Indemnité d’éviction : 12 janvier 2023 Cour d’appel d’Orléans RG n° 20/02043

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Indemnité d’éviction : 12 janvier 2023 Cour d’appel d’Orléans RG n° 20/02043

12 janvier 2023
Cour d’appel d’Orléans
RG
20/02043

C O U R D ‘ A P P E L D ‘ O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE – A –

Section 2

PRUD’HOMMES

Exp +GROSSES le 12 JANVIER 2023 à

la SCP FROMONT BRIENS

la SELARL 2BMP

XA

ARRÊT du : 12 JANVIER 2023

MINUTE N° : – 23

N° RG 20/02043 – N° Portalis DBVN-V-B7E-GHBB

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 21 Septembre 2020 – Section : INDUSTRIE

APPELANTE :

S.A.S. FAIVELEY TRANSPORT TOURS prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Olivier THIBAUD de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de PARIS

ET

INTIMÉ :

Monsieur [O] [M]

né le 23 Décembre 1965 à ALGERIE ([Localité 5]) [Adresse 3]

[Localité 1]

représenté par Me Alexia MARSAULT de la SELARL 2BMP, avocat au barreau de TOURS

Ordonnance de clôture : 29 septembre 2022

Audience publique du 25 Octobre 2022 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l’absence d’opposition des parties, assisté lors des débats de Mme Karine DUPONT, Greffier,

Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,

Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre,

Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.

Puis le 12 Janvier 2023, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Karine DUPONT, Greffier a rendu l’arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

M.[O] [M] a été engagé par la société Faiveley Transport Tours (SAS) selon contrat à durée indéterminé, à compter du 3 avril 2001, en qualité de monteur-mécanicien.

M.[M] a été victime d’un accident du travail le 14 décembre 2015 ayant causé une rupture du ligament croisé antérieur du genou gauche. Il a repris le travail le 1er mars 2018.

M.[M] avait, entretemps, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur . Par jugement du 16 octobre 2017, cette juridiction l’a débouté de sa demande. Ce jugement a été infirmé par arrêt de la chambre de la sécurité sociale de la cour d’appel d’Orléans qui, par arrêt du 1er juin 2021, a dit que l’accident du travail dont M.[M] a été victime le 14 décembre 2015 était dû à la faute inexcusable de la société Faiveley Transport Tours.

Le 4 septembre 2018, la commission des droits de l’autonomie des personnes handicapées reconnaissait la qualité de travailleur handicapé de M.[M].

Le 8 octobre 2018, celui-ci s’est présenté à l’infirmerie de l’entreprise, selon lui, en raison d’une vive douleur au genou gauche.

Le 8 novembre 2018, la société Faiveley Transport Tours a convoqué M.[M] à une entretien préalable fixé au 20 novembre 2018.

Le 22 novembre 2018, le médecin de M.[M] a établi un certificat médical de rechute de l’accident du travail du 14 décembre 2015.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 novembre 2018, son licenciement pour faute lui a été notifié en raison d’un défaut de conformité d’une pièce produite, de l’irrespect des instructions de production détaillées sur des  » fiches d’instructions méthodes  » d’une part, et de l’irrespect des  » procédures d’auto-contrôle  » d’autre part.

Par requête enregistrée au greffe le 17 juillet 2019, M.[M] a saisi le conseil de prud’hommes de Tours pour contester son licenciement, en invoquant au principal l’existence d’une discrimination en raison de son état de santé et la nullité du licenciement, sollicitant sa réintégration, et au subsidiaire en contestant les motifs de son licenciement, demandant que le licenciement soit déclaré dénué de cause réelle et sérieuse. Il demandait en conséquence le paiement de diverses indemnités.

Par jugement du 21 septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Tours a :

– Dit et jugé que le licenciement de M.[M] est entaché de nullité et ordonné la réintégration de celui-ci avec les conséquences s’en rapportant,

– Condamné la société Faiveley Transport Tours à payer à M.[M] les sommes suivantes :

– 44 744,24 euros bruts au titre des rappels de salaire arrêtés au jour de la réintégration de M.[M],

– 4474,42 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Rappelé que l’exécution provisoire est de droit pour les créances salariales qui seront assorties des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud’hommes, soit le 17 juillet 2019 et fixe à la somme brute de 2551,20 euros bruts la base moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire prévue à l’article R.1454-28 du code du travail,

– Condamné la société Faiveley Transport Tours à remettre à M.[M] les bulletin de salaire afférents aux créances salariales, sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la présente décision,

– S’est réservé le pouvoir de liquider l’astreinte,

– Débouté la société Faiveley Transport Tours de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné la société Faiveley Transport Tours aux entiers dépens de l’instance et émoluments d’huissier, en application de l’article 696 du code de procédure civile.

