9 mai 2023
Cour d’appel de Caen
RG n°
20/00351
AFFAIRE : N° RG 20/00351 –
N° Portalis DBVC-V-B7E-GPYR
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DÉCISION du Tribunal de Grande Instance de LISIEUX du 12 Décembre 2019
RG n° 17/00461
COUR D’APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 09 MAI 2023
APPELANTES :
Madame [J] [Y] épouse [N]
née le 16 Septembre 1953 à [Localité 17]
[Adresse 6]
[Localité 9]
Madame [P] [Y] épouse [V]
née le 08 Août 1959 à [Localité 17]
[Adresse 5]
[Localité 10]
représentées et assistées de Me Noël PRADO de la SELARL COTE JOUBERT PRADO, avocat au barreau de LISIEUX
INTIMÉS :
Monsieur [I] [R]
[Adresse 8]
[Localité 12]
Monsieur [U] [R]
[Adresse 2]
[Localité 13]
Monsieur [F] [A]
[Adresse 7]
[Localité 3]
Tous représentés et assistés de Me Pauline DESERT, avocat au barreau de CAEN
Monsieur [C] [Y]
né le 22 Mars 1951 à [Localité 17]
[Adresse 1]
[Localité 11]
non représenté, bien que régulièrement assigné
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. GUIGUESSON, Président de chambre,
M. GARET, Président de chambre,
Mme VELMANS, Conseillère,
DÉBATS : A l’audience publique du 28 février 2023
GREFFIER : Mme COLLET
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le 09 Mai 2023 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier
* * *
EXPOSE DU LITIGE
De l’union de Monsieur [C] [Y] et Madame [W] [B], sont issus trois enfants, [C], [J] et [P].
Madame [W] [B] est décédée le 4 août 1991 et son époux, le 18 décembre 2015.
Il est apparu lors des opérations successorales, que Monsieur [C] [Y] père, avait souscrit le 25 juin 2001 un contrat d’assurance-vie, modifié par avenant en date du 3 octobre 2013, désignant comme bénéficiaire, sa compagne, Madame [D] [S], qui est elle-même décédée le 9 juin 2016.
Mesdames [J] et [P] [Y] ont mis en demeure, les héritiers de Madame [S], Messieurs [I] et [U] [R] de leur restituer pour partie les fonds perçus par leur mère.
Faute d’accord, elles les ont assignés devant le tribunal de grande instance de Lisieux, ainsi que Monsieur [F] [A], leur demi-frère.
Par jugement du 12 décembre 2019 le tribunal a :
– déclaré recevables les demandes de Mesdames [J] et [P] [Y],
– constaté que Messieurs [I] et [U] [R] et Monsieur [F] [A] ont bien reçu la somme de 393.204,00 € liée à l’assurance-vie détenue par Monsieur [C] [Y],
– dit que la somme totale de 315.428,33 € correspondant aux primes versées au titre des contrats d’assurance-vie n’est pas excessive et ne doit pas être rapportée à l’actif successoral de Monsieur [C] [Y],
– ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation, partage des successions de Madame [W] [B] et Monsieur [C] [Y],
– désigné Maître [I] [E], notaire à [Localité 18], [Adresse 4] à l’effet de procéder aux opérations de compte, liquidation, partage,
– dit qu’en cas d’empêchement ou de refus du notaire commis, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur simple requête,
– désigné tout juge de la chambre civile du tribunal de grande instance de Lisieux pour y procéder,
– condamné Mesdames [J] et [P] [Y] à verser à Messieurs [I] et [U] [R] et Monsieur [F] [A], la somme de 1.500,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les autres demandes plus amples ou contraires,
– condamné Mesdames [J] et [P] [Y] aux entiers dépens distraits au profit de Maître Desert,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 12 février 2020, Mesdames [J] et [P] [Y] ont formé appel de la décision sauf en ce qui concerne l’ouverture des opérations de liquidation, partage, la désignation d’un notaire et d’un juge commis.
Aux termes de leurs dernières écritures en date du 20 avril 2021, les appelantes concluent à la réformation du jugement entrepris en ce qu’il a dit que la somme de 315.428,33 € correspondant aux primes versées au titre des contrats d’assurance-vie n’était pas excessive et ne devait donc pas être rapportée à l’actif successoral de Monsieur [C] [Y].
Elles demandent à la cour de :
– juger que les primes sont excessives et devront être soumises à réduction,
– condamner solidairement les intimés à régler à la succession de Monsieur [C] [Y], la somme de 207.248,55 € au titre de la réduction des primes d’assurance-vie versées par Monsieur [C] [Y], qui portent atteinte à leurs droits d’héritiers réservataires,
– débouter les intimés de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions contraires,
– condamner solidairement les intimés au paiement d’une somme de 5.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de leur conseil.
Aux termes de leurs écritures en date du 9 janvier 2023, Messieurs [I] et [U] [R] et [F] [A] demandent à la cour d’exclure les pièces 45 à 49, illégalement obtenues, de confirmer le jugement entrepris, de débouter les appelantes de leurs demandes, fins et conclusions et de les condamner au paiement d’une somme totale de 1.500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens avec bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Monsieur [C] [Y], régulièrement avisé de la déclaration d’appel, n’a pas constitué avocat.
Pour l’exposé complet des prétentions et de l’argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les primes d’assurance-vie
L’article L.132-13 du code des assurances dispose :
‘ Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont pas soumis aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.
Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.’
Il est constant que le caractère exagéré de ces primes doit s’apprécier au moment de leur versement, au regard de l’âge et des situations patrimoniales et familiales du souscripteur, du mobile de la souscription et de son utilité.
La preuve du caractère exagéré des primes incombe à celui qui en sollicite le rapport, ou comme ici, la réduction, les intimés n’étant pas héritiers de Monsieur [C] [Y].
En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats, que Monsieur [C] [Y] père, a souscrit auprès de la compagnie AXA, le 25 juin 2001, alors qu’il était âgé de 76 ans pour être né le 17 février 1925, un contrat d’assurance-vie N°80008172585588, dénommé ‘Formule autonomie’.
Son utilité résulte de l’intitulé du contrat qui visait à assurer à Monsieur [Y] des revenus lui permettant d’assurer son autonomie le moment venu.
Le contrat initial n’étant pas produit, l’identité du ou des bénéficiaires désignés n’est pas connu.
Seul est versé aux débats un avenant daté du 3 octobre 2013 (Cf. Pièce N°11) désignant comme bénéficiaires :
– en cas de décès, pour la totalité de la somme, Madame [D] [S],
– à défaut à hauteur de 50 %, le Comité Central de La Ligue contre Le Cancer
– à défaut à hauteur de 50 %, Médecins sans Frontières
L’historique du contrat (Cf. Pièce N°12) fait apparaître les versements suivants :
– 25 juin 2001 : 28.720,33 €
– 23 août 2002 : 73.309,00 €
– 25 octobre 2002 : 33.142,00 €
– 22 février 2005 : 18.300,00 €
– 24 octobre 2005 : 39.000,00 €
– 23 novembre 2006 : 3.051,00 €
– 23 avril 2009 : 24.000,00 €
– 19 avril 2011 : 92.906,00 €
– 7 octobre 2013 : 3.000,00 €
A l’exception du dernier versement de 3.000,00 € réalisé le 7 octobre 2013, les autres versements ont tous été effectués avant l’avenant désignant Madame [S] comme bénéficiaire à 100 %.
Il n’est donc pas possible d’affirmer que dès sa souscription, ce contrat aurait eu pour mobile de la privilégier au détriment des héritiers réservataires.
Il résulte d’un courriel du conseil d’AXA du 7 décembre 2016 (Cf. Pièce N°13), que la somme totale acquise au contrat de 393.204,00 € a été réglée au bénéficiaire désigné, soit Madame [D] [S], somme sur laquelle a été déduite la somme de 170.000,00 € réglée à l’administration fiscale (Cf. Pièce N°23).
Madame [S] a réinvesti la quasi-totalité des fonds perçus sur un contrat d’assurance-vie déjà existant puisqu’il apparaît comme datant du 21 août 2012.
Ses fils ont bénéficié du capital dans des proportions différentes, à raison de 70 % pour [U] [R], 15 % pour [I] [R] et [F] [A] (Cf. Pièce N°29).
Ceux-ci demandent à titre liminaire que soient écartés des débats les pièces N°45 à 49, relatives aux déclarations de revenus obtenues des services fiscaux par les appelantes, au motif que cette communication serait illégale puisque n’ayant pas pour vocation d’être utilisées pour l’établissement d’une imposition échue à la succession selon un avis de la CADA du 18 décembre 2014 qu’ils ne versent pas aux débats.
En tout état de cause, un avis de la CADA n’est qu’un avis et n’a pas la portée d’un texte de loi.
Cet argument est quoiqu’il en soit inopérant puisque l’administration fiscale n’a fait aucune difficulté pour communiquer aux appelantes, les avis d’imposition de leur père pour les années 2011 à 2015 et qu’elles étaient d’ores et déjà en possession de sa déclaration de revenus pour 2015, ainsi que des justificatifs des différentes pensions de retraites qu’il percevait.
Il n’y a pas lieu dès lors d’écarter ces pièces qui n’ont pas été obtenues illégalement.
Il apparaît ainsi que Monsieur [C] [Y] père percevait uniquement des pensions de retraites dont les montants sont les suivants :
– 2010 : 12.711,00 €
– 2011 : 12.924,00 €
– 2013 : 14.056,00 €
– 2014 : 14.526,00 €
Si les justificatifs de ses revenus pour les années concernées par les primes versées ne sont pas produits, les appelantes qui n’avaient plus de contact avec leur père, n’en disposant pas, il peut néanmoins être déduit de l’âge de Monsieur [Y] à cette époque, que ses revenus n’étaient déjà constitués que de ses pensions de retraites.
Pour autant, le montant des versements effectués par lui, démontrent qu’il disposait nécessairement d’un patrimoine non négligeable.
Les appelants indiquent d’ailleurs dans leurs écritures, que leur père a été propriétaire d’une petite maison à [Localité 14] dont elles ignorent le prix de vente et d’un fonds de commerce à [Localité 15] au titre duquel il a perçu une indemnité d’éviction de 240.950 francs, ceci dans les années 1980 (Cf. Pièce N°52).
Elles produisent en outre une attestation de propriété après le décès de leur mère, établissant que Monsieur [Y] était propriétaire pour moitié d’une maison située à [Localité 16] et bénéficiait sur ce bien de la donation à son conjoint survivant faite par son épouse et mère des appelantes, décédée le 4 août 1991 (Cf. Pièce N°1).
Il résulte d’un courrier de Maître [E], notaire que ce bien a été vendu (Cf. Pièce N°37). Monsieur [Y] a donc perçu également des fonds à la suite de cette vente.
Il n’est pas fait état dans la déclaration de succession de celui-ci d’un bien immobilier, ce qui démontre qu’il a investi les fonds lui revenant après ces différentes ventes, dans des placements mobiliers.
Il disposait donc d’un patrimoine mobilier lui permettant après cession de ses actifs, d’effectuer des versements sur son contrat d’assurance-vie.
Les appelantes ne rapportent pas la preuve qui leur incombe, que le patrimoine de leur père tel qu’il existait au moment du versement de chacune des primes, ne lui permettait pas d’effectuer des versements pour les montants indiqués ci-dessus et que par conséquent ces primes seraient manifestement excessives.
Le jugement qui les a déboutées de leur demande de réintégration des primes à l’actif successoral sera donc confirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L’équité commande de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Mesdames [P] et [J] [Y] au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, de les condamner à payer à Messieurs [U] [R], [I] [R] et [F] [A] unis d’intérêts, une somme de 1.500,00 € sur ce même fondement et de les débouter de leur demande à ce titre.
Succombant, elles seront condamnées aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Désert en application de l’article 699 du code de procédure civile, le jugement étant confirmé en ce qu’il les a condamnées aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
REJETTE la demande tendant à voir écarter des débats, les pièces 45 à 49 communiquées par Mesdames [P] et [J] [Y],
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Lisieux du 12 décembre 2019,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mesdames [P] et [J] [Y] à payer à Messieurs [U] [R], [I] [R] et [F] [A] unis d’intérêts, une somme de 1.500,00 €, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE Mesdames [P] et [J] [Y] de leur demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mesdames [P] et [J] [Y] aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Désert en application de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET G. GUIGUESSON