Your cart is currently empty!
9 mars 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/00478
N° RG 21/00478 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IVQZ
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 09 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 06 Janvier 2021
APPELANT :
Monsieur [W] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Société SOGEA NORD OUEST
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Chloé QUENEZ, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 25 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 25 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 09 Mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 09 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [W] [R] a été engagé par la société SOGEA Nord Ouest en qualité de chef de chantier par contrat de travail à durée indéterminée du 21 mars 2016.
Le licenciement pour faute grave a été notifié au salarié le 6 mars 2017.
Par requête du 11 septembre 2019, M. [W] [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en contestation de son licenciement, ainsi qu’en paiement de rappels de salaire et d’indemnités.
Par jugement du 6 janvier 2021, le conseil de prud’hommes a débouté M. [R] de l’intégralité de ses demandes, débouté la société SOGEA Nord Ouest de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, condamné M. [R] aux dépens.
M. [W] [R] a interjeté appel de cette décision le 4 février 2021.
Par conclusions remises le 3 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [W] [R] demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, juger que le licenciement pour faute grave intervenu le 6 mars 2017 est dénué de cause réelle et sérieuse, en conséquence, condamner la société SOGEA Nord Ouest à lui verser les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 19 500 euros,
indemnité compensatrice de préavis (1 mois) : 3 900 euros,
congés payés afférents (10%) : 390 euros,
indemnité au titre du préjudice distinct : 8 000 euros,
– débouter la société SOGEA Nord Ouest de toutes ses demandes, fins et conclusions, condamner la société SOGEA Nord Ouest au paiement d’une indemnité d’un montant de 3 000 euros et ce par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.
Par conclusions remises le 28 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société SOGEA Nord Ouest demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, en conséquence, débouter M. [W] [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, la recevoir en sa demande reconventionnelle et condamner M. [W] [R] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 5 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur le licenciement
I – a) Sur le bien fondé du licenciement
Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie, exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.
L’article L.1235-1 du même code précise qu’à défaut d’accord, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Il appartient à l’employeur qui l’invoque d’en rapporter la preuve.
En l’espèce, la lettre de licenciement pour faute grave du 6 mars 2017, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :
‘De nombreux problèmes majeurs ont été constatés sur le chantier de [Localité 5] que vous supervisiez en qualité de chef de chantier, notamment :
– En Qualité :
L’altimétrie du plancher bas du sous-sol n’a pas été respectée. Une réfaction a été demandée par le maître de l’ouvrage. Vous avez fait réaliser deux voiles qui n’étaient absolument pas prévus sur les plans du sous-sol. Une démolition de ces derniers a dû être faite. Cela représente 8 heures de travail et un coût de 285 euros HT, en plus du coût de leur réalisation.
Il a été constaté un faux aplomb sur un poteau béton du sous-sol (2cm sur une hauteur de 2m) qui a également dû être démoli à la demande du maître de l’ouvrage, engendrant également 8 heures de travail et un coût de 285 euros HT, en plus du coût lié à sa construction.
Un défaut de coulage sur le plancher haut du sous-sol a été relevé. Des travaux de démolition et de reprise ont dû être entrepris, soit un coût de 2 551 euros pour 73 heures de travail.
Des réservations ont été oubliées et des mauvaises implantations de celles-ci dans le sous-sol ont été constatées. Suite à ces autres non-conformités, il a fallu effectuer les reprises nécessaires avec l’intervention d’un démolisseur pour un coût de 2 300 euros.
Ces défauts ont fait l’objet de comptes-rendus du Maître d’oeuvre les 13, 14, 15, 16, 17 et 18 janvier 2017. Par ailleurs, le maître d’ouvrage nous a fait part de son mécontentement, de la perte de confiance que cela engendrait et a menacé d’arrêter le chantier.
– En Sécurité :
Lors de la visite de chantier en présence de [M] [F], Directeur d’Activité, le 16 janvier 2017, nous avons constaté que deux ouvriers réalisaient des voiles en bloc à bancher d’un cour anglaise à l’extérieur du parking au pied d’un talus. Les règles de sécurité substantielles n’étaient ainsi pas respectées. Monsieur [F] vous a demandé explicitement d’arrêter les travaux et de les terminer depuis l’intérieur de la cour anglaise à l’aide de la nacelle électrique. Le lendemain matin, vous avez étudié avec les conducteurs de travaux, [S] [P] et [T] [D], le mode opératoire de la réalisation de la cour anglaise via la nacelle électrique. Or, en milieu de matinée, il a été constaté par le maître d’oeuvre ainsi que les conducteurs de travaux, que vous ne faisiez pas respecter le mode opératoire ni les consignes pour ces travaux. Or, il vous revenait de garantir la bonne exécution de celles-ci et de la vérifier. Il s’agit là encore d’un manquement inadmissible à vos obligations professionnelles et contractuelles en qualité de chef de chantier. Vous disposiez de tous les moyens pour les faire appliquer. Vous ne pouvez ignorer le caractère primordial de la sécurité pour nos compagnons, pour notre société, pour le maître d’oeuvre et pour le client.
– En gestion de la production :
Les cadences journalières des voiles, comme des planchers planifiées aux cahiers de rotation, validées par vos soins, n’ont pas été respectées. Au total, le chantier a subi un retard de 35 jours sur le planning au 16 janvier 2017, soit une perte de 2 833 heures pour un coût de 99 155 euros HT et une perte sur la location de matériel de 82 250 euros HT. Or, tous les moyens étaient à votre disposition pour réaliser les travaux dans les délais impartis, qu’il s’agisse du matériel, des matériaux et de la main d’oeuvre.
– En management :
Le non-respect des objectifs d’avancement en est une conséquence. Des compagnons nous ont fait part de façon récurrente de problèmes organisationnels de votre part. Les tâches n’étaient pas clairement définies et sans fil conducteur, ce qui démontre un défaut de planification évident, et se plaignent d’être déplacés de poste en poste. Pourtant, vous disposiez de tous les moyens pour exercer le management de vos équipes dans de bonnes conditions. Vous aviez dans vos équipes des compagnons très qualifiés et moteurs. En outre, vous bénéficiez du soutien de votre encadrement.
Malgré les relances et les observations de votre encadrement, du maître d’oeuvre, vous vous êtes obstiné à ne pas suivre ces consignes, sans motif valable. Au regard de votre qualification, de tels défauts sont inadmissibles. Ainsi, les problèmes constatés ont notamment engendré des retards dans les délais impartis, pouvait faire l’objet de pénalités ainsi que des pertes pour le chantier en raison des coûts substantiels imprévus de démolition-réfaction et des coûts supplémentaires de réalisation liés au retard. De même qu’ils ont engendré des risques pour la sécurité et une perte de confiance et d’image de qualité du maître d’oeuvre.
Ces manquements graves à vos obligations contractuelles sont préjudiciables au bon fonctionnement de l’entreprise et à notre image auprès du client.
Par conséquent, nous retenons à votre encontre la faute grave, privative des indemnités de licenciement et compensatrice de préavis.’
M. [R] conteste les faits qui lui sont reprochés dans cette lettre, soutenant que son employeur ne rapporte aucunement la preuve que les difficultés rencontrées sur le chantier lui sont exclusivement imputables. Il explique que lorsqu’il a été désigné sur ce chantier au mois de septembre 2016, il y avait déjà trois mois de retard et qu’en outre, il était compliqué de travailler car l’architecte n’était pas compliant, qu’il y avait des difficultés pour obtenir les documents des bureaux d’études, que le client était indécis, les consignes changeant souvent voire quotidiennement. De même, il critique la valeur probante des éléments produits pour établir les griefs relatifs à la sécurité, à la gestion de production et au management.
