Location de matériel : 12 mai 2022 Cour d’appel de Caen RG n° 20/00530

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Location de matériel : 12 mai 2022 Cour d’appel de Caen RG n° 20/00530
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12 mai 2022
Cour d’appel de Caen
RG n°
20/00530

AFFAIRE :N° RG 20/00530 –

N° Portalis DBVC-V-B7E-GQES

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DECISION en date du 05 Février 2020 du Tribunal de Commerce de CAEN

RG n° 2018005896

COUR D’APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 12 MAI 2022

APPELANTE :

S.A.S. ASDIA venant aux droits de la S.A.R.L. R SANTE

N° SIRET : 509 180 709

[Adresse 3]

[Localité 2]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Jonathan MINET, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Laurent LALOUM, avocat au barreau de BLOIS

INTIMEE :

S.A.S. SANTE HOME

N° SIRET : 823 900 717

[Adresse 1]

[Localité 4]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Renan DROUET, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

M. GOUARIN, Conseiller,

DÉBATS : A l’audience publique du 03 mars 2022

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

ARRÊT prononcé publiquement le 12 mai 2022 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS

La société R Santé est spécialisée dans la fourniture de matériel d’assistance respiratoire de ventilation et d’oxygénothérapie et aux patients atteints d’apnée du sommeil.

Le 10 février 2014, Mme [Y] [V] a été engagée par cette société suivant contrat à durée indéterminée en tant que technico-commerciale pour la région Normandie.

Ce contrat prévoyait :

§15 : un respect strict du secret professionnel et notamment l’absence de divulgation d’informations relatives à R Santé dont elle aurait connaissance dans l’exercice de ses fonctions,

§19 : l’interdiction pendant toute la durée du contrat de travail d’avoir une autre occupation professionnelle sans accord exprès de l’employeur,

§22 : une clause de non-concurrence limitée à la région Centre assortie d’une contrepartie pécuniaire, pour une durée de 2 ans à compter de la rupture du contrat de travail,

§24 : une stricte obligation de discrétion sur l’ensemble des informations en rapport avec l’activité de R Santé pendant le contrat et après sa rupture.

Mme [V] a été en arrêt maladie du 22 septembre 2016 au 15 janvier 2017.

Le 24 janvier 2017, une rupture conventionnelle du contrat de travail liant Mme [V] à la société R Santé a été conclue et a été homologuée le 14 février 2017.

Il était convenu que le contrat de travail de Mme [V] prenne fin le 6 mars 2017.

Le 9 mars 2017, la société R Santé a levé la clause de non-concurrence concernant Mme [V].

Le 27 mars 2017, Mme [V] a racheté 51 % des parts de la société Santé home, laquelle avait été créée le 23 novembre 2016, puis en est devenue la présidente le 11 avril 2017.

Cette société a son siège à [Localité 4] et a pour objet social la vente et la location de matériel médical.

Par jugement du 5 février 2020, le tribunal de commerce de Caen, sur assignation délivrée le 28 juin 2018 à la diligence de la société R Santé, a :

– condamné la société Santé home à payer à la société R Santé la somme de 4.982,31 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 28 juin 2018,

– ordonné la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, à compter du 28 juin 2018,

– débouté la société R Santé de toutes ses autres demandes,

– débouté la société Santé home de toutes ses autres demandes,

– condamné la société Santé home au paiement de la somme de 1.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens comprenant les frais de greffe, pour un montant de 68,44 euros TTC.

Selon déclaration du 2 mars 2020, la société R Santé, a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions du 31 mars 2021, la société Asdia, venant aux droits de la société R Santé, demande à la cour, « à titre principal et avant dire droit », d’ordonner une expertise afin de déterminer l’ampleur des préjudices résultant de la concurrence déloyale imputable à la société Santé home en mettant la consignation à la charge de l’appelante.

Subsidiairement, elle poursuit l’infirmation du jugement attaqué en ce qu’il a condamné la société Santé home à payer à la société R Santé la somme de 4.982,31 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 28 juin 2018, débouté la société R Santé de toutes ses autres demandes et l’a condamnée au paiement de la somme de 1.000 euros à titre d’indemnité de procédure.

Elle demande à la cour, statuant à nouveau de ces chefs, de condamner la société Santé home à lui verser les sommes de :

– 90.419,70 euros en réparation de la perte de marge sur 10 ans pour 23 patients captés,

– 9.026,15 euros en réparation de marge sur une année compte tenu de la vacance sur le secteur Normandie,

– 1.000 euros, 375 euros et 758,33 euros au titre des frais de formation,

– 50.000 euros au titre du préjudice moral.

L’appelante demande en outre que la société Santé home soit déboutée de toutes ses demandes, d’ordonner l’application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, la condamnation de l’intimée au paiement de la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, celle de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles en appel ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Par dernières conclusions du 28 janvier 2022, la société Santé home, outre des demandes de « dire et juger » ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, demande à la cour de confirmer le jugement attaqué sauf en ce qu’il l’a condamnée à payer à la société R Santé la somme de 4.982,31 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 28 juin 2018 et ordonné la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, à compter du 28 juin 2018, outre frais irrépétibles et dépens de première instance.

Statuant à nouveau de ces chefs, elle demande à la cour de débouter la société Asdia de toutes ses demandes et de condamner celui-ci au paiement de la somme de 10.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.

La mise en état a été clôturée le 2 février 2022.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.

MOTIVATION

1. Sur la demande d’expertise judiciaire

Au visa de l’article 232 du code de procédure civile, la société Asdia sollicite la désignation avant dire droit d’un expert afin de déterminer l’ampleur des préjudices résultant de la concurrence déloyale dont s’est rendue coupable la société Santé home par l’intermédiaire de Mme [V], faisant valoir qu’en matière de concurrence déloyale l’existence d’un préjudice est présumée.

Dans les motifs de ses dernières conclusions, la société Santé home soutient que cette demande serait irrecevable comme nouvelle en cause d’appel, sans toutefois en tirer les conséquences juridiques au dispositif de ces mêmes conclusions, qui seul saisit la cour, demandant seulement à celle-ci de débouter l’appelante de cette demande. Il ne sera donc pas statué sur la recevabilité de cette demande.

À l’appui de sa demande, la société Asdia fait valoir que la société Santé home n’a pas cessé son activité, si bien que l’ampleur de son préjudice est «très probablement » supérieur à 23 patients, que cette concurrence déloyale persiste « peut-être » encore aujourd’hui et que le montant exact de son préjudice doit être évalué au regard de la documentation interne de la société Santé home qui ne lui est pas accessible.

Or la cour ne saurait suppléer la carence de l’appelante dans l’administration de la preuve de la réalité et de l’étendue du préjudice qu’elle invoque en termes hypothétiques par une mesure d’instruction qui n’est pas utile en l’espèce.

La demande d’expertise formée avant dire droit par la société Asdia sera donc rejetée.

2. Sur la concurrence déloyale

Pour statuer comme il l’a fait, le tribunal a retenu que la société Santé home a une activité similaire à celle de la société R Santé et qu’il ressortait du procès-verbal de constat d’huissier de justice du 23 août 2017 que, dès le 15 février 2017, Mme [V] recevait et signait des courriels « [Y] [V]-Santé home », ce qui constituait une violation de la clause de non-concurrence prévue à son contrat de travail en cours jusqu’au 6 mars 2017.

Il a relevé que la société Santé home, créée le 23 novembre 2016, était restée en sommeil jusqu’à ce que Mme [V] en rachète 51 % des parts puis en prenne la présidence et que, dès le mois de mai 2017, de nombreux patients de la région normande suivis par la société R Santé ont demandé à être désappareillés pour être suivis par la société Santé home.

Le tribunal a déduit l’existence d’une violation de la clause de non-concurrence de la concomitance du départ de Mme [V] de la société R Santé, de sa prise de majorité puis de la direction de la société Santé home et des demandes de désappareillage de patients souhaitant être suivis par la société Santé home.

Il a considéré que ces faits constituaient également une violation de la clause de loyauté prévue aux articles 15 et 24 du contrat de travail liant Mme [V] à la société R Santé.

L’appelante fait valoir que des courriels ont été échangés par Mme [V] avec la société Santé home les 10 et 15 février 2017, qu’à partir du 17 février 2017 les courriels adressés par Mme [V] étaient signés « [Y] [V] Santé home », qu’il ressort du procès-verbal de constat d’huissier de justice que trois fichiers comprenant les patients démarchés en janvier, février et mars 2017, intitulés « liste des patients qui nous suivent », avaient été établis par la société Santé home et comprenaient 23 patients suivis par la société R Santé.

Cependant, la société Santé home souligne justement que la concurrence déloyale est le fait, dans le cadre d’une concurrence autorisée, de faire un usage excessif de sa liberté d’entreprendre en recourant à des procédés contraires aux règles et usages, occasionnant un préjudice.

Ainsi que le soutient à juste titre l’intimée, ne constitue pas une concurrence déloyale la création d’une entreprise concurrente par un ancien salarié de celle-ci, ni le fait que l’intéressé ait avisé la clientèle de son départ et de la création d’une nouvelle société, le démarchage de la clientèle d’un concurrent, fût-ce par un ancien salarié, n’étant pas constitutif en soi de concurrence déloyale, dès lors que ces agissements ne s’accompagnent pas de démarches déloyales.

Elle expose exactement que son objet social est plus large que celui de la société R Santé, que seule leur est commune l’activité concernant la ventilation en cas d’apnée du sommeil, que Mme [V] était liée jusqu’au 9 mars 2017 par une clause de non-concurrence ne concernant que la région Centre et que le poste de technico-commercial dans la région normande au sein de la société R Santé est resté vacant durant un an après la fin du contrat de travail de Mme [V].

L’intimée fait valoir à juste titre que le 14 février 2017 la rupture conventionnelle a été homologuée, que la DIRECCTE a informé Mme [V] que son contrat de travail pouvait être rompu dès le 15 février 2017, que, par lettre du 17 février 2017, la société R Santé a d’abord indiqué à celle-ci que son contrat de travail était rompu au 15 février 2017 suite à l’homologation de la rupture conventionnelle et lui a enjoint de restituer le matériel mis à sa disposition puis, suivant lettre du 23 février 2017, lui a précisé que son contrat de travail prendrait fin le 6 mars 2017 et qu’elle devait assumer ses obligations contractuelles jusqu’à cette date et lui restituer son matériel le 8 mars 2017.

L’intimée fait valoir que sur les 9 demandes de désappareillage invoquées par l’appelante certaines sont motivées par des convenances personnelles, le souhait de bénéficier d’un appareil plus moderne, les conseils de leur médecin mais en aucun cas par l’intention de souscrire un contrat auprès de la société Santé home, que Mme [V], déliée de toute clause de non-concurrence, a continué son activité sur le secteur normand resté vacant en ce qui concerne la société R Santé.

S’agissant des courriels échangés par Mme [V] avec la société R Santé avant la fin de son contrat de travail, elle réplique que la rupture conventionnelle du contrat de travail de cette dernière avait été homologuée le 14 février 2017 et qu’il lui était permis de préparer sa reconversion professionnelle en vertu de l’article L. 1222-5 du code du travail.

À supposer établie la participation de Mme [V] à la création de la société Santé home en novembre 2016, il ne saurait être reproché à Mme [V] d’avoir, notamment en recevant par courriel du 10 février 2017 le budget prévisionnel de cette société, préparé sa reconversion professionnelle dans la région normande pour laquelle elle n’était liée par aucune clause de non-concurrence.

En effet, en l’absence de clause de non-concurrence, le principe de la liberté du commerce autorise quiconque à créer sa propre entreprise. Le détournement de clientèle n’existe pas du seul fait de l’ouverture d’un commerce concurrent. Il doit y avoir abus de la liberté du commerce et atteinte à la libre concurrence par des procédés déloyaux. Ainsi, l’achat de parts sociales et la direction par un ancien salarié d’une entreprise concurrente de celle dans laquelle il était auparavant employé ne sont pas constitutifs en eux-mêmes d’actes de concurrence illicite ou déloyale, dès lors que ces actes ne sont pas interdits par une clause de non-concurrence et n’ont pas été accompagnés de pratiques illicites de débauchage de personnel ou de détournement de clientèle.

Il ne saurait davantage être reproché à Mme [V] d’avoir adressé le 17 février 2017 un courriel signé « [Y] [V] Santé home », par lequel était transmis une attestation de voyage à M. [E] dont l’appelante ne prétend pas qu’il était un de ses clients, alors que la DIRECCTE l’avait informée de ce que son contrat de travail pouvait être rompu dès le 15 février 2017 et que, par lettre du 17 février 2017, la société R Santé lui avait d’abord indiqué que son contrat de travail était rompu au 15 février 2017 suite à l’homologation de la rupture conventionnelle et lui avait enjoint de restituer le matériel mis à sa disposition.

Concernant les documents relevés par l’huissier de justice dont celui intitulé « liste des patients qui nous suivent », la société Santé home affirme exactement qu’il n’est pas établi qu’ils ne contiennent des données issues de fichiers appartenant à la société R Santé et qu’il n’est pas démontré qu’ils ont été conçus par Mme [V], leur création datant de janvier, février et mars 2017, la liste des patients en cause ne comprenant pas que des clients de la société R Santé et ces fichiers comportant légalement le nom de médecins prescripteurs n’ayant pas travaillé avec Mme [V] lorsqu’elle était employée par la société R Santé.

S’agissant des rendez-vous inscrits sur l’agenda de Mme [V] durant la période de son arrêt de travail, la société Santé home indique qu’ils n’ont pas été honorés en raison de cet arrêt de travail, sans que l’appelante rapporte la preuve du contraire.

Ainsi, l’appelante ne rapporte pas la preuve d’acte de détournement de clientèle imputable à Mme [V] par appropriation des fichiers de clients de son ancien employeur ou par tout autre acte déloyal tel un démarchage accompagné de dénigrement, en violation de ses obligations d’exclusivité et de loyauté.

En effet, aucune des pièces produites par l’appelante, notamment les lettres de patients résiliant leur contrat auprès de la société R Santé pour être suivis par la société Santé home, n’indique que cette décision fait suite à un démarchage réalisé par Mme [V] avant la rupture de son contrat de travail qui se serait accompagné d’un dénigrement de l’appelante.

Le détournement de clientèle ne peut résulter du seul fait qu’un petit nombre de clients par rapport à ceux revendiqués par la société R Santé se reportent sur une société nouvellement créée et dirigée par un ancien salarié en raison notamment de l’absence de remplacement de Mme [V] dans la région Normandie par la société R Santé, sur laquelle cette employée n’était d’ailleurs tenue d’aucune obligation de non-concurrence.

Le jugement entrepris sera donc infirmé et, la cour statuant à nouveau, la société Asdia, venant aux droits de la société R Santé, sera déboutée de toutes ses prétentions formées à l’encontre de la société Santé home.

3. Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance seront infirmées.

La société Asdia, venant aux droits de la société R Santé, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, déboutée de sa demande d’indemnité de procédure et condamnée à payer à la société Santé home la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Rejette la demande d’expertise formée avant dire droit par la société Asdia, venant aux droits de la société R Santé ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déboute la société Asdia, venant aux droits de la société R Santé, de toutes ses prétentions formées à l’encontre de la société Santé home ;

Condamne la société Asdia, venant aux droits de la société R Santé, aux dépens de première instance ainsi que d’appel et à payer à la société Santé home la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

N. LE GALLF. EMILY

 


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