31 janvier 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
22/06526
Référés Civils
ORDONNANCE N°12/2023
N° RG 22/06526 – N° Portalis DBVL-V-B7G-TIJU
S.A.S. A.S.L.I CORPORATION
C/
S.C.I. L’ARRIVÉE
S.A.R.L. BAP
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
DU 31 JANVIER 2023
Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre délégué par ordonnance de Monsieur le Premier Président,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 17 Janvier 2023
ORDONNANCE :
Contradictoire, prononcée publiquement le 31 Janvier 2023, par mise à disposition date indiquée à l’issue des débats
****
Vu l’assignation en référé délivrée le 10 Novembre 2022
ENTRE :
La société A.S.L.I CORPORATION exerçant sous la dénomination commerciale « O’TACOS » immatriculée au RCS de Saint-Malo sous le numéro 888 027 299, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Arnaud FOUQUAUT, avocat au barreau de RENNES
ET :
La société L’ARRIVÉE, SCI immatriculée au RCS de Saint-Malo sous le n° 339 151 607 agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, avocat au barreau de RENNES et Me Jean-Maurice CHAUVIN, avocat au barreau de RENNES substitué par Me Laurent MELLET, avocat au barreau de RENNES
La société BAP, SARL inscrite au RCS de SAINT MALO sous le n° 822 660 262, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Luc PASQUET de la SELARL CONSILIUM ATLANTIQUE AVOCATS, avocat au barreau de LORIENT substitué par
Marceline OUAIRY JALLAIS, avocate au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE’:
Suivant acte authentique reçu le 18 janvier 2010 par Me [X], notaire à [Localité 4], la société civile immobilière L’Arrivée a donné à bail commercial pour une durée de dix ans à la société Brasserie de L’Arrivée des locaux situés à [Adresse 3], pour y exercer une activité de brasserie, vente sur place et à emporter, bar et animation de soirée.
Suivant acte authentique reçu par le même notaire le 30 septembre 2016, la société Brasserie de L’Arrivée a cédé son fonds de commerce à la société BAP.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 16 avril 2020, la société BAP a informé la société L’Arrivée de son intention de vendre son fonds de commerce à la société ASLI Corporation O’Tacos moyennant le prix de 165 000 euros net vendeur, outre une somme de 18 000 euros HT d’honoraires afin de lui permettre d’exercer le droit de préférence stipulé au bail.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 juin 2020, l’agent immobilier en charge de la cession de fonds de commerce a soumis aux parties les conditions d’un nouveau bail commercial ainsi qu’un devis et les plans des travaux que souhaitait réaliser le cessionnaire.
Par courrier du 8 juin 2020, la société L’Arrivée a rappelé la destination du bail et ses conditions, a demandé que le signataire du nouveau contrat de bail soit la société BAP et a sollicité des pièces complémentaires concernant les travaux.
Par lettre recommandée du 3 août 2020, Me [X], chargé par le cédant et le cessionnaire de recevoir l’acte de cession du fonds de commerce, a convoqué la bailleresse pour y concourir. Par lettre recommandée du 5 août 2020, cette dernière a contesté la rédaction de l’acte par Me [X] ainsi que la validité de la purge du droit de préférence qui lui avait été adressée.
Le 12 août 2020, la société L’Arrivée a, d’une part, délivré à la société BAP un commandement de payer une somme de 9’120,02 euros et l’a, d’autre part, mise en demeure par acte d’huissier rappelant la clause résolutoire, de réaliser les travaux de mise aux normes prévus à l’acte de cession et de reprendre son activité.
Suivant acte sous seing privé du 28 août 2020 signifié le 15 octobre à la bailleresse, la société BAP a cédé son fonds de commerce à la société ASLI Corporation et celle-ci a, par acte du 25 septembre suivant, sollicité le renouvellement du bail commercial du 18 janvier 2010. Par actes des 27 et 30 novembre 2020, la société L’Arrivée a signifié à la société BAP et à la société ASLI Corporation un refus de renouvellement du bail avec refus de payer une indemnité d’éviction.
