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8 décembre 2022
Cour d’appel de Bourges
RG n°
22/00557
CR/LW
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
– la SCP GUENOT AVOCATS ET ASSOCIES
– la SCP SOREL & ASSOCIES
Notif. au Ministère Public et aux parties le 08/12/22
LE : 08 DÉCEMBRE 2022
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 08 DÉCEMBRE 2022
N° – Pages
N° RG 22/00557 – N° Portalis DBVD-V-B7G-DOTA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de NEVERS en date du 09 mai 2022
PARTIES EN CAUSE :
I – Mme [S] [D]
née le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 6]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par la SCP GUENOT AVOCATS ET ASSOCIES, avocat au barreau de NEVERS
timbre fiscal acquitté
APPELANTE suivant déclaration du 30/05/2022
II – S.C.P. [H] [N] ès qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L.U. SELLERIE LE PADDOCK et de Mme [S] [D], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par la SCP SOREL & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES
timbre fiscal acquitté
INTIMÉE
08 DÉCEMBRE 2022
N° /2
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 octobre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. WAGUETTE, Président de Chambre chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. WAGUETTE, Président de Chambre
M. PERINETTI, Conseiller
Mme CIABRINI, Conseiller
***************
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE
**************
Le dossier a été communiqué au Ministère Public qui a rédigé des conclusions le 20 Juillet 2022 qui ont été transmises par voie électronique aux parties le 22 Juillet 2022.
***************
ARRÊT : Contradictoire
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
**************
EXPOSÉ DU LITIGE :
L’EURL Sellerie Le Paddock a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bourges le 7 octobre 2005 avec pour activité l’achat et la revente d’articles d’équipement se rapportant à l’équitation, la chasse, la pêche et la location de matériel dans ces domaines.
Au cours de l’année 2014 son objet social a été étendu notamment à l’exploitation, production, achat, vente, allocation de tous produits agricoles et d’élevage
La société a pour associé unique Mme [S] [D] qui en est par ailleurs la gérante.
Par jugement du 25 septembre 2018, sur assignation de la SAS Cloué Jean & Fils et de l’URSSAF du Centre, le tribunal de commerce de Bourges, constatant que la société débitrice était en état de cessation de paiement, a ouvert une procédure de redressement judiciaire, fixé la date de cessation des paiements au 31 décembre 2017 et désigné la SCP [H] [N] en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 24 septembre 2019, confirmé par l’arrêt de cette cour en date du 11 juin 2020, le tribunal de commerce de Bourges a prononcé la conversion du redressement en liquidation judiciaire, autorisé la poursuite d’activité jusqu’au 17 décembre 2019, et désigné la SCP [H] [N] en qualité de liquidateur judiciaire.
Arguant de l’existence de flux financiers anormaux entre la société Sellerie Le Paddock et sa dirigeante, la SCP [H] [N], ès qualités, a saisi le tribunal de commerce de Bourges, selon acte d’huissier du 17 septembre 2021, aux fins de solliciter l’extension de la procédure collective à Mme [D] ou, subsidiairement, de faire constater que celle-ci a commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société et la condamner à en supporter les conséquences.
En tout état de cause, le mandataire sollicitait également du tribunal qu’il prononce la faillite personnelle de Madame [S] [D] pour une durée de 15 ans et à défaut une interdiction de gérer.
Madame [D] s’est opposée aux prétentions et a demandé un sursis à statuer dans l’attente de la production d’éléments comptables, en cours d’élaboration, pour les années 2016 à 2018.
Par jugement du 9 mai 2022, le tribunal de commerce de Bourges a en substance :
– Rejeté la demande de sursis à statuer ;
– Constaté la confusion des patrimoines et a prononcé l’extension de la procédure collective de la SARLU SELLERIE LE PADDOCK à Madame [S] [D] ;
– Prononcé la faillite personnelle de Madame [S] [D] pour une durée de 15 ans,
– Condamné Madame [S] [D] a payer une somme de 4.000 € au titre des dispositions de l’article 700 ducode de procédure civile.
Par acte reçu au greffe le 30 mai 2022, Mme [D] a interjeté appel de cette décision.
En l’état de ses dernières conclusions, signifiées le 26 août 2022, l’appelante demande à la cour de :
Vu les articles L621 -2, L641-1, L651-2, L653-5, L631-4 du code de commerce, les articles 564 à 567 du code de procédure civile,
Infirmer le jugement entrepris ;
Surseoir à statuer dans l’attente de l’établissement des bilans 2016, 2017 et 2018.
Subsidiairement, infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de l’EURL Sellerie Le Paddock à Madame [S] [D] sans avoir caractérisé une quelconque confusion des patrimoines, pas plus que l’existence de flux financiers susceptibles d’être qualifié d’anormaux.
Déclarer irrecevable la demande du liquidateur visant à voir la concluante condamnée au paiement de l’insuffisance d’actif à hauteur de 216.250 €,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé la faillite personnelle sans avoir caractérisé aucun fait susceptible d’être sanctionné de la faillite personnelle, dans les conditions limitatives de l’article L 653 -5 du code de commerce.
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Madame [S] [D] au paiement d’une somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Débouter Maître [N] de toutes ses demandes fins et conclusions.
Le condamner aux entiers dépens ainsi qu’au paiement, au profit de Madame [D] d’une indemnité de 6.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, Mme [D] affirme que le mandataire n’a jamais accepté de faire établir les bilans comptables des exercices précédents et qu’elle a donc dû charger une entreprise de cette tâche qui est en cours de réalisation et permettra de régulariser les taxations d’office opérées par l’Urssaf ainsi que de récupérer de la TVA et de recouvrer certaines créances.
Elle estime que le mandataire ne démontre pas l’existence de flux anormaux caractérisés pour prétendre à une confusion des patrimoines et fait valoir qu’il était légitime qu’elle ré-injecte des fonds dans sa société qui était en difficulté.
Elle conclut à son absence de responsabilité dans l’insuffisance d’actif, dont le montant n’est pas définitif dès lors qu’il reste de nombreux actifs à réaliser, faute de caractériser les fautes de gestion que le mandataire lui impute sans les démontrer. Elle ajoute que le défaut de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal suppose, pour justifier le prononcé de la faillite personnelle, que l’omission ait été délibérée ce qui n’est pas l’hypothèse.
En ses dernières conclusions signifiées le 1er septembre 2022, la SCP [N], ès qualités, demande à la cour de :
A titre principal,
Vu les articles L. 621-2 et L. 641-1du code de commerce,
Dire et juger irrecevable ou à tout le moins non fondé l’appel de Madame [S] [D] et la débouter de ses demandes, fins et conclusions,
Confirmer le JUGEMENT entrepris en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la présente Cour venait à considérer qu’il n’y a pas lieu à extension :
Vu l’article L651-2 du code de commerce,
Condamner Madame [S] [D] en sa qualité de dirigeant de droit à supporter l’insuffisance d’actifs de la SARLU SELLERIE LE PADDOCK,
La condamner en conséquence à payer à la SCP [H] [N] ès qualités la somme de 216 250 €.
A titre plus subsidiaire, si par extraordinaire la présente Cour venait à considérer qu’il n’y a pas lieu à faillite personnelle
Prononcer une interdiction de gérer à l’égard de Madame [S] [D],
En tout état de cause
Débouter Madame [S] [D] de ses prétentions plus amples et contraires ;
Condamner Madame [S] [D] au paiement de la somme de 6000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Le mandataire liquidateur soutient pour l’essentiel que la demande de sursis à statuer en tant qu’exception de procédure aurait dû être soulevée in limine litis pour être recevable.
Au fond, il prétend justifier par les relevés bancaires d’importants et réguliers mouvements entre la société et sa gérante entre 2015 et 2018, d’opérations étrangères à l’objet social, d’un total de plus de 13.000 € de versements injustifiés opérés du compte de la société vers celui de la gérante ainsi que de retraits de liquidités, des versements sans contrepartie et de sommes importantes versées à la société par la mère de Mme [D], outre des relations financières douteuses avec des sociétés tierces.
Subsidiairement, la SCP [N] fait valoir que l’insuffisance d’actif de la société est définitivement établie à hauteur, a minima, de 216.250 € et que Mme [D] en est responsable pour n’avoir pas déclaré la cessation des paiements dans le délai légal et pour n’avoir pas tenu de comptabilité complète depuis 2015.
En tout état de cause, le mandataire conclut à la nécessaire confirmation de la mesure de faillite personnelle prononcée par le tribunal à raison de l’omission de tenir une comptabilité complète.
Le 22 juillet 2022, le ministère public a requis la confirmation de la décision entreprise au terme de conclusions écrites transmises aux parties par RPVA.
La cour renvoie expressément aux conclusions susvisées pour plus ample informé des moyens et arguments développés par les parties au soutien de leurs prétentions respectives.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La recevabilité de l’appel n’est pas contestée.
Sur le sursis à statuer
S’il est exact qu’en application des dispositions des articles 73 et 74 du code de procédure civile, l’exception de sursis à statuer tendant à faire suspendre le cours de l’instance, doit à peine d’irrecevabilité être soulevée avant toute défense au fond, il n’en demeure pas moins que, chargé de veiller au bon déroulement de l’instance, le juge peut toujours ordonner d’office un sursis à statuer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice pour s’assurer que sa décision sera pertinente.
En l’espèce, Mme [D] prétend avoir mandaté à ses frais Mme [Z], comptable, pour faire établir la comptabilité manquante depuis 2015 de la société Sellerie Le Paddock et conclut à un sursis à statuer dans l’attente de la fin de ces opérations qui, selon elle, pourrait permettre une régularisation des taxations d’office opérées par l’URSSAF et ainsi faire diminuer le passif, outre qu’elle pourrait expliquer certains des reproches qui lui sont faits.
Il sera liminairement fait observer que si Mme [D] reproche au mandataire liquidateur de n’avoir pas fait procéder au rétablissement de la comptabilité alors qu’il disposerait des fonds nécessaires, il est nécessaire de rappeler que cette obligation incombait à la gérante de la société et devait être effectuée dans les délais fixés par les services fiscaux et l’URSSAF et ne s’impose pas, bien au contraire, au mandataire judiciaire chargé de la liquidation de la société, un tel travail étant inutile pour les créanciers qu’il représente, le mandataire pouvant se contenter de tirer toutes conclusions du manquement de la gérante.
Mme [D] ne justifie à la date où la cour rendra son délibéré que de l’établissement définitif du seul bilan de l’exercice clos le 31 décembre 2014 et ne verse aucun élément aux débats permettant de croire que la comptable qu’elle aurait chargée de cette tâche serait toujours mandatée pour ce faire.
Il résulte, en outre des pièces 25 et 27 produites par la SCP [H] [N] que Mme [Z], expert-comptable, a été interrogée à plusieurs reprises par le mandataire pour obtenir des éléments comptables et que :
– le 24 octobre 2018, elle répondait qu’elle avait suspendu l’intégralité de sa mission au 31 décembre 2017 pour deux motifs : absence de règlement des honoraires et mauvais transmission des informations en matière sociale et comptable,
– le 5 février 2019, elle informait le mandataire qu’elle n’avait aucune nouvelle de la société depuis le 3 décembre précédent, que la comptabilité n’était pas à jour et qu’elle ne pouvait justifier d’aucune des sommes déclarées,
– le 3 juillet 2020, elle fournissait le grand livre des opération 2015 (non définitif) ainsi que le compte courant d’associé de Mme [S] [D] au 31 décembre 2015. Elle précisait que les comptes 2015 n’avaient pas été arrêtés à titre définitif, que la mise à jour n’avait pas continué et que la mission sociale était close depuis le 31 décembre 2016, ajoutant qu’elle était dans l’attente d’un accord financier pour poursuivre ses travaux.
Mme [D] prétend aujourd’hui sans apporter aucune crédibilité à ses dires que les opérations de rétablissement de la comptabilité de sa société seraient en cours alors même, qu’au contraire, l’absence de comptes définitifs pour l’année 2015 tend à confirmer que Mme [Z] ne travaille plus sur ce dossier.
En outre, compte tenu des délais écoulés, le rétablissement d’une comptabilité serait sans effet sur les évaluations fiscales et taxations d’office de l’URSSAF qui ne peuvent plus être remises en cause.
En conséquence, c’est à bon droit que le premier juge a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer, la cour constatant, au surplus, que l’intérêt d’une bonne administration de la justice ne commande nullement qu’un tel sursis soit prononcé d’office.
Sur la confusion des patrimoines
En application des dispositions de l’article L. 621-2 du code de commerce ( auquel renvoie l’article L. 641-1 I du même code), la procédure collective ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale.
La loi n’a donné aucune définition de la notion de confusion des patrimoines qu’une jurisprudence constante caractérise cependant par l’imbrication des patrimoines, manifestée notamment par une confusion des comptes, ou par les relations financières anormales, les deux critères n’étant pas cumulatifs mais alternatifs, l’anormalité pouvant tenir à l’absence de contrepartie.
En l’espèce, la confusion des patrimoines de la société Sellerie Le Paddock et de Mme [D], dont elle était l’associée unique et seul dirigeante depuis sa création a été caractérisée par le tribunal en ce que qu’il ressortait des relevés des comptes bancaires des trois établissements de la société EURL Sellerie Le Paddock sur la période de 2015 à 2018 que de nombreuses opérations ont été effectuées au profit de Mme [D] ou de personnes n’entretenant pas de lien avec la société, au rang desquelles particulièrement une cinquantaine de retraits et virements sur le compte courant dans les livres du Crédit Agricole pour 154.562 €.
Le tribunal ajoutait :
– que les comptes personnels de la dirigeante en témoignent également en ce qu’il y figure des versements de la société sur 2017 et 2018 à hauteur de 13.048,93 €,
– que les comptes laissent également apparaître d’importants retraits de liquidités sans aucune justification de leur destination et des règlements par carte sans rapport avec l’objet social mais relevant manifestement de dépenses somptuaires s’agissant des frais de yacht club, de pharmacie ou d’opticien.
– qu’il en résulte encore que des virements ont inversement été émis au bénéfice de la société par la dirigeante et des sociétés dans lesquelles elle est associée ou gérante et des charges de l’entreprise, en ce compris des factures d’achat ou de fournisseurs ainsi que les salaires, réglés personnellement par Mme [D].
Le tribunal en déduisait que de pareils flux croisés entre la société et sa dirigeante, dépourvus de contrepartie, étaient révélateurs d’une confusion de patrimoine.
Mme [D] ne conteste pas ces mouvements considérés comme anormaux et tente de les justifier, il convient d’examiner les opérations litigieuses au regard de ses explications :
– S’agissant, sur le compte ouvert auprès de la Banque Postale, de l’existence de 3 écritures datant de 2017, 2 au débit de respectivement 34 530 € et 2 800 €, la troisième
au crédit de 6.413 €, Mme [D] soutient qu’il s’agirait en fait de mouvements financiers, affectant simplement la trésorerie de l’entreprise devant faire l’objet de régularisation dans le cadre de l’établissement du bilan et susceptibles pour un certain nombre d’entre eux d’être soit inscrits en OD (opérations diverses) soit d’être affectés en rémunération ou en compte courant d’associé, ou constituant des remboursements de frais que Mme [D] avait engagés pour la société.
Toutefois, l’absence de toute comptabilité depuis l’exercice 2015, et cela du seul fait fautif de Mme [D], ne permet évidemment pas de donner un quelconque crédit aux tentatives de justification.
