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16 décembre 2022
Cour d’appel de Douai
RG n°
20/01069
ARRÊT DU
16 Décembre 2022
N° 1990/22
N° RG 20/01069 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S6I6
SHF/NB
Article 37
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de ROUBAIX
en date du
11 Février 2020
(RG F19/00194)
GROSSE :
aux avocats
le 16 Décembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
S.A.R.L. RM NOR
[Adresse 8]
[Localité 4]
représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI substitué par Me Cecile HULEUX, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Nathalie POULAIN, avocat au barreau d’ARRAS,
INTIMÉ :
M. [J] [L]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Stéphane DUCROCQ, avocat au barreau de LILLE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 59178002/20/02745 du 23/04/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)
DÉBATS : à l’audience publique du 09 Novembre 2022
Tenue par Soleine HUNTER-FALCK
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Angelique AZZOLINI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 19 octobre 2022
La SARL RM NOR dont le siège social était situé à [Localité 7] [Adresse 1] et qui a une activité de travaux publics de toutes natures, location de matériel et main d’oeuvre, est soumise à la convention collective du bâtiment et des travaux publics ; elle comprend moins de 11 salariés.
M. [J] [L], né en 1958, a été engagé par contrat à durée indéterminée par la SARL RM NOR le 14.10.2010 en qualité de manoeuvre terrassier catégorie N1 P1 coefficient 100 à temps complet (39h par semaine).
La moyenne mensuelle des salaires de M. [J] [L] s’établit à 2210,52 €.
Le 15.12.2017, la SARL RM NOR a informé le salarié de la cession de la société et lui en a proposé le rachat ; dans une lettre du 22.12.2017, M. [J] [L] a répondu ne pas être intéressé par cette offre.
Une cession des parts sociales de la SARL RM NOR est intervenue le 04.04.2018 à effet de ce jour au profit de la SC BGS représentée par son gérant M. [S].
Le même jour, la SARL RM NOR a informé les salariés du changement de propriétaire et du transfert automatique des contrats de travail par note de service du même jour, en précisant que le lieu de travail était situé à compter du 06.04.2018 à [Localité 4] [Adresse 8].
Le 10.04.2018, le conseil du salarié a demandé à la société de régulariser la situation de M. [J] [L]. La société y a répondu le jour même.
Par courrier du 10.04.2018, la SARL RM NOR a demandé au salarié les motifs de son absence depuis le 6 avril précédent et de rejoindre son poste.
Le 17.05.2018 le conseil du salarié a constaté les manquements de l’employeur.
Par LRAR du 08.08.2018, M. [J] [L] a pris de la rupture de son contrat de travail en ces termes :
‘Je vous informe par la présente prendre acte de la rupture de mon contrat de travail compte
tenu des manquements graves à vos obligations.
Je suis salarié de l’entreprise depuis le 6 décembre 2010 et occupe les fonctions de terrassier.
Depuis le 5 avril 2018, vous n’êtes plus en mesure de me fournir un travail.
Les portes du siège social à [Localité 7] sont fermées depuis cette date.
Je n’ai donc aucun accès à mon poste de travail. Je suis dans l’impossibilité d’exécuter les fonctions pour lesquelles vous m’avez embauché.
Vous m’avez indiqué ultérieurement que le siège social se trouvait désormais à [Localité 4].
Outre le fait que n’ai eu aucun avenant à mon contrat de travail, je vous ai indiqué être dans l’impossibilité de m’y rendre pour les raisons que vous connaissez parfaitement. Ce site est très éloigné du siège, à [Localité 7]. Il n’est par ailleurs pas accessible en transport en commun.
Dans ces conditions, il s’agit d’une modification de mon contrat de travail, qui aurait dû recueillir mon accord.
Je vous rappelle qu’en tant qu’employeur, il vous appartient de me fournir le travail convenu en contrepartie du paiement de mon salaire, et de respecter les procédures légales.
Force est de constater que ce n’est pas le cas.
Car pire encore. Depuis le mois d’avril, vous ne me versez aucune rémunération.
Je suis donc sans ressource depuis cette date, ce qui me cause un grave préjudice.
Mon contrat n’étant pas rompu, je ne peux percevoir les indemnités chômage.
A ce jour, ces manquements graves empêchent nécessairement la poursuite de mon contrat de travail, ce qui me cause un lourd préjudice.
