12 octobre 2022
Cour d’appel de Nîmes
RG n°
22/01144
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/01144 – N° Portalis DBVH-V-B7G-IMMY
CO
JUGE DE LA MISE EN ETAT DE CARPENTRAS
15 mars 2022 RG :21/00736
S.A. ALLIANZ IARD
S.E.L.A.R.L. [V] SIMONIN [V]
C/
S.A.R.L. SAINTE MARTHE
Grosse délivrée le 12 octobre 2022 à :
– Me RECHE
– Me VAJOU
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
4ème chambre commerciale
ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Juge de la mise en état de CARPENTRAS en date du 15 Mars 2022, N°21/00736
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Claire OUGIER, Conseillère, a entendu les plaidoiries, en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Christine CODOL, Présidente de chambre
Madame Claire OUGIER, Conseillère,
Madame Agnès VAREILLES, Conseillère.
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l’audience publique du 19 Septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 12 Octobre 2022.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTES :
S.A. ALLIANZ IARD prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Philippe RECHE de la SELARL GUALBERT RECHE BANULS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Laurent HAY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
S.E.L.A.R.L. [V] SIMONIN [V] prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Philippe RECHE de la SELARL GUALBERT RECHE BANULS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Laurent HAY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A.R.L. SAINTE MARTHE, Société à responsabilité limitée, immatriculée au RCS de CARPENTRAS sous le n° 432.034.346, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité en son siège social,
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Sonia GHERZOULI de la SELARL SG AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau d’AVIGNON
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé parMadame Christine CODOL, Présidente de chambre, le 12 Octobre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.
EXPOSÉ
Vu l’appel interjeté le 23 mars 2022 par la SA Allianz Iard et la SELARL [V] Simonin à l’encontre de l’ordonnance rendue le 15 mars 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Carpentras dans l’instance n°21/00736 ;
Vu l’avis de fixation de l’affaire à bref délai du 12 avril 2022 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 15 septembre 2022 par les appelantes et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 12 septembre 2022 par la société Sainte Marthe, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu l’ordonnance de clôture de la procédure à effet différé au 15 septembre 2022 en date du 12 avril 2022 ;
* * *
Par exploits des 23 et 28 avril 2021, la société Sainte Marthe a fait assigner la société [V] Simonin, avocats, devant le tribunal judiciaire de Carpentras en responsabilité, lui reprochant d’avoir manqué à son devoir de conseil et de diligence dans le cadre de la défense de ses intérêts à l’occasion d’une procédure relative aux congés avec refus de renouvellement qui lui avaient été signifiés pour les trois baux commerciaux dont elle était bénéficiaire, et appelé en cause son assureur la SA Allianz Iard.
Les défendeurs ont saisi le juge de la mise en état en incident, arguant d’une part de la nullité de l’assignation ainsi que de l’irrecevabilité de l’action et des demandes de la société Sainte Marthe pour défaut de capacité à agir, et soulevant d’autre part une fin de non-recevoir tenant à la prescription de son action.
Par ordonnance du 15 mars 2022, le juge de la mise en état a :
rejeté les moyens d’irrecevabilité mis en avant par la société [V]- Simonin et la société Allianz,
dit que les dépens suivront le sort du principal et n’y avoir lieu à indemnité pour frais irrépétibles,
renvoyé l’affaire à une audience ultérieure.
La société [V] Simonin et son assureur Allianz Iard ont relevé appel de cette ordonnance pour la voir annuler sinon réformer en toutes ses dispositions.
***
Dans leurs dernières conclusions, les appelants demandent à la Cour, au visa des articles 54 et 789 du code de procédure civile, et 2224 et 2225 du code civil, de :
réformer en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée,
statuant à nouveau,
déclarer nulles et de nul effet les assignations des 23 et 28 avril 2021,
en tout état de cause,
déclarer irrecevables comme prescrites l’action et les demandes de la société Sainte Marthe, l’en débouter,
déclarer mal fondée la société Sainte Marthe en toutes ses demandes, fins et écritures, l’en débouter,
condamner la société Sainte Marthe au paiement d’une somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’instance qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société Sainte Marthe conclut quant à elle, au visa des articles 54 et 114 du code de procédure civile, L237-2 et L237-24 du code de commerce, des articles 1,3 et 21,3,1,2 du règlement intérieur national de la profession d’avocat, ainsi que des articles 1844-8 et 2224 du code civil, à :
la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté les moyens d’irrecevabilité mis en avant par la société [V] Simonin et la société Allianz,
au débouté des parties adverses de toutes leurs demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires,
à leur condamnation au paiement d’une somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur la nullité des assignations délivrées :
Les appelants exposent qu’en vertu de l’article 54 du code de procédure civile, l’assignation doit contenir pour les personnes morales la désignation de l’organe qui les représente légalement, à peine de nullité.