– S’agissant du compte ouvert auprès du Crédit Agricole au nom de la Société Sellerie Le Paddock dont le mandataire a versé aux débats l’intégralité des relevés du 31 décembre 2014 au 31 décembre 2017, ils laissent apparaître de très nombreuses opérations étrangéres à l’objet social de la société avec des libellés tels que LIDL, Stockomani, Le Jardin Gourmand, Grand Frais, dépôtstock, pharmacie, Cultura, Conforama, Afflelou, Noz, charges Yacht Club…
Mme [D] soutient que les écritures correspondant aux retraits ou paiement de dépenses personnelles par carte bancaire ne sauraient caractériser une quelconque confusion des patrimoines puisqu’il serait de principe (cassation commerciale 12 juillet 2017 n°16 ‘ 15354) que l’utilisation de la carte bancaire du débiteur ne caractérise pas la confusion.
Toutefois, Mme [D] se méprend sur les conséquences à tirer de l’arrêt de la Cour de cassation qu’elle vise puisqu’en effet, en l’espèce, le débiteur était un entrepreneur individuel, et non une société, et que le patrimoine dont la confusion était recherchée était celui de son épouse qui utilisait la carte bancaire du compte professionnel de son mari pour régler ses dépenses personnelles. Et la Cour de cassation a confirmé la cour d’appel qui avait estimé que le simple fait pour un conjoint de payer des dépenses personnelles avec le compte professionnel de son époux, entrepreneur individuel, pouvait s’analyser en un prélèvement personnel, qui est régulier dès lors qu’il est ultérieurement réintégré dans le compte exploitant, ce que la comptabilité professionnelle du mari démontrait.
Il est bien évident que la situation de Mme [D] et de la société est totalement différente et que l’usage de la carte bancaire du compte de la société pour régler de manière récurrente et systématique sur plusieurs années les dépenses personnelles de la gérante est totalement anormal et caractérise une confusion des patrimoines que Mme [D] ne peut justifier, d’autant plus qu’aucune comptabilité n’était tenue.
– S’agissant toujours du même compte ouvert auprès du Crédit Agricole au nom de la Société Sellerie Le Paddock, les relevés du 31 décembre 2014 au 31 décembre 2017, laissaient également apparaître plus de 70 virements vers ou depuis le compte de Mme [D].
Mme [D] explique que ‘ les mouvements de trésorerie évoqués ne sauraient caractériser une quelconque confusion des patrimoines, ni constituer des flux financiers anormaux puisqu’ils sont parfaitement identifiés et susceptibles d’être comptablement imputés’.
Mais identifier des mouvements anormaux ne les rend pas licites et surtout ne justifie pas de leur cause, Mme [D] évoque des difficultés financières sans d’ailleurs que ses explications soient suffisamment précises pour savoir si les difficultés étaient les siennes ou celles de la société, qui en tout état de cause ne rendaient pas normales de tels mouvements entre ses comptes et ceux de la société dont l’imbrication apparaît caractérisée sur ce point. La gérante se servait du compte de la société et du sien sans réelle distinction pour y faire transiter des sommes qui lui étaient propres et sans que la raison en soit connue.
– S’agissant encore des relevés bancaires de la société au Crédit Agricole, à la Banque Postale et au CIC, ils font apparaître entre décembre 2016 et septembre 2018 une quarantaine de retraits d’espèces pour plus de 36.000 € sans qu’aucun justificatif ne soit apporté.
Sur ce point Mme [D] se contente d’indiquer qu’ils constituent des mouvements de trésorerie qui trouveront leur explication dans les bilans en cours d’établissement… sauf qu’aucun bilan n’a jamais été établi pour les années considérées et qu’en conséquence, ces mouvements restent injustifiés.
– Enfin, le mandataire fait valoir que la société Sellerie Le Paddock s’est vu indûment verser des loyers d’immeubles dont elle n’est pas propriétaire pour 16.270 € et a été créditée par la mère de Mme [D] d’une somme de 186 750 €, par la société ALBEN et la SCI ATC d’une somme globale de 69 600 € et que ces deux dernières sociétés ont reçu de la SARLU SELLERIE le PADDOCK respectivement 5 000 € et 8 850 €.
Mme [D] s’en explique en soutenant qu’il ne peut lui être reproché d’avoir réinjecté dans la trésorerie de la société, sur des fonds propres ou familiaux, une somme de plus de 200.000 € pour pallier ses difficultés financières et, quant aux flux financiers entre les sociétés ALBEN et ATC, elle fait valoir que la trésorerie de la société Sellerie Le Paddock en a été largement bénéficiaire et que ces sommes peuvent parfaitement être imputées dans les comptes de bilan.
Mais là encore aucun bilan ne vient justifier ces opérations anormales qui démontrent, une fois de plus, que Mme [D] utilisaient ses comptes personnels et ceux de la société sans tenir compte d’aucune règle comptable pour payer ses propres dépenses ou imputer ses ressources dans la confusion la plus totale.
Il s’évince de ce qui précède qu’il est démontré l’existence de flux financiers anormaux entre la société et sa gérante qui, en l’absence de toute comptabilité, a systématiquement durant plusieurs années créée et entretenu une confusion entre le patrimoine de la société et le sien propre, sans justifier d’engagements réciproques, ce qui justifie l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société à Mme [D].
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur la faillite personnelle
Une mesure de faillite personnelle a été prononcée par le tribunal de commerce pour une durée de 15 ans en considération de ce que la gérante de la société Sellerie Le Paddock s’était abstenu fautivement et sciemment pendant 4 ans de tenir et d’établir la comptabilité de la société.
Contrairement à ce que soutient Mme [D], la faillite personnelle du dirigeant d’une personne morale peut être encourue du seul fait de n’avoir pas tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font l’obligation, ainsi qu’il résulte de l’article L. 653-5 du code de commerce.
Ce manquement est parfaitement caractérisé en l’espèce puisqu’il est constant que l’EURL Sellerie Le Paddock avait l’obligation de tenir une comptabilité, qu’à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire le mandataire a sollicité les éléments comptables par courriers des 26 septembre et 19 octobre 2018, qu’il a réitéré sa demande le 3 février 2019 puis le 13 septembre suivant par un courrier rappelant qu’il ne disposait que du seul bilan de l’exercice 2014 et demandait communication de ceux des exercices 2016, 2017 et 2018 ainsi que du grand livre de l’exercice en cours, pour finalement constater que ces bilans n’avaient jamais été établis.
Le courrier de l’expert-comptable de Mme [D] du 24 octobre 2018 confirmera que le dernier bilan établi était celui du 31 décembre 2014 et qu’elle avait suspendu sa mission au 31 décembre 2017 en l’absence de règlement des honoraires mais également à raison d’une mauvaise transmission des informations en matière sociale et comptable, ce qui démontre la carence de la gérante.
La sanction de faillite personnelle apparaît ainsi justifiée d’autant que l’absence de comptabilité a pu permettre le fonctionnement particulier ci-avant rappelé qui a conduit à l’extension de la procédure au regard de la confusion des patrimoines de la société et de sa gérante.
En revanche sa durée est excessive au regard des faits reprochés à Mme [D], elle sera plus justement fixée à 10 ans.
La décision querellée sera infirmée sur ce seul point et confirmée pour le surplus.
*********
Mme [D], qui succombe à l’instance d’appel, en supportera les entiers dépens et devra, en outre, payer à la SCP [N], ès qualités, la somme de 2.500 € par application en cause d’appel des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a fixé à quinze ans la durée de la mesure de faillite personnelle,
Statuant à nouveau de ce seul chef,
Fixe à dix ans la durée de la mesure de faillite personnelle,
Y ajoutant,
Déboute Mme [S] [D] de ses demandes plus amples ou contraires,
Condamne Mme [S] [D] aux dépens de l’instance d’appel ainsi qu’ à payer à la SCP [N], ès qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la société Sellerie Le Paddock, la somme de 2.500 € par application en cause d’appel des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’arrêt a été signé par M.WAGUETTE, Président et par Mme MAGIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S. MAGIS L. WAGUETTE