La société Faiveley Transport Tours a relevé appel du jugement par lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 15 octobre 2020 au greffe de la cour d’appel.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 28 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l’article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles la société Faiveley Transport Tours demande à la cour de :

– Constater le caractère réel et sérieux du licenciement de M.[M],

– Constater que le licenciement n’est pas lié par un motif discriminatoire,

– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé le licenciement nul,

– Statuant à nouveau, dire et juger que le licenciement pour cause réelle et sérieuse notifié à M.[M] est justifié,

– Débouter M.[M] de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail,

– A titre subsidiaire, si le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse :

– Réduire le montant de dommages-intérêts alloués à M.[M] au minimum légal de 3 mois de salaire, soit la somme de 7652,60 euros,

– Débouter du paiement du solde d’indemnité de préavis,

– Si licenciement était entaché de nullité :

– Déduire des salaires que M.[M] aurait dû recevoir, entre le 4 février 2019 et l’arrêt définitif ordonnance sa réintégration, les revenus tirés d’une autre activité et les revenus de remplacement qu’il a dû percevoir pendant cette période, et dont il devra justifier auprès de la cour,

– Débouter M.[M] de sa demande de dommages-intérêts en réparation d’un prétendu préjudice moral,

– En tout état de cause :

– Débouter M.[M] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner M.[M] à lui verser la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 28 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l’article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles M.[M] demande à la cour de :

– A titre principal :

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé le licenciement de M.[M] entaché de nullité, ordonné la réintégration de celui-ci avec les conséquences de droit s’y rapportant et condamné la société Faiveley Transport Tours à remettre à M.[M] les bulletin de salaire afférents aux créances salariales lui revenant, sous astreinte de 30 euros par jour de retard et lui payer la somme de 1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Statuant à nouveau sur le montant des salaires et congés payés afférents revenant à M.[M] du fait de la nullité de son licenciement, condamner la société Faiveley Transport Tours d’avoir à lui régler les sommes de :

– 88 927,54 euros bruts à titre de rappel de salaires à compter du 5 février 2019 telle qu’arrêtée à la date du 31 août 2022 et dire qu’il sera à parfaire à la date de réintégration effective du salarié,

– 8892,75 euros bruts à titre d’indemnité de congés payés afférents au rappel de salaire précité, laquelle indemnité sera également à parfaire à la date de la réintégration effective du salarié,

– Vu l’erreur matérielle entachant le jugement entrepris concernant la condamnation afférente au préjudice moral souffert, la rectifier comme en dispose l’article 462 du code de procédure civile et statuant à nouveau :

– Condamner la société Faiveley Transport Tours d’avoir à régler à M.[M] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral souffert du fait de l’éviction abusive subie aux lieu et place des 500 euros alloués en première instance,

– A titre subsidiaire, en cas d’infirmation du jugement en ce qu’il a considéré que le licenciement de M.[M] était entaché de nullité et ordonné sa réintégration :

– Dire et juger le licenciement de M.[M] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– Condamner incidemment la société Faiveley Transport Tours au paiement des sommes suivantes :

– 2354,96 euros bruts à titre de solde d’indemnité compensatrice de préavis en application de l’article L.5213-9 du code du travail

– 235,50 euros bruts d’indemnité compensatrice de préavis,

– 60 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,

– Ordonner à la société Faiveley Transport Tours d’avoir à remettre à M.[M], sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, un bulletin de salaire afférent aux créances salariales précitées, ainsi qu’un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle Emploi, rectifiés conformément aux termes de l’arrêt à intervenir,

– En toute hypothèse :

– Condamner la société Faiveley Transport Tours à payer à M.[M] la somme complémentaire de 2000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, et aux entiers dépens,

– Débouter la société Faiveley Transport Tours de l’ensemble de ses demandes.

La clôture a été prononcée le 29 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

– Sur l’existence d’une cause réelle et sérieuse au licenciement

Il résulte de l’article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.

L’article L.1235-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La société Faiveley Transport Tours soutient que M.[M] a travaillé les 29 et 30 mai 2018 sur la production d’une série sur les portes d’accès à la voiture bar TGV et qu’à la suite d’une réclamation du client, la société Alstom, il s’est avéré que trois ensembles de vis n’avaient pas été montées dans le coin supérieur d’un vantail. Elle indique que M.[M] a fait alors l’objet le 12 juillet 2018 d’un avertissement qu’il n’a pas contesté. Par la suite, la société Alstom a émis un  » avis qualité  » le 10 septembre 2018 critiquant cette fois-ci le mauvais positionnement d’une crémaillère sur une porte de chargement du bar de la même série des 29 et 30 mai 2018. Elle en a déduit que M.[M] n’avait pas suivi les instructions détaillées dans la  » fiche d’instructions méthodes  » ni respecté les instructions de contrôle à mettre en ‘uvre à chaque opération de montage, visant à vérifier qu’aucune erreur n’a été commise. Elle déplore le coût que cela a engendré à la suite de la réclamation (2050 euros) et les conséquences en termes d’image auprès du client et des audits que celui-ci risquait de réclamer. La société Faiveley Transport Tours considère que M.[M], monteur d’expérience, ne s’est jamais plaint d’une formation incomplète, qu’aucun problème d’étiquetage des crémaillères n’a jamais été signalé et que M.[M] a personnellement suivi dans leur intégralité les opérations de montage. Elle conteste que les opérations de contrôle aient à être finalisées par un collègue plus expérimenté et que M.[M] ait été le seul à devoir réaliser les opérations de contrôle. Elle ajoute que celui-ci a opéré un faux en remplaçant grossièrement son trigramme par celui d’un collègue sur le plan de contrôle du montage des crémaillères litigieuses, indiquant qu’il avait accès à l’armoire contenant ces documents.

M.[M] réplique que la lettre d’observation du 12 juillet 2018 ne représentait pas un avertissement et qu’en ce sens elle n’appelait pas une réponse de sa part, que les erreurs qu’il aurait commises lors de la réalisation des vantaux les 29 et 30 mai 2018 ne justifiaient pas le licenciement mis en ‘uvre. Il affirme qu’il a été formé rapidement par un collègue lors de son affectation à cette tâche en mars 2018 et que ses productions demeuraient contrôlées, notamment en bout de chaîne, par un collègue plus expérimenté, sachant que les retours de pièces défectueuses sont fréquentes.Il conteste avoir falsifié les opérations de contrôle et notamment avoir posé le trigramme d’un collègue à la place du sien sur un document auquel il n’avait plus accès.

A l’appui de son argumentation, la société Faiveley Transport Tours produit deux  » plans de contrôle  » des 29 mai 2018 (série 42) d’une part, et des 29 et 30 mai 2018 (séries 43 et 44).

Selon l’employeur, trois anomalies ont été constatées sur les séries 43 et 44, qui ont donné lieu, à une  » observation « , selon l’intitulé qui y figure, adressée à M.[M] le 12 juillet 2018, après une  » réclamation  » du client, sur l’absence de montage de vis.

Par ailleurs, sur la série n°42, le client a formé le 10 septembre 2018 une réclamation, produite aux débats, afférente aux positionnement de la crémaillère, ce qui seul a motivé le licenciement.

Sur ces deux  » plans de contrôle  » ne figure que le trigramme de M.[M], ce qui démontre qu’il était bien le seul à avoir réalisé les opérations de montage et de contrôle concernées, à l’exception du montage de crémaillère, pour lequel le trigramme d’un de ses collègues (BVR) apparaît en surlignage et après effacement de celui, possiblement autre, et notamment celui de M.[M] (ABE).

A cet égard, aucun élément n’établit que ce soit M.[M] qui ait procédé à ce surlignage, et falsifié les opérations de contrôle.

En tout état de cause, cet élément ne permet en rien de démontrer que M.[M] n’a pas procédé au montage de cette crémaillère.

M.[M] doit donc être considéré comme responsable des malfaçons constatées par la société Alstom.

La cour relève , en revanche, que pour l’une des malfaçons, commises la même paire de jours, mais révélée à des dates différentes, l’employeur a, pour l’une, simplement adressé un courrier valant  » observation  » et appelant le salarié à ce que  » ce genre d’incident ne se reproduise plus « , et, pour l’autre, a prononcé un licenciement, ce qui apparaît contradictoire.

En effet, la faute reprochée en second lieu n’a pas été commise alors que la première avait été détectée.

De surcroît, il n’est pas allégué que la première erreur soit moins grave que la seconde.

S’agissant du respect des procédures de contrôle, la lettre de licenciement développe en insistant sur le fait que si elles avaient été scrupuleusement opérées, les erreurs de montage auraient été nécessairement été détectées et que dès lors, il serait démontré que M.[M] aurait faussement déclaré les avoir réalisées, ce qui aggrave la faute commise.

Cette thèse ne résiste pas à l’examen puisqu’une erreur peut être commise non seulement lors de la réalisation de l’opération de montage, mais aussi lors de son contrôle a posteriori, qui ne peut être infaillible par hypothèse.

En tout état de cause, la société Faiveley Transport Tours ne justifie pas du nombre d’anomalies constatées par ses clients sur les opérations de montage auxquelles elle procède, ce qui aurait pu éclairer la cour sur le caractère exceptionnel ou bénin des deux erreurs reprochées à M.[M], dont l’une seulement est censée fonder son licenciement.

Dès lors, le fait que M.[M] n’ait pas, à deux reprises seulement et sur les mêmes journées, respecté les procédures de montage et par-là commis des erreurs, ni correctement appliqué la méthode d’auto-contrôle, ne peut suffire à justifier du caractère sinon réel, du moins sérieux de la cause du licenciement prononcé à son encontre.

– Sur la discrimination

L’article 1132-1 du code du travail prohibe toute mesure de licenciement en raison de l’état de santé du salarié.

Il résulte de l’article 1132-4 du code du travail que tout licenciement d’un salarié en méconnaissance de cette prohibition est nul.

L’article 1134-1 du code du travail prévoit que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte.

Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

M.[M] soutient qu’il n’avait, lors du licenciement, aucun antécédent disciplinaire, que lorsque le licenciement a été prononcé, il était en litige avec la société Faiveley Transport Tours puisqu’il avait intenté une procédure d’appel après le rejet par le tribunal des affaires de sécurité sociale de sa demande visant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Il avait appris que le directeur des ressources humaines avait tenu des propos diffamatoires et discriminatoires à son propos, tenus publiquement, en le dénigrant et en mettant en cause son état de santé. Il ajoute que lors de sa reprise en mars 2018, l’employeur n’aurait consenti aucun effort particulier pour lui permettre d’être  » à l’aise  » dans sa nouvelle affectation, imposée par son état de santé, d’autant qu’il a suivi avec retard une formation et que les tapis anti-fatigue qui lui auraient été fournis avaient été acquis avant cette reprise. Il ajoute qu’il a dû être placé en arrêt maladie à plusieurs reprises pendant l’été 2018, qu’il a été reconnu travailleur handicapé le 4 septembre 2018, qu’il a signalé une douleur au genou à l’infirmerie le 8 octobre 2018 et qu’enfin il a été licencié pour un motif fallacieux selon une procédure initiée le 8 novembre 2018. Il en déduit que c’est bien son état de santé qui a conduit l’employeur à prononcer son licenciement le 30 novembre 2018.

La société Faiveley Transport Tours réplique que la discrimination ne peut pas résulter de l’absence d’antécédent disciplinaire, alors d’ailleurs qu’un tel antécédent existait en raison de la lettre d’observation du 12 juillet 2018 et qu’il n’existe aucun élément concret et objectif qui laisserait supposer que le licenciement dont il a été l’objet serait motivé par des considérations liées à l’état de santé de M.[M]. Elle conteste les propos prêtés au directeur des ressources humaines et affirme que sa qualité de travailleur handicapé n’a pas été porté à sa connaissance, pas plus que les raisons de son passage à l’infirmerie le 8 octobre 2018 qui demeurent confidentiels, soulignant qu’il est intervenu un mois avant l’envoi de la lettre de convocation à entretien préalable.

La cour constate que M.[M] justifie de ce qu’il a été placé pendant de nombreux mois en arrêt de travail, que lors de sa reprise, le médecin du travail a émis un avis d’aptitude avec des préconisations imposant la fourniture d’un tapis anti-fatigue et une  » évolution du poste de M.[M] « , que M.[M] a présenté des arrêts de travail durant l’été 2018, qui figurent sur ses bulletins de salaire de juillet, août et septembre 2018 et qu’il est bien passé par l’infirmerie de l’entreprise le 8 octobre 2018. Enfin, une déclaration de rechute de son accident du travail, à compter du 22 novembre 2018 selon le certificat médical, a été adressée à la caisse primaire d’assurance maladie d’Indre et Loire le 27 novembre 2018, soit 3 jours avant le prononcé du licenciement, déclaration qui n’est pas produite mais qui normalement est effectuée par l’employeur lui-même sur présentation par le salarié du certificat médical.

Par ailleurs, le licenciement ayant été prononcé pour une cause dénuée de sérieux, il aura été nécessairement motivé par des considérations autres.

Ces éléments laissent supposer l’existence d’une discrimination qui pourrait être liée à l’état de santé défaillant de M.[M], avec lequel la société Faiveley Transport Tours était, de surcroît, en conflit devant la chambre de la sécurité sociale de la cour d’appel dans un litige relatif à la faute inexcusable de l’employeur commise à l’occasion de l’accident du travail ayant causé la rechute contemporaine au licenciement.

La société Faiveley Transport Tours, pour démontrer que le licenciement de M.[M] est fondé sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, soutient que le licenciement est fondé sur une cause objective, réelle et sérieuse, ce qui n’a pas été retenu par la cour.

Elle affirme, par ailleurs, qu’elle a veillé à ce que M.[M] exerce son activité professionnelle dans les meilleures conditions lors de sa reprise en mars 2018, produisant notamment un compte-rendu de  » l’entretien de réaccueil  » auquel le salarié a été convié le 1er mars 2018, à l’occasion duquel un certain nombre de recommandations lui ont été données, et notamment l’interdiction d’accomplir certains gestes et de ne  » jamais forcer « , ainsi que la nécessité de porter du matériel de protection. Elle indique qu’un tapis anti-fatigue lui a été fourni, et produit la facture afférente. Elle précise enfin que M.[M] a été affecté au département  » équipement portes d’accès  » qui ne nécessitait aucun travail de portage.

La cour relève, néanmoins, qu’il n’est pas établi que le travail confié à M.[M] présentait un caractère moins pénible qu’ordinairement, alors que le médecin du travail avait préconisé de prévoir une évolution du poste, étant fait remarquer que celui-ci n’apparaît pas avoir été consulté sur la compatibilité de la nouvelle affectation de M.[M] avec son état de santé.

Aucune diligence autre que la seule fourniture d’un tapis anti-fatigue apparaît avoir été accomplie par la société Faiveley Transport Tours, ainsi qu’une formation technique à son nouveau travail.

En tout état de cause, la société Faiveley Transport Tours ne démontre pas que la mesure de licenciement dont M.[M] a été l’objet était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur l’état de santé défaillant de ce dernier, dont l’employeur était parfaitement informé.

C’est pourquoi M.[M] sera, par voie de confirmation du jugement, accueilli en sa demande de nullité du licenciement en raison de cette discrimination et en sa demande de réintégration.

S’agissant de l’indemnité d’éviction, elle est égale au montant des salaires dont M.[M] aura été privé depuis son licenciement et jusqu’à sa réintégration, sans déduction des revenus de remplacement et autres rémunérations perçus pendant cette période en raison du caractère discriminatoire du licenciement fondé sur l’état de santé du salarié, ce licenciement caractérisant une atteinte au droit à la protection de la santé, garanti par l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie celui de la Constitution du 4 octobre 1958 ( Soc., 11 juillet 2012, pourvoi n° 10-15.905, Bull. 2012, V, n° 218 et Soc., 29 mai 2013, pourvoi n° 11-28.734, Bull. 2013, V, n° 136)

Dès lors, la demande formée, à titre subsidiaire, par la société Faiveley Transport Tours, visant à ce que soient déduits de l’indemnité d’éviction servie à M.[M] ses revenus tirés d’une autre activité et le revenu de remplacement qu’il a pu percevoir pendant la période considérée, sera rejetée.

