Indemnité d’éviction : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03908

·

·

Indemnité d’éviction : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03908

19 janvier 2023
Cour d’appel de Versailles
RG
21/03908

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30E

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 JANVIER 2023

N° RG 21/03908 – N° Portalis DBV3-V-B7F-USUC

AFFAIRE :

S.C.I. [Adresse 1]

C/

S.N.C. LE REPAIRE DE BACCHUS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Mai 2021 par la 8ème chambre du tribunal judiciaire de NANTERRE

N° RG : 19/02693

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Chantal DE CARFORT

Me Oriane DONTOT

TJ NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.C.I. [Adresse 1]

RCS Nanterre n° 522 635 952

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET- ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 et Me Barbara KIMOU-GBANE substituant à l’audience Me Gina MARUANI de la SAS JACQUIN MARUANI & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0428

APPELANTE

****************

S.N.C. LE REPAIRE DE BACCHUS

RCS Créteil n° 513 235 267

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Oriane DONTOT de l’AARPI JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Luc JEANNIN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0347

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 Novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privée du 30 novembre 1993, Mme [K] [V] a donné à bail et à loyer à la société Vins Fins de la Madeleine, aux droits de laquelle s’est trouvée la société Château Online, des locaux au sein d’un ensemble immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 7].

Le 2 avril 2007, Mme [K] [V], aux droits de laquelle est venue la SCI [Adresse 1], a renouvelé le bail au bénéfice de la société Château Online, aux droits de laquelle est venue la SNC Le Repaire de Bacchus, jusqu’au 31 mars 2012.

Le 19 septembre 2011, la SCI [Adresse 1] a délivré congé avec refus de renouvellement du bail et offre d’une indemnité d’éviction à la société Le Repaire de Bacchus à effet du 1er avril 2012.

Par acte du 30 mars 2012, la société Le Repaire de Bacchus a assigné la SCI [Adresse 1] en fixation du montant de l’indemnité d’éviction et d’occupation.

Par jugement du 15 mai 2014, le tribunal de grande instance de Nanterre a désigné M. [R] [M] en qualité d’expert judiciaire afin de déterminer le montant de ces indemnités.

La SCI [Adresse 1] ayant interjeté appel de ce jugement du 15 mai 2014, la cour d’appel de Versailles, par arrêt du 15 mars 2016, a confirmé le jugement du tribunal en toutes ses dispositions.

La SCI [Adresse 1] a formé un pourvoi en cassation rejeté par arrêt du 7 septembre 2017.

Le 14 avril 2017, M. [R] [M] a déposé son rapport d’expertise.

Le 18 décembre 2018, la société Le Repaire de Bacchus a restitué lesdits locaux.

Par acte du 12 mars 2019, la société Le Repaire de Bacchus a assigné la SCI [Adresse 1] devant le tribunal de grande instance de Nanterre en paiement notamment de la somme de 605.440,59 € à titre d’indemnité d’éviction.

Par jugement du 3 mai 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

– Dit que la société Le Repaire de Bacchus a droit à indemnité d’éviction suite au refus de renouvellement du bail signifié le 19 septembre 2011 par la société [Adresse 1];

– Condamné la société SCI [Adresse 1] à payer à la société Le Repaire de Bacchus :

– 355.000 € au titre de l’indemnité principale,

– 35.500 € au titre de l’indemnité de remploi,

– 15.254 € au titre des frais de réparation du trouble commercial,

– 9.066,66 € au titre du double loyer,

– 1.562,40 € au titre des frais de déménagement,

– 90.000 € au titre des frais de réinstallation,

– Condamné la société Le Repaire de Bacchus à payer à la société [Adresse 1] une indemnité d’occupation annuelle ayant couru depuis le 1er avril 2012, d’un montant de 40.800 €, avec intérêt au taux légal conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil, les intérêts échus et dus au moins pour une année entière étant capitalisés et produisant eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

– Prononcé la compensation des créances réciproques dues par la société Le Repaire de Bacchus et par la société [Adresse 1] ;

– Débouté la société [Adresse 1] de sa demande de condamnation de la société Le Repaire de Bacchus au paiement de dommages et intérêts ;

– Débouté les parties de toute demande au fond plus ample ou contraire ;

– Condamné la société [Adresse 1] à payer à la société Le Repaire de Bacchus la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné la société [Adresse 1] aux dépens dont distraction au profit de Me Luc Jeannin, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

– Ordonné l’exécution provisoire.

Par déclaration du 21 juin 2021, la SCI [Adresse 1] a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 26 septembre 2022, la SCI [Adresse 1] demande à la cour de :

– Juger la SCI [Adresse 1] bien fondée en son appel et en ses demandes ;

– Infirmer le jugement dont appel en tous ses chefs de dispositif faisant grief à la SCI [Adresse 1], dont notamment en ce qu’il a :

– Condamné la SCI [Adresse 1] à payer à la société Le Repaire de Bacchus les sommes de :

– 355.000 € au titre de l’indemnité principale,

– 35.500 € au titre de l’indemnité de remploi,

– 15.254 € au titre des frais de réparation du trouble commercial,

– 9.066,66 € au titre du double loyer,

– 1.562, 40 € au titre des frais de déménagement,

– 90.000 € au titre des frais de réinstallation,

– Fixé à la somme de 40.800 € l’indemnité d’occupation annuelle due par la société Le Repaire de Bacchus ayant couru depuis le 1er avril 2012 ;

– Débouté la société [Adresse 1] de sa demande de condamnation de la société Le Repaire de Bacchus au paiement de dommages et intérêts ;

– Condamné la société [Adresse 1] à payer à la société Le Repaire de Bacchus la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

– Juger la société Le Repaire de Bacchus mal fondée en ses demandes, fins et conclusions notamment quant au montant de l’indemnité d’éviction dont elle entend solliciter la condamnation au paiement ;

– Condamner, à titre principal, la société Le Repaire de Bacchus au paiement d’une indemnité d’occupation due entre le 1er avril 2012 et la date de son départ à la somme de 77.540 € par an, taxes et charges devant être payées en sus ;

– Condamner, subsidiairement, la société Le Repaire de Bacchus au paiement d’une indemnité d’occupation due entre le 1er avril 2012 et la date de son départ à la somme de 65.280 € par an, taxes et charges devant être payées en sus ;

– Déclarer, en tout état de cause, que cette indemnité d’occupation devra être indexée conformément aux stipulations contractuelles du bail ;

– Déclarer que l’indemnité d’éviction principale due à la société Le Repaire de Bacchus sera fixée à la somme de 82.704 € ;

– Déclarer que les indemnités accessoires dues à la société Le Repaire de Bacchus seront ainsi fixées :

– Indemnité de remploi : 8.270,40 €,

– Trouble commercial : 10.000 €,

– Double loyer : 0 €,

– Frais de réinstallation : 0 €,

– Frais de déménagement : 1.562,40 €,

– Déclarer, subsidiairement, que les indemnités accessoires dues à la société Le Repaire de Bacchus seront ainsi fixées :

– Indemnité de remploi : 39.050 €,

– Trouble commercial : 15.254€,

– Double loyer : 9.066,66 €,

– Frais de réinstallation : 0 €,

– Frais de déménagement : 1.562,40 €,

– Condamner la société Le Repaire de Bacchus à payer à la SCI [Adresse 1] la somme de 230.000 € en paiement des frais devant être engagés par la société bailleresse pour procéder à la remise en état des locaux ;

– Condamner la société Le Repaire de Bacchus à payer à la SCI [Adresse 1] la somme de 174.067,20 € en réparation des divers chefs de préjudices subis par la bailleresse du fait de l’impossibilité de relouer les lieux restitués en raison des manquements de la société Le Repaire de Bacchus à ses obligations contractuelles pour n’avoir jamais procédé à des travaux d’entretien et de réparation et pour avoir restitué les lieux dans un état impropre à leur destination ;

– Ordonner que, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil, ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date de signification des présentes conclusions;

– Ordonner que les intérêts échus depuis plus d’un an seront eux-mêmes capitalisés au taux légal dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

En toutes hypothèses,

– Ordonner la compensation entre créances réciproques ;

– Condamner la société Le Repaire de Bacchus au paiement de la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société Le Repaire de Bacchus aux entiers dépens de l’instance, qui seront recouvrés par Me de Carfort, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 6 octobre 2022, la société Le Repaire de Bacchus demande à la cour de :

– Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 3 mai 2021 en ce qu’il a condamné la société SCI [Adresse 1] à payer à la société Le Repaire de Bacchus :

– 355.000 € au titre de l’indemnité principale,

– 35.500 € au titre de l’indemnité de remploi,

– 15.254 € au titre des frais de réparation du trouble commercial,

– 9.066,66 € au titre du double loyer,

– 1.562,40 € au titre des frais de déménagement,

– Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 3 mai 2021 en ce qu’il a condamné la société SCI [Adresse 1] à payer à la société Le Repaire de Bacchus 90.000€ au titre des frais de réinstallation et statuant à nouveau, condamner la société SCI [Adresse 1] à payer à la société Le Repaire de Bacchus la somme de 185.507,53 € au titre des frais de réinstallation ;

– Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 3 mai 2021 en ce qu’il a condamné la société Le Repaire de Bacchus à payer à la société [Adresse 1] une indemnité d’occupation annuelle ayant couru depuis le 1er avril 2012, d’un montant de 40.800 €, avec intérêt au taux légal conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil, les intérêts échus et dus au moins pour une année entière étant capitalisés et produisant eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil, et statuant à nouveau, fixer l’indemnité d’occupation qui serait due au bailleur à la somme maximale de 27.200 € par an ;

– Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 3 mai 2021 en ce qu’il a débouté la société SCI [Adresse 1] de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société Le Repaire de Bacchus au titre de la remise en état du local ;

– Condamner la société SCI [Adresse 1] à payer à la société Le Repaire de Bacchus une somme de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens dont distraction au profit de Me Oriane Dontot, JRF & Associés, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

– Dire et juger que dans l’hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir, l’exécution forcée devra être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier de justice, le montant des sommes par lui retenues en application de l’article 10 du Décret du 8 mars 2001, portant modification du Décret du 12 décembre 1996 (n°96 /1080), devra être supporté par la SCI [Adresse 1] en complément de l’indemnité accordée ci-dessus au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 13 octobre 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l’indemnité d’éviction

Selon les dispositions de l’article L.145-14 du code de commerce : ‘Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L..145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.’.

L’indemnité d’éviction doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement et doit être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le locataire a été évincé.

Elle se compose d’une indemnité dite ‘principale’ correspondant soit à la valeur marchande du fonds de commerce, en cas de disparition de celui-ci, soit à la valeur du droit au bail, en cas de transfert de ce fonds. Cette indemnité principale est complétée, le cas échéant, d’indemnités ‘accessoires’ (ex : frais de déménagement et de réinstallation,…).

Si l’article L.145-14 du code de commerce oblige le bailleur à payer au locataire évincé, une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, ce même article offre au bailleur la possibilité de prouver que le préjudice du preneur est inférieur à la valeur marchande du fonds ou à celle de son droit au bail.

Il appartient au bailleur de justifier du caractère transférable ou non du fonds de commerce.

Le preneur qui réclame le paiement de l’indemnité d’éviction doit justifier de son bien fondé et du montant des sommes réclamées.

Si le preneur a quitté les lieux, son préjudice doit s’apprécier au jour où il les a quittés régulièrement.

*

Les parties s’opposent sur le quantum de l’indemnité d’éviction principale et celui des indemnités accessoires, sans remettre en cause le principe de l’exigibilité de celles-ci.

– l’indemnité d’éviction principale

La SCI [Adresse 1], ci-après Le Bailleur, sollicite de la cour qu’elle fixe l’indemnité d’éviction principale à la somme de 82.704 € et non à la somme de 355.000 € fixée par les premiers juges retenant l’hypothèse d’un transfert de fonds. Elle fait valoir que le preneur n’a pas produit les éléments comptables, l’expert, à tort, y suppléant. Elle critique l’évaluation proposée au rapport d’expertise faisant valoir que la [Adresse 8] n’est pas la rue la plus commercante de [Localité 6], que s’y exerce une forte concurrence (Etablissements Nicolas), que l’évaluation doit reposer sur les trois derniers ‘bilans d’exploitation’ du preneur à la date la plus proche de son départ. Elle propose une évaluation de l’indemnité d’éviction reposant sur la différence entre (i) l’excédent brut d’exploitation (EBE) de 60.198 € augmenté du loyer (9.478 €), et (ii) la valeur locative du marché (49.900 €) conduisant à la somme de 20.676 € à laquelle elle applique un coefficient de 4, soit une indemnité d’éviction de 82.704 € (20.676 x 4).

La société Le Repaire de Bacchus, ci-après le Preneur, sollicite la confirmation du jugement qui s’est appuyé sur le rapport d’expertise lequel a proposé une indemnité d’éviction principale de 355.000 € par différence entre (i) une valeur locative de 54.400 € par an déterminée en fonction des références locatives, des caractéristiques des locaux et de leur destination limitée figurant au bail et (ii) un loyer annuel de 10.211,69 € si le bail avait été renouvelé, solde sur lequel un coefficient de commercialité de 8 a été appliqué, [(54.400 – 10.211,69) x 8 = 355.000 arrondi].

*

Il n’est pas contesté que le Preneur a restitué, le 18 décembre 2018, les locaux situés au [Adresse 1] à [Localité 7] et transféré, le même mois, son activité dans un local situé au [Adresse 2].

Il s’ensuit que l’indemnité principale doit être appréciée selon la valeur du droit au bail (également appelée valeur de déplacement ou de transfert) et non à la valeur de remplacement du fonds de commerce, le fonds de commerce n’ayant pas disparu mais ayant été simplement déplacé.

La valeur du droit au bail correspond à la différence entre le loyer antérieur et la valeur locative de marché, laquelle valeur locative s’analyse comme la contrepartie financière annuelle de l’usage d’un bien immobilier dans le cadre de la signature d’un nouveau bail ou de la cession d’un bail en cours.

A cette différence annuelle entre la valeur locative de marché et le loyer que le locataire aurait réglé si son bail avait été renouvelé, un coefficient prenant en compte la qualité de l’emplacement et la nature de l’activité peut être appliqué pour déterminer la valeur du droit au bail.

Ainsi qu’il a été dit précédemment, l’expert a proposé une indemnité principale d’éviction de 355.000 € suivi en cela par les premiers juges.

Ce montant résulte de l’application de la méthode dite ‘différentielle’ consistant à apprécier le préjudice du preneur par différence entre la valeur locative (déterminée notamment selon les références locatives du secteur) et le loyer que le preneur aurait acquitté s’il était resté dans les lieux.

Cette méthode prend en compte la valeur du droit au bail des locaux dont le preneur a été évincé. Elle n’est donc pas critiquable.

Le Bailleur propose une méthode différente dite de ‘rentabilité’ au motif premier que le Preneur n’aurait pas fourni les éléments nécessaires à la justification de son chiffre d’affaires et donc à l’établissement de son préjudice pour les années 2016, 2017 et 2018. Or, l’expert a retenu un chiffre d’affaires moyen de 293.995 € calculé sur les années 2013, 2014 et 2015. Le Preneur a produit en première instance les attestations de chiffre d’affaires certifiées sincères et véritables par une société de commissariat aux comptes (Tetra Audit) pour les années 2016, 2017 et 2018 conduisant à retenir une moyenne de 290.185 € pour les locaux évincés (Pièce 47 – Preneur). Ces éléments sont suffisants pour justifier le chiffre d’affaire moyen retenu par l’expert sur la période précédant le départ du Preneur, ainsi que l’ont relevé les premiers juges.

Le Bailleur justifie également sa méthode en affirmant, sans expliciter davantage, que le droit au bail correspond à la rentabilité du bail par différence entre ‘la valeur locative et le loyer payé et le niveau de performance généré par l’activité’. Il retient ainsi une valeur locative de marché de 49.000 € sans explication, un excédent brut d’exploitation (EBE) de 60.198 € qu’il n’explicite pas, un loyer de 9.478 € qu’il ne justifie pas, aboutissant à une ‘quote-part’ de 20.676 € (60.198€ + 9478 € – 49.000 €) représentative selon lui de la rentabilité du fonds ‘si le loyer payé par le locataire correspondait à la valeur locative du marché’. Il retient une indemnité d’éviction de 82.704 € (20.676 € x 4) après application d’un coefficient de capitalisation de 4 ‘Comme pour les enseignes nationales’.

Toutefois, l’excédent brut d’exploitation ne représente que la capacité du Preneur à générer de la trésorerie sans prendre en compte la réalité du préjudice subi par le Preneur plus justement réparé, en l’espèce, par la méthode dite ‘du différentiel’ en ce qu’il existe un écart très important entre le loyer payé par le Preneur (187,71 € / m2 pondéré boutique) et la valeur locative déterminée par l’expert (1.000 € pondéré boutique), créant un avantage économique certain au Preneur qu’il ne peut valoriser (ex: lors d’une cession de son bail) et définitivement perdu du fait du non renouvellement.

La cour confirmera les premiers juges qui ont retenu une indemnité d’éviction de 355.000 €, après avoir relevé que l’expert avait arrêté cette somme en considération d’un loyer plafonné en cas de renouvellement du bail de 10.211,69 €, d’une surface pondéré de 54,4 m2 , d’une valeur locative pondérée de 1.000 € et d’un coefficient de situation de 8 justifié au regard de la situation des locaux considérée comme très bonne et favorable à l’activité de vente de vins et spiritueux.

– les indemnités d’éviction accessoires

Selon l’article 145-14 du code de commerce l’indemnité principale peut être ‘augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur.’.

Il y a lieu d’examiner poste par poste les indemnités réclamées par le Preneur.

Sur l’ndemnité de remploi :

Cette indemnité tend à couvrir les droits de mutation, les frais d’acte et d’acquisition du nouveau bail.

Ils ont été fixés à 35.500 € par les premiers juges soit 10% de l’indemnité d’éviction selon l’usage.

Le Preneur en sollicite confirmation.

Le Bailleur en sollicite également confirmation si la cour confirme le montant de l’indemnité d’éviction de 355.000 € ce qui est le cas.

Le jugement sera confirmé sur ce point

Sur le trouble commercial

Cette indemnité est destinée à compenser la perte de temps générée par l’éviction.

Les premiers juges l’ont fixée à 15.254 € suivant en cela l’expert qui selon l’usage l’a déterminée sur la base de la moyenne de trois mois de l’excédent brut d’exploitation des trois derniers exercices.

Le Preneur sollicite la confirmation du montant.

Le Bailleur propose la somme de 10.000 € au motif que l’indemnisation expertale est exorbitante au regard de l’activité autorisée et de la situation des lieux loués.

Le Bailleur ne démontre pas de lien entre la perte de temps consécutive à l’éviction et l’activité autorisée par le bail ou la situation des locaux objet de l’éviction.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le double loyer

Cette indemnité compense la charge que représente pour le Preneur le paiement d’un loyer au titre du nouveau bail en sus du paiment de l’ancien.

Les premiers juges ont suivi l’expert qui a retenu une indemnité de 9.066,66 € soit deux mois de la valeur locative (54.400 €/6) au motif qu’il est probable que le Preneur aura à effectuer des travaux d’une durée de deux mois dans les nouveaux locaux. Les premiers juges ont estimé que le Preneur justifiait par la production de factures de travaux antérieurs à son départ (décembre 2018) de sorte que l’indemnité proposée apparaissait fondée.

Le Preneur sollicite la confirmation.

Le Bailleur conteste ce montant faisant valoir notamment que le Preneur ne produisant pas le bail des nouveaux locaux il est impossible de vérifier si le Preneur a été tenu de verser un double loyer.

En l’absence de justificatifs de paiement d’un double loyer, notamment par la production de quittances, le Preneur ne démontre pas l’existence de son préjudice.

Le jugement sera infirmé sur ce point et le Preneur débouté de sa demande à ce titre.

Sur les frais de déménagement

L’indemnité a été fixée à la somme de 1.562,40 € par les premiers juges sur justificatifs des frais exposés par le Preneur relevant que le Bailleur ne s’y opposait pas.

En appel, le Bailleur conteste ce montant sans s’expliquer davantage.

Le Preneur justifie de ces frais (pièces 23, 27, 33 et 42 – Preneur).

Le jugement sera confirmé.

Sur les frais de réinstallation

Les frais normaux de réinstallation sont ceux supportés par le preneur évincé, nécessaires à la reprise de son activité dans les nouveaux locaux, les nouveaux aménagements devant être semblables à ceux dont il bénéficiait dans ses anciens locaux qu’il a été contraint de quitter.

Les premiers juges ont retenu la somme de 90.000 € au motif que ces frais n’étaient indemnisables qu’à proportion des amortissements des investissements abandonnés. Ils ont ainsi écarté la somme de 185.507,53 € HT demandée par le Preneur correspondant aux coûts des aménagements du nouveau local avec climatisation et cave à vin.

Le Preneur sollicite, en appel, de nouveau cette somme de185.507,53 € HT au regard des justificatifs qu’il produit.

Le Bailleur conteste ce montant et sollicite l’infirmation sur ce point. Il fait valoir que les dépenses exposées par le Preneur sont ‘somptuaires’ sans lien avec des dépenses de réinstallation dans les nouveaux locaux.

Après examen des justificatifs, la cour confirmera la décision des premiers juges, non pas en considération des amortissements effectués au titre des aménagements des anciens locaux, mais au regard de la nature des travaux et aménagements réalisés dans les nouveaux locaux dont certains apparaissent comme nouveaux au regard des aménagements précédents (climatisation, cave à vin, rafraîchisseur) ou dont le caractère indispensable à l’activité n’est pas établi.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

*

Ainsi le Bailleur est redevable d’une indemnité d’éviction à titre principal de 355.000 € et, au titre des indemnités accessoires, de 142.316,40 € (35.500 € pour remploi + 15.254 € pour trouble commercial + 1.562,40 € pour frais de déménagement + 90.000 € pour frais de réinstallation).

Le jugement sera ainsi infirmé sur le seul point de l’indemnité au titre du double loyer accordée à hauteur de 9.066,66 € par les premiers juges.

Sur l’indemnité d’occupation

Il résulte des dispositions de l’article L.145-28 du code de commerce qu’aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d’appréciation.

*

L’indemnité d’occupation a été fixée par l’expert, suivi en cela par les premiers juges, à la somme de 40.800 € par an après application d’un coefficient de précartié de 25% appliqué à la valeur locative annuelle de 54.400 € (1.000 € x 54,4 m2 pondérés) précédemment commentée.

Le Bailleur sollicite l’infirmation du jugement et la condamnation du Preneur au paiement d’une indemnité d’occupation due, entre le 1er avril 2012 et la date de son départ, à la somme de 77.540 € par an HT et HC sur la base d’un prix unitaire moyen de 1.260 € pour une surface pondérée de 61,54 m2. Il fait valoir que cette indemnité doit correspondre à la valeur locative en renouvellement et que le loyer aurait été déplafonné si le bail avait été renouvelé compte tenu de la modification des facteurs de commercialité intervenue sur le secteur concerné. Il soutient subsidiairement, que le Preneur doit être condamné au paiement d’une indemnité d’occupation due, entre le 1er avril 2012 et la date de son départ, à la somme de 65.280 € par an HT HC sur la base d’un prix unitaire moyen de 1.200 €, cette fois, pour une surface pondérée de 54,40 m² retenue par l’expert. Il sollicite qu’en tout état de cause que cette indemnité d’occupation soit indexée conformément aux stipulations contractuelles du bail. Il conteste, enfin, l’application du taux de précarité de 25% faisant valoir pour l’essentiel que le chiffre d’affaires du Preneur a été constant jusqu’à ce qu’il quitte les lieux.

Le Preneur sollicite l’infirmation du jugement entrepris sur ce point et sollicite la fixation de l’indemnité d’occupation due au bailleur à la somme maximale de 27.200 € par an. Il fait valoir que le coefficient de précarité devrait être de 50%, le Bailleur s’étant refusé à tout versement de provision de l’indemnité d’éviction et ayant multiplié les procédures avec pour conséquence l’augmentation de l’indemnité d’occupation dans la durée sans une amélioration de l’indemnité d’éviction avec pour effet ultime de permettre une compensation plus favorable au Bailleur.

*

L’indemnité d’occupation doit correspondre à la valeur locative. Elle est due depuis la date d’effet du refus de renouvellement (en l’espèce 1er avril 2012) jusqu’à la date de restitution des lieux par le Preneur (18 décembre 2018).

Le Bailleur ne démontre pas l’existence d’une modification des facteurs de commercialité qui permettrait le déplafonnement du loyer ainsi que l’a relevé l’expert après avoir examiné les éléments produits par le Bailleur à l’appui de sa demande. (Page 21 – rapport, pièce 6 – Bailleur).

La valeur locative arrêtée par l’expert à la somme de 54.400 € et précédemment confirmée par la cour, sera retenue.

Il n’apparaît pas que le Bailleur ait proposé le versement d’une provision sur indemnité d’éviction. Le Bailleur a, en revanche, interjeté appel du jugement avant dire droit du 15 mai 2014, en vain, puisque par arrêt du 15 mars 2016, la cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement du tribunal dans toutes ses dispositions . Il a formé un pourvoi en cassation rejeté par arrêt du 7 septembre 2017. Il a ainsi maintenu une période d’incertitude sur les conditions d’exploitation et l’avenir de l’activité du Preneur peu propice au développement de son chiffre d’affaires de sorte que le coefficient de précarité de 25 % retenu par les premiers juges doit être confirmé, le maintien du chiffre d’affaires sur la période étant d’autant plus méritoire.

Le jugement qui a retenu une indemnité d’occupation annuelle de 40.800 € avec intérêt au taux légal et capitalisation sera confirmé.

Sur les frais de remise en état des locaux

Le Bailleur sollicite la condamnation du Preneur à la somme de 230.000 € en paiement des frais de remise en état des locaux dont elle a été déboutée par les premiers juges faute d’en justifier. Le Bailleur fait valoir les dispositions du bail portant obligation au Preneur de restituer les locaux en bon état de réparations locatives et d’entretien. Il produit des justificatifs de travaux.

Le Preneur demande la confirmation du jugement sur ce point. Il fait valoir que le Bailleur ne rapporte pas la preuve d’avoir engagé des travaux de remise en état. Il expose avoir effectué régulièrement des travaux d’entretien.

*

Ainsi que les premiers juges l’ont relevé, le contrat de bail prévoit que la société preneuse s’engage à rendre les lieux loués en fin de bail en bon état de réparations locatives et d’entretien et à jouir en bon pére de famille des lieux loués en y faisant les réparations locatives, en entretenant les lieux loués en bon état de fonctionnement et notamment les serrures, portes, croisées, canalisations de toute nature, robinets d’eau, vitreries, le tout de manière à donner toujours aux lieux loués un aspect de bonne tenue.

Les parties ne produisent pas de procès-verbal d’entrée dans les lieux.

Le procès-verbal de sortie des lieux du 18 décembre 2018 (pièce 8 – Preneur) fait état de ce que le local ‘est en état d’usage avancé, tant au niveau des sols que des murs et des plafonds’, avec quelques dégradations ( rayures, peinture défraîchie, présence de chevilles aux murs, fissures sur certains murs).

Cet état général ne saurait justifier le versement d’une indemnité de 230.000 € pour remise en état alors que le Bailleur ne produit que deux devis (pièce 26 et 27 – Bailleur) décrivant des prestations qui excèdent manifestement des travaux de simple remise en état.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

En cause d’appel, le Bailleur sollicite un complément à sa demande d’indemnité au titre des travaux de remise en état du fait de l’impossibilité de relouer les lieux restitués en raison des manquements du Preneur à ses obligations contractuelles pour n’avoir jamais procédé à des travaux d’entretien et de réparation et pour avoir restitué les lieux dans un état impropre à leur destination. Elle chiffre sa demande indemnitaire à la somme de 174.067,20 € correspondant aux loyers courants du 1er janvier 2019 au mois d’août 2021sur la base de la valeur locative retenue par l’expert de 54.400 €.

Le Preneur sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté le Bailleur de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société Le Repaire de Bacchus au titre de la remise en état du local.

Le Bailleur qui a été débouté de sa demande d’indemnité au titre de la remise en état des locaux ne rapporte pas la preuve qu’il a été placé dans l’impossibilité de les relouer pendant 32 mois du fait de l’état des locaux alors qu’il ne justifie ni de l’exécution des travaux de remise en état dont il réclamait la prise en charge, ni de démarches vaines pour relouer lesdits locaux.

Cette demande complémentaire sera rejetée.

Sur la compensation entre créances réciproques

La compensation des créances réciproques entre les parties sera confirmée

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Le Bailleur qui succombe pour l’essentiel sera condamné aux dépens d’appel.

Le Bailleur sera condamné à la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 3 mai 2021 en ce qu’il a condamné la SCI [Adresse 1] à la somme de 9.066,66 € au titre du double loyer,

Confirme pour le surplus

Statuant à nouveau,

Déboute la SNC Le Repaire de Bacchus de sa demande de condamnation de la SCI [Adresse 1] à la somme de 9.066,66 € au titre du double loyer,

Rejette toutes autres demandes,

Y ajoutant,

Condamne la SCI [Adresse 1] aux dépens d’appel avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne la SCI [Adresse 1] à verser à la SNC Le Repaire de Bacchus la somme de 4.000 euros, en appel, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x