Indemnité d’éviction : 9 mai 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/00003

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Indemnité d’éviction : 9 mai 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/00003

9 mai 2023
Cour d’appel de Poitiers
RG
22/00003

ARRÊT N° 216-2

N° RG 22/00003

N° Portalis DBV5-V-B7G-GRP2

[V]

C/

ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER DE LA VENDÉE

LE COMMISSAIRE

DU GOUVERNEMENT

Copies délivrées aux avocats

et aux parties le :

Copie délivrée au Commissaire

du gouvernement le :

Formule exécutoire délivrée

aux avocats et aux parties

non représentées

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre de l’Expropriation

ARRÊT DU 09 MAI 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 mai 2022 rendu par le Juge de l’expropriation de LA ROCHE SUR YON

APPELANTS :

Madame [W] [V] épouse [Z]

née le 10 Juillet 1941 à [Localité 41] (85)

[Adresse 27]

[Localité 12]

Madame [H] [V] épouse [L]

née le 23 Août 1946 à [Localité 41] (85)

[Adresse 26]

[Localité 10]

Monsieur [T] [V]

venant aux droits de son père M. [G] [V] décédé

né le 22 Novembre 1968 à [Localité 35]

[Adresse 7]

[Localité 21]

Monsieur [I] [V]

venant aux droits de son père M. [G] [V] décédé

né le 21 Novembre 1977 à [Localité 31] (94)

[Adresse 16]

[Localité 22]

Monsieur [X] [V]

né le 28 Mai 1964 à [Localité 36]

[Adresse 3]

[Localité 23]

représentés par Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat postulant au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Maître François DRAGEON, avocat au barreau de LA ROCHELLE

INTIMÉS :

ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER DE LA VENDEE

N° SIRET : 524 110 921

[Adresse 1]

[Localité 30]

ayant pour avocat plaidant Me Grégoire TERTRAIS de la SELARL ATLANTIC-JURIS, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

Le Commissaire du gouvernement

Direction régionale des Finances Publiques

des Pays de la Loire et du Département de Loire-Atlantique

Pôle d’évaluation domaniale

[Adresse 17]

[Localité 20]

représenté par Madame [B] [R], inspectrice munie d’un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 23 Février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

qui a présenté son rapport

Madame Anne VERRIER, Conseiller

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

EXPOSÉ :

La cour statue sur l’appel formé le 19 mai 2022 par [W]-[J] [V] épouse [Z], [H] [V] épouse [L], et [T], [I] et [X] [V] venant aux droits de leur père [G] [V]

(les consorts [V]) à l’encontre d’un jugement du juge de l’expropriation de la Vendée prononcé le 4 mai 2022 fixant l’indemnisation leur revenant au titre de l’expropriation de cinq parcelles dont ils sont propriétaires indivisément entre eux sur le territoire de la commune de [Localité 41].

Pour l’exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures

* transmises par les consorts [V] le 16 août 2022 et notifiées le jour même à l’Établissement Public Foncier (EPF) de la Vendée et au commissaire du gouvernement (les AR des 17 et 18.08) s’agissant de leurs conclusions initiales, et le 25 janvier 2023, notifiées le 26 janvier (les AR du 06.02) s’agissant de leurs conclusions récapitulatives

* adressées par le commissaire du gouvernement le 26 octobre 2022 reçues au greffe le 27 et notifiées le jour même aux consorts [V] et à l’EPF de la Vendée (les AR du 28.10) s’agissant de ses premières conclusions, et le 24 janvier 2023, reçu le 26 janvier et notifié le jour même (les AR du 06.02) s’agissant de son mémoire récapitulatif

* adressées par l’Établissement Public Foncier de la Vendée le 10 novembre 2022, reçues au greffe le 14 novembre et notifiées le jour même aux consorts [V] et au commissaire du gouvernement (les AR des 15 et 16.11) s’agissant de ses premières conclusions, et le 17 février 2023, reçues le 20 février et notifiées le jour même, s’agissant de ses conclusions récapitulatives (les AR du 27.02) .

Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé qu’agissant en vertu d’un arrêté préfectoral du 4 août 2020 déclarant d’utilité publique les acquisitions de parcelles et terrains et les travaux nécessaires à l’opération d’aménagement urbain de l'[Adresse 32] dans le centre bourg de [Localité 41] (Vendée), et sur ordonnance d’expropriation du 13 janvier 2021, l’Établissement Public Foncier de la Vendée a saisi le juge de l’expropriation du département de la Vendée en fixation d’indemnité par une lettre à laquelle était annexé un mémoire du 15 juillet 2021 contenant ses propositions d’indemnisation aux consorts [V] au titre de l’expropriation de leurs parcelles cadastrées section AE n°[Cadastre 2], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 9] et [Cadastre 14], d’une contenance totale de 42.010 m² ; que le juge de l’expropriation a procédé le 8 décembre 2021 au transport sur les lieux puis a tenu l’audience le 5 janvier 2022 ; et que par le jugement entrepris, il a fixé le montant de l’indemnité principale à 398.314,50 euros sur la base de 9,79 euros du m² après avoir exclu la qualification de terrain à bâtir et déduction faite de l’indemnité d’éviction versée au fermier en place par L’EPF de la Vendée, et l’indemnité de remploi à 40.831,45 euros, soit une indemnité totale de 439.145,95 euros, en laissant les dépens à la charge de l’expropriant et en allouant aux expropriés 3.500 euros d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les consorts [V] ont demandé à la cour dans leurs premières conclusions de fixer le montant de l’indemnité principale d’expropriation à 2.100.500 euros sous déduction de 12.963,40 euros d’indemnité d’éviction soit 2.087.536 euros, et à 223.253,60 euros le montant de l’indemnité de remploi, soit 2.310.790,20 euros au total, et subsidiairement de désigner un expert foncier, en tout état de cause de leur allouer 10.000 euros d’indemnité de procédure.

Dans leurs conclusions récapitulatives, prises sur appels incidents de l’EPF de la Vendée et du commissaire du gouvernement, ils formulent leur demande d’expertise à titre principal et à titre subsidiaire leur demande en fixation d’indemnité à 2.310.790,20 euros au total, en concluant au rejet des prétentions de l’expropriant.

Ils expriment leur sentiment de spoliation en faisant valoir qu’il leur est offert moins de la moitié de la valeur à laquelle France Domaine estimait leurs propriété en 2013, époque depuis laquelle elle n’a pu que se valoriser.

Ils considèrent que le premier juge a méconnu l’article 6§1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en admettant comme probant un moyen de preuve que l’expropriant s’est préconstitué et en retenant un prix moyen dégagé selon une méthode qui contrevient à l’égalité des armes, car l’intimé a fait chuter de 40% la valeur moyenne de référence sur laquelle il pouvait être raisonné en recourant comme il en a le pouvoir à une préemption à bas prix d’un terrain comparable.

Ils indiquent que leur bien est localisé à un emplacement stratégique, puisque situé à proximité de la mairie, en plein centre bourg, il constitue l’essentiel du foncier couvert par le périmètre du projet urbain du nouveau quartier.

Ils demandent une expertise au vu de l’inégalité dans l’accès des parties aux données pertinentes de comparaison, et des écarts incompréhensibles entre les évaluations de France Domaine en 2013, du commissaire du gouvernement aujourd’hui, et des offres de l’expropriant.

Subsidiairement, reprenant leurs prétentions de première instance, ils soutiennent que leur bien peut et doit recevoir la qualification de terrain à bâtir, faisant valoir à cet égard qu’il est desservi par un réseau électrique et un réseau d’eau potable dans ses limites Nord-Est, Sud-Ouest et Sud-Est. Ils récusent l’argumentation de l’expropriant et du commissaire du gouvernement selon laquelle l’absence d’un réseau d’assainissement collectif fait obstacle à la qualification de terrain à bâtir, en objectant qu’il n’en existe pas sur la commune, où les règles locales d’urbanisme autorisent la mise en place d’un assainissement individuel.

Ils soutiennent que le fait que leur bien soit grevé par un emplacement réservé n’est pas de nature à lui faire perdre toute valeur constructive.

Ils récusent nombre de termes de comparaison cités par l’EPF et par le commissaire du gouvernement, comme situés en dehors de la zone urbanisée de la commune, et celui issu d’une préemption en observant que le prix payé par la commune est inférieur de 40% à celui mentionné dans la déclaration d’intention d’aliéner.

Ils contestent que le coût des fouilles archéologiques préventives doive être déduit de l’indemnité.

Au vu de termes de comparaison qu’ils tiennent pour pertinents, ils demandent à la cour de fixer l’indemnité principale sur la base moyenne de 50 euros du m².

L’Établissement Public Foncier de la Vendée forme appel incident et demande à la cour à titre principal d’infirmer le jugement déféré et de fixer l’indemnité due aux consorts [V]

-à titre principal : à 225.429,50 euros d’indemnité principale et 23.542,95 euros d’indemnité de remploi, soit au total 248.972,45 euros

-à titre subsidiaire : à 360.371,60 euros d’indemnité principale et 37.037,16 euros à titre d’indemnité de remploi, soit au total 397.408,76 euros.

À titre subsidiaire, il sollicite la confirmation pure et simple du jugement.

En tout état de cause, il sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a alloué une indemnité de procédure aux expropriés, et réclame leur condamnation à supporter les dépens d’appel et à lui verser 4.000 euros d’indemnité de procédure.

Il exclut la qualification de terrain à bâtir compte-tenu de l’absence de réseau d’assainissement collectif et de ce que les réseaux d’eau et d’électricité existants n’ont ni la dimension ni la capacité suffisante pour accueillir le programme envisagé, qui comptera une résidence service, une crèche, une école, un foyer pour les jeunes et 65 logements dont une cinquantaine de maisons d’habitation.

Il indique avoir fait son offre sur la base de l’évaluation de France Domaine en 2020.

Il maintient que le coût des opérations d’archéologie préventive doit être déduit de l’indemnité, car il procède d’une caractéristique propre du tènement qui en diminue la valeur, sans qu’il importe que le coût en incombe à l’aménageur.

Il récuse les valeurs citées par les expropriés en faisant valoir que les actes de mutation qui seuls permettent d’apprécier les caractéristiques des biens l approuve la fixation de la date de référence.

vendus n’ont jamais été produits, et qu’il s’agit de terrains à bâtir viabilisés, comme tels non comparables au bien considéré.

Il justifie la pertinence des termes de comparaison qu’il invoque.

Il rejette le grief adressé à la comparaison tirée d’un bien préempté, en indiquant que le propriétaire a accepté le prix offert, qui correspond donc à sa valeur.

Il accepte la valeur moyenne de 9,79 euros du m² retenue par le premier juge, mais ramenée à 5,37 euros du m² après déduction du coût des fouilles archéologiques préventives.

Le commissaire du gouvernement demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de fixer l’indemnité principale à 533.166,60 euros sur la base de 13 euros du m² et après déduction d’une indemnité d’éviction de 12.963,40 euros, et l’indemnité de remploi à 54.316,66 euros, soit une indemnité totale de 587.483,26 euros.

Il récuse la qualification de terrain à bâtir en soutenant que les plans produits par les appelants ne permettent pas de considérer que les canalisations présentes aux extrémités des parcelles sont dimensionnées pour desservir l’ensemble du programme immobilier envisagé, et que l’absence de réseau d’assainissement collectif est rédhibitoire, les réseaux présents devant obligatoirement être des réseaux publics.

Il justifie la pertinence des termes de comparaison qu’il propose de retenir, dont se dégage selon lui une valeur moyenne pour un tel bien de 13 euros du m².

Il considère que le coût des fouilles archéologiques préventives ne peut être mis à la charge de l’exproprié, alors qu’il incombe légalement à l’aménageur.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

* sur la procédure

L’appel formé le 19 mai 2022 contre le jugement prononcé le 4 mai 2022 est recevable, et il est aussi régulier.

Les conclusions d’appelants et d’intimé de même que celles du commissaire du gouvernement sont recevables, comme transmises dans les délais définis à l’article R.311-26 du code de l’expropriation.

Les appels incidents respectivement formés dans leurs conclusions initiales par l’EPF de la Vendée et par le commissaire du gouvernement dans les trois mois de la notification des conclusions des appelants sont recevables, et réguliers.

S’agissant des conclusions en réplique transmises au-delà de ces délais, elles sont recevables dès lors qu’elles se bornent à apporter des précisions ou des éléments de réplique, et tel est le cas des mémoires complémentaires transmis après l’expiration de ces délais, qui sont chacun purement réitératif et responsif, sans demande nouvelle ni moyen nouveau et sans production de pièce nouvelle.

* sur le fond

¿ S’agissant de la nature du bien, de son usage effectif et de sa consistance, il s’agit de cinq parcelles situées en centre bourg, de forme régulière, formant ensemble une grande pièce rectangulaire très homogène, ayant été exploitées jusqu’en 2021 en vertu d’un bail rural, en nature de terre agricole, plates, partiellement bordées de haies et de murets en pierre.

¿ S’agissant de la date à laquelle le bien exproprié doit être estimé, c’est celle de la décision de première instance, conformément à l’article L.322-2 du code de l’expropriation, seul étant pris en considération -sous réserve de l’application des articles L.322-3 à L.322-6- son usage effectif à la date définie par ce texte.

¿ S’agissant de la date de référence, en application de l’article L.213-6 du code de l’urbanisme, lorsqu’un bien soumis au droit de préemption fait l’objet d’une expropriation pour cause d’utilité publique, la date de référence est celle prévue à l’article L.213-4 a), à savoir la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant révisant ou modifiant le plan d’occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d’urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.

Les parcelles concernées par l’expropriation en cause sont toutes soumises au droit de préemption urbain qui a été institué par délibération du 25 juin 2012.

Il n’existe pas de discussion sur la date du 18 février 2012 retenue par le jugement, à bon droit puisqu’il s’agit en effet de celle à laquelle le plan local d’urbanisme de la commune de [Localité 41] a été rendu exécutoire.

¿ S’agissant des données d’urbanisme, à la date de référence la parcelle AE n°[Cadastre 2] (d’une superficie de 1.565 m²) était située en zone U du PLU, laquelle est une zone dans laquelle les capacités des équipements publics existants ou en cours de réalisation permettent d’admettre immédiatement des constructions.

Les quatre autres parcelles, cadastrées section AE n°[Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 9] et [Cadastre 14], étaient situées en zone 1aUh du PLU, à savoir une zone destinée à accueillir des urbanisations nouvelles à vocation principale d’habitat, comprenant des terrains peu ou pas équipés, dont l’aménagement devra faire l’objet d’une réflexion d’ensemble.

Toutes cinq étaient situées dans un emplacement réservé au profit de la commune en vue de la réalisation d’équipements collectifs.

¿ S’agissant de la superficie globale expropriée, elle est de (1.565 + 4.038 + 3.612 + 32.330 + 465) = 42.010 m², étant observé que l’emprise est totale pour chacune des parcelles.

¿ S’agissant de la qualification, celle de terrain à bâtir est revendiquée par les expropriés.

Aux termes de l’article L.322-3 du code de l’expropriation, la qualification de terrains à bâtir, au sens du présent code, est réservée aux terrains qui, un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L.1 ou, dans le cas prévu à l’article L.122-4 un an avant la déclaration d’utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois :

1°) situés dans un secteur, désigné comme constructible par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l’absence d’un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d’une commune

2°) effectivement desservis par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l’urbanisme et à la santé publique l’exigent pour construire sur ces terrains, un réseau

d’assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu’il s’agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l’objet d’une opération d’aménagement d’ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l’ensemble de la zone.

Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l’article L.322-2.

Les parcelles expropriées -qui sont immédiatement contiguës à un secteur déjà urbanisé- constituent une unité foncière située en zone U et en zone 1aUh, secteur désigné constructible.

En revanche -et indépendamment même de la question discutée du raccordement au réseau d’assainissement, qui pour l’heure n’existe ni de façon collective ni semi-collective sur la commune de [Localité 41] où il n’est qu’en projet, et où le PLU prévoit que ‘toute construction doit être raccordée au réseau collectif ou semi-collectif s’il existe’- il ressort des productions, et notamment de la carte des réseaux et de la notice explicative du projet (pièces n°4, 6 et 7 de l’intimé), que les parcelles expropriées ne sont pas effectivement desservies par un réseau électrique et par un réseau d’eau potable adaptés à la capacité de construction du terrain d’emprise, unité foncière plate et homogène de 42.010 m², où l’opération d’aménagement urbain pour la réalisation de laquelle elle a été expropriée prévoit de construire une quarantaine de logements, une salle polyvalente, une résidence services pour personnes âgées et un pôle d’équipement scolaire et petite enfance incluant crèche, école et foyer pour jeunes.

Le jugement a écarté ainsi à bon droit la qualification de terrain à bâtir revendiquée par les expropriés, qui n’est pas caractérisée au sens du code de l’expropriation.

Les consorts [V] font valoir que localisé en plein bourg, à proximité immédiate de la mairie, leur bien est situé ‘à un emplacement stratégique’ justifiant de le valoriser en conséquence.

Pareille argumentation revient à soutenir que ces parcelles sont en situation privilégiée.

Cette notion de terrain en situation privilégiée s’applique à un terrain exproprié ou préempté auquel est refusée la qualification de terrain à bâtir mais qui présente une plus-value par rapport à un terrain agricole standard, en raison de son emplacement privilégié (cf Cass. Civ. 3° 23.09.2020 P n°19-20431 ou 06.11.2012 P n°11-23952).

Tel est assurément le cas du bien litigieux, dont il ressort du procès-verbal de transport, et des productions, qu’il a la nature d’un terrain agricole mais qu’à la date de référence, il était situé dans une zone constructible, en plein centre bourg, près de la mairie, au coeur d’un secteur urbanisé, avec un accès à la voie publique puisque l’emprise est desservie par la [Adresse 38], la [Adresse 37], la [Adresse 40] et la [Adresse 39], tous éléments concourant à lui conférer une évidente plus-value par rapport à un terrain agricole standard.

¿ S’agissant de la méthode d’évaluation, la loi n’en prescrit aucune, et elle est librement définie.

Les consorts [V] demandent à la cour de combiner la méthode dite ‘par comparaison’ appliquée par le juge de l’expropriation avec le recours à une évaluation par les droits à construire , mais cette dernière technique ne saurait

être retenue de quelque manière que ce soit pour fixer l’indemnité puisqu’elle repose sur la prise en compte de la vocation future du bien, ce qui est contraire aux principes gouvernant l’estimation des biens expropriés, définis à l’article L.322-2 du code de l’expropriation.

Le premier juge a pertinemment retenu la méthode dite ‘par comparaison’, consistant à fixer la valeur vénale du bien exproprié à partir de l’étude objective des ventes de biens soit similaires, soit du moins comparables, au bien exproprié, telle qu’elle ressort des mutations d’immeubles enregistrées sur le marché local.

¿ S’agissant de la demande d’expertise et du moyen tiré par les appelants de l’égalité des armes, les consorts [V] sollicitent l’institution d’une expertise en soutenant qu’ils ne disposent pas, pour évaluer le bien qui leur est pris par voie d’expropriation, de l’accès aux éléments requis et de la connaissance des données dont disposent le commissaire du gouvernement et l’autorité expropriante.

Toutefois, l’absence d’accès direct des expropriés aux informations relatives aux valeurs foncières détenues par l’administration n’apparaît pas constituer une atteinte au principe d’une procédure juste et équitable, les expropriés pouvant obtenir gratuitement de cette administration, sur simple demande et sans restrictions aux termes de la loi, en vertu des articles L.322-10, alinéa 2, du code de l’expropriation et 135 B du Livre des procédures fiscales, la communication des éléments d’information en sa possession nécessaires à l’appréciation de la valeur de leur bien.

En outre, le commissaire du gouvernement a respecté le principe du contradictoire en versant aux débats tous les termes de comparaison sur lesquels il s’est fondé pour proposer une évaluation des parcelles expropriées et s’est expliqué sur les raisons qui l’ont conduit à écarter les éléments qu’il tient pour non pertinents.

De plus, en vertu de l’article L.112A du Livre des procédures fiscales, une base dénommée ‘demande de valeurs foncières’ librement et directement sur le site data.gouv.fr permet à quiconque de télécharger gratuitement l’intégralité des données foncières des cinq dernières années.