Vous n’êtes pas sans savoir que j’ai des charges de famille.
C’est la raison pour laquelle, à ce jour, je ne peux continuer dans ces conditions, et prends acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts et griefs.
Mon contrat de travail prend donc fin à compter de l’envoi de ce courrier.’
Dans un courrier du 06.09.2018, la SARL RM NOR a contesté ces affirmations et constaté que le contrat de travail avait pris fin le 08.08.2018.
M. [J] [L] a saisi le juge des référés du conseil des prud’hommes de Roubaix le 06.07.2018 d’une requête en rappel de salaires en se prévalant d’une modification de son contrat de travail ; à l’audience s’étant tenue le 28.09.2018 les documents de fin de contrat lui ont été remis ; par ordonnance rendue le 12.10.2018, la formation de référés a dit n’y avoir lieu à référé en présence d’une contestation sérieuse.
Le 18.10.2018, le conseil des prud’hommes de Roubaix a été saisi au fond par M. [J] [L] en requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnisation des préjudices subis et pour diverses demandes liées à l’exécution du contrat de travail.
Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d’appel de Douai le 09.03.2020 par la SARL RM NOR à l’encontre du jugement rendu le 11.02.2020 par le conseil de prud’hommes de Roubaix section Industrie, notifié le 17.02.2020, qui a :
– Dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [J] [L] est justifiée et requalifiée en licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
– Fixé la rupture du contrat de travail au 11.04.2018.
– Condamné la société RM NOR à payer à M. [J] [L] les sommes suivantes :
. 1181.50 € bruts à titre de rappel de salaire sur la période du 06.04.2018 au 11.04.2018
. 118.15 € bruts au titre des congés payés y afférents
. 4 321,56 € nets au titre de l’indemnité légale de licenciement
. 4 421,04 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
. 442,10 € bruts au titre des congés y afférents
. 2000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
. 2000 € au titre de l’article 700 du NCPC
– Ordonné à la société RM NOR la remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 150 € par jour de retard à partir de 1 mois suivant la date de notification du jugement à intervenir
– Débouté la société RM NOR de ses demandes reconventionnelles
– Précisé qu’en application des articles 1231-6 et 13231-7 du code civil, les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter :
o De la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de jugement pour les sommes de nature salariale, soit le 24/10/2018.
o De la présente décision pour toute autre somme
– Rappelé qu’en vertu de l’article R 1454-28 du code du travail, la présente décision ordonnant le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l’article R 1454-14 dudit code est exécutoire de plein droit dans la limite de 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des 3 derniers mois, ladite moyenne s’élevant à 1235.73 € brut
– Condamné la Société RM NOR aux éventuels dépens de l’instance.
Vu les conclusions transmises par RPVA le 12.11.2020 par la SARL RM NOR qui demande de :
Infirmer le jugement rendu par le CPH de Roubaix le 11.02.2020 en ce qu’il a :
– Dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [J] [L] était justifiée et requalifiée en licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
– Fixé la rupture du contrat de travail au 11.04.2018.
– Condamné la société RM NOR à payer à M. [J] [L] les sommes suivantes :
. 1181.50 € bruts à titre de rappel de salaire sur la période du 06.04.2018 au 11.04.2018
. 118.15 € bruts au titre des congés payés y afférents
. 4 321,56 € nets au titre de l’indemnité légale de licenciement
. 4 421,04 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
. 442,10 € bruts au titre des congés y afférents
. 2000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
. 2000 € au titre de l’article 700 du NCPC
– Ordonné à la société RM NOR la remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 150 € par jour de retard à partir de 1 mois suivant la date de notification du jugement à intervenir
– Débouté la société RM NOR de ses demandes reconventionnelles
– Précisé qu’en application des articles 1231-6 et 13231-7 du code civil, les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter :
o De la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de jugement pour les sommes de nature salariale, soit le 24/10/2018.
o De la présente décision pour toute autre somme
– Rappelé qu’en vertu de l’article R 1454-28 du code du travail, la présente décision ordonnant le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l’article R 1454-14 dudit code est exécutoire de plein droit dans la limite de 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des 3 derniers mois, ladite moyenne s’élevant à 1235.73 € brut
– Condamné la Société RM NOR aux éventuels dépens de la présente instance.
En conséquence,
Dire et juger que la rupture du contrat de travail s’analyse en une démission à l’initiative de M. [J] [L]
En conséquence
Débouter M. [J] [L] de l’intégralité de ses demandes
Condamner reconventionnellement M. [J] [L] au paiement des sommes suivantes au profit de la société RM NOR :
– 1 105,26 € nets au titre de l’indemnité pour non-respect du préavis
– 4 000 € au titre de l’article 700 du CPC
Condamner M. [J] [L] aux entiers frais et dépens ;
Vu les conclusions transmises par RPVA le 07.12.2020 par M. [J] [L] qui demande à la cour de :
‘ CONFIRMER le jugement entrepris par le conseil de prud’hommes de Roubaix le 11 février 2020 en ce qu’il a :
o DIT ET JUGE que la prise d’acte est parfaitement justifiée ;
o FIXE la date de la rupture du contrat de travail au 11 avril 2018 ;
o DIT en conséquence qu’elle s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o CONDAMNE la société RM NOR au paiement des sommes suivantes :
. 1181.50 € bruts à titre de rappel de salaire sur la période du 06.04.2018 au 11.04.2018
. 118.15 € bruts au titre des congés payés y afférents
. 4 321,56 € nets au titre de l’indemnité légale de licenciement
. 4 421,04 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
. 442,10 € bruts au titre des congés y afférents
. 2000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
. 2000 € au titre de l’article 700 du NCPC
o ORDONNE à la société RM NOR la remise de bulletins de salaire et des documents de fin de contrat rectifiés et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard à partir d’un mois suivant la date de notification du jugement ;
o CONDAMNE la société RM NOR aux dépens ;
o DEBOUTE la société RM NOR de ses demandes reconventionnelles ;
Ainsi donc, et statuant à nouveau, il est demandé à votre cour de :
‘ DIRE ET JUGER que la prise d’acte est parfaitement justifiée ;
‘ FIXER la date de la rupture du contrat de travail au 11 avril 2018 ;
‘ DIRE en conséquence qu’elle s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
En conséquence,
‘ CONDAMNER la société RM NOR au paiement des sommes suivantes :
. 1181.50 € bruts à titre de rappel de salaire sur la période du 06.04.2018 au 11.04.2018
. 118.15 € bruts au titre des congés payés y afférents
. 4 321,56 € nets au titre de l’indemnité légale de licenciement
. 4 421,04 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
. 442,10 € bruts au titre des congés y afférents
. 2000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
. 2000 € au titre de l’article 700 du NCPC
o 2 000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
‘ ORDONNER à la société RM NOR la remise de bulletins de salaire et des documents de fin de contrat rectifiés ;
‘ ASSORTIR ces condamnations d’une astreinte de 150 euros par jour de retard à partir à partir d’un mois suivant la date de notification de l’arrêt ;
‘ DIRE que le conseil de prud’hommes de Roubaix se réserve la compétence de liquider l’astreinte ;
‘ DEBOUTE la société RM NOR de ses demandes reconventionnelles ;
‘ CONDAMNER la société RM NOR au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
‘ CONDAMNER la société RM NOR aux dépens, en ce compris les frais d’huissier liés aux citations en référé et à l’exécution ;
‘ DEBOUTER la société RM NOR de ses demandes reconventionnelles ;
‘ En application de l’Article 1153-1 du Code Civil, les sommes dues porteront intérêts à compter du jour de la demande.
‘ CONSTATER que M. [J] [L] demande la capitalisation des intérêts par voie judiciaire.
‘ DIRE y avoir lieu de plein droit à capitalisation des intérêts en application de l’Article 1154 du Code Civil, du moment qu’ils sont dus pour une année entière ;
Vu l’ordonnance rendue le 25.11.2020 par le conseiller de la mise en état qui a constaté le désistement de l’incident du 04.11.2020 émanant de la SARL RM NOR tendant à voir déclarer l’appel irrecevable ;
Vu l’ordonnance rendue le 25.11.2020 par le conseiller de la mise en état faisant injonction aux parties de rencontrer un médiateur, décision qui est restée sans suite ;
Vu l’ordonnance de clôture en date du 19.10.22 prise au visa de l’article 907 du code de procédure civile ;
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l’audience de plaidoirie.
A l’issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la prise d’acte de rupture :
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient et si les manquements sont suffisamment graves et empêchent la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d’une démission. La rupture du contrat de travail est immédiate et la prise d’acte ne peut être rétractée. L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge doit examiner l’ensemble des manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans sa lettre de rupture.
En l’espèce, le salarié dans son courrier en date du 08.08.2018 reproche à son employeur de se trouver depuis le 05.04.2018 dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions, la porte de l’entreprise restant fermée sans explication.
M. [J] [L] invoque la modification irrégulière de son contrat de travail, soit la modification du lieu de travail, peu important que la société fasse valoir que les salariés aient été informés lors d’une assemblée générale dont la tenue n’est pas justifiée pas davantage que la présence de l’intimé ; le changement de lieu de travail aurait été indiqué la veille du déménagement par une note de service ; il relève que le 06.07.2018 lors de la requête en référés la société avait conservé son siège social à [Localité 7] ce qui est confirmé dans ses conclusions déposées pour l’audience du 13.09.2018 ; les bulletins de paie ont conservé l’adresse initiale.
Il s’agit d’une modification des conditions de travail, le changement de siège social intervenant en dehors du secteur géographique ce qui portait atteinte à ses droits à la santé, au repos et à une vie personnelle et familiale, et l’employeur devait recueillir l’accord du salarié. Ce dernier constate que le contrat de travail ne prévoit pas de clause de mobilité, que les deux établissements sont distants de plus de 30 km, que les salariés en litige ne sont pas véhiculés ou n’ont pas de permis de conduire, et qu’il n’existe pas de transports en commun desservant le nouveau siège social ; il justifie de ce que le temps de transport en commun dans chaque sens est d’environ 1h20 ; l’amplitude journalière comprenant les transports est alors de plus de 12h30.
En réplique, la SARL RM NOR fait valoir que la prise d’acte doit s’analyser en une démission ; le changement de siège social correspond à une simple modification du lieu du dépôt à une distance de 25 km du précédent dans un même secteur géographique et un même département au sein de la métropole lilloise et de sa couronne, ce qui constitue un changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l’employeur, ce, peu important la situation particulière du salarié. En dehors du réseau routier et de possibilités de covoiturage, il existe une liaison ferroviaire [Localité 7]/[Localité 5] et une ligne de bus de cette gare au siège de la société.
Sur ce, au vu des documents produits et des explications des parties il convient de constater que :
– il n’est pas démontré que le salarié ait été effectivement et personnellement informé en assemblée générale de la cession de l’entreprise et partant de la modification du siège social : M. [F] [G] ainsi que M. [X] [P] et M [Z] [C] attestent avoir participé à deux réunions au cours desquelles le déménagement aurait été évoqué, et avoir vu le 04.04.2018 la note de service l’en informant, cependant il n’est pas démontré que le salarié ait lui même été convoqué et ait participé à ces réunions ; les courriers de la société l’affirmant ne sont pas pertinents ; il appartient en effet au juge de vérifier la situation particulière de chaque salarié au regard des conséquences du transfert critiqué ;
– la modification du Kbis de la SARL RM NOR qui fait mention de la nouvelle adresse du siège social est intervenue le 27.07.2018 ; les bulletins de paie produits jusqu’au mois d’avril 2018, de même que les documents de fin de contrat pourtant remis à la barre du conseil des prud’hommes statuant en référé le 28.09.2018 et la procédure de référé elle même mentionnent tous l’adresse de la société à l’ancien siège social ;
Or dans le cadre d’un simple changement des conditions de travail, il appartenait à l’employeur dont la bonne foi est certes présumée, de prendre toutes les mesures nécessaires pour transmettre aux salariés l’information relative au changement de lieu de travail et d’être en mesure d’en justifier, ce qui ne paraît pas être le cas ; en outre si l’on considère qu’une information a bien été transmise au personnel le mercredi 4 avril, pour un changement intervenant le vendredi, cette courte période ne constitue pas un délai de prévenance suffisant.
Par ailleurs le salarié fait valoir une modification du contrat de travail :
– le contrat de travail de M. [J] [L] ne comprend pas de clause de mobilité, ce contrat se bornant à mentionner le lieu du siège social de la société situé à [Localité 7] [Adresse 1] ; au paragraphe ‘condition d’exécution’, il était stipulé que le salarié devait respecter l’horaire collectif soit de 8h à 12h puis de 13h à 17h sauf le vendredi à 16 h sauf modification en fonction des besoins ;
– les deux sites étaient éloignés par la route d’une distance allant de 25 à 30 km ; ils appartenaient à un même bassin d’emploi étant situés dans la couronne au Nord de [Localité 6] ;
– le lieu de travail n’était pas mentionné dans le contrat de travail mais simplement l’adresse du siège social de l’entreprise ;
– cependant, peu important l’adresse du salarié, il convient d’observer la situation des moyens des transports publics qui existent entre l’ancien et le nouveau lieu de travail, dès lors que les salariés concernés soit ne possédaient pas de véhicule propre soit n’avaient pas de permis de conduire, ce qui n’a pas été contesté ; le salarié justifie notamment des horaires de train qui ne permettent à l’aller un trajet que le matin à 6h15 ou à 6h40, le trajet durant 33 ou 44 mn ce qui comprend un changement à la gare de [Localité 6], auquel s’ajoute un trajet en bus de 20 mn avec une attente d’une demi-heure dans le second cas ; ces solutions imposaient soit une arrivée une demi-heure à l’avance soit un retard de quelques minutes, la totalité du trajet étant d’environ 1h40 en comprenant les temps d’attente ; la facilité de communication des transports existants compte tenu de la distance n’était ainsi pas garantie ni démontrée ;
– en ce qui concerne l’atteinte à la vie personnelle et familiale du salarié, M. [J] [L] ne fournit pas d’éléments autre que l’amplitude journalière comprenant en effet une durée du travail augmentée des temps de trajets correspondant à 11h20 environ.
Il en ressort que la SARL RM NOR a imposé au salarié une modification de son contrat de travail puisque ce dernier ne disposait pas de moyens de transport pouvant lui permettre un trajet d’une durée raisonnable entre l’ancien siège social et le nouveau ce qui avait nécessairement des incidences sur sa vie privée personnelle et familiale et sur son temps de repos. La société ne s’est pas inquiétée des conséquences de cette modification pour le salarié et n’a pas proposé d’aménagements horaires ou financiers de nature à lui faciliter ce trajet.
Lorsque l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d’employeur, le salarié est en droit de s’y opposer.
En l’absence d’accord du salarié, cette modification du lieu de travail et ses conséquences constituaient des manquements de la part de l’employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat et caractériser une rupture imputable à l’employeur.
En conséquence la prise d’acte étant justifiée par les faits et griefs mentionnés dans la lettre de rupture émanant du salarié et constituant des manquements de la part de l’employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat et caractériser une rupture imputable à l’employeur, il y a lieu de constater la rupture des relations contractuelles aux torts de celui ci qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié aura droit à une indemnité compensatrice de préavis même si il a été dispensé de l’exécuter.
Sur les conséquences de la prise d’acte :
a) Sur l’indemnisation de la rupture et ses conséquences :
En ce qui concerne la réparation du préjudice subi par le salarié, les nouvelles dispositions de l’article L1235-3 du code du travail dans sa version applicable dispose que :
‘Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.’,
S’agissant de la compatibilité de ce texte avec l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée, eu égard à l’importance de la marge d’appréciation laissée aux parties contractantes par les termes de la partie II de ce texte et de l’article 24 qui vise, au titre du droit à la protection en cas de licenciement, le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée, il convient de dire que les dispositions de l’article 24 de ladite Charte ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
En revanche, l’article 10 de la Convention n°158 sur le licenciement de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) est d’application directe en droit interne.
La Convention n°158 de l’OIT sur le licenciement stipule dans son article 10 que, si les tribunaux arrivent à la conclusion qu’un licenciement est injustifié et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
Le juge judiciaire exerce un contrôle de conventionnalité de nature à permettre de s’assurer que les lois françaises sont bien conformes aux conventions et traités internationaux signés par la France et au droit de l’Union Européenne, qui ont une valeur supérieure à la loi. Ces textes internationaux comprennent notamment la Convention n°158 de l’OIT dont le texte a été déclaré d’application directe.
Le principe d’égalité des citoyens devant la loi, qui est garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, ne s’oppose pas au principe d’individualisation des décisions de justice qui ressort de l’office du juge et de la fonction correctrice de la jurisprudence qui se détermine au cas par cas.
Il est des cas restant exceptionnels dans lesquels l’indemnisation légalement prévue apparaît insuffisante.
Cependant encore faut il que le salarié apporte des éléments de nature à permettre au juge d’une part d’apprécier l’écart entre le préjudice subi et le préjudice indemnisable, et d’autre part de déterminer si des circonstances particulières expliquent cet écart et justifient de prendre en compte la situation personnelle du salarié pour éviter une atteinte disproportionnée à la protection contre le licenciement injustifié.
En l’espèce, M. [J] [L] justifie du préjudice subi en faisant valoir :
– un préjudice moral alors que son employeur ne lui a pas donné de nouvelles pendant plusieurs semaines ; néanmoins le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail tardivement ;
– le comportement de l’employeur, le salarié ayant été contraint de saisir la formation de référés pour obtenir les documents de fin de contrat et la société n’ayant pas exécuté le jugement comportant pourtant l’exécution provisoire de droit en dépit d’une mise en demeure adressée entre conseils ;
– un préjudice financier alors qu’il justifie être père de deux enfants, qu’il a retrouvé un emploi en décembre 2018, après s’être retrouvé sans emploi et sans revenu, et dans l’impossibilité de s’inscrire à Pôle Emploi ; cependant si le salarié démontre avoir retrouvé un emploi à compter de décembre 2018 ; il ne justifie pas de ses recherches infructueuses dans l’intervalle.
L’atteinte disproportionnée à la protection contre le licenciement injustifié n’est pas établie.
Par suite il convient de confirmer, ainsi que la demande le salarié, le jugement critiqué qui a condamné la SARL RM NOR au paiement de la somme de 2.000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, eu égard à l’ancienneté du salarié et au montant de son salaire mensuel, en application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, outre les indemnités de rupture dont le montant n’a pas été contesté.
Dans les cas de nullité du licenciement prévus aux articles L. 1132-4 (discrimination), L. 1134-4 (action du salarié fondée sur les dispositions du principe de non discrimination), L. 1144-3 (égalité professionnelle hommes/femmes), L. 1152-3 (harcèlement moral), L. 1153-4 (harcèlement sexuel), et lorsque le licenciement illégitime est indemnisé en application L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
b) Sur la demande de rappel de salaires :
M. [J] [L] sollicite le paiement de son salaire entre le 06.04.2018 date d’arrêt de ce paiement et le 11.04.2018, avec remise de bulletins de salaires conformes.
La SARL RM NOR estime que le salarié a volontairement cessé toute activité pour le compte de l’entreprise à compter du 06.04.2018, alors que du travail lui était fourni.
Le salarié ne justifie pas de sa situation professionnelle à compter du 06.04.2018 ; il ne démontre pas s’être tenu à disposition de l’employeur et ne sollicite pas de rappel de salaire au jour de la prise d’acte qui est bien postérieure au 11.04.2018 puisque le courrier de rupture est daté du 08.08.2018.
Cette demande sera rejetée et le jugement infirmé.
Enfin il n’y a pas lieu de faire droit à la demande reconventionnelle eu égard à la solution donnée.
Il est fait droit à la demande de remise des documents sociaux sans que l’astreinte soit nécessaire, outre un bulletin de paie récapitulatif.
La capitalisation des intérêts est de droit conformément à l’article 1343-2 nouveau du code civil (ancien 1154 du code civil).
Il serait inéquitable que M. [J] [L] supporte l’intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SARL RM NOR qui succombe doit en être déboutée.
En ce qui concerne les dépens ils comprendront les frais de commissaire de justice liés à la procédure de référé dans les conditions de l’article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement contradictoirement :
Déclare l’appel recevable ;
Confirme le jugement rendu le 11.02.2020 par le conseil de prud’hommes de Roubaix section Industrie sauf en ce qu’il a condamné la SARL RM NOR à payer un rappel de salaire ;
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la demande de M. [J] [L] portant sur un rappel de salaire du 06 au 11.04.2018;
Rejette les autres demandes ;
Ordonne, dans les limites de l’article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la SARL RM NOR à l’organisme social concerné des indemnités de chômage payées à M. [J] [L] à concurrence de un mois de salaire ;
Ordonne à la SARL RM NOR de transmettre au salarié un bulletin de paie récapitulatif ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL RM NOR à payer à payer au conseil de M. [J] [L] la somme de 2.000 € sous réserve qu’il renonce en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au bénéfice de l’aide juridictionnelle s’il parvient à recouver cette somme dans les 12 mois de la délivrance de l’attestation de fin de mission ;
Condamne la SARL RM NOR aux dépens d’appel.
LE GREFFIER
Gaetan DELETTREZ
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK