28 septembre 2022
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
20/00704
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 28 SEPTEMBRE 2022
N° 2022/ 414
N° RG 20/00704
N° Portalis DBVB-V-B7E-BFOJT
[E] [U]
C/
SCI PRADO B
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Isidore ARAGONES
Me Denis REBUFAT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de marseille en date du 14 novembre 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 17/12729.
APPELANTE
Madame [U] [E],
exerçant sous le nom commercial PAR HASARD, née le 14 novembre 1960 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Isidore ARAGONES, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SCI PRADO B
prise en la personne de son gérant, Monsieur [P] [S], domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 1]
représentée par Me Denis REBUFAT, membre de l’AARPI REBUFAT& LASBATS-MAZILLE ANNE, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Amélie VADON, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Septembre 2022.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Septembre 2022, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant contrat conclu sous signatures privées le 1er septembre 2006, la société civile immobilière dénommée PRADO B a donné en location à Madame [E] [U] deux pièces fermées et équipées d’une superficie de cinq mètres carrés chacune situées au sein de locaux plus vastes à usage de salle de sport dans un immeuble sis [Adresse 2], afin d’y exercer une activité de soins esthétiques, pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction, avec faculté pour chacune des parties de rompre le bail moyennant un délai de préavis d’un mois.
Par lettre du 13 septembre 2016, Madame [U] s’est plainte de ce que l’arrêt brutal de l’exploitation de la salle de sport avait eu des répercussions très négatives sur la rentabilité de sa propre activité, et a réclamé au bailleur une réduction de loyer, ainsi que le remboursement des sommes acquittées au titre de sa participation aux frais d’électricité.
En réponse la SCI PRADO B a notifié à sa locataire, par lettre recommandée du 26 septembre 2016, un congé venant à échéance le 1er novembre suivant ‘pour cas de force majeure entraînant la fermeture des locaux’.
Par lettre de son conseil du 18 octobre 2016, Madame [U] a contesté la validité de ce congé comme ayant été délivré en violation de la législation des baux commerciaux, et réclamé paiement d’une indemnité d’éviction de 45.592 euros, correspondant à un an de chiffre d’affaires.
Elle a toutefois quitté les lieux et restitué les clés.
Par exploit d’huissier du 7 novembre 2017, Madame [U] a saisi le tribunal de grande instance de Marseille afin d’entendre requalifier la convention en bail commercial et obtenir paiement d’une indemnité d’éviction de 40.280,80 euros, outre la restitution des sommes de 2.348,08 euros au titre de sa participation indue aux frais d’électricité et de 1.962,45 euros au titre de sa participation aux charges de copropriété.
La SCI PRADO B a conclu au rejet de l’ensemble de ces prétentions et réclamé paiement d’une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Par jugement rendu le 14 novembre 2019 le tribunal a débouté Madame [U] de l’ensemble de ses demandes, aux motifs que l’activité qu’elle exerçait dans les locaux donnés à bail était purement accessoire à l’exploitation de la salle de sport, et qu’elle ne disposait pas d’une clientèle propre ni d’une autonomie de gestion.
La requérante a été condamnée aux dépens, ainsi qu’au paiement d’une somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La SCI PRADO B a été également déboutée de sa demande reconventionnelle.
Madame [E] [U] a interjeté appel de cette décision par déclaration adressée le 16 janvier 2020 au greffe de la cour.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions d’appel notifiées le 12 avril 2020, Madame [E] [U] fait valoir :
– que son activité était totalement indépendante de la salle de sport, dans la mesure notamment où les locaux loués étaient accessibles à une clientèle extérieure, même en dehors des horaires d’ouverture de celle-ci,
– qu’aucune convention ne la liait à l’exploitant de la salle, personne morale distincte de celle du bailleur,
– que par suite de la résiliation du bail elle a perdu la clientèle attachée à son fonds de commerce, et a exercé en qualité d’esthéticienne salariée,
– que la participation forfaitaire aux frais d’électricité exigée par le bailleur était illicite, comme contraire au monopole de distribution de l’énergie instauré au profit de la société EDF par la loi du 10 février 2000,
– et que la clause prévoyant une participation forfaitaire aux charges de copropriété contrevenait également à l’article L 145-40-2 du code de commerce, et doit donc être réputée non écrite en application de l’article L 145-15 du même code.
Elle demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de condamner la société PRADO B à lui payer :
– la somme de 40.280 euros à titre d’indemnité d’éviction en application de l’article L 145-14 du code de commerce, sauf à évaluer celle-ci par voie d’expertise,
– celle de 2.348,08 euros au titre de la restitution de sa participation forfaitaire aux frais d’électricité entre novembre 2012 et novembre 2016,
– celle de 1.962,45 euros au titre de la restitution de sa participation forfaitaire aux charges de copropriété durant la même période.
Elle réclame également paiement d’une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre ses entiers dépens.
Par conclusions en réplique notifiées le 31 janvier 2022, la société PRADO B soutient pour sa part :
– que l’action en requalification du contrat est prescrite en application de l’article L 145-60 du code de commerce, pour n’avoir pas été introduite dans le délai de deux ans suivant sa conclusion,
– que l’activité exercée par la locataire, étant matériellement ‘incluse’ à l’intérieur de la salle de sport, ne comportait aucune clientèle propre, et ne lui permettait pas une autonomie suffisante de gestion, conditions nécessaires à l’existence d’un fonds de commerce,
– qu’à compter de la fermeture de la salle de sport GYM PRADO MERMOZ, la clientèle s’est reportée vers une salle concurrente existant à proximité à l’enseigne LE CUBE, dans laquelle Madame [U] a pu également exploiter un autre local sous couvert d’une société gérée par son fils, de sorte qu’elle n’a subi aucun préjudice commercial,
– qu’il n’a jamais existé de revente d’électricité, mais simplement un accord sur un partage des consommations à concurrence de 40 % pour la locataire,
– et que l’une des clauses du bail stipulait expressément une participation forfaitaire du locataire aux charges de copropriété.
Elle demande à la cour de confirmer le jugement querellé et de condamner la partie adverse à lui payer une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d’appel et ses dépens.
DISCUSSION
Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription :
En vertu des articles 122 et 123 du code de procédure civile, les fins de non recevoir, telle la prescription, peuvent être opposées en tout état de cause, et même pour la première fois en cause d’appel.
Suivant l’article L 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu des dispositions régissant les baux commerciaux se prescrivent par un délai de deux ans.
Le point de départ de la prescription biennale applicable à la demande tendant à la requalification d’une convention en bail commercial court à compter de la date de la conclusion du contrat, peu important que celui-ci ait été renouvelé par avenants successifs ou, comme en l’espèce, tacitement reconduit d’année en année.
L’action introduite à cette fin par Madame [U] doit donc être déclarée irrecevable sans examen au fond, de même que la demande en paiement d’une indemnité d’éviction qui en est le corollaire.
Le jugement entrepris sera donc confirmé par substitution de motifs.
Il doit être néanmoins statué sur les demandes accessoires en répétition de charges indues, sur lesquelles le premier juge a omis de se prononcer.
Sur la demande en répétition des charges d’électricité :
La loi du 18 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz a institué au profit d’EDF un monopole de la distribution d’énergie électrique en France, confirmé par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public d’électricité.
La rétrocession d’énergie par un client d’EDF à un tiers est ainsi susceptible de s’analyser en une opération de distribution privée contraire audit monopole, et par là même illicite.
Toutefois, l’accord par lequel les parties à un contrat de bail conviennent de mettre à la charge du locataire une participation forfaitaire aux charges d’électricité lorsque les locaux loués ne sont pas équipés d’un compteur individuel ne s’analyse pas en une telle opération, et demeure parfaitement licite en vertu du principe de la liberté contractuelle.
En l’espèce il résulte des quittances produites aux débats ainsi que des écritures des parties qu’un tel accord existait depuis l’origine du bail, de sorte que les charges acquittées à ce titre par Madame [U] ne revêtent pas un caractère indu.
Sur la demande en répétition des charges de copropriété :
Dès lors qu’il a été jugé plus avant que l’action en requalification du contrat en bail commercial est irrecevable, le moyen invoqué par l’appelante au soutien de cette demande, suivant lequel la clause prévoyant une participation forfaitaire du locataire aux charges de copropriété doit être réputée non écrite en application des articles L 145-15 et L 145-40-2 du code de commerce, s’avère inopérant.
Le principe de la liberté contractuelle doit ici encore prévaloir pour considérer cette clause comme licite.
Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts :
L’exercice par Madame [U] de son droit d’appel n’a pas dégénéré en abus au sens de l’article 559 du code de procédure civile, de sorte que la société PRADO B doit être déboutée de sa demande en dommages-intérêts.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute Madame [U] de ses demandes accessoires en répétition de charges indues,
Déboute la société PRADO B de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts,
Condamne Madame [U] aux dépens d’appel,
Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERELE PRESIDENT