Indemnité d’éviction : 15 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/02235

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Indemnité d’éviction : 15 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/02235

15 mars 2023
Cour d’appel de Paris
RG
21/02235

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRÊT DU 15 MARS 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02235 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDBT2

Statuant sur le jugement du 22 mars 2016 sur l’arrêt de la cour d’appel du 10 avril 2019 et sur l’Arrêt partielle du 03 Décembre 2020 -Cour de Cassation, arrêt N°927F-D

DEMANDEUR A LA REQUÊTE

S.A.S. GROUPE VOG

Prise en la personne de ses représentants légaux

Ayant son siège social

[Adresse 4]

[Localité 8]

S.A.R.L. TIBET EXERCANT SOUS L’ENSEIGNE VOG COIFFURE

Ayant son siège social

[Adresse 3]

[Localité 7]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentées par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

assistées de Me Eric DELFLY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

DEFENDEURS A LA REQUÊTE

Monsieur [JH] [V]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Madame [Y] [V]

[Adresse 5]

[Localité 10]

Madame [Z] [B] Veuve [V]

[Adresse 11]

GERAIS BRESIL

Monsieur [WU] [V]

[Adresse 12]

7701 010

SAO PAULO BRESIL

Monsieur [R] [V]

[Adresse 13]

SAO PAULO-SP BRESIL

Représentés par Me Frédéric ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque K65

Syndicat des copropriétaires du [Adresse 6] représenté par le Cabinet [S] [N], syndic, pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculé au RCS de PARIS sous le numéro 572 037 190

[Adresse 2],

[Localité 8].

NON COMPARANTE

Monsieur [ES] [U] [V]

Domicilié [Adresse 9]

[Localité 8]

né le 28 Janvier 1949 à Paris 16ème

Représenté par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

assisté de Me Marianne PAULHAC, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie RECOULES, Présidente de chambre, chargée du rapport

et Monsieur Douglas BERTHE, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Nathalie RECOULES, Présidente de chambre

Monsieur Douglas BERTHE, Conseiller chambre

Madame Emmanuelle LEBÉE, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffière, lors des débats : Madame Sonia JHALLI

ARRÊT :

– réputé contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signée par Nathalie RECOULES, Présidente de chambre et par Sylvie MOLLÉ présent lors du prononcé.

Exposé du litige

[JH], [Y], [ES], [Z], [WU] et [R] [V] (ci-après les consorts [V]), propriétaires d’un local à usage commercial donné à bail à la société Groupe Vog, qui a apporté son fonds de commerce à la société Tibet, ont délivré successivement à ces deux sociétés divers commandements visant la clause résolutoire, auxquels celles-ci ont formé opposition par assignation des bailleurs par acte en date du 26 avril 2006. Le syndicat des copropriétaires est intervenu à l’instance. Par jugement du 11 septembre 2012, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné une expertise pour faire le compte entre les parties, donnant lieu au dépôt d’un rapport d’expertise le 19 juin 2014 portant notamment sur la régularisation de certaines charges dont l’eau.

Parallèlement, constatant des infiltrations d’eau, la copropriété a obtenu en référé par ordonnance du 7 mars 2012 la désignation d’un expert, M. [G] lequel, dans un rapport du 14 octobre 2012, estime que les sinistres dénoncés par le syndicat des copropriétaires ont pour origine, d’une part, une canalisation commune, d’autre part, le réseau encastré du chauffage du salon Vog.

Le représentant de l’indivision [V] ayant fait signifier à la société Tibet plusieurs commandements de payer et d’exploiter, celle-ci a saisi le tribunal de grande instance de Paris d’une assignation en opposition à commandements par acte du 25 juillet 2013.

Les procédures ont été jointes.

La société Tibet ayant cessé d’exploiter son activité et quitté les locaux avec remise des clés le 30 juin 2015, les consorts [V] et la société Tibet ont, chacun, demandé la résiliation judiciaire du bail aux torts de l’autre. Les bailleurs ont demandé le paiement de loyers, charges et travaux et les locataires successifs ont sollicité le remboursement des loyers et charges acquittés entre le 1er octobre 2012 et le 30 juin 2015, ainsi que l’indemnisation de leurs préjudices tenant, notamment pour la société Tibet, en la perte de son fonds de commerce.

Par jugement du 22 mars 2016, le tribunal de grande instance de Paris a :

– dit que le commandement de payer délivré le 23 janvier 2006 n’a pas entraîné l’acquisition de la clause résolutoire du bail ;

– déclaré nuls et de nul effet les commandements de payer et de faire délivrés par l’indivision [V] à la locataire le 7 juillet 2011 et le 27 juin 2013 ;

– débouté l’indivision [V] de sa demande tendant à voir condamner la société Tibet à lui rembourser la somme de 20.844,36 euros au titre des travaux de ravalement ;

– dit n’y avoir lieu à régularisation du montant du dépôt de garantie ;

– dit que la société Tibet doit à Me [C] ès qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V] la somme de 7.013,77 euros au titre de la consommation d’eau pour la période du 1er janvier 2005 au 30 octobre 2009 et débouté cette dernière du surplus de sa demande au titre de la consommation d’eau relative aux locaux loués ;

– débouté Me [C] ès qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V] de sa demande tendant à voir condamner le syndicat des copropriétaires du [Adresse 6] au paiement de la somme de 8.841,18 euros en remboursement du trop payé pour la consommation d’eau ;

– dit que l’indivision [V] a manqué à son obligation de délivrance en ne procédant pas à la réparation de l’installation de chauffage défaillante ;

– débouté l’indivision [V] de sa demande tendant à voir condamner la société Tibet à lui payer la somme de 16.504,80 euros au titre de la remise en route de l’installation de chauffage ;

– condamné Me [C] en qualité d’administrateur provisoire de l’indivision [V] à payer au syndicat des copropriétaires du [Adresse 6] la somme de 2.805 euros en réparation du préjudice résultant des infiltrations provenant du réseau de chauffage des locaux en cause ;

– débouté Me [C] en qualité d’administrateur provisoire de l’indivision [V] de sa demande tendant à voir condamner la société Tibet à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre au profit du syndicat des copropriétaires ;

– débouté le syndicat des copropriétaires du [Adresse 6] de sa demande tendant à voir condamner la société Tibet solidairement avec sa bailleresse à réparer son préjudice résultant des infiltrations litigieuses ;

– condamné Me [C] ès qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V] de sa demande tendant à être garantie par la société Tibet de son obligation d’installer un nouveau compteur d’eau indépendant dans le local loué ;

– débouté le syndicat des copropriétaires du [Adresse 6] de sa demande tendant à voir condamner la société Tibet solidairement avec sa bailleresse à installer un compteur d’eau indépendant dans le local loué ;

– prononcé aux torts partagés des parties la résiliation judiciaire à la date du 30 juin 2015 du contrat de bail liant l’indivision [V] et la société Tibet ;

– rejeté comme sans objet la demande tendant à voir ordonner l’expulsion de la locataire et les demandes subséquentes ;

– débouté Me [C] ès qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V] de sa demande fondée sur l’article 1760 du code civil ;

– débouté les sociétés Groupe Vog et Tibet de leurs demandes en réparation de leur préjudice de jouissance et du préjudice consécutif à la perte de leur fonds de commerce ;

– débouté la société Tibet de sa demande tendant à voir désigner un expert aux fins de déterminer son préjudice de jouissance et celui consécutif à la perte du fond ;

– débouté la société Tibet de sa demande tendant à voir condamner l’indivision [V] à lui payer une somme de 240.000 euros à titre de provision sur son préjudice ;

– condamné la société Tibet à payer à Me [C] ès qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V] la somme de 23.221,29 euros au titre de sa dette locative arrêtée au mois de février 2015 inclus ;

– condamné la société Tibet à payer à Me [C] en qualité d’administrateur provisoire de l’indivision [V] les loyers et charges contractuels échus jusqu’à la résiliation du bail le 30 juin 2015, soit les loyers de mars à juin 2015 inclus outre les charges et taxes ;

– rejeté les demandes des parties fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit que le syndicat des copropriétaires du [Adresse 6] devra supporter la moitié des frais de l’expertise diligentée par M.[G], Me [C] ès qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V] devant supporter l’autre moitié de ces frais ;

– ordonné l’exécution provisoire de la décision ;

– rejeté les autres demandes ;

– condamné Me [C] ès qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V] aux dépens qui comprendront le coût des commandements litigieux, l’intégralité du coût de l’expertise de Mme [E] et la moitié du coût de l’expertise de M.[G] et dit que les dépens seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 28 avril 2016, la société Groupe Vog et la société Tibet ont interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 10 avril 2019, la cour d’appel de Paris a :

– déclaré recevable la société Groupe Vog en ses demandes ;

– déclaré recevables en leur intervention volontaire, Monsieur [JH] [L] [I] [V], Madame [Y] [W] [X] [V], Monsieur [ES] [U] [V], Monsieur [R] [L] [T] [V], Monsieur [WU] [F] [P] [V] et Madame [Z] [H] [W] [B], l’indivision entre les héritiers ayant pris fin ;

– constaté le désistement de la société Groupe Vog et de la société Tibet de leur appel à l’égard du syndicat des copropriétaires du [Adresse 6] ;

– confirmé le jugement déféré ;

Y ajoutant,

– dit que le commandement délivré le 3 août 2005 par Maître [K] [J], mandataire de l’indivision [V], à la société Groupe Vog n’est pas susceptible d’entraîner l’acquisition de la clause résolutoire ;

– dit que les sommes dues par la société Tibet seront augmentées des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

– débouté les parties de leur demande fondée sur l’article 700 code de procédure civile ;

– rejeté toute autre demande ;

– dit que les sociétés Groupe Vog et Tibet et les consorts [V] conserveront la charge de leurs dépens d’appel et que la SAS Groupe Vog et la société Tibet assumeront ceux de l’instance d’appel les opposant au syndicat des copropriétaires du [Adresse 6], avec application des dispositions relatives à l’article 699 du code de procédure civile.

Les sociétés Groupe Vog et Tibet ont formé un pourvoi en cassation.

Le 3 décembre 2020, la Cour de cassation a :

– cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il a prononcé, aux torts partagés, la résiliation judiciaire à la date du 30 juin 2015 du contrat de bail liant les consorts [V] et la société Tibet, débouté les sociétés Groupe Vog et Tibet de leurs demandes en réparation de leur préjudice de jouissance et de celui consécutif à la perte de leur fonds de commerce, débouté la société Tibet de sa demande tendant à voir condamner l’indivision [V] à lui payer une somme de 240.000 euros à titre de provision sur son préjudice, condamné la société Tibet à payer à Me [C], ès qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V], la somme de 23 221,29 euros au titre de sa dette locative arrêtée au mois de février 2015 inclus, condamné la société Tibet à payer à Me [C] ès qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V], les loyers et charges contractuels échus jusqu’à la résiliation du bail le 30 juin 2015, soit les loyers de mars à juin 2015 inclus outre les charges et taxes, l’arrêt rendu le 10 avril 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

– remis, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

La Cour de cassation a notamment jugé, sur les dispositions des articles 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et 1728 du code civil, qu’il résulte de ces textes que la résiliation judiciaire d’un bail commercial pour défaut d’exploitation des locaux ne peut être prononcée si aucune stipulation expresse du bail ne fait obligation au preneur d’exploiter son fonds de commerce dans les lieux loués. Ayant constaté que pour prononcer la résiliation du bail aux torts partagés, l’arrêt critiqué retient, par motifs propres et adoptés, qu’en cessant toute exploitation et en quittant les locaux loués, alors même que l’exercice de l’activité commerciale n’était pas entravée, la preneuse a commis une faute grave, après avoir pourtant constaté, par motifs adoptés, que le contrat de bail ne comportait aucune obligation d’exploitation permanente, la Cour de cassation a censuré l’arrêt pour ne pas avoir tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des textes susvisés.

Par déclaration en date du 1er février 2021, les sociétés Groupe Vog et Tibet ont saisi la cour d’appel de Paris.

Par arrêt du 02 février 2022, la cour d’appel de Paris a :

– ordonné la réouverture des débats ;

– invité les parties à produire l’acte de partage de l’indivision successorale ayant existé entre les héritiers de feu Madame [D] [V] ;

– invité les parties à produire toutes pièces utiles et toutes explications qu’elles jugeront nécessaires, sur les fins de non recevoir soulevées d’office pour défaut de qualité des consorts [V] n’ayant plus la qualité de propriétaire ni de bailleur, ou ne pouvant justifier de l’attribution dans leur lot de partage d’une créance de l’indivision, et encore sur la fin de non recevoir soulevée d’office pour défaut de droit d’agir des sociétés Tibet et Vog à l’encontre de personnes indivises alors que l’acte de partage a mis fin à l’indivision successorale ;

– renvoyé la cause et les parties à l’audience de mise en état du 23 mars 2022 ;

– réservé les dépens.

Moyens et prétentions en cause d’appel

Dans leurs dernières conclusions déposées le 29 novembre 2022, la société Groupe Vog et la société Tibet, appelantes à titre principal et intimées à titre incident, demandent à la Cour de :

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

– prononcé aux torts partagés, la résiliation judiciaire à la date du 30 juin 2015 du contrat de bail liant l’indivision [V] et la société Tibet ;

– débouté les sociétés Groupe Vog et Tibet de leurs demandes en réparation de leur préjudice de jouissance et du préjudice consécutif à la perte de leur fonds de commerce ;

– débouté la société Tibet de sa demande tendant à voir condamner l’indivision [V] à lui payer une somme de 240.000 euros à titre de provision sur son préjudice ;

– condamné la société Tibet à payer à Me [C], ès qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V], la somme de 23.221,29 euros au titre de sa dette locative arrêtée au mois de février 2015 inclus ;

– condamné la société Tibet à payer à Me [C] ès-qualités d’administrateur provisoire de l’indivision [V], les loyers et charges contractuels échus jusqu’à la résiliation du bail le 30 juin 2015, soit les loyers de mars à juin 2015 inclus outre les charges et taxes ;

– le confirmer pour le surplus ;

En conséquence, statuant de nouveau,

– déclarer Monsieur [ES] [V] irrecevable en sa demande de condamnation de la société Tibet à lui payer la somme de 266.973,22 euros TTC en réparation du préjudice occasionné par les dégradations consécutives à la suppression des agencements ;

– le débouter en toutes hypothèses de ses demandes, fins et conclusions ;

– dire et juger que la résiliation est uniquement imputable aux consorts [V], savoir :

– Monsieur [JH], [L], [I] [V] ;

– Madame [Y], [W], [X] [V] ;

– Monsieur [ES] [V] ;

– Madame [Z] [B], Veuve [NX] [V] ;

– Monsieur [WU] [V] ;

– Monsieur [R] [V] ;

– fixer la date de résiliation du bail au 1er octobre 2012 ;

– condamner les consorts [V], savoir :

– Monsieur [JH], [L], [I] [V] ;

– Madame [Y], [W], [X] [V] ;

– Monsieur [ES] [V] ;

– Madame [Z] [B], Veuve [NX] [V] ;

– Monsieur [WU] [V] ;

– Monsieur [R] [V] ;

solidairement et subsidiairement in solidum, à payer à la société Tibet les sommes ci-après reprises :

– 237.826,73 euros à titre de remboursement des loyers et charges acquittés entre le 1er octobre 2012 et le 30 juin 2015 ;

– 691.800 euros au titre de l’indemnité compensatrice de perte de fonds de commerce de la société Tibet ;

– 255.200 euros au titre des indemnités accessoires ;

subsidiairement, sur la mesure d’expertise avant dire droit :

– désigner expert avec mission de :

– prendre connaissance de l’ensemble des pièces contractuelles et des éléments du litige ;

– le cas échéant, procéder à une visite des lieux ;

– donner son avis sur le préjudice consécutif à la perte sur fonds commercial à raison de la résiliation du bail, qui comprendra notamment la perte du fonds, les licenciements de personnel auxquels il aura fallu procéder, les frais de déménagement et les frais de remise en état supportés par le preneur ;

En toute hypothèse :

débouter les consorts [V] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

les condamner au paiement d’une somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 CPC ainsi qu’en tous les frais et dépens de la procédure.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 17 novembre 2022, [JH] [V], [Y] [V], [R] [V], [WU] [V] et [Z] [V] née [B], intimés, demandent à la Cour de :

– débouter les sociétés Groupe Vog et Tibet de leurs demandes à toutes fins qu’elles comportent ;

– confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 22 mars 2016, ayant débouté les sociétés Groupe Vog et Tibet de leurs demandes en réparation de leurs préjudices de jouissance et consécutifs à la perte de leur fonds de commerce, et de leur demande en désignation d’un expert aux fins de détermination desdits préjudices ;

– confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 22 mars 2016, ayant condamné la société Tibet à payer aux consorts [V] la somme de 23.221,29 euros au titre de sa dette locative arrêtée au mois de février 2015 inclus, et la condamner au paiement de la somme de 53.355,67 euros, correspondant au montant de sa dette locative arrêtée au 30 juin 2015, date de libération des locaux, avec intérêts au taux légal à compter de la signification des conclusions reçues au greffe du tribunal de grande instance de Paris le 15 septembre 2015 et capitalisation des intérêts, dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil ;

– condamner solidairement les sociétés Groupe Vog et Tibet à payer aux consorts [V] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Dans ses conclusions déposées le 12 décembre 2022, M. [ES] [V], intimé à titre principal et appelant à titre incident, demande à la Cour de :

– juger de la qualité à agir des consorts [V] et notamment de M. [ES] [V] ;

– juger que les manquements commis par la société Tibet aux obligations contractuelles et légales lui incombant constituent des motifs graves et légitimes justifiant de la résiliation judiciaire du bail consenti par les consorts [V] à effet au 30 juin 2015 ;

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé la résiliation du bail judiciaire aux torts partagés de la société Tibet et des consorts [V] ;

– le confirmer en ce qu’il a condamné la société Tibet à payer la somme de 23.221,29 euros au titre de sa dette locative arrêtée au mois de février 2015 inclus ;

– le confirmer en ce qu’il a condamné la société Tibet à payer les loyers et charges contractuels échus jusqu’à la résiliation du bail le 30 juin 2015, soit les loyers de mars à juin 2015 inclus, outre les charges et taxes ;

– condamner la société Tibet au paiement du solde locatif au 30 juin 2015 de 52.355,67 euros ;

– débouter la société Groupe Vog et la société Tibet de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

– les débouter de leur demande tendant à ce que la résiliation du bail soit prononcée aux torts exclusifs des consorts [V] à effet au 1er octobre 2012 ;

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté les sociétés Groupe Vog et Tibet de leur demande en réparation de leur préjudice de jouissance et du préjudice consécutif à la perte de leur fonds de commerce ;

– débouter la société Tibet de sa demande d’expertise ;

– condamner la société Tibet à payer à Monsieur [ES] [V], la somme de 222.477,66 euros HT soit 266.973,22 euros TTC, en réparation du préjudice occasionné par les dégradations consécutives à la suppression des agencements qui devaient faire accession au bailleur, avec intérêts de droit à compter de la demande du 23 novembre 2021 ;

– juger que les intérêts seront capitalisés par application de l’article 1343-2 du Code civil dès lors qu’ils seront dus depuis une année entière ;

– condamner la société Groupe Vog et la société Tibet au paiement d’une somme de 10.000 euros au profit de Monsieur [ES] [V] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties. Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, leur position sera synthétisée.

Décision

Dans leur déclaration de saisine les sociétés Groupe Vog et Tibet mentionnent en qualité d’intimé le syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 6].

Toutefois, la cour d’appel de Paris a constaté le désistement des appelantes à l’égard du syndicat des copropriétaires, dans son arrêt en date du 10 avril 2019, disposition non censurée.

Sur la qualité à agir des consorts [V]

Conformément aux dispositions de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.

En réponse à la demande de la cour aux termes de son arrêt du 2 février 2022, Monsieur [ES] [V] produit en pièces n°24 l’acte de vente, en date du 20 juin 2016, à la société China bride CO. Limited du lot de copropriété n°6 litigieux, aux termes duquel les consorts [V] ont expressément réservé leurs droits, s’agissant du litige les opposant à la société Tibet.

Il verse en pièce n°25 l’acte de partage des consorts [V] en date du 19 mai 2017, lequel rappelle l’existence de quatre procédures en cours, dont l’une devant la cour d’appel contre l’ancien locataire Tibet prévoit expressément la poursuite de l’action engagée par les consorts [V] par l’ensemble des parties et une autre procédure également contre l’ancien locataire Tibet, appelée « Tibet/dégradations », dont il est prévu qu’elle soit reprise par Monsieur [ES] [V], subrogé dans les droits et obligations de l’indivision à compter du 28 février 2017.

Ces actes justifient de l’intérêt à agir des consorts [V] s’agissant de la demande de résiliation du bail et de ses conséquences et de M.[ES] [V] s’agissant de sa demande indemnitaire consécutive aux dégradations et à la suppression des agencements dans les lieux qui devaient faire accession au bailleur.

Sur l’imputation de la résiliation du bail :

La société Groupe Vog et la société Tibet, rappelant le motif de cassation de l’arrêt du 10 avril 2019, considèrent comme définitivement jugée la résiliation du bail aux torts exclusifs du bailleur.

Toutefois, la censure partielle de la cour de cassation a remis les parties « sur ces points » dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant cet arrêt. En conséquence, il entre dans les pouvoirs de la cour de renvoi de statuer sur l’éventualité d’une faute grave commise par le preneur dès lors qu’elle est invoquée par le bailleur.

Les consorts [V], d’une part, et Monsieur [ES] [V], d’autre part, soutiennent que les sociétés Vog et Tibet ont violé les dispositions du bail relatives à l’entretien des locaux et à leur restitution en bon état de réparation locative et d’entretien et que le preneur ne peut être exonéré de ses obligations résultant de l’article 1728 du code civil.

Monsieur [ES] [V] expose, en outre, que le preneur a supprimé tous les agencements devant faire accession au bailleur conformément à l’article 5-5 du bail.

Contrairement à ce que soutient M. [ES] [V] et, tel que cela a été définitivement jugé par le premier juge, d’une part, l’imputation au preneur de la rupture des canalisations encastrées ne ressort pas du rapport d’expertise de M. [G] et, d’autre part, l’entretien de ces canalisations relevait de la seule responsabilité des bailleurs. Or, elles ont été identifiées dans ce rapport comme étant la seule cause des dégradations et, à aucun moment, l’installation de la climatisation réversible n’a été incriminée sur ce point.

Aucune faute ne saurait donc être retenue à l’encontre du preneur de ce chef.

Monsieur [G], dans son rapport en date du 14 décembre 2012, souligne qu’aucune dégradation particulière des locaux occupés par les sociétés Vog/Tibet n’a été constatée, lesquels « conservaient tout leur caractère de standing ».

Maître [VD] quelques mois plus tard (procès-verbal en date du 13 mars 2013) fait état de « locaux dans l’ensemble plutôt défraîchis (peinture, sols et décoration) ».

Le constat dressé contradictoirement le 30 juin 2015 par Maître [O] relève, notamment, le mauvais état, la saleté et l’encombrement de la chambre de service et des sanitaires ainsi que des noircissures et des traces, des trous de cheville et fixation, sur tous les murs aux droits des aménagements, appliques et meubles déposés. Il constate que de nombreux éclairages ne fonctionnent pas, que les bacs ont été déposés laissant à nue les arrivées d’eau et les évacuations.

L’examen de l’album photographique des aménagements réalisés par le preneur en début de bail et celui des photographies figurant au procès-verbal réalisé par Maître [A] le 30 juin 2015 met en lumière les déposes effectuées par le preneur au départ des lieux.

Ainsi, le défaut d’entretien et le défaut de restitution des locaux en bon état de réparations locatives et d’entretien sont caractérisés, ce que les sociétés Vog et Tibet ne contestent d’ailleurs pas dans le cadre de la présente instance.

Le défaut d’entretien, sanctionné tant par les dispositions légales que conventionnelles rappelées, commis de surcroît dans des locaux de standing, caractérise la faute grave du locataire justifiant que la résiliation du bail soit prononcée aux torts partagés du bailleur et du locataire.

Il y a donc lieu à confirmation du jugement sur ce point, par motif substitué.

Sur la date de résiliation :

Les sociétés Vog et Tibet sollicitent l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a fixé la date de résiliation du bail au 30 juin 2015 et demandent à la voir prononcée au 1er octobre 2012. Au soutien de leur demande, les sociétés preneuses estiment que la censure partielle de la cour de cassation autorise la cour de renvoi à apprécier de nouveau ce point.

Elles considèrent que la date de résiliation doit correspondre à celle à laquelle les bailleurs ont manqué à leur obligation contractuelle de fournir du chauffage à la locataire rendant les locaux inexploitables et contraignant celle-ci à quitter les lieux.

Toutefois, M. [G] a aussi rappelé dans son rapport que « la coupure des canalisations est radicale pour mettre un terme à la fuite…et tout aussi radicale pour ne plus disposer de chauffage » et il formulait l’hypothèse que la société Vog avait installé une climatisation de type réversible lui permettant de chauffer en hiver et de climatiser l’été. De ce fait, l’expert retient que « les arguments développés par la société Vog pour fermer son activité sont un peu faibles ».

Ainsi, les sociétés Vog et Tibet échouent à démontrer l’obligation dans laquelle elles se seraient trouvées de quitter les lieux à fin septembre 2012 en raison de l’absence de chauffage alors, d’une part, que l’installation qu’elles avaient mises en place apparaissait satisfaisante et que, d’autre part, elles ne pouvaient se dire contraintes de quitter les lieux pour ce motif au sortir du printemps et de l’été.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur la date de résiliation du bail au 30 juin 2015, date correspondant à l’état des lieux de sortie établi contradictoirement avec remise des clés, établissant ainsi la commune intention des parties de mettre fin au bail à cette date.

Sur les conséquences pécuniaires de la résiliation :

Sur la demande d’indemnisation au titre de la perte du fond de commerce :

Il a été démontré, d’une part, que la faute des bailleurs n’a pas empêché l’exploitation des locaux dès lors que le locataire avait installé son propre système de chauffage et, d’autre part, la faute grave commise par ce dernier exclut tout droit au versement d’une indemnité d’éviction.

Par ailleurs, malgré les déclarations faîte par le PDG du Groupe Vog à Maître [VD] niant toute volonté de quitter les lieux ou de cesser de les exploiter, le preneur a fait le choix de cesser toute activité à compter de septembre 2012 et n’a pas réinvesti les lieux après cette date. De ce fait, la perte de valeur éventuelle de son fond de commerce lui est imputable.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé sur le rejet des demandes d’indemnisation.

Sur la demande au titre des dégradations :

Il ressort des articles 65, 70 et 567 du code de procédure civile qu’une partie peut modifier ses prétentions antérieures par une demande additionnelle, même en cause d’appel, laquelle est recevable si elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant.

La recevabilité de la demande de M. [ES] [V] tendant à voir indemniser le préjudice résultant des dégradations consécutives à la suppression des agencements, formée pour la première fois en cause d’appel et qui revêt un caractère reconventionnel, doit s’apprécier au regard du lien éventuel la rattachant à la prétention originaire de la société Vog tendant à voir prononcer la résiliation du bail aux torts exclusif du bailleur et à voir indemniser le préjudice du preneur au titre de la perte de jouissance et de la perte de son fonds de commerce.

Les prétentions d’origine portant sur les conséquences pécuniaires de la résiliation du bail, la demande présentée au titre de la dégradation des locaux, retenue comme fautive, se rattache ainsi par un lien suffisant aux prétentions d’origine.

La demande est donc recevable.

L’article 5-5 du bail prévoit en son dernier alinéa que doivent être laissés par le preneur en fin de jouissance « tous embellissements, boiseries, décors, cloisonnements, armoires, aménagements fixés au mur… »

Contrairement à ce que soutiennent les preneurs, le droit d’accession du bailleur ne se limite donc pas aux seuls immeubles par destination et il ressort des constats opérés par les parties que le preneur a retiré notamment toutes les décorations murales, les boiseries, les miroirs, les vasques.

Le preneur est donc tenu d’indemniser le bailleur du préjudice résultant de la privation de ces éléments et des dégradations constatées lors de leur retrait, sans que ne puisse toutefois être retenue d’indemnisation au titre d’une amélioration des équipements de l’époque comme demandé s’agissant de la mise aux normes électriques.

Ainsi, sur la base de l’évaluation faîte par Monsieur [ES] [M], les sociétés Vog et Tibet seront condamnées à payer à de M. [ES] [V] la somme de 205.444 euros H.T, soit 246.532,80 euros TTC.

Il sera ajouté au jugement déféré sur ce point.

Sur la demande au titre de l’arriéré des loyers :

La résiliation du bail étant prononcé au 30 juin 2015, l’obligation du preneur d’avoir à s’acquitter du montant du loyer et charges jusqu’à cette date n’est pas contestable.

Les sociétés Vog et Tibet seront condamnés in solidum à s’acquitter de ce montant sur la base du décompte établi par Maître [C] arrêté au 8 juin 2016 évaluant la dette locative à la somme de 52.355,97 euros, incluant la somme de 7.424,21 euros au titre de la régularisation de la consommation d’eau telle qu’évaluée par Mm. [E] dans son rapport du 18 juin 2014.

Il sera ajouté au jugement entrepris sur ce point sur la base du compte entre les parties.

Sur les demandes accessoires :

Les parties succombant partiellement à leurs demandes, elles conserveront chacune la charge de leurs dépens, ainsi que de leurs frais irrépétibles d’instance.

Toutes demandes à ce titre seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

RAPPELLE le désistement de la société Groupe Vog et de la société Tibet de leur appel à l’égard du syndicat des copropriétaires du [Adresse 6] ;

CONFIRME le jugement déféré

en ce qu’il a prononcé aux torts partagés des parties la résiliation judiciaire du bail liant l’indivision [V] à la société Tibet à la date du 30 juin 2015 ;

en ce qu’il a débouté les société Groupe Vog et Tibet de leurs demandes en réparation du préjudice consécutif à la perte de leur fond de commerce ;

Y ajoutant,

DÉCLARE recevables [JH] [V], [Y] [V], [ES] [V], [R] [V], [WU] [V] et [Z] [V] née [B] en leur demande en paiement des loyers .

DÉCLARE M. [ES] [V] recevable en sa demande d’indemnisation des dégradations subies ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Groupe Vog et Tibet à payer à [JH] [V], [Y] [V], [ES] [V], [Z] [V] née [B], [WU] [V] et [R] [V] la somme de 52.355,97 euros ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Groupe Vog et Tibet à payer à M. [ES] [V] la somme de 246.532,80 euros TTC ;

LAISSE à chacune des parties la charge des dépens qu’elle a exposés en cause d’appel ;

REJETTE les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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