Arguant notamment de ce que le commandement de payer n’avait pas été exécuté dans le délai d’un mois et que la sommation n’avait pas été suivie d’effet alors que d’autres travaux avaient été effectués sans son autorisation, la société L’Arrivée a fait assigner, par actes du 25 mars 2021, les sociétés BAP et ASLI Corporation devant le tribunal judiciaire de Saint Malo qui, par jugement du 8 août 2022, a notamment :
– constaté la résiliation du bail du 18 janvier 2010 à la date du 12 septembre 2020, date d’acquisition des effets de la clause résolutoire,
– dit que depuis le 12 septembre 2020, les sociétés BAP et ASLI corporation sont occupantes sans droit ni titre des lieux loués,
– ordonné l’expulsion de la société BAP ainsi que celle de tout occupant de son chef, si besoin avec l’aide de la force publique, le tout sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter d’un délai d’un mois à partir de la signification de l’ordonnance,
– condamné, à titre provisionnel, solidairement, les sociétés BAP et ASLI corporation à régler à la société l’Arrivée une indemnité d’occupation égale au double du montant du loyer mensuel outre les charges augmentatives à compter du 1er mars 2021 jusqu’à parfaite libération des lieux, avec intérêts au taux légal majoré de huit points jusqu’à parfait paiement,
– et ordonné une expertise, donnant à l’expert la mission de «’chiffrer l’indemnité de sortie pour remise en état des lieux dont sont solidairement redevables les société BAP et ASLI Corporation’».
Par déclaration du 21 septembre 2022, la société ASLI Corporation a interjeté appel de la décision déférant à la cour tous les chefs de jugement énumérés ci-dessus.
Par exploit du 10 novembre 2022, la société ASLI Corporation a fait assigner la société L’Arrivée et la société BAP, au visa de l’article 514-3 du code de procédure civile, en arrêt de l’exécution provisoire et en payement d’une somme de 2’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Subsidiairement, elle sollicite que la société L’Arrivée soit condamnée à consigner la somme de 1’500’000 euros entre les mains de la CARPA.
Elle soutient d’abord qu’il existe des moyens sérieux de réformation du jugement en ce que la bailleresse ne peut se prévaloir d’aucune décision définitive et qu’elle est susceptible d’obtenir une suspension des effets de la clause résolutoire dans la mesure où les causes du commandement ont été réglées. Elle fait valoir que les travaux de mise en conformité ont été effectués. Elle ajoute que le bail a été renouvelé suite à une demande adressée le 26 mai 2020 restée sans réponse, que son occupation est régulière et qu’il n’existe aucune infraction irréversible. Elle estime abusif le comportement de la société L’Arrivée visant à la priver de son droit de cession du droit au bail.
Elle prétend ensuite que l’exécution provisoire entraînerait des conséquences manifestement excessives en ce que le montant de l’indemnité fixée est excessif dans la mesure où elle n’a aucun arriéré de paiement. Elle ajoute que l’exécution du jugement compromettrait sa survie et rappelle qu’elle emploie neuf salariés et que ses dirigeants se sont personnellement engagés auprès d’établissements bancaires après un investissement de 600 000 euros et une remise aux normes des locaux. Elle relève qu’il existe un doute quant à la capacité de la société L’Arrivée à faire face aux conséquences de la réformation éventuelle du jugement.
Elle affirme enfin que les agissements de la bailleresse depuis le jugement constitue un véritable harcèlement qui caractérise des conséquences révélées postérieurement au jugement.
La société BAP sollicite l’arrêt de l’exécution provisoire et réclame une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle rappelle que la société ASLI Corporation a réglé dans le cadre d’une médiation ordonnée en référé les sommes dont elle restait débitrice.
Elle prétend qu’il existe des moyens sérieux de réformation puisque l’arriéré de loyers a été payé et que la société ASLI Corporation a réalisé les travaux d’embellissement et d’accès aux personnes à mobilité réduite que la bailleresse réclamait.
Elle ajoute qu’elle n’a plus aucune activité et ne peut régler le montant des sommes mises à sa charge de sorte que l’exécution du jugement engendre des conséquences manifestement excessives.
La société civile immobilière L’Arrivée soulève l’irrecevabilité de la demande et subsidiairement s’y oppose. Elle réclame une somme de 3’000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle relève que la société ASLI Corporation n’a fait aucune observation sur l’exécution provisoire en première instance.
Elle soutient qu’il n’est allégué aucun moyen sérieux de réformation ou d’annulation du jugement qui n’a fait que tirer les conséquences de l’acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat de bail. Elle observe qu’aucune demande de délai n’a été présentée devant le premier juge. Elle ajoute que l’infraction au bail est irréversible, s’agissant d’une cession irrégulière et d’une exploitation qui l’est tout autant du fonds de commerce. Elle relève que le refus de renouvellement du bail qu’elle a signifié le 30 novembre 2020 dans les trois mois de la demande qui lui avait été adressée le 24’septembre 2020, est définitif, faute de saisine du tribunal dans le délai de deux ans.
Elle conteste toute conséquence manifestement excessive rappelant que le prix de la cession est consigné et qu’il appartiendra à la société ASLI Corporation de se le faire remettre.
S’agissant de la société BAP, elle observe qu’elle n’est pas appelante et ne peut donc solliciter l’arrêt de l’exécution provisoire, sa demande étant irrecevable.
SUR CE :
Sur l’arrêt de l’exécution provisoire’:
Aux termes de l’article 514-3 du code de procédure civile :
«’En cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.
La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d’observations sur l’exécution provisoire n’est recevable que si, outre l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation, l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance’».
Il appartient à la partie qui entend se prévaloir de ces dispositions de rapporter la preuve que les conditions cumulatives qu’elles prévoient sont satisfaites. Si l’une fait défaut, la demande doit être, suivant les hypothèses, déclarée irrecevable ou rejetée.
Il n’est pas contesté que les causes des actes du 12 août 2020, commandement et mise en demeure, n’ont pas été satisfaites dans le mois qui a suivi de sorte que la clause résolutoire insérée au bail du 18 janvier 2010 est acquise. Le juge peut certes, s’il est saisi par le preneur d’une demande en ce sens, en suspendre les effets (L 145-41 al 2 du code de commerce), mais cette décision est laissée à sa libre appréciation et dépend des éléments qui lui sont soumis. Si en l’espèce, la société ASLI Corporation a réglé en février 2021 ‘ avec cinq mois de retard ‘ l’arriéré de loyers, il n’est pas justifié que les travaux de mises aux normes PMR aient été réalisés et il est établi que l’indemnité d’occupation fixée n’est pas réglée en totalité puisqu’un nouveau commandement de payer a été signifié par le bailleur le 8 août 2022 (50 390 euros).
Par ailleurs si les sociétés ASLI et BAP entendent se prévaloir d’un renouvellement du bail à la suite d’une demande qui aurait été adressée le 16 avril 2020, force est de constater qu’il n’est pas justifié de l’envoi de cette demande par lettre recommandée, alors que la société L’Arrivée s’est opposée par acte d’huissier des 27 et 30 novembre 2020 au renouvellement du bail qui lui avait été demandé par acte du 25 septembre précédent, et que ce refus n’a pas été contesté dans le délai de l’article L 145-10 du code de commerce, qu’il est donc définitif.
En l’état de ces éléments, les chances de réformation du jugement critiqué n’apparaissent pas sérieuses et la demande d’arrêt de l’exécution provisoire doit être rejetée.
Sur la demande de garantie’:
L’article 514-5 du code de procédure civile énonce que : «’Le rejet de la demande tendant à voir écarter ou arrêter l’exécution provisoire de droit et le rétablissement de l’exécution provisoire de droit peuvent être subordonnés, à la demande d’une partie ou d’office, à la constitution d’une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations’».
Pour demander que la société L’Arrivée séquestre une somme de 1’500’000 euros en garantie des dommages et intérêts qui pourraient lui être alloués en cas d’infirmation du jugement si elle se trouve obligée de quitter les lieux, la société ASLI Corporation verse aux débats son bilan arrêté au 31 décembre 2021 dont il ressort que cet exercice s’est soldé par une perte de 102’508 euros. Si elle fait valoir les nombreux travaux qu’elle a réalisés, ceux-ci figurent au bilan pour 429’000 euros environ. Quant au fonds de commerce, il a été acquis moyennant le prix de 125’000 euros.
Au regard de ces éléments le montant allégué est injustifié, et le préjudice, s’il devait être reconnu serait manifestement d’un montant inférieur à la valeur de l’immeuble que le créancier pourrait alors saisir.
Dès lors, il n’y a lieu de faire droit à cette demande.
Sur les autres demandes’:
Partie succombante, la société ASLI supportera la charge des dépens.
La demande de distraction des dépens sollicité par la société L’Arrivée doit être rejetée les conditions de l’article 699 du code de procédure civile n’étant pas réunies.
Elle devra, en outre, verser à la société L’Arrivée une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La demande de la société BAP sur ce même fondement est rejetée.
PAR CES MOTIFS :
Statuant par ordonnance rendue contradictoirement :
Vu les articles 514-3 et 514-5 du code de procédure civile’:
Déboutons la société ASLI Corporation de l’ensemble de ses demandes.
La condamnons aux dépens.
Déboutons la société L’Arrivée de sa demande de distraction des dépens au profit de son conseil.
La condamnons à payer à la société L’Arrivée une somme de 2’000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT