30 novembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/19248
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRET DU 30 NOVEMBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/19248 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CETRF
Décision déférée à la Cour : Arrêt du 23 Janvier 2019 -Cour d’Appel de PARIS – RG n° 15/07900
APPELANTE
S.C.I. SHAHNAZ
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Eric DESLANDES, avocat au barreau de PARIS, toque : B0389
INTIMEE
S.A.R.L. CIRCUS
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334
Ayant pour avocat plaidant Me Philippe CAVARROC, du cabinet THULLAC-CAVARROC
PARTIE INTERVENANTE :
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant M. Gilles BALAY, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Gilles BALAY, Président de chambre
M. Douglas BERTHE, Conseiller chambre 5-3
Mme Emmanuelle LEBEE, Magistrate honoraire assurant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : Mme Damien GOVINDARETTY
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Gilles BALAY, Président de chambre, et par Madame Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
FAITS ET PROCEDURE
Par un arêt du 29 mars 2017 auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, la cour d’appel de Paris autrement composée, a confirmé le jugement, rendu le 10 mars 2015 par le tribunal de grande instance de Paris, sauf en ses dispositions ayant dit que la SARL Circus est déchue de son droit au paiement d’une indemnité d’éviction et l’ayant déboutée de sa demande au paiement de cette indemnité, en celles ayant ordonné l’expulsion de la SARL Circus et fixé l’indemnité d’occupation de droit commun, et en celles relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ; et le réformant de ces chefs et statuant à nouveau, ajoutant, a dit que le congé ayant mis fin au bail le 31 mars 2010, a ouvert droit au bénéfice d’une indemnité d’éviction au profit du preneur, et avant dire droit sur son montant, a désigné un expert.
Par arrêt du 23 janvier 2019, la Cour a statué après dépôt du rapport d’expertise comme suit:
Fixe le montant de l’indemnité d’éviction due par la SCI SHAHNAZ à la société CIRCUS
à la somme totale de 467.130 euros pour des locaux sis [Adresse 3];
Condamne la SCI SHAHNAZ à payer à la société CIRCUS la somme de 467.130 euros au titre de l’indemnité d’éviction ;
Condamne la SCI SHAHNAZ à payer à la société CIRCUS la somme de 49.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’exécution forcée de la décision d’expulsion, infirmée par la suite, qui a entraîné la perte de son droit au maintien dans les lieux
jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction ;
Condamne la SCI SHAHNAZ à payer à la société CIRCUS la somme de 10.000 euros au
titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI SHAHNAZ aux dépens incluant les frais d’expertise avec distraction des
dépens au profit de l’avocat postulant qui en a fait la demande en application de l’article
699 du code de procédure civile.
Par acte extrajudiciaire du 28 octobre 2021 dénoncé au ministère public, la SCI Shahnaz a saisi la Cour d’un recours en révision à l’encontre de la société Circus.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 19 octobre 2022.
MOYENS ET PRETENTIONS
Par ses dernières conclusions notifiées le 25 mai 2022, la SCI Shahnaz demande à la Cour de
Vu les article 146, 263, 593 à 604 du code de procédure civile,
– Recevoir la SCI SHAHNAZ en son recours en révision et l’y déclarer bien fondée,
– Rétracter l’arrêt du 23 janvier 2019 rendu par le Pôle 5 – Chambre 3 de la Cour d’appel
de Paris (RG n° 15/07900) en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
– Déchoir la SARL CIRCUS de son droit à indemnité d’éviction,
Subsidiairement,
– Nommer tel expert qu’il plaira à la Cour avec mission de rencontrer les parties, de se faire remettre tout document qu’il jugera utile à l’accomplissement de sa mission, d’examiner les documents comptables trouvés dans la cave des lieux loués [Adresse 3], de dire si à l’examen de ces documents, ceux produits à Monsieur l’expert judiciaire [X] [W] peuvent être ou non qualifiés de sincères et probants, de dire d’une manière plus générale, si les éléments comptables nouveaux remis à l’expert désigné, sont ou non en concordance avec les chiffres retenus par Monsieur l’expert judiciaire [W] et permettent de retenir l’évaluation de l’indemnité d’éviction ou de toute autre indemnité, retenue par ce dernier ; en toute hypothèse et indépendamment des conséquences judiciaires attachées à la fraude, à partir des éléments comptables retrouvés, donner tous éléments utiles pour déterminer le montant de l’indemnité d’éviction.
– En tout état de cause condamner la SARL CIRCUS à régler à la SCI SHAHNAZ la somme de 8000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
Elle expose avoir découvert des éléments comptables dans la cave de l’immeuble loué, dont elle n’avait pas connaissance au cours de l’expertise et de la procédure ayant abouti aux arrêts précités pour soutenir que sa requête en révision est recevable; et elle expose qu’après analyse par deux experts comptables, il s’en évince la preuve que la masse salariale déclarée par la société Circus était incompatible avec le chiffre d’affaires déclaré par ailleurs, d’où la démonstration de l’absence de sincérité des éléments comptables précédemment produits, trompant l’expert judiciaire puis la Cour.
Elle prétend que les éléments de comptabilité produits sont des faux, et elle produit une copie de la plainte pour faux qu’elle a déposée, avec constitution de partie civile.
Elle soutient que la fraude corrompt tout; et elle demande qu’il soit jugé que la société Circus est déchue de son droit à indemnité d’éviction et demande subsidiairement une nouvelle mesure d’expertise pour que l’indemnité d’éviction soit fixée en tenant compte de la réalité économique après retraitement des chiffres d’affaires et résultats de la société locataire.
Vu les dernières conclusions notifiées le 6 avril 2022 par lesquelles la société Circus oppose à titre principal un moyen de prescription tiré des articles 595 et 596 du code de prcédure civile, et sur le fond demande à la Cour de débouter la SCI Shahnaz de toutes ses prétentions et de confirmer l’arrêt du 23 janvier 2019 en toutes ses dispositions et de condamner la SCI Shahnaz à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour recours abusif et dilatoire, et la somme de 5000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles d’instance, ainsi qu’aux dépens avec distraction au profit de son avocat.
Elle soutient que la demande est prescrite, en ce que les éléments prétendûment nouveaux sont des cartons d’archives dont la SCI Shahnaz aurait pris possession depuis longtemps, en vidant les lieux pour y effectuer des travaux, et aurait réintroduits dans la cave pour faire croire à leur découverte récente, constat d’huissier à l’appui. Elle souligne que cette découverte et le recours en révision ont été imaginés à des fins dilatoires pour tenter de s’opposer à la procédure de saisie immobilière qu’elle a été contrainte d’engager pour obtenir l’exécution de l’arrêt du 23 janvier 2019.
Elle affirme en outre que ces éléments découverts sont les pièces justificatives de la comptabilité qui lui ont été restituées par l’expert comptable après établissement des comptes annuels en rappelant qu’ont notamment été communiqués au cours de l’expertise judiciaire et devant la Cour:
– les bilans et les comptes de résultat de monsieur [E] pour les exercices : clos les 30 juin 2013, 2014 et 2015
– le grand livre afférent à l’exercice clos le 30 juin 2013
– le grand livre afférent à l’exercice clos le 30 juin 2014
– le grand livre afférent à l’exercice clos le 30 juin 2015
Elle ajoute que ces données comptables ont été discutées au cours de l’expertise et du procès, y compris sous l’angle d’une prétendue fraude, à partir des chiffres avancés par le locataire-gérant, sur la base des bilans, des comptes de résultats et des grands livres produits ; de sorte que d’une part ces éléments ne sont pas nouveaux au sens des textes précités mais en outre et surtout n’ont pas été volontairement retenus par le fait d’une aute partie, puisqu’ils étaient en la possession de la SCI Shahnaz.
Sur le fond, elle s’attache à démontrer que les analyses des experts comptables sollicités pour soutenir la demande de révision sont critiquables. En particulier en ce qui concerne le ratio de la masse salariale et du chiffre d’affaires pour ce type de commerce; et elle conteste le moyen tiré de la fraude, soulignant que la comptabilité de son locataire gérant, monsieur [E], a été établie sous la seule responsabilité de ce dernier, sans aucun intérêt pour lui d’influencer par avance la fixation d’une indemnité d’éviction au profit de la société Circus; et elle ne pouvait que la communiquer à l’expert judiciaire sur sa demande.
Par un avis écrit du 29 mars 2022, monsieur le procureur général estime le recours irrecevable.
Il est d’avis que la preuve d’une rétention de pièces n’est pas rapportée en ce que d’une part la société Circus a été expulsée et a laissé dans les lieux ces cartons d’archive qui étaient en la possession de la SCI Shahnaz depuis le 15 septembre 2015, excluant toute rétention matérielle; et en ce que d’autre part le silence gardé sur l’existence de ces documents ne saurait être analysé en une rétention précisément du fait que les documents litigieux étaient en possession de la SCI Shahnaz.
Il est d’avis que la fraude ne peut être retenue, dès lors qu’elle a été déjà débattue devant l’expert judiciaire qui l’a écartée.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur la recevabilité du recours en révision
Le recours en révision est possible dans les conditions des articles 595 et 596 du code de procédure civile dans les termes ci-dessous:
Article 595 du Code procédure civile :
Le recours en révision n’est ouvert que pour l’une des causes suivantes :
1. S’il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;
2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d’une autre partie ;
3. S’il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement;
4. S’il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.
Dans tous ces cas, le recours n’est recevable que si son auteur n’a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu’il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.
Article 596 du Code procédure civile :
Le délai du recours en révision est de deux mois.
Il court à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu’elle invoque.
En l’espèce, la SCI Shahnaz invoque les deux premiers cas de révision.
Or elle ne peut pas prétendre avoir découvert une fraude moins de deux mois avant l’exercice de son recours en révision alors que la fraude, titée du caractère insincère des comptes a précisément été débattue dans le cadre de l’expertise judiciaire.
Elle ne démontre pas que des pièces décisives ont étét retenues par le fait d’une autre partie. En effet, les pièces n’ont pas été matériellement retenues par la société Circus puisqu’elles étaient en possession de la SCI Shahnaz depuis la reprise des lieux par expulsion de la société preneuse le 15 septembre 2015. Les pièces litigieuses constituées de factures et de divers autres documents ont déjà été prises en compte pour l’établissement de la comptabilité et des livres comptables produits au cours de l’expertise judiciaire. Leur caractère déterminant n’est pas avéré. Il en est d’autant plus ainsi que l’incohérence entre la masse salariale et le chiffre d’affaires, qui est au centre de l’analyse aujourd’hui faite sur la base de ces documents, était nécessairement visible et analysable et que seul le chiffre d’affaires a été pris en compte pour le calcul de l’indemnité d’éviction, qu’il n’est pas admissible de minorer, de sorte que seule la masse salariale a pu être sous estimée dans les déclarations comptables.
Ainsi, la SCI Shahnaz ne démontre pas une rétention de pièces décisives découvertes moins de deux mois avant l’introduction de son recours en révision.
Des constatations qui précèdent résulte que ce recours tardif est prescrit.
Sur la demande de dommages-intérêts
L’action en justice, en l’espèce, n’a pas dégénéré en abus de droit et en tout état de cause il n’est pas établi qu’elle aurait causé un préjudice distinct de celui indemnisé au titre des frais irrépétibles d’instance. La demande de dommages-intérêts n’est pas fondée.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En application de l’article 700 du code de procédure civile, en équité, la SCI Shahnaz devra indemniser la société Circus de ses frais irrépétibles en lui payant la somme de 5 000 €.
Elle supportera les dépens dont la distraction sera ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Déclare irrecevable le recours en révision formé par la SCI Shahnaz à l’encontre de l’arrêt 15/07900 rendu par la cour d’appel de Paris le 23 janvier 2019,
Déboute la société Circus de sa demande de dommages-intérêts,
Condamne la SCI Shahnaz à payer à la société Circus la somme de 5000 € pour frais irrépétibles d’instance,
La condamne aux dépens et autorise maître [D] [I] à recouvrer directement ceux dont il a fait l’avance sans recevoir de provision,
Dit que le présent arrêt sera notifié au ministère public par le greffe.
La greffière, Le président,