Le salarié demande la somme de 88 927,54 euros brut, correspondant au salaire de 2186,74 euros pour la période du 5 février 2019, date de fin de préavis, au 28 février 2019, plus 34 mois de salaire, calculée sur la base d’un salaire mensuel de 2551,20 euros bruts par mois, pour une période alléguée du 5 février 2019 au 31 août 2022, somme à parfaire jusqu’à la réintégration effective.

La société Faiveley Transport Tours sera condamnée à payer à M. [O] [M] la somme de 88 927,54 euros brut au titre de l’indemnité d’éviction correspondant aux salaires entre le 5 février 2019, date d’expiration de la période de préavis, et le 31 décembre 2021, (février 2019 plus 34 mois de salaire) , augmentée du montant des salaires entre le 1er janvier 2022 et la date de réintégration effective de M. [O] [M], sur la base d’un salaire mensuel de 2551,20 euros bruts par mois.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

En revanche, M.[M] sera débouté de sa demande d’indemnité de congés payés afférents, la période d’éviction couvrant une période non travaillée, ouvrant droit, non à une acquisition de jours de congés, mais à une indemnité d’éviction (Soc., 11 mai 2017, pourvoi n° 15-19.731, 15-27.554, Bull. 2017, V, n° 73). Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

M.[M] réclame, en outre, le paiement d’une indemnité pour préjudice moral, lié au fait qu’il était déjà fragilisé physiquement depuis son accident du travail, qu’il est marié avec un enfant à charge et est demeuré seul à l’entretien de sa famille, son épouse étant sans emploi.

Il produit un certificat médical de son médecin psychiatre qui indique l’avoir reçu régulièrement à la suite de son accident du travail en 2016 pour dépression réactionnelle. Ce préjudice est lié, non à son licenciement, mais à l’accident du travail qui sera indemnisé par ailleurs. Aucun autre élément n’est produit qui puisse justifier d’un préjudice moral spécifiquement lié à ce licenciement et indépendant de ses problèmes de santé en eux-mêmes.

C’est pourquoi, étant fait remarquer que le conseil de prud’hommes n’a pas statué sur cette demande dans le dispositif de son jugement, alors qu’il l’avait évoquée dans les motifs de sa décision, M.[M] sera débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral.

– Sur les intérêts légaux et la demande de capitalisation des intérêts

Le caractère seulement indemnitaire de la somme allouée à M.[M] au titre de l’indemnité d’éviction impose d’infirmer le jugement en ce qu’il a fait courir les intérêts légaux à compter de saisine du conseil de prud’hommes.

Ces intérêts courront à compter de la date de l’arrêt.

– Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La solution donnée au litige commande de confirmer la décision de première instance afférente à l’indemnité allouée à M.[M] au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner en outre la société Faiveley Transport Tours à lui payer la somme de 1500 euros pour les frais exposés à ce titre en cause d’appel. La demande présentée à ce titre par la société Faiveley Transport Tours sera rejetée.

La société Faiveley Transport Tours sera condamnée aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 21 septembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Tours en ce qu’il a prononcé la nullité du licenciement de M. [O] [M], ordonné sa réintégration avec toutes ses conséquences et en ce qu’il a condamné la société Faiveley Transport Tours à lui payer la somme de 1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la déboutant de sa propre demande au même titre, et aux dépens ;

Infirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant,

Condamne la société Faiveley Transport Tours à payer à M. [O] [M] la somme de 88 927,54 euros brut au titre de l’indemnité d’éviction correspondant aux salaires entre le 5 février 2019, date d’expiration de la période de préavis, et le 31 décembre 2021, augmentée du montant des salaires entre le 1er janvier 2022 et la date de réintégration effective de M. [O] [M], sur la base d’un salaire mensuel de 2551,20 euros bruts par mois ;  

Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt ;

Déboute M. [O] [M] de sa demande d’indemnité de congés payés et de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

Condamne la société Faiveley Transport Tours à payer à M. [O] [M] la somme de 1500 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d’appel, et la déboute elle-même de ce chef de prétention, tant au titre la première instance qu’en cause d’appel :

Condamne la société Faiveley Transport Tours aux dépens d’appel.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier

Karine DUPONT Laurence DUVALLET

 


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