Location de matériel : 24 juin 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01324

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Location de matériel : 24 juin 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01324
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24 juin 2022
Cour d’appel de Douai
RG n°
20/01324

ARRÊT DU

24 Juin 2022

N° 1071/22

N° RG 20/01324 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TAXO

SM/AL

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BETHUNE

en date du

03 Avril 2020

(RG 18/00147 -section 4)

GROSSE :

aux avocats

le 24 Juin 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

M. [E] [D]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Alain COCKENPOT, avocat au barreau de DOUAI

INTIMÉE :

S.A.S. TP PLUS

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Karl VANDAMME, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS :à l’audience publique du 31 Mai 2022

Tenue par Stéphane MEYER

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphane MEYER

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Béatrice REGNIER

: CONSEILLER

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Stéphane MEYER, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 10 Mai 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [E] [D] a été engagé par la société TP Plus, pour une durée indéterminée à compter du 10 mars 2006, en qualité de cadre technico-commercial. Le contrat de travail stipulait une clause de non-concurrence.

Monsieur [D] a notifié sa démission par lettre du 11 janvier 2018.

La relation de travail est régie par la convention collective des transports routiers.

Il est ensuite entré au service d’une autre entreprise, la société Dumortier TP Location.

La société TP Plus, considérant que cette embauche violait la clause de non-concurrence, lui a demandé le paiement des sommes prévues par cette clause.

Le 21 juin 2018, la société TP Plus a saisi le conseil de prud’hommes de Béthune et formé des demandes tendant à voir interdire à Monsieur [D] de lui faire concurrence et en paiement de diverses sommes en application de la clause de non-concurrence. Monsieur [D] a formé une demande reconventionnelle au motif que la clause de non-concurrence serait illicite.

Monsieur [D] et son nouvel employeur ont ensuite mis fin à leur période d’essai à effet au 31 août 2018.

Par jugement du 3 avril 2020, le conseil de prud’hommes de Béthune a déclaré valide la clause de non-concurrence mais, estimant que Monsieur [D] ne l’avait pas violée, a condamné la société TP Plus à lui payer les sommes suivantes et a débouté ce dernier de ses autres demandes :

– solde d’indemnité de clause de non-concurrence : 6 662,50 € ;

– dommages et intérêts : 3 000 € ;

– indemnité pour frais de procédure : 1 000 € ;

– les dépens.

Monsieur [D] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 15 juin 2020, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er février 2021, Monsieur [D] demande l’infirmation du jugement en ce qu’il n’a pas annulé la clause de non-concurrence et la condamnation de la société TP Plus à lui payer les sommes suivantes :

– dommages et intérêts pour respect d’une clause de non-concurrence illicite : 50 000 € ;

A titre subsidiaire :

– indemnités de non-concurrence de juin 2018 à janvier 2020 : 26 650 € ;

– congés payés afférents : 2 665 € ;

– dommages et intérêts : 10 000 € ;

Il demande également une indemnité pour frais de procédure de : 5 000 €.

Au soutien de ses demandes et en réplique à l’argumentation adverse, Monsieur [D] expose que :

– la clause de non-concurrence est illicite car la généralité des termes empêche toute possibilité de travailler, de même que son étendue géographique, que la société TP Plus ne prouve pas que cette clause est utile pour la protection de ses intérêts légitimes, que cette clause est disproportionnée par rapport à l’objet du contrat et que la contrepartie financière doit être considérée comme dérisoire ;

– à titre subsidiaire, il n’a pas concurrencé la société TP Plus, son nouvel employeur n’ayant pas la même activité ;

– il était fondé à percevoir l’indemnité de non-concurrence jusqu’au terme de la période prévue, soit jusqu’au 12 janvier 2020 ;

– son préjudice est constitué par le respect de la clause dans l’ignorance de son absence de validité.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 novembre 2020, la société TP Plus demande l’infirmation du jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées et en ce qu’il l’a déboutée de ses autres demandes et la condamnation de Monsieur [D] à lui payer les sommes suivantes :

– en restitution des sommes déjà versées en contrepartie de la clause de non-concurrence : 6 218,33 € à parfaire ;

– pénalité conventionnelle : 3 000 € ;

– indemnité pour frais de procédure : 3 500 €.

Elle fait valoir que :

– la clause de non-concurrence est valable et opposable à Monsieur [D] car elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, est limitée dans le temps et dans l’espace, tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte une contrepartie financière ;

– après sa démission, Monsieur [D] est entré au service d’une entreprise exerçant une activité similaire à la sienne ;

– à titre subsidiaire, Monsieur [D] ne justifie pas de la réalité du préjudice que lui aurait occasionné la clause, à la supposer illicite ;

– elle a à bon droit cessé de régler la contrepartie financière à compter du mois de juin 2018, date à laquelle elle a eu connaissance avec certitude de la violation par Monsieur [D] de son obligation de non-concurrence.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 mai 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

* * *

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la validité de la clause de non-concurrence

Il résulte de dispositions de l’article L 1121-1 du code du travail que, pour être valable, la clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié, doit être limitée dans le temps et dans l’espace et comporter une contrepartie financière.

En l’espèce, Monsieur [D] exerçait les fonctions de cadre technico-commercial au sein de la société TP Plus, dont l’activité consiste à mettre à la disposition de clients utilisateurs des engins et matériels de travaux Publics appartenant essentiellement à des tiers fournisseurs.

Son contrat de travail stipulait une clause de non-concurrence ainsi rédigée :

‘Compte tenu de la nature des fonctions exercées par M. [D] au sein de la Sté TP PLUS, M. [D] s’interdit en cas de cessation du présent contrat, quelle qu’en soit la cause :

– D’entrer au service d’une entreprise concurrente de la société

– De s’intéresser directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit à

une entreprise du même ordre

Cette interdiction de concurrence est limitée à une période de deux ans commençant au jour de la cessation effective du contrat et couvre les départements 59-62-02-80-60.

En contrepartie de l’obligation de non-concurrence prévue ci-dessus M. [D] percevra après la cessation effective de son contrat et pendant toute la durée de cette interdiction, une indemnité spéciale forfaitaire mensuelle égale à 30 % de la moyenne mensuelle du salaire brut perçu par lui au cours des trois derniers mois de présence au sein de la société. ‘

La société TP Plus expose, sans être utilement contredite sur ce point, que les fonctions de Monsieur [D] impliquaient un contact direct et suivi avec la clientèle et lui donnaient accès à des informations spécifiques ou à caractère confidentiel relatives à la clientèle, aux tarifs et aux conditions de vente.

Elle justifie ainsi du fait que la clause litigieuse était indispensable pour préserver ses intérêts légitimes pour le cas où Monsieur [D] contracterait un nouvel emploi auprès d’une entreprise concurrente.

Par ailleurs, contrairement à ce que prétend Monsieur [D], l’étendue de cette clause est limitée dans le temps et dans l’espace et n’a pas pour effet de l’empêcher de travailler au regard de ses fonctions ; elle ne constitue pas une entrave disproportionnée à la liberté du travail.

Enfin, la contrepartie financière prévue par cette clause n’est pas dérisoire, au regard des contraintes qu’elle entraîne.

C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a estimé valable la clause litigieuse.

Sur la violation alléguée de la clause de non-concurrence

Il incombe à la société TP Plus de rapporter la preuve de la violation de la clause, en établissant que le nouvel employeur de Monsieur [D] exerçait de façon effective la même activité que la sienne ou à tout le moins une activité suffisamment proche pour lui faire concurrence.

En l’espèce, il est constant qu’à la suite de sa démission auprès de la société TP Plus le 11 janvier 2018, Monsieur [D] a conclu un contrat de travail le 5 février 2018 avec la société Dumortier TP Location, pour exercer les fonctions de ‘1) responsable du développement commercial – 2) recherche de clients et contrat annuel’.

Suivi en cela par le conseil de prud’hommes, Monsieur [D] fait valoir que les codes APE et les conventions collectives applicables sont différentes pour chacune des deux entreprises.

Cependant, pour déterminer si la clause de non-concurrence a été violée, il convient de s’attacher à l’examen des activités réelles des entreprises concernées.

Or, la société TP Plus expose, sans être contredite sur ce point, qu’elle déployait depuis plusieurs années, une activité de location de matériels destinés aux travaux publics, service auquel Monsieur [D] était directement associé et il résulte de la comparaison entre leurs statuts, que les activités des deux sociétés coïncident en ce qui concerne la location de véhicules, d’engins et de matériels de travaux publics.

La société TP Plus produit une attestations de Monsieur [G], chauffeur employé par elle, qui déclare que, le 14 février 2018, six camions intervenaient sur un chantier avaient été affrétés par Monsieur [D] pour le compte de la société Dumortier TP Location, une lettre de l’entreprise [T] [W], indiquant avoir été démarchée en vue de la location de matériel par Monsieur [D] pour le compte de la société Dumortier TP Location, une attestation de son directeur commercial, Monsieur [C], déclarant avoir reçu un appel de Monsieur [U], gérant de l’entreprise du même nom, qui lui a fait part de sa surprise pour avoir été contacté par Monsieur [D], son contact habituel chez TP Plus, en vue de l’affrètement d’un camion pour le compte de son nouvel employeur, la société Dumortier TP Location; il ajoute que, par la suite, au cours du mois de février 2018, ce fut ‘un flot de confirmation de la situation’, de la part d’autres entreprises (notamment des sociétés Ghestem Nord et Colas Lille) et enfin, un courriel de Monsieur [U] déclarant que le 5 février 2018, Monsieur [D] l’a contacté pour lui louer une semi-remorque pour le compte de la société Dumortier TP Location.

De son côté, Monsieur [D] produit l’attestation du directeur de la société Ghestem, déclarant ne l’avoir jamais rencontré, ne pas être en contact avec lui et n’avoir jamais travaillé avec la société Dumortier TP Location, ainsi que celle du directeur d’agence de la société Colas Nord-Est, qui déclare n’avoir jamais reçu de démarche commerciale de sa part pour le compte de la société Dumortier TP Location.

Cependant, ces attestations ne contredisent qu’en partie le témoignage susvisé de Monsieur [C], alors que les autres déclarations de ce dernier, ainsi que les autres éléments concordants produits par la société TP Plus, démontrent la réalité des faits de concurrence.

Enfin, Monsieur [D] soutient que la société Dumortier TP Location n’exerçait que de manière marginale l’activité de location de matériel, tandis qu’il s’agit de l’activité exclusive de la société TP Plus.

Cependant, la violation même partielle d’une clause de non-concurrence entre dans les prévisions de ladite clause.

C’est donc à tort que le conseil de prud’hommes a estimé que Monsieur [D] n’avait pas violé cette clause et a condamné la société TP Plus à lui payer des dommages et intérêts.

Sur les conséquences financières de la situation

La clause litigieuse stipulait que toute violation de l’interdiction de concurrence libérerait l’employeur du versement de la contrepartie susvisée, et rendrait le salarié redevable envers lui du remboursement de ce qu’il aurait pu percevoir à ce titre.

Cependant, en l’espèce, il résulte du certificat de travail, ainsi que de l’attestation destinée à Pôle emploi établis par la société Dumortier TP Location, que le contrat de travail de Monsieur [D] pour le compte de cette dernière a pris effet le 1er mars 2018 pour se terminer le 31 août 2018, ce dont il résulte que l’activité concurrentielle n’a duré que 6 mois, alors que la société TP Plus ne prouve, ni même n’allègue, qu’il aurait ensuite poursuivi une activité concurrente.

La contrepartie de l’obligation de non-concurrence prévue par la clause doit donc s’appliquer sur la base d’une période de 18 mois, correspondant aux 24 mois initialement prévus, déduction faite des 6 mois au service de la société Dumortier TP Location, ce qui correspond à une indemnité totale de 23 985 euros.

Monsieur [D] ayant déjà perçu la somme de 6 218,33 euros, il convient, en procédant par voie d’infirmation du jugement, de condamner la société TP Plus à lui payer la différence, soit 17 766,67 euros outre 1 776,67 euros d’indemnité de congés payés afférente et de la débouter de sa demande de remboursement,.

Par ailleurs, la clause litigieuse stipulait que ‘Toute violation de la présente clause de non-concurrence rendra automatiquement M. [D] redevable d’une pénalité fixée dès à présent et forfaitairement à 3 000 euros, sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure d’avoir à cesser l’activité concurrentielle. Le paiement de cette indemnité ne porte pas atteinte aux droits que l’employeur se réserve expressément de poursuivre M. [D] en remboursement du préjudice effectivement subi et de faire ordonner sous astreinte la cessation de l’activité concurrentielle’.

En l’espèce, le caractère manifestement excessif de cette pénalité n’est ni allégué, ni établi, étant précisé que son montant est proportionné à celui de la contrepartie mise à la charge de l’employeur.

Il convient en conséquence de condamner Monsieur [D] au paiement de cette somme et d’ordonner la compensation entre créances réciproques.

Sur les autres demandes

L’équité ne commande pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré,sauf en ce qu’il a déclaré valable la clause de non-concurrence et en ce qu’il a condamné la société TP Plus aux dépens ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés ;

Condamne la société TP Plus à payer à Monsieur [E] [D] 17 766,67 euros de solde d’indemnité de non-concurrence et 1 776,67 euros d’indemnité de congés payés afférente ;

Condamne Monsieur [E] [D] à payer à la société TP Plus 3 000 euros de pénalité conventionnelle ;

Ordonne la compensation entre les créances réciproques des parties ;

Déboute Monsieur [E] [D] du surplus de ses demandes ;

Déboute la société TP Plus de sa demande reconventionnelle ;

Déboute les parties de leurs demandes d’indemnités pour frais de procédure ;

Condamne la société TP Plus aux dépens d’appel.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Stéphane MEYER

 


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