19 octobre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/04816
Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRÊT DU 19 OCTOBRE 2022
(n° ,6pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04816 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDI3U
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Février 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BOBIGNY – RG n° 20/02581
APPELANTE
Société MATHIS
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bobigny sous le numéro 849 164 983 prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Assistée de Me Isabelle HUGUES, avocate au barreau de Paris, toque D0872
INTIMEE
S.C.I. CHLOE
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 539 854 034 prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Assistée de Me Caroline GEORGES, de la SAS ASTRUC, avocate au barreau de Paris, toque A235,(substituant Me Chantal TEBOUL-ASTRUC).
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 06 Septembre 2022, en audience publique, rapport ayant été fait par M.Douglas BERTHE, conseiller de chambre, en application des articles 907 et 805 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
M.Gilles BALAY, Président de chambre
M.Douglas BERTHE, Conseiller
Mme Emmanuelle LEBEE, Présidente
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Damien GOVINDARETTY
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Gilles BALAY, Président de chambre et par Anaïs DECEBAL,greffière, présente lors de la mise à disposition.
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FAITS ET PROCÉDURE
Par cession du 17 avril 2019, la société Mathis a acquis un fonds de commerce portant sur des locaux situés [Adresse 1] (93) appartenant à la SCI Chloé.
Le bail se terminant le 30 septembre 2019, la SCI Chloé a fait signifier à la société Mathis, par acte du 03 juin 2019, un congé comportant dénégation du droit au bénéfice du statut des baux commerciaux à effet au 31 décembre 2019, et ce sans offre de renouvellement et sans offre d’indemnité d’éviction.
Par exploit du 11 février 2020, la SCI Chloé a fait assigner à comparaître la société Mathis devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins principales de faire valider son congé et obtenir la libération des lieux loués.
Par jugement du 24 février 2021, le tribunal judiciaire de Bobigny a constaté l’absence d’immatriculation de la société Mathis au 03 juin 2019 ; validé le congé comportant dénégation du droit au bénéfice du statut des baux commerciaux délivré le 03 juin 2019 à effet du 31 décembre 2019 ; dit que la société Mathis est occupante sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2020 ; en conséquence, ordonné à la société Mathis de libérer les lieux susvisés ; statué sur l’expulsion à défaut de départ volontaire ainsi que sur le sort des meubles ; condamné la société Mathis à payer à la SCI Chloé jusqu’à la complète libération des lieux, une indemnité d’occupation d’un montant égal au montant du dernier loyer, outre toutes taxes et charges locatives précédemment exigibles ; condamné la société Mathis à payer à la SCI Chloé la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; débouté les parties du surplus de leurs demandes ; condamné la société Mathis aux dépens de l’instance ; rappelé que la présente décision est de droit assortie de l’exécution provisoire.
Par déclaration du 11 mars 2021, la société Mathis a interjeté appel total du jugement.
Saisi par la SCI Chloé, le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 17 novembre 2021, rejeté les fin de non recevoir tendant à voir déclarer irrecevables les prétentions de la société Mathis dans les conclusions dont elle a saisi la Cour et a condamné la SCI Chloé aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 06 juillet 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Vu les dernières conclusions déposées le 30 juin 2022, par lesquelles la société Mathis, appelante, demande à la Cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, prononcer la nullité du congé avec dénégation du droit au statut des baux commerciaux délivré le 03 juin 2019 ; dire et juger que le bail s’est renouvelé à compter du 1er janvier 2020 ; à défaut, condamner la SCI Chloé à payer à la société Mathis une indemnité d’éviction d’un montant de 515 000 €, laquelle sera soumise aux dispositions régissant le paiement des indemnités d’éviction ; dire et juger que dans l’hypothèse de la désignation d’un expert judiciaire aux fins d’évaluer le montant de l’indemnité d’éviction et d’occupation, la SCI Chloé supportera le coût des frais d’expertise; dire et juger qu’à défaut de consignation et de poursuite de l’expertise par la SCI Chloé, elle sera maintenue dans les lieux jusqu’à ce que ce chiffrage de l’indemnité d’éviction soit fait et le montant de l’indemnité d’éviction consigné par le bailleur ; octroyer trois ans de délai pour partir sans diminution de l’indemnité d’éviction ; en tout état de cause, condamner la SCI Chloé à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’appel ; la condamner au paiement des dépens avec distraction sur le fondement de l’article 699 du même code.
Vu les dernières conclusions déposées le 24 août 2021, par lesquelles la SCI Chloé, intimée, demande à la Cour de statuer sur l’irrecevabilité comme étant nouvelles des demandes d’annulation du congé, d’une indemnité d’éviction d’un montant de 515 000 € et d’octroi d’un délai de trois ans pour quitter les lieux ; à titre subsidiaire, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; à titre infiniment subsidiaire, avant dire droit, nommer tel expert qu’il plaira au Tribunal avec pour mission essentielle de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction et d’évaluer celui de l’indemnité d’occupation due à effet du 1er janvier 2020, et statuer sur les modalités de règlement ; en tout état de cause, condamner la société Mathis à payer à la SCI Chloé la somme de 5 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ; la condamner aux entiers dépens avec distraction sur le fondement de l’article 699 du même code.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, la position des parties sera succinctement résumée.
La société Mathis soutient que l’irrecevabilité invoquée par la société intimée a déjà été tranchée par le conseiller de la mise en état et rappelle que cette demande n’est pas fondée.
Au soutien de sa demande relative à la nullité du congé, la société Mathis affirme que l’immatriculation était incomplète et expose essentiellement que les formalités de transfert du siège social et de l’indication du seul établissement étaient en cours, lesquelles ont été ensuite validées rétroactivement par le greffe. Elle ajoute que l’immatriculation faite initialement au domicile du gérant a rétroagi à la date de la cession pour le seul établissement existant. Elle estime pouvoir opposer au bailleur le caractère rétroactif de l’immatriculation du seul et unique lieu et fonds exploité du domicile du gérant par application de la jurisprudence, entraînant ainsi le renouvellement du bail.
Elle affirme également que l’attitude de la SCI Chloé constitue un abus de droit et expose essentiellement que cette dernière a choisi d’une part, de lever un k-bis dans le délai durant lequel l’immatriculation dans les lieux loués n’était pas encore visible et, d’autre part, de délivrer congé le même jour.
La SCI Chloé fait valoir l’absence d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés de la société Mathis au 03 juin 2019 pour l’adresse des lieux loués, et considère que le congé signifié le même jour comportant dénégation du droit au bénéfice du statut des baux commerciaux est justifié. Elle ajoute que la jurisprudence exposée par la société appelante est inapplicable en l’espèce.
A titre subsidiaire, au soutien de sa demande relative au paiement d’une indemnité d’éviction, la société Mathis prétend que son préjudice correspond à la somme de 365 000 € au titre de l’acquisition du fonds, augmentée des frais et honoraires d’établissement des actes et des intérêts d’emprunts qui s’élèvent à 150 000 € sauf à parfaire. Elle sollicite ainsi le paiement de la somme de 515 000 €.
Elle sollicite également un délai de trois ans pour partir du local par application des articles L.412-1 et L.412-3 du code des procédures civiles d’exécution.
La SCI Chloé affirme que les éléments avancés par la société appelante sont insuffisants pour justifier le quantum de l’indemnité, et souligne que l’expertise sera aux frais de cette dernière.
Elle conteste le délai de trois ans sollicité par la société appelante et expose que la fixation de l’éventuelle indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation est un préalable nécessaire à tout délai éventuellement accordé pour libérer les lieux.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur l’irrecevabilité alléguée comme nouvelles de demandes de la société Mathis :
la SCI Chloé, intimée fait valoir que les demandes de la société Mathis aux fins d’annulation du congé, d’octroi d’une indemnité d’éviction et d’octroi d’un délai pour quitter les lieux sont nouvelles et irrecevables au sens de l’article 564 du code de procédure civile. Toutefois, cette demande d’irrecevalibilité a déjà été formée devant le conseiller de la mise en état, qui, par ordonnance du 17 novembre 2021 a rejeté cette fin de non-recevoir. Cette décision n’a pas été déférée à la cour dans le délai prévu par la loi et ne peut dès lors plus être remise en cause.
Par conséquent, la cour rejettera les exceptions d’irrecevabilité.
Sur la nullité du congé emportant dénégation du droit au statut :
Comme l’a relevé le premier juge, il est constant :
-que le statut des baux commerciaux, notamment le droit au renouvellement du bail commercial et, le cas échéant, à le droit à une indemnité d’éviction sont conditionnés par l’immatriculation du preneur au registre du commerce et des sociétés,
– que cette immatriculation doit s’apprécier local par local et être effectuée à l’adresse des lieux loués,
– que le locataire doit être immatriculé à la date de délivrance du congé délivré par le bailleur,
– que le simple dépôt d’une demande d’immatriculation est inopposable au bailleur.
En l’espèce, la cession du fond de commerce est intervenue le 17 avril 2019 et a été signifiée au bailleur le 6 mai 2019. Il résulte des pièces fournies par la société Mathis que sa demande d’immatriculation n’a été correctement formée que le 13 juin 2019 et que cette immatriculation au [Adresse 1] est justifiée le 17 juin 2019, soit plus de huit semaines après la vente. La cour constate par conséquent qu’il n’y a pas eu d’impossibilité d’agir au sens de l’article 1360 du code civil car la locataire a obtenu dans un délai de quatre jours son immatriculation pour le local litigieux, à compter de sa demande formée régulièrement.
Ainsi, à la date du congé, soit le 3 juin 2019, la société Mathis n’avait pas fait procéder à son immatriculation alors que la régularisation ultérieure de l’immatriculation postérieurement à la délivrance du congé est dépourvue de tout effet rétroactif.
En outre, il ne peut être retenu de contradiction entre l’article L 145-16 du code de commerce prohibant les interdictions de cession du droit au bail et l’article L 145-1 du code de commerce, n’octroyant le bénéfice du statut des baux commerciaux qu’au preneur régulièrement immatriculé en ce que l’obligation d’immatriculation n’a pas fait échec au droit de céder le bail qui a bien été réalisée en l’espèce dans le cadre de la cession du fonds de commerce.
Enfin, aucun acte de mauvaise foi ou abus de droit du bailleur n’est démontré dans la mesure où le seul fait de délivrer congé à effet au 31 décembre 2019, soit 6 mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil, ne caractérise pas en soi la mauvaise foi mais consiste en l’exercice légitime d’un droit, cela d’autant que le bail expirait le 30 septembre 2019.
Par conséquent, il n’y a pas lieu à prononcer la nullité du congé, de considérer que le bail s’est renouvelé ni de condamner la SCI Chloé au versement d’une indemnité d’éviction en désignant au besoin un expert.
Sur les droits propres des occupants des lieux et la demande de délais pour partir :
La société Mathis sollicite, sur le fondement des articles L 412-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution, l’octroi du délai maximal de trois ans pour libérer les lieux.
En l’espèce, il n’est pas contesté que dans le cadre d’un accord avec le SAMU social, les locaux sont destinés notamment à mettre à la disposition de personnes en état de précarité sociale un logement meublé.
Au regard de la vulnérabilité des occupants qui ne permet pas un relogement rapide et dans des conditions normales, la demande de délai pour libérer les lieux apparaît fondée et légitime. En conséquence, il conviendra de n’ordonner la libération des lieux à la date du 30 juin 2023. La cour rappelle également que l’indemnité d’occupation a été fixée par le premier juge et qu’il convient de la confirmer.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La société Mathis qui succombe devra supporter les dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile . Il conviendra également d’autoriser la SELARL 2H Avocats à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code de procédure civile. La société Mathis devra en outre indemniser la SCI Chloé pour ses frais irrépétibles d’instance en lui payant la somme de 3000 € en application de l’article 700 du même code.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
REJETTE les exceptions d’irrecevabilité de prétentions nouvelles,
CONFIRME le jugement rendu le 24 février 2021 par le tribunal judiciaire de Bobigny,
Y ajoutant,
ACCORDE à la société Mathis un délai pour libérer les lieux et lui ordonne de libérer les lieux qu’elle occupe au [Adresse 3] (93) le 30 juin 2023,
À défaut de libération volontaire des lieux à cette date, ordonne son expulsion et celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique,
CONDAMNE la société par action simplifiée à associé unique Mathis à payer à la SCI Chloé la somme de 3000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles d’appel,
CONDAMNE la société par action simplifiée à associé unique Mathis aux dépens et autorise la SELARL 2H Avocats à recouvrer directement ceux dont elle a fait l’avance sans recevoir de provision en application de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFFIER LE PRESIDENT