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27 octobre 2022
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/00434
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 55B
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 OCTOBRE 2022
N° RG 21/00434 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UIX7
AFFAIRE :
S.A.R.L. CHAUVIN
C/
S.A.S. MONTAGRUES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Janvier 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 03
N° RG : 2019F813
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Franck LAFON
Me Véronique BUQUET-ROUSSEL
TC NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.R.L. CHAUVIN
RCS de Meaux n° 480 453 737
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618
Représentants : Me Candice DESTOUET et Me Sylvie LEGROS- WOLFENDEN, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : D1800
APPELANTE
****************
S.A.S. MONTAGRUES
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462
Représentant : Me Caroline COURBRON TCHOULEV, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0827
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 Septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSÉ DU LITIGE
Dans le cadre du chantier de réaménagement des façades du magasin « Le Printemps » situé au [Adresse 2], la SARL Chauvin, spécialisée dans les travaux de menuiserie métallique et de serrurerie, s’est vu confier la pose d’un ensemble de cadres spéciaux, de grande hauteur, destinés à recevoir des vitres motorisées et baies coulissantes pour le restaurant du 9ème étage du magasin.
La société Chauvin a commandé les éléments constitutifs des cadres en aluminium nécessaires à sa prestation à une société sise en Allemagne, laquelle les a livrés en France à la société Sopralu, chargée de procéder à l’assemblage de la structure métallique (hors vitrage) et d’y ajouter des coulissants motorisés.
Le 6 avril 2018, la société Chauvin a passé commande auprès de la SARL Montagrues afin que cette dernière assure le déplacement des cadres métalliques jusqu’au lieu du chantier, moyennant le paiement d’un forfait de 3.200 € HT. Le même jour, la société Montagrues a pris en charge la marchandise qui se trouvait sur le site de la société Sopralu à [Localité 10] (Loiret).
Le 7 avril 2018, la livraison a été effectuée sur le site du magasin Le Printemps Haussmann mais la société Chauvin a immédiatement constaté que les cadres étaient endommagés et inutilisables, ce dont elle a informé la société Montagrues par courriel du 8 avril 2018.
Par courrier recommandé du 9 avril 2018, la société Chauvin a formalisé la dénonciation des avaries subies, en soulignant que ce sinistre aurait des répercussions sur le chantier du Printemps Haussmann. En réponse, la société Montagrues lui a indiqué avoir immédiatement procédé à une déclaration de sinistre auprès de son courtier en assurance.
Le 30 juillet 2018, une réunion d’expertise a eu lieu en présence des parties et de leurs assureurs respectifs mais aucun accord amiable n’a pu être trouvé.
Par acte du 4 avril 2019, la société Chauvin a assigné la société Montagrues devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de la voir condamner à lui verser à titre principal la somme de 187.264,83 € HT, soit 224.717,80 € TTC, au titre de l’exécution défaillante de la prestation commandée.
Par jugement contradictoire du 7 janvier 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a:
– Débouté la SARL Montagrues de sa fin de non-recevoir pour défaut d’intérêt et de qualité à agir ;
– Dit n’y avoir lieu à statuer sur la fin de non-recevoir pour forclusion de la SARL Montagrues ;
– Condamné la SARL Montagrues à payer à la SARL Chauvin la somme de 23.680 € à titre de dommages causés aux matériels ;
– Débouté la SARL Chauvin de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
– Condamné la SARL Montagrues à payer à la SARL Chauvin la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Ordonné l’exécution provisoire ;
– Condamné la SARL Montagrues aux dépens.
Par déclaration du 22 janvier 2021, la société Chauvin a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 7 septembre 2022, la société Chauvin demande à la cour de :
– Juger bien fondée et recevable la société Chauvin dans ses demandes, fins et conclusions ;
– Infirmer le jugement du tribunal de Nanterre en ce qu’il a :
– Condamné la société Montagrues à payer à la société Chauvin la somme de 23.680 € à titre de dommages-intérêts ;
– Débouté la société Chauvin de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
– Condamné la société Montagrues à payer à la société Chauvin la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
statuant à nouveau,
A titre principal,
– Ecarter l’application de la législation des transports ;
A titre subsidiaire, si la législation des transports est appliquée,
– Constater l’existence d’une faute inexcusable commise par la société Montagrues ;
– Ecarter la clause limitative de responsabilité ;
– Condamner la société Montagrues au paiement de la somme de 187.264,83 € HT soit 224.717,80 € TTC ;
A titre infiniment subsidiaire, si la faute inexcusable n’est pas retenue,
– Condamner la société Montagrues au paiement de la somme de 23.680 €;
En tout état de cause,
– Appliquer le droit commun de la responsabilité contractuelle ;
– Condamner la société Montagrues au paiement de la somme de 187.264,83 € HT soit 224.717,80 € TTC ;
– Condamner la société Montagrues au paiement de la somme de 5.830,42 € au titre des intérêts de retard ;
– Condamner la société Montagrues au paiement de la somme de 20.000 € pour résistance abusive ;
– Condamner la société Montagrues au paiement de la somme de 8.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 7 septembre 2022, la société Montagrues demande à la cour de :
– Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
– Débouter la société Chauvin de l’ensemble de ses demandes ;
– Condamner la société Chauvin à payer à la société Montagrues la somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société Chauvin à supporter les entiers dépens d’appel ;
Subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour jugerait inapplicables à la société Montagrues les limitations prévues par le contrat type précité,
– Juger que la société Montagrues ne saurait être tenue à payer au-delà de la somme de 73.130,77 € ;
– Ordonner la limitation de la condamnation de la société Montagrues à la somme de 73.130,77 € HT ;
– Juger qu’en tout état de cause, le montant de la condamnation devra être exprimé « Hors Taxes » ;
– Débouter la société Chauvin du surplus de toutes ses demandes incluant la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive, ainsi que de toute demande formée au titre de la T.V.A. ;
– Condamner la société Chauvin à payer à la société Montagrues la somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société Chauvin à supporter les entiers dépens d’appel.
La clôture de la procédure est intervenue par ordonnance du 15 septembre 2022, date à laquelle les parties ont été entendues en leurs plaidoiries au fond.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la qualification du contrat liant les parties
La société Chauvin soutient à titre principal que le droit des transports ne peut recevoir application en l’espèce, à défaut de contrat de transport conclu entre les parties, et que la cour doit retenir l’application du droit commun des contrats.
Elle fait valoir que l’absence d’un contrat de transport se déduit de la nature des prestations principales effectuées pour son compte depuis 2010 par la société Montagrues, à savoir des prestations de grutage, et de leur facturation ; que s’agissant particulièrement du chantier du Printemps, sur les trois factures établies par la société Montagrues, seule celle du 6 avril 2018 porte très accessoirement sur le transport sans que ce terme ne soit même utilisé puisque ne sont visées que la mise à disposition d’un plateau spécifique et une livraison ; que l’absence d’un contrat de transport est renforcée par le fait que la société Montagrues n’est pas un transporteur, une telle activité ne figurant ni sur son extrait Kbis ni sur son site internet officiel, et qu’elle n’est pas inscrite dans le registre national des transporteurs ; qu’aucune mention afférente au transport ne figure sur les documents contractuels signés par la société Montagrues, pas plus que dans les conditions générales, lesquelles ne portent que sur la location de matériel de levage avec opérateur.
Elle fait en outre observer que la lettre de voiture produite aux débats ne comporte pas la signature de la société Chauvin, ni celle du conducteur, qu’elle n’est pas établie au nom de la société Montagrues et qu’un cachet au nom de cette dernière a semble-t-il été ajouté ; qu’ainsi ce document ne suffit pas à établir l’existence d’un contrat de transport.
La société Montagrues sollicite la confirmation du jugement en ce que le contrat liant les parties a été qualifié de contrat de transport, soumis aux dispositions du contrat-type général, en l’absence de convention écrite contraire conclue entre les parties.
Elle soutient en réplique qu’elle exerce bien une activité de transporteur, peu important que cette activité ne soit pas expressément mentionnée sur son extrait Kbis, que la prestation qui lui a été confiée le 6 avril 2018 par la société Chauvin est une simple prestation de transport, comportant chargement et livraison de matériels, que d’ailleurs la société Chauvin est mentionnée en qualité de destinataire sur la lettre de voiture émise par la société Montagrues, que ni le devis du 5 avril 2018, ni la commande du 6 avril 2018 qui a suivi, sur lesquels il convient de se focaliser, ne se réfèrent à une prestation de grutage ou à une mise à disposition de grue, que le sinistre du 6 avril 2018 est bien survenu au cours de l’exécution d’une commande qui ne comprenait que du transport.
Elle souligne que la société Chauvin persiste à affirmer le contraire dans le seul but de tenter de contourner les limitations de responsabilité qui lui sont opposables mais que, pour autant, à la suite du sinistre, elle a, en sa qualité de destinataire, envoyé à la société Montagrues, dans le délai de trois jours requis par l’article L.133-3 du code de commerce, la lettre de protestation prévue par ce texte.
*****
Le contrat de transport se définit comme celui par lequel un prestataire s’engage, moyennant paiement d’un prix, à déplacer des personnes ou des biens.
En l’espèce, il est établi par les pièces versées aux débats que par courriel du 4 avril 2018, la société Chauvin a exprimé auprès de la société Montagrues le besoin d’un « transport bien spécifique » comprenant l’enlèvement et le chargement sur le site de la société Sopralu à [Localité 10] (Loiret) de « 4 grands cadres en alu à positionner sur un chevalet de 6.20 x 1.2 x 3.10 ht pour un poids de 1T, et 2 chevalets de vitrages de 1.2 x 3.2 x 3.1 ht pour un poids de 3T » et leur livraison le 7 avril 2018 au magasin Printemps, [Adresse 2], avec « démarrage possible du grutage 22h00 ».
En réponse, le 5 avril 2018, la société Montagrues a émis un devis n°2018.0412 JM portant sur l’offre suivante :
« Le Vendredi 6 avril 2018
Mise à disposition d’un plateau pour chargement
Chez Sopralu (…)
Livraison nuit du 7 au 8 avril 2018
Printemps Haussmann (…)
Forfait nuit 3.200 € H.T. »
Le 6 avril 2018, la société Chauvin en a accepté les termes et elle a émis une commande ainsi libellée :
« Selon votre offre 2018.0142 JM
En date du vendredi 06/04/2018 :
Mise à disposition d’1 plateau pour chargement chez Sopralu (…)
Livraison par vos soins dans la nuit du 07 au 08/04/2018 à :
[Adresse 9] »
Il se déduit de ces éléments qu’il y a bien eu formation d’un contrat de transport entre les parties par accord sur le prix et la prestation commandée, l’opération poursuivie consistant principalement dans la prise en charge de la marchandise à un endroit donné pour la déplacer jusqu’à une destination déterminée.
Les tâches de chargement et de déchargement des matériels, éventuellement à l’aide d’engins de grutage, ont concouru à l’opération de transport de manière obligée et accessoire par rapport à l’obligation essentielle d’acheminer la marchandise sur le site du magasin Le Printemps Haussmann. Les arguments avancés par la société Chauvin, relatifs notamment à la nature des prestations principales effectuées par la société Montagrues pour son compte depuis 2010, apparaissent de ce fait inopérants, étant du reste observé que dans son courrier du 9 avril 2018, la société Chauvin évoque bien «le transport » au cours duquel est intervenu le dommage.
En outre, la société Montagrues produit la lettre de voiture n° 1260610 du 6 avril 2018, laquelle confirme l’existence d’un contrat de transport et le contenu de la prestation, objet de ce contrat. Cette lettre porte le cachet du transporteur, à savoir la société Montagrues, le nom du conducteur et le destinataire, à savoir la société Chauvin.
Le contrat liant les sociétés Chauvin et Montagrues doit en conséquence être soumis au régime du contrat de transport, par confirmation du jugement entrepris.
Sur la responsabilité de la société Montagrues
La société Chauvin soutient ensuite à titre subsidiaire que la société Montagrues a commis une faute inexcusable qui justifie d’écarter la clause limitative de responsabilité prévue à l’article 22.1 du contrat type général modifié par le décret n°2017-631 du 21 mars 2017 et de condamner l’intimée à réparer l’entier préjudice subi.
Elle prétend que les quatre conditions cumulatives caractérisant la faute inexcusable sont établies, qu’ainsi la société Montagrues était, avant l’exécution de la mission, parfaitement informée du caractère exceptionnel du transport nécessitant la mise en place de mesures appropriées permettant de préserver les biens confiés ; qu’elle a sélectionné seule « l’étrange itinéraire » emprunté le 7 avril 2018 par son chauffeur ; que non content de choisir un itinéraire non adapté, celui-ci ne s’est pas arrêté après le premier impact et a persisté, allant jusqu’à détruire tous les matériels placés sur une remorque de plus de 13 mètres de long, ce qui caractérise bien une faute volontaire ; qu’en choisissant de passer sous un pont et en persistant, le conducteur s’est exposé en connaissance de cause au risque de destruction du matériel transporté ; que la société Montagrues aurait dû sélectionner un chauffeur capable d’assumer ce transport très particulier à destination d’un chantier prestigieux et lui donner toutes les consignes nécessaires et suffisantes ; qu’en ne le faisant pas, elle a accepté témérairement de courir le risque d’exposer la marchandise dont elle avait la garde à une destruction probable ; qu’enfin, elle n’avait aucune raison pertinente de choisir de passer par le pont de [Localité 6], non situé sur l’intinéraire le plus classique.
