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SOC.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 janvier 2019
Rejet
Mme X… , conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 107 F-D
Pourvoi n° P 16-19.879
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par l’Agence France presse (AFP), dont le siège est […] ,
contre l’arrêt rendu le 6 mai 2016 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. Jean-Pierre Y…, domicilié […],
2°/ au Syndicat national des journalistes CGT, dont le siège est […],
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 12 décembre 2018, où étaient présents : Mme X…, conseiller doyen faisant fonction de président et rapporteur, M. Schamber, Mme Monge, conseillers, Mme Piquot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme X…, conseiller doyen, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de l’Agence France presse, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. Y…, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 6 mai 2016), que M. Y… a travaillé comme reporter photographe au profit de l’Agence France presse (l’AFP), d’abord en qualité de journaliste stagiaire le 29 avril 1998 puis en qualité de journaliste titulaire ; qu’il a obtenu la carte de journaliste le 29 avril 2000, laquelle a été renouvelée jusqu’en 2015, l’intéressé se voyant confier régulièrement des missions entre 2002 et 2015 ; qu’il était déclaré auprès des organismes sociaux en qualité de salarié rémunéré à la pige ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale aux fins notamment de voir requalifier son contrat en contrat de journaliste permanent et de voir ordonner à l’AFP de lui appliquer à ce titre les conventions et accords collectifs en vigueur ;
Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de faire droit à ses demandes et de le condamner à payer au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaire, alors, selon le moyen :
1°/ que dans la catégorie générale des contrats de « journalistes professionnels », le contrat de journaliste « permanent » se distingue spécifiquement de celui de journaliste « pigiste », les conditions d’activité de l’un étant exclusives de celles de l’autre ; que le principe d’égalité de traitement a pour objet d’assurer une égalité de rémunération entre des salariés exerçant la même activité, en vertu d’un contrat de travail et selon des conditions d’exécution similaires ; que son application présupposant ainsi cette activité similaire, il n’est pas applicable entre des activités qui sont par nature des activités dissemblables, impliquant en particulier des conditions de rémunération spécifiquement différentes ; qu’en soumettant dès lors les demandes de M. Y…, journaliste pigiste en vertu du contrat de travail conclu avec l’AFP, au principe de l’égalité de traitement afin de rechercher s’il avait la qualité de journaliste permanent, quand les activités de pigiste et de permanent sont spécifiquement distinctes, déterminées par des contrats spécifiquement distincts, la cour a violé ce principe par fausse application ;
2°/ que le journaliste permanent a droit, en contrepartie de son activité, à une rémunération fixe, forfaitaire ; que tel n’est pas le cas du pigiste, rémunéré à la tâche en fonction du nombre et de la qualité des articles fournis ; que, pour justifier que M. Y… ait le statut de journaliste permanent, et non celui de pigiste correspondant à son contrat de travail, la cour a retenu que sa rémunération était d’un « montant relativement stable », avec des « écarts faibles observés sur certaines années », qu’il percevait une rémunération forfaitaire chaque mois ne correspondant pas nécessairement au nombre de piges dès lors que, même en l’absence de piges, il bénéficiait d’un treizième mois, de primes d’ancienneté et de primes exceptionnelle et d’un montant minimum garanti depuis 2011 même en l’absence de piges ; qu’elle en a conclu que ces éléments traduisaient « à tout le moins un commencement d’alignement au sein de l’AFP du statut des pigistes sur celui des journalistes permanents, que les rémunérations perçues (
) n’étaient pas véritablement variables » (arrêt, p. 7, § 1) ; qu’en se déterminant ainsi, quand la relative stabilité et les écarts de la rémunération établissaient que cette dernière n’était pas forfaitaire et que le « commencement d’alignement (
) du statut des pigistes sur celui des journalistes permanents » impliquait, nécessairement, que ces statuts demeuraient distincts, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
3°/ que le contrat de travail d’un journaliste pigiste peut comporter une rémunération minimale garantie, et même des modalités de dédommagement pendant une certaine période en cas de baisse importante de la rémunération, sans que cela affecte l’absence de caractère forfaitaire de sa rémunération ou modifie son statut de pigiste ; qu’en retenant dès lors, pour justifier que M. Y… ait le statut de journaliste permanent, exclusif de celui de pigiste, qu’il bénéficiait de primes exceptionnelles et d’un montant minimum garanti depuis 2011 même en l’absence de piges, la cour a violé les articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
4°/ que le journaliste permanent, lié à l’employeur par un lien de subordination, est astreint à un temps de travail déterminé, partiel ou plein, soumis à la fourniture d’un travail et à un minimum de production, pour lesquels il est rémunéré forfaitairement ; que tel n’est aucunement le cas du pigiste, qu’il soit occasionnel ou régulier ; qu’en l’espèce, pour juger que M. Y… avait la qualité de journaliste permanent, en dépit de son contrat de travail de pigiste, la cour a retenu qu’il avait travaillé « de manière permanente exclusivement avec l’AFP » ; qu’en se déterminant ainsi, après avoir pourtant constaté que ses revenus « sont tirés essentiellement de son activité au sein de l’AFP » et que ses revenus déclarés ne comportent pas la déduction de l’allocation pour frais d’emploi dont il bénéficie en tant que pigiste, ce dont il s’évinçait qu’il ne travaillait pas « exclusivement » pour l’AFP, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
5°/ que pour retenir que M. Y…, en dépit du contrat de pigiste conclu avec l’AFP, avait la qualité de journaliste permanent, la cour a retenu qu’il « n’avait jamais refusé une tâche », qu’il avait fait preuve d’une « constante disponibilité », qu’il n’avait pas le choix de ses reportages, qu’il lui était passé commandes de reportages à réaliser selon diverses consignes à suivre, à défaut de quoi il n’était pas rémunéré ; qu’en se déterminant ainsi, quand tous les éléments ainsi relevés correspondent à la description d’une activité de journaliste pigiste, lequel se met à la disposition d’une entreprise de presse pour accomplir les missions qu’elle lui confie et qu’elle détermine, à défaut de quoi il n’est pas rémunéré, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
6°/ que le journaliste permanent, à la différence du journaliste pigiste, est un salarié de droit commun, soumis comme tel à son employeur par un lien de subordination ; que celui-ci se caractérise par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, des directives et les horaires, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en décidant dès lors que M. Y…, lié à l’AFP par un contrat de journaliste pigiste, avait le statut d’un journaliste permanent, c’est-à-dire d’un salarié de droit commun, sans avoir relevé aucun élément de nature à établir que l’AFP ait un quelconque pouvoir pour déterminer ses horaires, les contrôler ou, d’une manière générale, pour sanctionner ses manquements éventuels la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 7112-1 et L. 1121-1 du code du travail, ensemble l’article 1134 du code civil ;
7°/ que le journaliste permanent est assujetti à une obligation de non-concurrence, à la différence du journaliste pigiste, qu’il soit occasionnel ou régulier ; que pour justifier de l’absence de statut de journaliste permanent, l’AFP avait notamment fait valoir que M. Y… n’était astreint à aucune obligation contractuelle de mobilité similaire à celle d’un permanent, ni à aucune obligation de non-concurrence et qu’il était d’ailleurs titulaire d’une carte professionnelle de pigiste attestant de cette qualité ; que pour retenir la qualité de journaliste permanent de M. Y…, la cour s’est bornée à considérer que ces éléments étaient la conséquence du statut de pigiste imposé, non revendiqué par le salarié, dont les conditions de travail étaient « en fait et in concreto » similaires à celles d’un reporter permanent ; que, cependant, l’existence avérée d’une activité libre de concurrence caractérise le statut de journaliste pigiste, un journaliste permanent ne pouvant l’exercer sans une autorisation explicite de l’employeur ; qu’en se déterminant dès lors comme elle l’a fait, quand le seul constat de l’exercice par M. Y… d’une activité libre de concurrence devait la conduire à conclure qu’il avait bien le statut de journaliste pigiste, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
8°/ que le statut de journaliste permanent et le statut de journaliste pigiste sont spécifiquement distincts ; que le simple remplacement provisoire d’un salarié permanent absent, effectué par un salarié pigiste, ne modifie pas le statut de pigiste dès lors que celui-ci échappe aux conditions d’une activité répondant aux exigences de l’activité d’un salarié permanent ; que la circonstance qu’un remplacement temporaire ait été effectué dans le cadre d’un contrat à durée déterminée de journaliste permanent n’a d’incidence que sur l’activité exercée dans ce cadre ; qu’elle ne modifie pas le statut de pigiste du journaliste remplaçant, dont l’activité est par ailleurs habituellement exercée librement, sans lien de subordination ; qu’en décidant dès lors que M. Y… avait le statut de journaliste permanent depuis son embauche parce que l’AFP l’a intégré un temps, comme journaliste permanent, par un contrat à durée déterminée, la cour a violé les articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
Mais attendu qu’ayant relevé que le journaliste collaborait de manière régulière et permanente avec l’AFP et percevait une rémunération forfaitaire d’un montant relativement stable et ne correspondant pas nécessairement au nombre de piges effectuées chaque mois, la cour d’appel, qui a constaté que l’intéressé n’avait pas le choix de ses reportages et devait les réaliser en se conformant aux consignes qui lui étaient données, a pu en déduire qu’il devait se voir reconnaître la qualité de journaliste permanent ; qu’elle a, sans encourir les griefs du moyen, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;