Or l’assignation délivrée se contente d’indiquer que la société Sainte Marthe agit sur « poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège », alors qu’après avoir cédé en 2018 son fonds de commerce situé à l’adresse de son siège social mentionné dans l’assignation, cette société a fait l’objet d’une dissolution à compter du 31 mars 2019, un liquidateur étant désigné.
Dès lors, quand bien même la société Sainte Marthe ne serait pas dépourvue de la personnalité morale et pourrait être utilement représentée par son liquidateur, l’absence de mention de celui-ci comme l’élection de domicile à l’ancien siège, entachent nécessairement de nullité les actes délivrés.
En réplique sur ce point, la société Sainte Marthe entend rappeler que, par application des articles 1844-8 du code civil et L237-2 du code de commerce, la personnalité morale de la société subsiste après sa dissolution, pour les besoins de la liquidation et jusqu’à la clôture de celle-ci.
Elle ajoute qu’en vertu de l’article L237-24 du code de commerce, le liquidateur représente la société, et conclut qu’elle pouvait donc agir par la voix de son représentant légal, le liquidateur, pour les besoins de sa liquidation.
Elle conteste enfin que l’absence de mention de ce qu’elle est en liquidation dans l’acte introductif d’instance n’a pu raisonnablement causer de grief aux appelants et n’est ainsi pas de nature à affecter sa validité.
L’article 54 du code de procédure civile dispose que « à peine de nullité, la demande initiale mentionne (…) 3°b) pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l’organe qui les représente légalement ».
L’article 117 du même code ajoute que « constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte : (‘) le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant (…) d’une personne morale. »
L’énumération par ce dernier texte des irrégularités de fond qui affectent la validité de l’acte indépendamment du grief qu’elles peuvent causer est strictement limitative.
Ainsi, il est retenu que l’indication erronée de l’organe représentant légalement une personne morale dans un acte de procédure, lorsque cette mention est prévue à peine de nullité, constitue un vice de forme (Civ 2è 31 janvier 2013 12-10.041).
En l’espèce, les deux assignations délivrées aux appelants les 23 et 28 avril 2021 mentionnent précisément que c’est à la requête de « la SARL Sainte Marthe, société à responsabilité limitée, (‘) agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié ès-qualités audit siège ».
La société Sainte Marthe a fait l’objet d’une dissolution amiable à compter du 31 mars 2019, un liquidateur étant nommé.
Il est acquis et non contesté que la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la clôture de celle-ci, conformément à l’article L237-2 du code de procédure civile.
A compter de la dissolution et de la liquidation qui s’ensuit, le liquidateur amiable est le représentant de la société. Dès lors, il n’est pas nécessaire qu’il figure en nom sur les actes de procédure et ceux ci sont réguliers avec la seule mention de la société désignée sous sa raison sociale.
C’est donc de façon parfaitement régulière que les actes introductifs d’instance ont pu mentionner que la société agissait sur diligences de son représentant légal, lequel se trouvait être son liquidateur amiable et avait pouvoir pour ce faire.
L’absence de précision à ce sujet, comme l’absence de mention de ce que la société se trouvait en liquidation sur ces actes de procédure n’affecte d’autant pas leur validité qu’il n’est ni justifié ni seulement argué d’un quelconque grief qui en serait résulté pour la partie adverse.
De même, l’inexactitude du siège social mentionné sur les assignations -quand bien même serait-elle avérée- ne figure pas dans la liste des nullités de fond de l’article 117 du code de procédure civile, de sorte qu’elle ne pourrait constituer qu’une nullité de forme.
Or les appelantes ne font état d’aucun grief qui en serait résulté pour elles, de sorte que ce moyen ne peut encore qu’être rejeté.
Sur la prescription de l’action :
Les appelantes soutiennent que le délai pour saisir le tribunal d’une demande en paiement d’une indemnité d’éviction pour le lot n°1 -l’action en responsabilité engagée à leur encontre étant précisément fondée sur la carence de Maître [V] à introduire une telle procédure- expirait le 30 juin 2010.
Or cet avocat a été saisi par la société Sainte Marthe en 2009 lorsqu’elle a été assignée par son bailleur en paiement d’une indemnité d’occupation suite aux congés donnés pour deux des baux qui lui avaient été consentis sur des lots 6,7, 18 et 19 uniquement, et il ne l’a été ensuite qu’en février 2013 pour un nouveau litige.
Le point de départ de la prescription quinquennale de l’article 2225 du code de procédure civile devant être fixé à la date de fin de mission de l’avocat et la première mission s’étant achevée par l’exercice par le bailleur des droits de repentir notifiés le 28 janvier 2013, les assignations ont été délivrées les 23 et 28 avril 2021 alors que l’action était nécessairement prescrite.
Subsidiairement, quand bien même l’action en responsabilité aurait pour objet la seconde mission, la prescription aurait couru à compter de l’arrêt d’appel du 17 mars 2016 puisque Maître [V] n’était pas habilité à intervenir devant la Cour de cassation.
Même sur le fondement de l’article 2224, l’action de la société Sainte Marthe serait prescrite dès lors qu’elle avait nécessairement connaissance dès l’assignation du 7 février 2013 délivrée par son bailleur, et encore davantage après les jugement du 8 juillet 2014 et arrêt du 17 mars 2016, des conséquences dommageables qui en découlaient et qui fondent son action en responsabilité.
L’intimée fait valoir pour sa part qu’elle a confié sa défense dès 2006 à la selarl [V] Simonin et que celle-ci a alors pris connaissance de la configuration des lieux loués composés de divers lots. Ce mandat s’est poursuivi au fil des procédures contentieuses avec le bailleur et ce jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2017, date à laquelle elle a acquis la connaissance certaine de son préjudice. Le délai de prescription quel qu’en soit son fondement n’a donc pu courir que de cette date, de sorte que l’action a été valablement engagée par les assignations délivrées les 23 et 28 avril 2021.
Elle ajoute qu’elle a précisément requis l’assistance d’un avocat parce qu’elle ne maitrisait pas elle même les compétences en cette matière de sorte que les actes de procédure et décisions judiciaires ne pouvaient l’éclairer sur les conséquences qu’elles induisaient à son sujet.
Enfin, elle soutient que la reconnaissance par Maitre [V] de sa faute dans des conclusions du 2 février 2015 et un courrier du 5 février 2013 a interrompu la prescription si il devait être retenu qu’elle avait commencé à courir.
Des conclusions mêmes des appelantes, il ressort que Maître [V] a été saisi par la société Sainte Marthe d’une première mission en 2009 -2006 selon l’intimée- pour l’assister dans le cadre d’un contentieux avec son bailleur, mission qui s’est achevée avec l’exercice par le bailleur des droits de repentir de la bailleresse notifiés le 28 janvier 2013 (pages 3 et 5). Il y est encore indiqué que le conseil de la bailleresse a adressé son projet d’assignation à l’encontre de la société Sainte Marthe, lequel lui a répondu le 5 février 2013 -non pas pour indiquer qu’il n’était plus saisi- mais pour « trouver un terrain d’entente », et qu’à l’occasion de ce nouveau litige, la défense des intérêts de la société était encore confiée à cet avocat (page 6).
La question de savoir si cet avocat était précisément saisi du lot litigieux relève du fond puisqu’elle induit l’existence d’une éventuelle carence fautive à agir.
Pour autant, il est tout à fait artificiel de prétendre qu’il s’agit de deux missions distinctes et séparables alors que de fait, la société Sainte Marthe avait ainsi pour conseil à compter de 2006 ou 2009 le même avocat dans le cadre des contentieux successifs l’opposant à son bailleur, contentieux qui s’est achevé le 14 septembre 2017 par l’arrêt de la Cour de cassation.
C’est encore vainement qu’il est soutenu à ce sujet que la mission de la selarl [V] Simonin se serait arrêtée sitôt l’arrêt d’appel rendu parce qu’elle n’avait pas qualité à intervenir dans une procédure devant la Cour de cassation, alors que, dans un courrier adressé à la société Sainte Marthe le 23 mars 2016 produit par cette dernière en pièce 4, Maître [V] informait sa cliente de l’arrêt rendu par la Cour d’appel et ajoutait : « je vous invite que nous réfléchissions sur l’éventualité d’une pourvoi en cassation. Nous avons un moyen qui peut être soutenu devant la Cour de cassation (‘). Je vous remercie de bien vouloir me fixer dans les meilleurs délais (‘) Je reste bien entendu à votre disposition », preuve s’il en est qu’il était toujours saisi de la défense des intérêts de la société pour le pourvoi déjà envisagé.
Il ne peut davantage être utilement soutenu par les appelantes que la société Sainte Marthe aurait nécessairement compris à la lecture des actes de procédures et des décisions judiciaires rendues au fond de l’existence du préjudice qu’elle invoque au soutien de sa demande en responsabilité alors que, profane en la matière, elle a précisément eu recours à un cabinet d’avocats pour défendre ses intérêts et ne disposait pas des connaissances et compétences suffisantes pour, dans un domaine aussi technique que les baux commerciaux, mesurer les conséquences qui pouvaient en résulter.
C’est donc à compter du terme de la dernière procédure en cours, marquant la fin de mission de son conseil, soit à la notification de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 septembre 2014 que la prescription quinquennale a couru, de sorte qu’elle n’était pas acquise lorsque les assignations ont été délivrées les 23 et 28 avril 2021, et ce, que ce soit sur le fondement de l’article 2224 ou 2225 du code civil comme l’a justement relevé le premier juge.
L’ordonnance déférée sera donc confirmée en toutes ses dispositions.
Sur les frais de l’instance :
Les appelantes qui succombent sur l’incident, devront en supporter les dépens et payer à l’intimée une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Et y ajoutant,
Dit que la SELARL [V] Simonin et la SA Allianz Iard supporteront les entiers dépens de l’incident en appel, et paieront à la SARL Sainte Marthe une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Christine CODOL, Présidente de chambre, et par M. Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,