Indemnité d’éviction : 2 mai 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 22/01433

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Indemnité d’éviction : 2 mai 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 22/01433

2 mai 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG
22/01433

HP/SL

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile – Première section

Arrêt du Mardi 02 Mai 2023

N° RG 22/01433 – N° Portalis DBVY-V-B7G-HB2H

Décision attaquée : Ordonnance du Président du TJ d’ALBERTVILLE en date du 12 Juillet 2022

Appelants

Mme [M] [V]

née le 21 Juillet 1951 à [Localité 7], demeurant [Adresse 1]

M. [I] [V]

né le 18 Juin 1974 à [Localité 7], demeurant [Adresse 6]

Mme [F] [V]

née le 27 Mai 1976 à [Localité 7], demeurant [Adresse 3]

M. [Z] [V]

né le 16 Juin 1979 à [Localité 7], demeurant [Adresse 4]

Mme [J] [V]

née le 06 Juillet 1983 à [Localité 7], demeurant [Adresse 5]

Représentés par l’AARPI ASSIER & SALAUN, avocats au barreau d’ALBERTVILLE

Intimée

S.A.R.L. GOELIA GESTION, dont le siège social est situé [Adresse 2]

Représentée par la SCP COUTIN, avocats postulants au barreau d’ALBERTVILLE

Représentée par la SELARL CVS, avocats au barreau de NANTES

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l’ordonnance de clôture : 09 Janvier 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 février 2023

Date de mise à disposition : 02 mai 2023

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Composition de la cour :

– Mme Hélène PIRAT, Présidente,

– Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseillère,

– Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

avec l’assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

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Faits et procédure

Le 31 juillet 2003, M. et Mme [V], propriétaires d’un appartement lot n° 18, sis ‘[Localité 8]’ à [Localité 9] (73), station La Norma, signaient un bail commercial avec la société Geolia Gestion, moyennant versement d’un loyer annuel de 3 350, 35 euros TTC, payable par échéances trimestrielles et régulièrement renouvelé.

Le 21 janvier 2021, un commandement visant la clause résolutoire insérée dans le bail liant les parties était notifié au preneur pour des impayés du 14 mars 2020 au 2 juin 2020.

Par acte en date du 18 janvier 2022, Mme [M] [V] et ses enfants, [I] [V], [F] [V], [Z] [V] et [J] [V], M. [V] étant décédé le 3 août 2016, faisaient citer la société Goelia Gestion devant le président du tribunal judiciaire d’Albertville statuant en référé pour voir constater la résiliation du bail commercial, ordonner l’expulsion du preneur et le condamner au paiement des loyers, charges et indemnitées d’occupation impayés.

Par ordonnance de référé rendue le 12 juillet 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire d’Albertville :

– disait que la présente décision sera rendue sur les identités suivantes modifiées : Mme [M] [V] et ses enfants [I] [V], [F] [V], [Z] [V] et [J] [V] ;

– constatait l’existence de contestations sérieuses quant à la demande en paiement des loyers formée par les consorts [V] contre la société Goelia Gestion et aux demandes de résiliation de bail et d’expulsion ;

– disait n’y avoir lieu à référé sur ces demandes ;

– rejetait les demandes d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamnait Mme [M] [V] et ses enfants [I] [V], [F] [V], [Z] [V] et [J] [V] aux entiers dépens.

Le juge des référés retenait que :

‘ chacun des demandeurs portait un nom composé, les identités figurant à l’assignation seront donc modifiées ;

‘ la société Geolia Gestion restait tenue de régler ses loyers y compris pendant les périodes de fermeture administrative liées à la crise de covid 19 ;

‘ la société Geolia Gestion ne démontrait pas que ses bailleurs avaient manqué à leur obligation de délivrance puisque l’inaccessibilité de son commerce ne provenait pas d’un manquement de ses bailleurs à leur obligation, mais d’une décision extérieure à celle-ci ;

‘ il ne pouvait être prétendu que la chose avait été détruite, totalement ou partiellement, les locaux données à bail étant restés intacts toute la période de location et l’évènement extérieur cité n’ayant pas empêché toute activité sur la période ;

‘ au regard de la disposition contractuelle qui visait une possible réduction des loyers en cas de force majeure interrompant l’activité touristique, de l’existence réelle de circonstances exceptionnellement graves ayant abouti à la fermeture des remontées mécanismes sur l’hiver 2020/2021, et du déficit annuel évoqué par la Société Goelia Gestion de plus de 70 %, des contestations sérieuses existaient quant à l’application d’une clause du contrat et il n’appartenait pas au juge des référés d’interpréter une telle clause.

Par déclaration au greffe en date du 28 juillet 2022, Mme [M] [V] et ses enfants [I] [V], [F] [V], [Z] [V] et [J] [V] (ci-après désignés les consorts [V]) interjetaient appel de cette décision en ce qu’elle a déclaré n’y avoir lieu à référé.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures en date du 23 août 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, les consorts [V] sollicitent l’infirmation de l’ordonnance déférée et demandent à la cour de :

– réformer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé ;

– constater que la clause résolutoire du bail commercial en date du 31 juillet 2003 faisant l’objet du commandement de payer en date du 21 janvier 2021 est acquise à compter du 22 février 2021 ;

– prononcer la résiliation du bail commercial entre la société Goelia et Mme [V] ;

– ordonner l’expulsion immédiate de la société Goelia et de tous occupants de son chef de l’appartement donné à bail appartenant à Mme [V] et ses enfants, dans le mois qui suit l’arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé ce délai ;

– condamner la société Goelia à titre provisionnel à payer à Mme [V] la somme de 2 254, 69 euros au titre des loyers dus ;

– condamner la société Goelia au paiement d’une indemnité d’occupation de 100 euros par jour à compter du 22 février 2021 jusqu’au départ effectif de l’appartement par la remise des clés ;

– condamner la société Goelia au paiement de la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Au soutien de leurs prétentions, Mme [M] [V] et ses enfants [I] [V], [F] [V], [Z] [V] et [J] [V] exposent essentiellement que :

‘ la société Geolia a pris la décision de suspendre ou d’annuler le règlement des loyers dus sans aucune négociation préalable et de façon unilatérale, ce qui est contraire à l’essence même du contrat ;

‘ il n’existait pas d’interdiction administrative d’exploiter une résidence de tourisme jusqu’au 21 mai 2020 ce qui exclut la force majeure, et ce d’autant qu’à cette date, la saison hivernale était terminée ;

‘ l’interdiction de recevoir du public en période de crise sanitaire ne peut être assimilée à une perte de la chose louée et n’est pas constitutive d’une inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance. Les locataires ne sont donc pas en droit de demander une réduction de leur loyer ou de se prévaloir du mécanisme de l’exception d’inexécution pour en suspendre le paiement ;

‘ la société Goelia n’établit pas la difficulté financière qu’elle aurait supportée ;

‘ la société Goelia a procédé à la suspension de paiement sans plan de paiement différé ;

‘ en l’absence de règlements des sommes dues contractuellement fixées, il ne peut lui être reproché d’avoir fait délivrer un commandement visant la clause résolution du bail.

Par dernière écritures en date du 12 septembre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Goelia Gestion sollicite de la cour de :

– débouter les consorts [V] de toutes demandes, fins et conclusions ;

– confirmer l’ordonnance dont appel en toutes ses dispositions, sauf en ce que celle-ci rejette la demande au titre des frais irrépétibles de 1ère instance formée par Goelia Gestion ;

– la réformant au titre de la demande susvisée et y ajoutant : condamner les consorts [V] à payer à la société Goelia Gestion la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de 1ère instance et d’appel, outre les entiers dépens ;

– à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour, réformant l’ordonnance dont appel, considérait qu’elle est compétente et que des sommes resteraient à régler au titre des loyers afférents aux périodes de restriction de l’activité, accorder à Goelia Gestion des délais, suspensifs de l’acquisition de la clause résolutoire, afin de lui permettre de régulariser la situation et procéder au paiement d’un éventuel reliquat demeurant dû.

Au soutien de ses prétentions, la société Goelia Gestion fait valoir essentiellement que :

‘ les stipulations spécifiques du bail commercial prévoient dans l’hypothèse d’une interruption de l’activité touristique pour cas de force majeure, la mise en oeuvre d’une suspension du loyer contractuelle représentant 80 % des loyers nets de charges encaissés. Or :

‘ l’interruption d’activité touristique visée par la clause peut ne pas être totale sans quoi la stipulation du mécanisme de substitution de calcul des loyers basé sur le chiffre d’affaires encaissé pendant l’interruption serait sans objet  ;

‘ l’activité touristique a incontestablement été interrompue puisque, d’un jour à l’autre, en raison de l’état d’urgence sanitaire et du confinement généralisé, elle s’est trouvée dans l’incapacité totale d’exercer son activité ;

‘ la pandémie de covid 19 est un événement extérieur aux parties qui s’est avéré être imprévisible et irrésistible et a incontestablement interrompu l’activité touristique, entraînant par conséquent l’application du mécanisme de substitution de l’article 9 du bail ;

‘ dans l’hypothèse où la juridiction estimerait que des sommes resteraient dues, l’octroi de délais de paiement, suspensifs de l’acquisition de la clause résolutoire, lui permettrait de régulariser la situation, et se trouverait d’autant plus justifié que les sommes réclamées sont sans commune mesure avec le préjudice qu’elle encourt en cas de résolution du bail, à savoir la perte de son fonds de commerce sans indemnité d’éviction.

Une ordonnance en date du 9 janvier 2023 clôture l’instruction de la procédure et l’affaire a été appelée à l’audience du 7 février 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l’audience ainsi qu’à la décision entreprise.

MOTIFS ET DÉCISION

L’article 835 du code de procédure civile dispose que : ‘le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire’.

En l’espèce, il n’est pas contesté par la société Goélia qu’elle n’a pas réglé l’ensemble des loyers dus à ses bailleurs, les consorts [V], pour la période du 14 mars 2020 au 2 juin 2020, en vertu du contrat de bail les liant sur un appartement situé dans une résidence touristique à [Localité 9] (73) et qu’elle n’a pas satisfait au commandement visant la clause résolutoire insérée dans le bail d’avoir à payer la somme de 2 254, 69 euros au titre des loyers impayés, commandement qui lui a été délivré le 21 janvier 2021.

Pour s’opposer aux prétentions de ses bailleurs, la société Geolia Gestion soulève l’existence d’une contestation sérieuse liée à la clause contractuelle du bail prévoyant la suspension du règlement des loyers en cas de force majeure interrompant l’activité touristique. les consorts [V] estiment, sans se référer à la clause particulière contenue dans le bail, que la force majeure ne peut être invoquée pour justifier de l’inexécution par la preneuse de son obligation de régler les loyers, dès lors qu’il n’était pas interdit aux résidences de tourisme d’exploiter les lieux loués jusqu’au 21 mai 2020, qu’il n’y avait pas de perte de la chose louée, ni d’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance.

Cependant, par application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré sur l’ensemble du territoire national. En application de l’article 3, I, 2, du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu’au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l’exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité. Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l’interdiction de recevoir du public, sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets précités, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l’absence de première nécessité des biens ou des services fournis. Les résidences touristiques ont été concernées aussi par les décrets suivants (nota décret 2020-548 du 11 mai 2020) qui ont, entre autres, interdit leur accès jusqu’au 2 juin 2020.

En outre, si l’application de l’article 1218 du code civil, lequel prévoit : ‘Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1″, a été écarté par la jurisprudence (Cass 3ème, 30 juin 2022) dans des espèces où les bailleurs sollicitaient des provisions sur loyers, la société Geolia Gestion n’invoque pas l’application de ce texte, mais celle d’une clause particulière du contrat laquelle prévoit ‘ de convention expresse entre les parties, le règlement du loyer sera suspendu en cas de force majeure interrompant l’activité touristique (tels que tremblement de terre, catastrophes naturelles, état de guerre ou de siège, grève générale, incendie de l’immeuble). Dans ce cas, le loyer versé par le preneur sera égal à 80 % des loyers nets de charges encaissés auprès des vacanciers ayant effectué leur séjour dans les logements objet du présent bail’.

Cette clause est, dans sa teneur, différente également de celles examinées par la jurisprudence de la cour de cassation lors des arrêts du 23 novembre 2022 dans des espèces concernant à nouveau des demandes de provision, clauses qui ne nécessitaient aucune interprétation et s’appliquaient lorsque l’indisponibilité du bien était la conséquence de manquements personnels du bailleur, ou de désordres de nature décennale, voire de la survenance de circonstances exceptionnelle et graves affectant le bien.

Compte tenu de la rédaction de la clause conventionnelle présente dans le bail dont il est demandé la résolution, cette clause implique une interprétation notamment sur le caractère ou non limitatif des cas mentionnés de force majeure interrompant l’activité touristique, cette clause ne prévoyant pas seulement le cas d’indisponibilité du bien et ne visant pas particulièrement les manquements personnelsdu bailleur.

Ainsi, c’est à bon droit que le premier juge a estimé qu’au regard de cette disposition contractuelle qui nécessite une interprétation par les juges du fond, associée à l’existence réelle de circonstances exceptionnellement graves à cette période et du déficit annuel invoqué par la société Geolia Gestion en 2020-2021, il existait des contestations sérieuses de nature à dire n’y avoir lieu à référé sur les prétentions des bailleurs.

En conséquence, l’ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions, y compris sur le rejet de l’indemnité procédurale au profit des parties.

L’équité commande de débouter à nouveau les parties de leur demande d’indemnité procédurale en cause d’appel.

Succombant, les consorts [V] seront tenus aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne les consorts [V] aux dépens de l’instance d’appel,

Déboute les parties de leurs demandes d’indemnité procédurale,

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 02 mai 2023

à

la AARPI ASSIER & SALAUN

la SCP COUTIN

Copie exécutoire délivrée le 02 mai 2023

à

la SCP COUTIN

 


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