Elle considère que la société Montagrues a adopté un comportement de mauvaise foi, en masquant la réalité de l’accident subi par son véhicule le 7 avril 2018, et fait observer que celle-ci n’a pas répondu à sa sommation de communiquer la déclaration de sinistre déposée auprès de son assureur, attendant ses dernières écritures récapitulatives pour produire cette pièce, laquelle correspond parfaitement à la version de la société Chauvin.
Elle ajoute à titre infiniment subsidiaire, au soutien de l’inapplicabilité de la clause limitative de responsabilité, qu’elle n’est pas un professionnel du transport, que la société Montagrues était débitrice envers elle d’une obligation de conseil, qu’elle a violé de manière évidente cette obligation en s’abstenant de l’alerter sur les limites de l’assurance de base, qu’en empruntant sciemment un itinéraire inadapté, ne permettant pas le passage de la marchandise transportée, la société Montagrues, qui prétend être un transporteur professionnel, n’a pas respecté son devoir d’exécution avisé, ni adopté un comportement raisonnable durant l’exécution de sa mission.
La société intimée admet que les dommages résultent du heurt d’un pont survenu pendant le transport qui lui a été confié mais répond que la société Chauvin ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l’existence d’une faute inexcusable qui aurait été commise par la société Montagrues et qui pourrait être à l’origine desdits dommages, de sorte que l’appelante ne saurait être indemnisée à hauteur de la somme réclamée.
Elle énonce qu’une erreur d’itinéraire ou une mauvaise appréciation de la hauteur d’un pont caractérisent tout au plus des négligences, insuffisantes pour caractériser une faute inexcusable, qu’il n’est pas démontré que son chauffeur a sciemment décidé de prendre un itinéraire inadapté en passant délibérément sous un pont trop bas, ni qu’il a eu conscience de la probabilité du dommage et qu’il l’a néanmoins accepté témérairement sans raison valable, que la thèse des « impacts successifs » invoquée par la société Chauvin est une hypothèse qu’aucun élément du dossier ne vient conforter, qu’il est tout aussi vain d’invoquer l’étendue des dommages pour tenter d’en déduire l’existence d’une faute volontaire.
Elle considère qu’aucun défaut de conseil ne peut lui être reproché, que la société Chauvin s’est montrée négligente en ne souscrivant pas une assurance ad valorem, compte tenu des montants en jeu, et qu’elle ne saurait reporter sur le transporteur le risque ainsi pris.
Elle sollicite la confirmation du jugement qui l’a condamnée à payer la somme de 23.680 € (soit 7,4 x 3.200 €) à la société Chauvin.
*****
Il résulte de l’article 1231-3 du code civil que le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive.
Un transport routier effectué sur le territoire national est soumis, sauf convention écrite contraire conclue entre les parties, au contrat-type général applicable aux transports publics routiers de marchandises, tel que modifié par décret n°2017-461 du 21 mars 2017.
L’article 22.1 du contrat-type général prévoit qu’en cas de perte ou avarie de la marchandise, le transporteur est tenu de verser une indemnité pour la réparation de tous les dommages justifiés dont il est légalement tenu pour responsable, résultant de la perte totale ou partielle ou de l’avarie de la marchandise. Cette indemnité est limitée sauf les cas de dol et de faute inexcusable du transporteur.
La faute inexcusable est définie par l’article L.133-8 du code de commerce, lequel énonce que « Seule est équipollente au dol la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable. »
Il appartient ainsi à celui qui invoque l’existence d’une faute inexcusable commise par le transporteur de rapporter la preuve de la réunion des quatre conditions cumulatives que sont la faute délibérée du transporteur, la conscience par l’auteur de la faute de s’exposer à un dommage probable, l’acceptation téméraire du dommage probable et l’absence de raison valable pour agir de la sorte.
La faute inexcusable s’apprécie in concreto.
En l’espèce, il est établi par le rapport d’expertise en date du 25 mars 2019 que les matériels transportés par la société Montagrues ont été irrémédiablement endommagés et rendus inutilisables en l’état lors de la phase d’acheminement terrestre, en provenance de la société Sopralu, sise dans la région d'[Localité 7], et à destination du chantier du magasin Le Printemps Haussmann à [Localité 8] ; le camion a heurté un pont dont la hauteur ne permettait pas le passage du chargement. L’origine du dommage n’est pas contestée par les parties.
La discussion porte sur la caractérisation d’une faute inexcusable qu’aurait commise la société Montagrues.
Les circonstances précises du sinistre ne ressortent pas des pièces versées aux débats, les premiers juges ayant justement constaté que ni le pont en question, ni sa hauteur ne sont mentionnés dans le rapport d’expertise, que le témoignage du chauffeur de la société Montagrues n’a pas été recueilli et qu’aucun constat d’accident n’a été établi.
La société Chauvin prétend que l’itinéraire emprunté par le chauffeur n’était pas adapté mais elle ne démontre pas ni même n’allègue avoir imposé au transporteur un itinéraire précis dont il se serait délibérément écarté.
Si la société Montagrues avait été informée lors de la commande de la spécificité des matériels à transporter, du fait notamment de leur dimension, il ne résulte pas pour autant des éléments du dossier que le chauffeur de la société Montagrues s’est engagé délibérément sous un pont en ayant conscience des conséquences qui pourraient en résulter et en particulier de la probabilité d’un dommage.
Il n’y a dès lors pas lieu de retenir la faute inexcusable de la société Montagrues en lieu et place d’une simple faute d’imprudence ou de négligence.
Il ne saurait par ailleurs être imputé à la société Montagrues un manquement à son devoir de conseil, comme le soutient l’appelante. En effet, la société Chauvin n’est certes pas un spécialiste du transport mais c’est un professionnel aguerri à l’organisation d’opérations de manutention. Elle indique d’ailleurs dans ses écritures qu’elle travaille habituellement avec la société Montagrues et qu’elle a fait appel à plusieurs reprises à ses services pour le chantier du Printemps Haussmann. Elle ne peut reprocher à la société Montagrues de ne pas l’avoir alertée sur les limites de l’assurance de base alors qu’elle avait elle-mêmeune parfaite connaissance tant de la spécificité des matériels à transporter que de leur valeur et qu’il lui appartenait de s’assurer en conséquence.
En l’absence de convention écrite entre les parties, il sera fait application de l’article 22.1 du contrat-type général, lequel prévoit qu’en cas de perte ou avarie de la marchandise, le transporteur est tenu d’indemniser le préjudice prouvé, direct et prévisible notamment dans la limite suivante :
« pour les envois égaux ou supérieurs à trois tonnes, elle ne peut excéder 20 € par kilogramme de poids brut de marchandises manquantes ou avariées pour chacun des objets compris dans l’envoi, sans pouvoir dépasser, par envoi perdu, incomplet ou avarié quels qu’en soient le poids, le volume, les dimensions, la nature ou la valeur, une somme supérieure au produit du poids brut de l’envoi exprimé en tonnes multiplié par 3.200 € ».
Selon la lettre de voiture, le poids total de la marchandise transportée s’élevait à 7,4 tonnes.
Il convient en conséquence de condamner la société Montagrues à payer à la société Chauvin, par confirmation du jugement entrepris, la somme de 23.680 € (soit 3.200 € x 7,4 tonnes) de dommages-intérêts en réparation des dommages causés aux matériels. Il sera précisé que cette somme porte intérêts au taux légal à compter du jugement.
Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive
La société Chauvin fait ici valoir que le refus persistant de la société Montagrues de réparer l’intégralité du préjudice subi malgré les justificatifs produits de longue date est constitutif d’une résistance abusive, qui justifie le versement de dommages-intérêts à hauteur de 20.000 €.
La société Montagrues s’y oppose et réplique que, même si elle n’a pas contesté sa responsabilité, elle était bien fondée à refuser de payer la somme de 224.717,80 € TTC réclamée par la société Chauvin, dès lors d’une part qu’elle ne disposait pas des éléments justifiant cette réclamation et d’autre part que l’étendue de sa responsabilité était sérieusement contestable, le contrat-type général prévoyant une limitation à hauteur de 23.680 €.
*****
Outre que le refus de la société Montagrues de payer l’intégralité de la somme réclamée par la société Chauvin n’est pas en soi abusif, la solution donnée au litige justifie de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Chauvin de sa demande de dommages-intérêts de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La société Montagrues supportera les dépens exposés en appel, dont distraction au profit de Me Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Nanterre ;
Y ajoutant,
DIT que la somme de 23.680 € que la société Montagrues a été condamnée à payer à la société Chauvin à titre de dommages-intérêts porte intérêts au taux légal à compter du jugement du 7 janvier 2021 ;
DÉBOUTE les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Montagrues aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,