Les appelants sont ainsi à même d’obtenir, étudier, interpréter et invoquer les données techniques permettant de connaître le prix de mutations de biens similaires à leurs parcelles et constituant comme tels des termes de comparaison.

Aucune atteinte à l’égalité des armes ni plus généralement aux principes d’une procédure juste et équitable n’est établie en la cause, où n’est pas non plus démontrée la nécessité de recourir à une mesure d’expertise, les éléments recueillis et débattus dans le cadre de la procédure devant la juridiction de l’expropriation de première instance -où il a été procédé au transport contradictoire sur site prévu par la loi- comme d’appel, permettant d’apprécier l’indemnité de dépossession, dont les critères de détermination sont pour une bonne part juridique plus que technique.

¿ s’agissant de l’indemnité de dépossession dégagée par les termes de comparaison pertinents, les appelants citent cinq ventes à l’appui de leur chiffrage sans produire, y compris en cause d’appel malgré l’objection qui

leur en a été faite, les actes de mutations permettant seuls de déterminer les

caractéristiques des biens considérés et les modalités de la transaction, actes dont il leur était possible d’obtenir une copie, contrairement à ce qu’ils persistent à soutenir.

Le commissaire du gouvernement a pu retrouver ces actes au vu des indications, notamment cadastrales, fournies par les appelants -parcelles AB [Cadastre 29], AE [Cadastre 24], AE [Cadastre 25], AD [Cadastre 28] et ZO [Cadastre 8]-, et il s’avère que les cinq ventes correspondent à des terrains à bâtir, certains mêmes déjà viabilisés, et au surplus de petite taille, qui, comme tels, ne sont pas comparables à la vaste unité foncière expropriée, dont il vient d’être dit qu’elle ne pouvait pas être regardée comme un terrain à bâtir au sens du code de la construction.

L’EPF de la Vendée invoque comme termes de comparaison pertinents sur la commune, en produisant les actes de mutation,

* la vente du 17 octobre 2014 des parcelles AD n°[Cadastre 15], n°[Cadastre 18] et n°[Cadastre 19] totalisant 6370m² conclue à 10,36 euros du m²

* la vente du 15 janvier 2015 d’une parcelle de 458 m² cadastrée AB n°[Cadastre 11] sise aux ‘[Adresse 42]’ conclue à 8 euros du m²

* la vente du 1er octobre 2019 portant sur une très étroite bande de terre de 1459 m² cadastrée AD n°[Cadastre 13] localisée au lieu-dit ‘[Adresse 34]’, en périphérie de la zone urbanisée, conclue à 13.131 euros soit 9 euros du m²

* la vente du 24 novembre 2021 d’une parcelle de 10.013 m² AD n°[Cadastre 4] située en zone U à ‘[Adresse 33]’ pour 130.000 euros, soit 12,98 euros du m² située dans la zone urbanisée de la commune, mais loin du centre bourg.

Les deux premières mutations ne constituent pas, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, des termes de comparaison pertinents,

-la première parce qu’elle est trop ancienne pour être significative et qu’elle porte sur des biens certes situés dans la zone urbanisée, mais fort loin du centre-bourg, contrairement à l’emprise expropriée, située en plein centre et à proximité immédiate de la mairie

-la seconde vu son ancienneté, la petite taille du bien et sa localisation hors de la zone urbanisée.

La vente de la parcelle AD n°[Cadastre 13] constitue un terme à considérer mais comme d’une pertinence très relative, compte-tenu de la différence considérable d’attractivité entre une petite parcelle étroitement longiligne située en périphérie de la zone urbanisée et une très grande parcelle rectangulaire homogène d’hypercentre bourg jouxtant la mairie.

Celle de la parcelle AD n°[Cadastre 4] est aussi à considérer, en tenant compte, toutefois, que le terrain est quatre fois plus petit, qu’il n’est pas situé en centre-bourg et est distant de plusieurs centaines de mètres de la mairie, mais aussi, comme le font valoir les expropriés, que la vente est intervenue au profit de la commune, qui a exercé son droit de préemption sur une déclaration d’aliéner au prix de 200.000 euros transmise par le notaire chargé de dresser l’acte de vente, de sorte que le prix, substantiellement moindre, de 130.000 euros auquel la vente s’est traitée en définitive, ne peut être regardé comme reflétant totalement les prix du marché.

Le commissaire du gouvernement cite quant à lui en tout et pour tout ces deux mêmes mutations de la parcelle AD n°[Cadastre 13] et de la parcelle AD n°[Cadastre 4], pour en déduire que la valeur, supérieure à leur moyenne, de 13 euros du m² offerte par l’expropriant est adaptée, et satisfactoire, et pour solliciter par voie d’appel incident l’infirmation du jugement, qui a chiffré l’indemnité de dépossession sur la base de 9,79 euros du m², moindre même que celle qu’offrait l’expropriant avant abattement pour coût des fouilles archéologiques.

Cette valeur de 13 euros du m² est quasiment celle du prix de la vente de la parcelle AD n°[Cadastre 4], dont il vient d’être dit qu’elle est sensiblement moins valorisable que l’unité foncière expropriée, du fait de sa localisation périphérique et de sa taille moindre -qui est ici péjorative.

Il en résulte que la valeur doit être fixée supérieure pour corriger cette différence.

Au vu de l’ensemble des éléments produits et discutés, elle sera fixée à 16 euros du m².

Elle détermine une valeur de (42.010 x 16) = 672.160 euros.

¿ s’agissant de l’incidence du bail rural, il n’existe pas de discussion sur le fait que l’EPF, qui en justifie, a versé au fermer une indemnité d’éviction de 12.963,40 euros dont le montant vient en déduction de l’indemnité principale revenant aux expropriés.

¿ s’agissant de l’incidence sur l’indemnité du coût des fouilles archéologiques préventives, elle a été écartée à raison par le premier juge, ce coût ne constituant aucunement, contrairement à ce que soutient l’expropriant par une analogie non pertinente avec celui de la dépollution, un élément à prendre en considération pour apprécier la consistance du bien au sens du code de l’expropriation, car il n’est nullement inhérent au tènement mais constitue une charge financière pesant sur l’auteur d’un projet d’aménagement affectant le sous-sol du tènement.

¿ s’agissant de l’indemnité principale, elle s’établit ainsi à

(672.160 – 12.963,40) = 659.196,60 euros.

¿ s’agissant de l’indemnité de remploi, elle sera fixée selon la méthode usuellement appliquée, et adaptée compte-tenu de la dégressivité notoire des frais, par tranches, à savoir 20% sur la tranche de 0 à 5.000 euros,15% sur celle de 5.001 à 15.000 euros et 10% au-delà, soit :

* ( 5.000 x 20%) = 1.000 euros

* (10.000 x 15%) = 1.500 euros

* (644.196,60 x 10%) = 64.419,66 euros

soit 66.919,66 euros.

¿ s’agissant des dépens et de l’application de l’article 700 du code de procédure civile, le jugement a pertinemment laissé les dépens de première instance à la charge de l’expropriant et alloué à bon droit une indemnité de procédure de 3.500 euros aux expropriés.

Au vu du sens du présent arrêt, l’Établissement Public Foncier de la Vendée supportera les dépens d’appel et versera aux consorts [V], ensemble, une indemnité de procédure de 6.000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort

DIT n’y avoir lieu à expertise

INFIRME le jugement entrepris, rendu le 4 mai 2022 par la juridiction de l’expropriation de la Vendée, sauf en ses chefs de décision afférents à la charge des dépens et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile

statuant à nouveau des chefs infirmés:

FIXE à 726.116,26 euros l’indemnité revenant aux consorts [V], soit

*659.196,60 euros au titre de l’indemnité principale

* 66.919,66 euros au titre de l’indemnité de remploi

du chef de l’expropriation par l’Établissement Public Foncier de la Vendée des parcelles cadastrées section AE n°[Cadastre 2], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 9] et [Cadastre 14] dont ils sont propriétaires sur le territoire de la commune de [Localité 41]

DÉBOUTE les parties de leurs prétentions autres ou contraires

CONDAMNE l’Établissement Public Foncier de la Vendée aux dépens d’appel

LE CONDAMNE à payer 6.000 euros aux consorts [V] en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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