Indemnité d’éviction : 18 octobre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/05455

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Indemnité d’éviction : 18 octobre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/05455

18 octobre 2022
Cour d’appel de Rennes
RG
22/05455

Référés Civils

ORDONNANCE N°129/2022

N° RG 22/05455 – N° Portalis DBVL-V-B7G-TDF7

Commune COMMUNE DE [Localité 4]

C/

M. [W] [E]

DRFIP – DIVISION FRANCE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

DU 18 OCTOBRE 2022

Madame Aline DELIERE, Présidente de chambre déléguée par ordonnance de Monsieur le Premier Président,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 20 Septembre 2022

ORDONNANCE :

Par défaut, prononcée publiquement le 18 Octobre 2022, par mise à disposition date indiquée à l’issue des débats

****

Vu les assignations en référé délivrées le 07 Septembre 2022

ENTRE :

COMMUNE DE [Localité 4]

[Adresse 9]

[Localité 5]

Représentée par Me Sarah HEITZMANN de la SELARL THOMÉ HEITZMANN Société d’Avocats, avocat au barreau de RENNES substituée par Me Romain THOMÉ, avocat au barreau de PARIS

ET :

Monsieur [W] [E]

[Localité 10]

[Localité 4]

comparant en personne assistée de Me Arnaud DEBUYS, avocat au barreau de CAEN substituant Me David GORAND de la SELARL JURIADIS, avocat au barreau de COUTANCES

Madame ou Monsieur le Commissaire du gouvernement

DRFIP – DIVISION FRANCE

[Adresse 8]

[Localité 3]

régulièrement assigné par acte d’huissier délivré le 07 septembre 2022 en l’étude, n’a pas comparu et ne s’est pas fait représenter

FAITS ET PROCEDURE

Par arrêté du 30 septembre 2010 le préfet d’Ille et Vilaine a déclaré d’utilité publique le projet de réalisation par la commune de la commune de [Localité 4] en Poulet ou par son concessionnaire (en l’espèce la société Nexity foncier conseil) de la [Adresse 12] sur le territoire de la commune.

Par arrêtés du 19 décembre 2019 et du 22 janvier 2020 le préfet d’Ille et Vilaine a déclaré cessibles les emprises nécessaires à la réalisation du projet.

Par ordonnance du 3 février 2020 le juge de l’expropriation d’Ille et Vilaine a prononcé le transfert de propriété des parcelles B n°s [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 1] et [Cadastre 2] au profit de la commune de [Localité 4]. Ces parcelles, à usage agricole, appartiennent à M. [W] [E] et sont exploitées par M. [W] [E], son fils.

Sur pourvoi en cassation de M. [E], propriétaire, par arrêt du 21 janvier 2021 la Cour de Cassation a décidé de sursoir à statuer sur la demande d’annulation de l’ordonnance d’expropriation dans l’attente de l’issue d’un recours formé contre la décision de la juridiction administrative saisie du moyen de la légalité de l’arrêté préfectoral de déclaration de cessibilité.

Par jugement du 6 avril 2020 le juge de l’expropriation du département d’Ille et Vilaine a fixé le montant des indemnités d’expropriation dues à M. [W] [E], propriétaire, à la somme totale de 426 674 euros.

Par arrêt du 8 octobre 2021 la chambre des expropriations de la cour d’appel de Rennes a porté le montant de ces indemnités à la somme totale de de 682 833,77 euros.

La commune de [Localité 4] a formé un pourvoi en cassation, qui est en cours.

Par courrier du 8 juin 2020 la commune de [Localité 4] a fait connaître ses propositions d’indemnité d’éviction à M. [W], exploitant évincé des parcelles B n°s [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 1] et [Cadastre 2].

A défaut d’avoir obtenu son accord la commune de [Localité 4] l’a assigné, le 2 septembre 2020, devant le juge de l’expropriation d’Ille et Vilaine en fixation de l’indemnité d’éviction.

Par jugement du 9 août 2022 le juge de l’expropriation du tribunal judiciaire de Rennes a :

-sursis à statuer sur l’ensemble des demandes dans l’attente du paiement, par la commune de [Localité 4] de l’indemnité qui est due à M. [W] [E] (père) en conséquence de l’expropriation des parcelles cadastrées section B, n°s [Cadastre 6],[Cadastre 7],[Cadastre 1] et [Cadastre 2] sises [Adresse 11],

-rappelé que le sursis à statuer ne dessaisit pas la juridiction, qu’à l’expiration du sursis l’instance est poursuivie à l’initiative des parties ou à la diligence de la juridiction, sauf la faculté d’ordonner, s’il y a lieu, un nouveau sursis,

-rappelé que la juridiction peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis ou en abréger les délai.

Le 7 septembre 2022 la commune de [Localité 4] a assigné en référé M. [W] [E] et le Commissaire du gouvernement devant le premier président de la cour d’appel de Rennes afin d’être autorisé à relever immédiatement appel du jugement du 9 août 2022.

Elle expose ses moyens et ses demandes dans l’assignation à laquelle il est renvoyé. Elle demande au premier président de :

-l’autoriser à relever appel immédiatement de la décision du 9 août 2022 du juge de l’expropriation du département d’Ille et Vilaine,

-fixer la date et l’heure à laquelle l’affaire sera plaidée devant la cour,

-condamner M. [E] aux entiers dépens d’appel et à lui payer la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-rappeler que l’ordonnance à intervenir est exécutoire de droit à titre provisoire.

Elle soutient que :

-le juge de l’expropriation a imposé de façon prétorienne à la commune de payer les indemnités de dépossession au propriétaire des parcelles, avant la fixation de l’indemnité d’éviction, alors qu’aucune disposition légale ou autre ne le prévoit,

-le juge a commis une erreur de droit en affirmant que la commune n’a pas pris possession des parcelles en raison de la procédure en cours devant la Cour de Cassation, alors qu’en réalité la commune ne peut pas prendre possession du bien exproprié tant qu’elle n’a pas payé les indemnités dues au propriétaire et à l’occupant, comme le prévoit la loi,

-le juge a commis une erreur de droit en affirmant qu’aucune des parties n’est dans un besoin pressant de voir l’indemnité d’éviction fixée alors que cette condition pour faire fixer l’indemnité n’est pas une condition légale de saisine du juge,

-le juge a commis une erreur de droit en laissant entendre que le pourvoi en cassation était suspensif de l’exécution de l’ordonnance d’expropriation alors que ce n’est pas le cas,

-le juge a violé le principe du contradictoire car il n’a pas soumis les motifs qu’il a retenus pour fonder sa décision de sursis à statuer à un débat contradictoire et notamment n’a pas informé la commune de son intention de sursoir à statuer dans l’attente du paiement de l’indemnité de dépossession.

Elle ajoute que les conséquences de la décision lui sont préjudiciables car le paiement d’une somme de plus de 680 000 euros représente plus de la moitié de son budget de fonctionnement annuel, qu’il est prévu qu’en entrant en possession des parcelles après avoir payé les diverses indemnités, elle les cède immédiatement au concessionnaire d’aménagement, que le prix versé lui permet de compenser les indemnités payées mais qu’à défaut de pouvoir entrer en possession des parcelles, elle ne peut procéder ainsi et devra supporter un portage foncier coûteux.

M. [W] [E] expose ses moyens et ses demandes dans ses conclusions notifiées le 16 septembre 2022.

Il demande à la cour de :

-rejeter l’ensemble des demandes présentées par la commune de [Localité 4],

-la condamner aux entiers dépens de l’instance et à lui payer la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que la commune de [Localité 4] ne justifie pas d’un motif grave et légitime au sens de l’article 380 du code de procédure civile, que les moyens qu’elle invoque sont en réalité des critiques de la décision du juge de l’expropriation alors qu’il n’appartient pas au premier président, saisi sur le fondement de l’article 380 du code de procédure civile, de se prononcer sur le bien fondé de la décision de sursis à statuer. Il ajoute que le juge de l’expropriation n’a pas refusé de fixer l’indemnité d’éviction et que la commune n’est pas privée du droit de faire fixer cette indemnité. Il conclut que la commune ne prouve pas les difficultés financières qu’elle invoque.

Le commissaire du gouvernement n’a pas comparu.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

L’article 380 du code de procédure civile dispose : «’La décision de sursis peut être frappée d’appel sur autorisation du premier président de la cour d’appel s’il est justifié d’un motif grave et légitime.

La partie qui veut faire appel saisit le premier président, qui statue selon la procédure accélérée au fond. L’assignation doit être délivrée dans le mois de la décision.

S’il accueille la demande, le premier président fixe, par une décision insusceptible de pourvoi, le jour où l’affaire sera examinée par la cour, laquelle est saisie et statue comme en matière de procédure à jour fixe ou comme il est dit à l’article 948, selon le cas.’»

Il ressort de l’assignation et des explications de la commune de [Localité 4] à l’audience qu’elle invoque un excès de pouvoir commis par le juge de l’expropriation, qui a conditionné la fixation judiciaire de l’indemnité d’éviction au paiement des indemnités dues au propriétaire des parcelles objet de l’expropriation. Elle verse à la procédure un arrêt du 28 novembre 2018 de la Cour de Cassation (civ 1, 17-17.356) sur la possibilité d’autoriser un appel immédiat d’une décision de sursis à statuer en cas d’excès de pouvoir interdisant, limitant ou différant un recours.

Le juge de l’expropriation a motivé sa décision de sursis à statuer ainsi : «’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de surseoir à statuer sur la présente demande jusqu’au paiement, par la commune de l’indemnité d’expropriation qui est due à M. [W] [E] (père)’». Antérieurement, pour expliquer sa décision, il expose que les parties ne sont pas dans un besoin pressant de voir liquider judiciairement l’indemnité d’éviction, que la cassation de l’ordonnance d’expropriation du 3 février 2020 rendrait sans objet la procédure de fixation de l’indemnité d’éviction et que la juridiction est actuellement encombrée.

Le premier président, saisi sur le fondement de l’article 380 du code de procédure civile, ne peut se prononcer sur le bien fondé de la décision de sursis à statuer, d’autant qu’en l’espèce elle relève du pouvoir discrétionnaire qu’a tout juge du fond d’ordonner un sursis à statuer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. De fait, le premier président ne peut apprécier la pertinence des motifs de la décision, développés par le juge de l’expropriation.

Mais il doit être relevé que le juge de l’expropriation, en faisant dépendre la fixation, par lui-même, de l’indemnité d’éviction au paiement par la commune des indemnités d’expropriation déjà fixées, a statué au delà de ses pouvoirs. Aucune disposition réglementaire ou légales ne fixe en effet une telle condition.

Le juge de l’expropriation, en fixant cette condition et en refusant de statuer immédiatement sur le montant de l’indemnité d’éviction, a ainsi restreint l’accès de la commune au juge alors qu’elle est tenue, à défaut d’accord amiable avec le preneur, de faire fixer judiciairement l’indemnité pour mener à terme l’opération d’expropriation et la réalisation de son projet d’aménagement.

La décision de sursis à statuer du 9 août 2022 constitue bien un excès de pouvoir, qui rend possible l’appel immédiat de cette décision, sans que la commune soit tenue de démontrer l’existence du motif grave et légitime visé par l’article 380 du code de procédure civile.

Il sera donc fait droit à la demande de la commune de [Localité 4] d’autorisation d’appel immédiat.

L’article R311-29 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose que, sous réserve des dispositions de la présente section et des article R311-19, R311-22 et R312-2 applicables à la procédure d’appel, la procédure devant la cour d’appel statuant en matière d’expropriation est régie par les dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile.

Au regard des dispositions des articles R311-24 et R311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, selon lesquelles l’appel est interjeté par les parties par déclaration faite ou adressée par lettre recommandée au greffe de la cour, l’appelant doit déposer au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel et l’intimé doit agir de même dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant, qui ne sont pas compatibles avec les dispositions de l’article 380 alinéa 3 du code de procédure civile et alors que le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ne prévoit aucune procédure à jour fixe devant la cour d’appel, aucune date d’audience ne sera fixée.

Les dépens seront laissés à la charge de celle-ci.

Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais qu’elles ont exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

Autorisons la commune de [Localité 4] à interjeter immédiatement appel du jugement rendu le 9 août 2022 par le juge de l’expropriation du département d’Ille et Vilaine,

Disons n’y avoir lieu à fixation de la date à laquelle l’affaire sera appelée devant la cour,

Déboutons la commune de [Localité 4] et M. [W] [E] de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Laissons les dépens à la charge de la commune de [Localité 4].

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

 


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