9 février 2023
Cour d’appel de Caen
RG n°
21/01179
AFFAIRE : N° RG 21/01179 –
N° Portalis DBVC-V-B7F-GXSX
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION du TJ à compétence commerciale de CAEN en date du 12 Avril 2021
RG n° 19/02497
COUR D’APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 09 FEVRIER 2023
APPELANTS :
Madame [M] [U] épouse [Z]
née le 29 Juillet 1973 à [Localité 7]
Bar ‘Le Grenier’
[Adresse 4]
[Localité 2]
Monsieur [L] [Z]
né le 19 Octobre 1973 à [Localité 6]
Bar ‘Le Grenier’
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentés et assistés de Me Coralie LOYGUE, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
ACSEA – SERVICE ATC en qualité de tuteur de Madame [I] [C]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée et assistée de Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l’audience publique du 24 novembre 2022, sans opposition du ou des avocats, Madame EMILY, Président de Chambre et Mme COURTADE, Conseillère, ont entendu les plaidoiries et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme COLLET, greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
Mme VELMANS, Conseillère,
ARRÊT prononcé publiquement le 09 février 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
* * *
Suivant acte authentique en date du 18 août 2008, Mme [W] [O] veuve [C] a consenti à M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] un bail commercial d’une durée de neuf ans, commençant à courir à compter rétroactivement du 14 août 2008 pour se terminer le 13 août 2017, portant sur un immeuble à usage de commerce situé [Adresse 5], moyennant un loyer mensuel de 800 euros, s’appliquant à la partie commerciale pour 450 euros, et à la partie habitation pour 350 euros.
Par jugement du 19 janvier 2010, le juge des tutelles a placé Mme [W] [C] sous tutelle et désigné Mme [J] [E] en qualité de tuteur.
Par jugement en date du 15 septembre 2014, faisant droit aux demandes formées par les époux [Z], le tribunal de grande instance de Caen a condamné Mme [E] ès qualités de tutrice de Mme [W] [C] à faire effectuer des travaux dans l’immeuble donné à bail, notamment de couverture, de reprise des souches et des planchers, de maçonnerie et d’électricité, et à payer les frais de location d’un échafaudage mis en place jusqu’à l’exécution des travaux.
Par acte d’huissier en date du 30 janvier 2017, Mme [E] en qualité de tutrice de Mme [W] [C] a fait délivrer aux époux [Z] un congé avec refus de renouvellement du bail à effet au 13 août 2017, le justifiant par l’importance des travaux de remise en état excédant la valeur de l’immeuble et le caractère dangereux de celui-ci, et proposant subsidiairement une indemnité d’éviction.
Mme [W] [C] est décédée le 13 avril 2017.
Par acte d’huissier en date du 16 août 2017, l’ACSEA service ATC en sa qualité de tuteur de Mme [I] [C], fille unique de Mme [W] [C], a fait délivrer aux époux [Z] une sommation de quitter les lieux, restée sans effet.
Par ordonnance en référé en date du 18 janvier 2018, le président du tribunal de grande instance de Caen, saisi par les époux [Z], a notamment :
– dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de suspension de la procédure d’expulsion;
– dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes provisionnelles au titre de l’indemnité d’éviction et des dommages et intérêts ;
– ordonné une expertise, afin de donner tous les éléments d’appréciation utiles permettant à la juridiction compétente d’apprécier l’indemnité d’éviction proposée par la bailleresse dans le cadre du non-renouvellement de bail.
L’expert a déposé son rapport le 26 mai 2019.
Par acte d’huissier en date du 13 août 2019, l’ATC ès qualités de tuteur de Mme [I] [C] a fait assigner les époux [Z] devant le tribunal de grande instance de Caen aux fins d’obtenir leur expulsion des locaux litigieux et le paiement d’une indemnité d’occupation.
Par jugement en date du 12 avril 2021, le tribunal judiciaire de Caen a :
– rejeté les moyens soulevés relatifs à la prescription de l’action en paiement de la
créance d’éviction ;
– déclaré éteintes les créances d’indemnité d’éviction et relative au trouble commercial;
– constaté que la demande de condamnation en dommages et intérêts pour perte de chance est sans objet ;
– ordonné l’expulsion de M. [L] [Z] et de Mme [M] [U] épouse [Z] de l’immeuble situé au [Adresse 5] à [Localité 2] (14) avec au besoin l’assistance de la force publique et d’un serrurier, en raison de l’effet du congé délivré le 30 janvier 2017 au 13 août 2017 ;
– ordonné l’enlèvement des biens et facultés mobilières se trouvant dans les lieux en un lieu approprié aux frais risques et périls de M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] ;
– dit n’y avoir lieu à assortir l’obligation de quitter les lieux d’une quelconque astreinte ;
– condamné M. et Mme [L] et [M] [Z] à payer à l’ACSEA service ATC ès qualités de tuteur de [I] [C] une somme de 800 euros par mois à titre d’indemnité d’occupation à compter du 13 août 2019 et ce jusqu’à libération des lieux ;
– condamné in solidum [L] [Z] et [M] [U] épouse [Z] au paiement d’une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné in solidum [L] [Z] et [M] [U] épouse [Z] aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise ;
– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration en date du 26 avril 2021 adressée au greffe de la cour, les époux [Z] ont relevé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions déposées le 12 juillet 2021, les époux [Z] demandent à la cour de :
– Réformer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré éteintes les créances des époux [Z] et ordonné leur expulsion, ordonné l’enlèvement des biens et facultés mobilières, ainsi que leur condamnation au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner Mme [I] [C] représentée par l’ACSEA Service ATC, agissant en qualité de tuteur, au paiement d’une somme de 165.000 euros au titre de l’indemnité d’éviction, 6.224 euros au titre du trouble commercial,
– Condamner Mme [I] [C] représentée par l’ACSEA Service ATC, agissant en qualité de tuteur, au paiement d’une somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la perte de chance d’obtenir une valorisation plus importante de l’indemnité d’éviction en raison de la faute commise par le défaut de réalisation des travaux dus par le propriétaire et son incidence sur l’exploitation du commerce,
– Dire que l’expulsion des époux [Z] ne pourra être ordonnée à défaut pour Mme [I] [C], représentée par l’ACSEA service ATC d’avoir réglé l’intégralité de l’indemnité d’éviction,
– Dire que l’expulsion des époux [Z] ne pourra voir lieu moins d’un mois après le règlement de l’indemnité d’éviction.
– Avant dire droit, sur les autres préjudices, condamner Mme [I] [C] représentée par l’ACSEA Service ATC, agissant en qualité de tuteur, au paiement d’une provision de 10.000 euros à valoir sur les frais de déménagement, réinstallation, remploi ou perte de stock, coût du licenciement de Mme [Z], frais éventuels de résiliation ;
– Dire que la cour sera saisie par simple requête à l’issue d’un délai de trois mois suivant le départ des lieux par les époux [Z] pour fixer définitivement le montant des frais annexes à l’indemnité d’éviction ;
– Le confirmer pour le surplus et débouter Mme [I] [C] représentée par L’ACSEA Service ATC de toutes ses demandes,
– Condamner Mme [I] [C] représentée par l’ACSEA Service ATC, agissant en qualité de tuteur, au paiement d’une indemnité de 4.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux frais d’expertise confiée au cabinet Hebert et associés, et aux dépens.
Par dernières conclusions déposées le 27 septembre 2021, l’ACSEA Service ATC , en qualité de tuteur de Mme [I] [C] demande à la cour de :
– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
* rejeté les moyens soulevés relatifs à la prescription de l’action en paiement de la créance d’éviction,
*condamné M. et Mme [L] et [M] [Z] à payer à l’ACSEA service ATC ès qualités de tuteur de [I] [C] une somme de 800 euros par mois à titre d’indemnité d’occupation à compter du 13 août 2019 et ce jusqu’à libération des lieux,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
– Déclarer M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] irrecevables en leurs demandes,
Subsidiairement,
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
*déclaré éteintes les créances d’indemnité d’éviction et relative au trouble commercial,
– Par conséquent, débouter M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
Plus subsidiairement,
– Limiter à 124.000 euros les sommes dues à M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] au titre de l’indemnité d’éviction, et 3.112 euros au titre du trouble commercial,
– Débouter M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] de leurs demandes plus amples ou contraires,
En tout état de cause,
– Ordonner l’expulsion de M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] de l’immeuble situé [Adresse 5] à [Localité 2] avec au besoin l’assistance de la force publique et d’un serrurier,
– Ordonner l’enlèvement des biens et facultés mobilières se trouvant dans les lieux en un lieu approprié, aux frais, risques et périls de M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z],
– Condamner M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] à payer à l’ACSEA service ATC, ès qualités de tuteur de Mme [I] [C], 800 euros par mois à titre d’indemnité d’occupation à compter du 13 août 2017 et jusqu’à parfait délaissement,
– Débouter M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– Condamner M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Les condamner aux entiers dépens, ce compris les frais d’expertise,
– Faire application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 19 octobre 2022.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
I. Sur la prescription des demandes des époux [Z]
L’article L 145-60 du code de commerce dispose que toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans.
En application de l’article L 145-9 du code de commerce, le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.
Selon l’article 2239 du code civil, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès.
Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.
Selon l’article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
L’article 2243 du même code ajoute que l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée.
Seule une initiative du créancier peut interrompre la prescription.
Par ailleurs, la suspension de la prescription résultant de l’accueil d’une demande de mesure d’instruction in futurum ne profite qu’à la partie qui l’a formulée.
En l’espèce, le congé a été délivré pour le 13 août 2017 de sorte que les époux [Z] avaient jusqu’au 13 août 2019 pour saisir le tribunal en paiement d’une indemnité d’éviction.
Contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, l’assignation en référé délivrée par les époux [Z] le 23 août 2017 ayant abouti à l’ordonnance du 18 janvier 2018 n’a produit aucun effet ni interruptif ni suspensif de la prescription à leur égard puisque :
– d’une part, leurs demande provisionnelles, indemnitaires et au titre de l’indemnité d’éviction, ont été définitivement rejetées par le président du tribunal de grande instance, la décision disant ‘n’y avoir lieu à référé’ en raison du défaut de la condition tenant à l’existence d’une obligation non sérieusement contestable constituant une décision sur le fond même du référé ;
– d’autre part, la demande d’expertise judiciaire pour évaluer le montant d’une éventuelle indemnité d’éviction, accueillie par le juge des référés, a été réclamée par l’ACSEA ès qualités et non par les époux [Z], de sorte que ces derniers ne peuvent se prévaloir d’aucune interruption ni suspension de la prescription à ce titre.
Les prétentions des époux [Z] ayant été définitivement écartées, l’interruption de la prescription résultant de leur action en référé est non avenue.
Par suite, leurs demandes indemnitaires liées au congé avec refus de renouvellement du bail, formées devant le tribunal de grande instance plus de deux ans après le 13 août 2017, doivent être déclarées prescrites et irrecevables.
Le jugement est infirmé de ce chef.
II. Sur la demande d’expulsion et d’indemnité d’occupation
Les époux [Z] étant irrecevables à solliciter une indemnité d’éviction, l’ACSEA est bien fondée à réclamer leur expulsion et l’enlèvement des biens suite au congé délivré le 30 janvier 2017.
Le jugement est confirmé de ce chef.
L’indemnité d’occupation de 800€ mise à la charge des époux [Z] est due à compter du 13 août 2017, date d’effet du congé, le jugement étant infirmé sur ce point.
III. Sur les demandes accessoires
Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles sont confirmées.
M. et Mme [Z] succombant, sont condamnés aux dépens de l’appel, à payer à l’ACSEA Service ATC, en qualité de tuteur de Mme [I] [C], la somme complémentaire de 3000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et sont déboutés de leur demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, dans les limites de sa saisine,
CONFIRME le jugement entrepris des chefs de disposition dont il a été interjeté appel sauf en ce qu’il a :
– rejeté les moyens soulevés relatifs à la prescription de l’action en paiement de la créance d’éviction ;
– déclaré éteintes les créances d’indemnité d’éviction et relative au trouble commercial ;
– constaté que la demande de condamnation en dommages et intérêts pour perte de chance est sans objet ;
– condamné M. et Mme [L] et [M] [Z] à payer à l’ACSEA service ATC ès qualités de tuteur de [I] [C] une somme de 800 euros par mois à titre d’indemnité d’occupation à compter du 13 août 2019 et ce jusqu’à libération des lieux ;
Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant,
DECLARE irrecevables comme étant prescrites les demandes de M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] ;
CONDAMNE M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] à payer à l’ACSEA service ATC ès qualités de tuteur de [I] [C] une somme de 800€ par mois à titre d’indemnité d’occupation à compter du 13 août 2017 et ce jusqu’à libération des lieux ;
CONDAMNE M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] à payer à l’ACSEA service ATC ès qualités de tuteur de [I] [C] la somme complémentaire de 3000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] de leur demande formée à ce titre ;
CONDAMNE M. [L] [Z] et Mme [M] [U] épouse [Z] aux dépens de l’appel avec droit de recouvrement direct au profit des avocats constitués en la cause qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY