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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 10
ARRÊT DU 08 Janvier 2020
(n° , pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 17/15033 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B4UWX
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Octobre 2017 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS RG n° 15/05005
APPELANTE
Madame [V] [D]
[Adresse 6]
[Localité 2]
née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 5]
représentée par Me Marie-laure DOSÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0802 substitué par Me Tristan SOULARD, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
SARL AGENCE REUTER représentée par son gérant
[Adresse 3]
[Localité 4]
N° SIRET : 432 64 6 5 52
représentée par Me Jeannie CREDOZ-ROSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Octobre 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de Chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère
Madame Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 19 juillet 2019
Greffier, lors des débats : M. Julian LAUNAY
ARRET :
– Contradictoire
– mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [D], journaliste depuis 1987, exerçait des fonctions de reporter pigiste depuis le 1er octobre 1993 au sein de l’agence Reuter.
Par lettre du 31 juillet 2014, l’agence lui indiquait que ses besoins actuels ne justifiaient plus de recourir aux piges qu’elle pouvait lui proposer au gré de l’actualité sportive, qu’elle avait décidé au printemps dernier de fermer le service sport, de supprimer les postes qui lui étaient dédiés et qu’il n’existait aucun poste au sein du groupe correspondant à ses qualifications et compétences.
Le 27 avril 2015, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris lequel, par jugement du 24 octobre 2017, a ainsi statué :
‘se déclare matériellement compétent ;
‘dit que la moyenne des salaires perçus par Mme [D] est de 1 843,96 euros ;
‘condamne la société agence Reuter à lui verser les sommes de :
3687,92 euros à titre d’indemnité de préavis
10 449,11 euros à titre de provision sur l’indemnité de licenciement
12 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie de défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances à caractère salarial, et à compter de l’arrêt pour les créances à caractère indemnitaire.
Mme [D] a interjeté appel et sollicite de voir :
‘déclarer compétente la cour d’appel de Paris ;
‘infirmer le jugement sur le montant du salaire de référence, condamner l’agence Reuter à lui verser des dommages-intérêts du fait du défaut de conclusion d’un contrat durée indéterminée, à lui payer des sommes à titre de rappel de salaire conventionnel entre le 31 juillet 2011 et le 31 juillet 2014, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice du fait de n’avoir pu percevoir le salaire minimum conventionnel pendant de très nombreuses années ; infirmer le jugement sur le montant des dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, sur le montant de l’indemnité de licenciement et des dommages-intérêts pour le préjudice résultant de l’absence de cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal avec anatocisme en application de l’article 1343’2 du code du travail. Le montant des sommes réclamées est précisé au dispositif des conclusions.
L’agence Reuter sollicite de voir :
In limine litis et à titre principal :
– Constater qu’il n’existait entre Madame [D] et la société aucun contrat de travail ; de
– Dire et juger que la juridiction prud’homale est incompétente pour statuer sur les demandes
de Madame [D];
– Infirmer totalement le jugement entrepris, qui a considéré le Conseil de prud’hommes
compétent pour entendre le fond de l’affaire et a condamné la Société au paiement de diverses
sommes ;
– Renvoyer les parties devant le Tribunal de Grande Instance ;
– Condamner Madame [D] à verser à la Société la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire :
– Constater que la rupture du contrat de travail de Madame [D] repose sur un motif réel et sérieux ;
– Constater que les demandes formées par Madame [D] au titre du non-respect du minimum conventionnel sont mal fondées ;
– Constater que l’indemnité de préavis octroyée par le Conseil de prud’hommes n’était pas
demandée par Madame [D] ;
– Infirmer totalement le jugement entrepris qui a condamné Madame [D] au paiement de diverses sommes ;
– Confirmer le jugement entrepris qui a débouté Madame [D] de ses demandes d’indemnité de requalification, d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, de rappels de salaire et de dommages et intérêts pour non-respect du salaire minimum conventionnel;
– Débouter Madame [D] de l’ensemble de ses demandes liées à la rupture de son prétendu contrat de travail ;
– Condamner Madame [D] à verser à la Société la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
A titre infiniment subsidiaire :
– Constater que les demandes formées par Madame [D] au titre de la rupture de son
prétendu contrat de travail sont en tout état de cause excessives ;
– Dire et juger que les demandes formées par Madame [D] au titre de la rupture de son
prétendu contrat de travail devront en tout état de cause se limiter aux montants suivants:
o 8.429,25 € bruts à titre de rappel de salaires
o 10.449,11 € bruts à titre d’indemnité légale de licenciement ;
o 10.913,76 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et
sérieuse ;
o 1.818,96 € à titre d’indemnité de requalification ;
– Débouter Madame [D] du surplus de ses demandes.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère au départ leurs conclusions adressées par voie électronique.
MOTIFS
L’examen de la compétence de la juridiction prud’homale nécessite de se prononcer sur l’existence d’un contrat de travail. En tout état de cause, la cour d’appel a plénitude de juridiction.
Selon l’article L. 7111’3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa.
Mme [D] est une journaliste au sens de l’article L. 7111’3 du code de travail et dispose d’une carte de presse depuis 1987 ; elle bénéficie d’une carte d’identité des journalistes professionnels ; elle exerçait sa profession pour le compte de l’agence Reuter contre rémunération ; elle recevait chaque mois un salaire fixe quelle que soit la quantité d’articles rédigé notamment à compter de 2005 ; elle bénéficiait auprès de la société « inter expansion » d’un compte épargne salariale abondé par l’agence Reuter.
Il résulte des échanges de courriels entre Mme [D] et de salariés de l’agence qu’elle était placée dans un lien de subordination :
‘« Pourriez-vous me dire quelles sont les directives rédactionnelles pour les semaines à venir » ( courriel du 20 décembre 2013)
‘« Si tu n’as trouvé la gentillesse pour me répondre à tous les mails envoyés au fil de ses 2 derniers mois te demandant sur quels sujets tu souhaiterais que je travaille’ » ( courriel du 10 février 2014)
‘« Pourrais-tu m’orienter sur les sujets à traiter, à préparer, à creuser pour le service des sports dans les semaines à venir » ( courriel du 3 avril 2014)
‘« Je me trouve face à une problématique que je vous demande de trancher » (courriel du 26 novembre 2013)
Il résulte au surplus des salariés et anciens salariés de l’agence atteste de la régularité de la collaboration de Mme [D], de sa « disponibilité sans faille », du fait qu’ils relisaient et corrigeaient ses articles.
C’est dès lors à bon droit que le conseil de prud’hommes s’est déclaré compétent et a requalifié la relation de travail en un contrat de travail. Il a également fait une juste évaluation de l’indemnité de requalification et la salariée ne justifie pas d’un préjudice non réparé par cette indemnité résultant du défaut de conclusion d’un contrat durée indéterminée.
Sur la classification échelon 3
Mme [D] revendique la qualification rédacteur 3e échelon ainsi défini par la convention collective applicable : « Est le journaliste qui est au centre de l’édition, dans une agence, ou seul en poste, assure le compte rendu de manifestations à caractère local ou régional à l’exclusion de toute tâche administrative. »
Il ne résulte d’aucun élément que Mme [D] exerçait ces fonctions. Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de cette demande et de ses demandes subséquentes.
Sur la rupture de la relation de travail
La lettre du 31 juillet 2014 rappelée ci-dessus s’analyse en une lettre de licenciement.
Il résulte des termes de celle-ci que le motif du licenciement n’est pas personnel de sorte qu’il est économique.
S’agissant du reclassement, l’agence ne justifie d’aucune recherche au sein du groupe. Elle n’a donc pas satisfait à cette obligation. Le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Compte tenu de l’ancienneté de la salariée, de sa rémunération et des circonstances brutales de la rupture, il convient de porter le montant des dommages-intérêts à la somme de 45 000 euros.
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, la salariée peut prétendre à une indemnité de préavis et aux congés payés afférents. Cette demande nouvelle est recevable en appel, l’unicité de l’instance s’appliquant aux instances introduites avant le 1er août 2016, ce qui est le cas en l’espèce, la salariée ayant saisi la juridiction prud’homale le 27 avril 2015.
Il conviendra de déduire de l’indemnité de préavis la somme de 1444 euros bruts versée en septembre et octobre 2014 soit au total 2888 euros.
Il appartiendra à la Commission arbitrale des journalistes de statuer sur l’indemnité de licenciement. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a accordé une provision à ce titre.
L’agence Reuter comptant plus de 10 salariés et la salariée ayant plus de 2 ans d’ancienneté, cette dernière ne peut prétendre à une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.
Il est équitable de lui accorder une somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré sauf sur le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau,
Condamne l’agence Reuter à payer à Mme [D] la somme de 45 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts de droit à compter du jugement ;
Y ajoutant,
Dit que la somme de 2888 euros doit être déduite de l’indemnité de préavis de 3687,92 euros ;
Condamne la société Agence Reuter à payer à Mme [D] la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne la capitalisation des intérêts judiciaires dans les conditions posées par l’article 1343’2 du Code civil ;
Condamne l’Agence Reuter aux dépens ;
Ordonne le remboursement par l’Agence Reuter les indemnités de chômage versées à la salariée depuis son licenciement jusqu’à la date de l’arrêt dans la limite de 3 mois ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE