006 et que, postérieurement à cette date, il n’a pas travaillé pour le compte de la société Altis Semiconductor et ce d’autant plus qu’il était en arrêt maladie.

Elle en déduit que M. [C] n’avait pas la qualité de salarié de la société Altis Semiconductor et qu’il devra être débouté de l’ensemble de ses demandes.

Cela étant, le débat résultant de la cassation partielle prononcée par l’arrêt du 12 mai 2021 soumis à la présente cour ne porte plus sur l’existence d’un lien contractuel de travail entre M. [C] et la société Altis Semiconductor mais sur les conséquences attachées à la nullité du licenciement du salarié protégé par cette société intervenu sans autorisation de l’inspecteur du travail.

La nullité du licenciement d’un conseiller prud’homal pour violation de son statut protecteur ouvre droit, pour le salarié qui demande sa réintégration, au versement d’une indemnité égale au montant de sa rémunération qu’il aurait perçue de son licenciement jusqu’à sa réintégration.

Ce principe reçoit exception lorsque le salarié a tardé, de manière abusive, à présenter sa demande de réintégration. Dans ce cas, le salarié ne peut prétendre qu’au paiement de la rémunération qu’il aurait perçue de la date de sa demande de réintégration jusqu’à sa réintégration effective.

En l’espèce, M. [C] a écrit le 6 avril 2007 à la société Altis Semiconductor pour obtenir des précisions sur les conditions de sa reprise à compter de la fin de son arrêt de travail fixée au 5 mai 2007, a réitéré sa demande par lettre du 15 mai 2007 dans laquelle il sollicitait également une visite médicale de reprise, s’est vu opposer un refus par la société par lettre du 23 mai 2007 au motif de l’absence de poste disponible, a écrit à l’inspection du travail pour qu’elle intervienne auprès de l’employeur le 27 juin 2007, a réitéré sa demande par lettre du 25 septembre 2007. L’inspection du travail a écrit à la société Altis Semiconductor le 25 août 2008 pour rappeler à celle-ci ses obligations et la société a maintenu sa position auprès de l’inspection du travail le 11 septembre 2008.

La saisine du conseil de prud’hommes du 21 novembre 2008 suit, par conséquent, un certain nombre de démarches entreprises par M. [C] pour parvenir à une solution amiable de la difficulté. Elle ne peut donc être considérée comme tardive et de nature à justifier un report du point de départ de l’indemnité due au salarié protégé en cas de licenciement nul.

Cette indemnité ayant un caractère forfaitaire, il n’y a pas lieu de déduire de celle-ci le montant des sommes perçues par ailleurs par le salarié.

M. [C] invoque un salaire de 1 950 euros en septembre 2006 , de 1 959 euros en 2014-2015, lors de sa réintégration chez Altis Semiconductor, soit une rémunération de base de 1 950 euros à laquelle s’ajoute une prime d’ancienneté, pour salaire de référence mensuel brut de 2 112,50 euros.

Mais, les bulletins de paie émis par la société Altis Semiconductor au profit de M. [C] sur la période de 2008-2009, soit la plus proche de la rupture litigieuse mentionnent une rémunération mensuelle brute de 1 610 euros augmentée d’une prime d’ancienneté de 98 euros par mois, le tout versé sur 13 mois, soit un total brut mensuel de 1 842,16 euros, comme avancé par la SELAFA MJA.

Ainsi, sur la période du 05/05/2007 au 02/01/2014, date à laquelle M. [C] a été réintégré dans la société Altis Semiconductor, à la suite de la décision rendue par la Cour d’Appel de Paris en date du 27 novembre 2013, il revient à l’intéressé la somme de :

(1 842,16 euros X 12 mois X 6 ans) + (1 842,16 euros X 8/12 ème ) =133 863,62 euros

Sur la seconde période du 26/11/2015, date de l’exclusion de M. [C] de la société Altis Semiconductor à la suite de l’arrêt de la Cour de Cassation, jusqu’au 30/09/2016, date du plan de cession à la société X-FAB France, il revient à M. [C] la somme de :

1 842,16 euros X 10 = 18 421,60 euros.

Comme justement rappelé par la SELAFA MJA, la période d’éviction ne peut être considérée comme un temps de travail effectif et n’ouvre pas droit à congés payés.

En conséquence, la créance de M. [C] à l’égard de la société Altis Semiconductor du fait de son licenciement nul sera fixée à la somme de 152 285,22 euros qui sera inscrite au passif de la société.

Si des revenus de remplacement éventuellement perçus par M. [C] ne peuvent être déduits de cette somme, comme rappelé ci-dessus, il en est différemment des sommes mises à la charge de la société Altis Semiconductor par des décisions précédentes et versées par la société en exécution de celles-ci. En effet, M. [C] ne peut à la fois prétendre à percevoir l’indemnité d’éviction égale au montant des salaires qu’il aurait perçus de son licenciement jusqu’à sa réintégration et conserver les salaires que l’employeur lui a effectivement versés sur la même période en exécution de décisions de justice par la suite infirmées. Les sommes déjà perçues à titre de salaire par M. [C] de la part de la société Altis Semiconductor devront donc s’imputer sur le montant de l’indemnité d’éviction.

Sur la garantie de l’AGS CGEA Ile de France Ouest

Compte-tenu de la nature de cette créance, l’AGS CGEA Ile de France Ouest devra sa garantie dans les conditions et limite légales.

Sur les demandes à l’encontre de la société X-FAB France

La société X-FAB France estime que son éventuelle condamnation à verser des sommes quelconques au titre de la nullité du licenciement serait particulièrement inéquitable en ce que M. [C] n’a jamais travaillé pour son compte, qu’elle n’a pris aucunement part au licenciement de l’intéressé, ni n’a été informée de son éventuelle existence au sein des effectifs de la société Altis Semiconductor, que le salarié et elle-même n’ont jamais été en contact en dehors de la présente procédure et qu’une éventuelle réintégration de M. [C] au sein de ses effectifs alors même qu’il n’a occupé aucun poste effectif depuis près de 20 ans semble particulièrement disproportionnée quant à la réalité de la situation et qu’en tout état de cause, de telles décisions feraient peser des charges particulièrement injustes sur elle-même.

Elle demande ainsi à la cour de tirer les conclusions légales de la réalité factuelle du dossier et de débouter M. [C] de ses prétentions formulées à son encontre.

Cela étant, comme rappelé par la cour de cassation dans son arrêt du 12 mai 2021, la cession de l’entreprise en redressement judiciaire arrêtée par le tribunal de commerce entraîne, en application des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail, le transfert d’une entité économique autonome conservant son identité et, par voie de conséquence, la poursuite par le cessionnaire des contrats de travail des salariés attachés à l’entreprise cédée. Il ne peut être dérogé à ces dispositions que lorsqu’en application des articles L. 631-22 et L. 642-5 du code de commerce, le plan de redressement prévoit des licenciements pour motif économique qui doivent intervenir dans le délai d’un mois après le jugement. Le jugement arrêtant le plan doit indiquer le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées.

M. [C] ayant demandé sa réintégration, la nullité de son licenciement implique la poursuite de son contrat de travail à l’égard de la société Altis Semiconductor et donc transfert de ce contrat au profit de la société X-FAB France à la date de la cession arrêtée par le tribunal de commerce, dès lors que son licenciement n’a pas été autorisé dans le plan de redressement.

Les motifs d’équité avancés par la société X-FAB France ne peuvent faire échec à des dispositions légales impératives car d’ordre public.

Ainsi, sur la base de la rémunération brute mensuelle retenue ci-dessus, il revient à M. [C] la somme de 123 424,72 euros pour la période du 30 septembre 2016 au 30 avril 2022, soit une période de 67 mois.

Comme déjà précisé ci-dessus, cette somme n’ouvre pas droit à l’indemnité de congés payés.

En conséquence, la société X-FAB France sera condamnée à verser à M. [C] la somme de 123 424,72 euros.

La réintégration de M. [C] dans les effectifs de la société X-FAB France et toutes les conséquences qui y sont attachées sont de droit.

Elle sera ordonnée dans les conditions indiquées dans le dispositif ci-dessous.

L’implication tardive de la société X-FAB France dans la procédure ne permet pas de présumer une résistance de celle-ci dans l’exécution du présent arrêt.

La demande d’astreinte sera rejetée.

Sur les frais non compris dans les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la société X-FAB France sera condamnée à verser la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par l’appelant qui ne sont pas compris dans les dépens.

Selon la faculté prévue par ce texte, il ne sera pas prononcé de condamnation au titre des frais exposés non compris dans les dépens à l’encontre de la SELAFA MJA, ès-qualités, en raison de la situation économique de la société Altis Semiconductor placée en liquidation judiciaire.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans la limite de la cassation prononcée par l’arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 12 mai 2021,

ORDONNE la jonction des affaires inscrites au rôle la cour sous les numéros 21/06270 et 21/07589,

FIXE la créance de M. [C] au passif de la société Altis Semiconductor à la somme de 152.285,22 euros représentant le montant des salaires qu’aurait dû percevoir le salarié du 5 mai 2007 au 30 septembre 2016 du fait de son licenciement nul,

DIT que les sommes versées par la société Altis Semiconductor à titre de salaires sur cette période en exécution de l’ordonnance de référé rendue par le conseil de prud’hommes d’Evry le 4 décembre 2008 s’imputeront sur ce montant,

DÉCLARE l’arrêt opposable à l’AGS CGEA Ile de France Ouest qui devra sa garantie pour la somme ci-dessus dans les conditions et limites légales,

CONDAMNE la société X-FAB France à payer à M. [C] la somme de 123 424,72 euros représentant le montant des salaires qu’aurait dû percevoir le salarié pour la période du 30 septembre 2016 à la date provisoirement arrêtée du 30 avril 2022,

ORDONNE la poursuite du contrat de travail et la réintégration de M. [J] [C] au sein de la société X-FAB France dans le délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision,

CONDAMNE la société X-FAB France à effectuer la régularisation sociale de M. [C] par l’établissement de bulletins de paie, déclaration auprès des organismes sociaux, dans le délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision,

CONDAMNE la société X-FAB France à verser à M. [C] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE M. [C] du surplus de ses demandes,

CONDAMNE la société X-FAB France aux dépens de la présente procédure sur renvoi après cassation.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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