A titre liminaire, il y a lieu de relever que l’employeur ne conteste pas le fait que M. [R] n’a pas été affecté en qualité de chef de chantier sur le site litigieux dès le début des travaux et qu’il est donc arrivé en cours de construction, aucun compte-rendu de chantier sur les mois de septembre-octobre 2016 n’étant produit pour démontrer que contrairement à ce que soutient le salarié, le chantier ne connaissait aucune difficulté et aucun retard avant sa désignation sur ce site.
Sur les difficultés de qualité de l’institut médical de [Localité 5] en construction, il est incontestable à la lecture des comptes-rendus du chantier des 13, 20 décembre 2016 et 17 et 24 janvier 2017 que l’ouvrage en béton dont la société SOGEA Nord Ouest avait la responsabilité d’exécution comportait des malfaçons.
Toutefois, si la société SOGEA Nord Ouest affirme de manière péremptoire que cette situation est imputable à M. [R], il convient de relever que cette analyse ne se déduit aucunement des pièces produites aux débats.
Ainsi, non seulement, les comptes-rendus de réunion communiqués montrent que le salarié n’assistait jamais aux réunions, que seuls le conducteur de travaux principal, M. [P] et le directeur des travaux, M. [L], participaient aux dites réunions de chantier, M. [R] n’étant non seulement pas convoqué à ces rencontres hebdomadaires mais surtout pas informé de leur contenu, puisqu’il n’est produit aucun mail, ni aucune attestation de la part de M. [P], son supérieur hiérarchique direct, ou d’une autre personne établissant que M. [R] avait connaissance de ces difficultés, qu’il avait eu des échanges avec ses supérieurs sur ces points, ou encore qu’il était à l’origine d’un défaut de consignes ou d’un défaut de contrôle et surveillance.
L’unique attestation produite sur ce point, à savoir le témoignage de M. [L], le N + 2 de M. [R], ne permet pas de contredire cette analyse, les termes employés étant très généraux, et se contentant d’évoquer, d’une part, une ‘discussion avec [W]’ à la suite de non-respects des engagements de planification journalière fixés par M. [P] – ce qui établit, au demeurant, que ce n’était pas M. [R] qui avait la responsabilité du planning – et d’autre part, des plaintes formulées auprès de M. [P] sur ‘des problèmes récurrents d’organisation’ non circonstanciés et non imputés directement à M. [R].
De surcroît, il convient de relever que contrairement à ce que soutient l’employeur, ni la fiche de poste ‘Vinci Construction France’ produite aux débats, ni l’offre d’emploi de chef de chantier, au demeurant, sans aucune valeur contractuelle, ne mentionnent expressément cette responsabilité de contrôle de la qualité des ouvrages réalisés.
Ainsi, il résulte de l’offre d’emploi publiée sur le site Internet du groupe Vinci auquel appartient la société SOGEA Nord Ouest que le chef de chantier dirige les travaux sous les ordres directs du conducteur de travaux, ce qui est présentée comme engendrant les tâches suivantes :
‘- supervision de l’installation du chantier, de la livraison, de la réception des engins et des matériaux,
– contrôle des approvisionnements,
– organisation du travail à partir de plans et coordination de l’action des différents corps de métiers présents sur le chantier,
– responsabilité des délais d’exécution et définition des volumes d’heures et de main d’oeuvre nécessaires,
– préparation de réunions de chantier et réalisation de comptes rendus,
– surveillance de l’application des fiches de contrôle liées aux procédures et à leur suivi (PAQ) et de l’application et du respect des règles du Plan Particulier de Sécurité et de Protection de la Santé (PPSPS) ,
– participation à la formation du personnel et animation des équipes.’
Quant à la fiche de poste produite aux débats, elle définit la finalité du poste de chef de chantier comme le fait d’être ‘le garant technique et relationnel du chantier’, et détaille ses missions comme suit :
‘- préparer les travaux : en participant à la mise au point du projet d’exécution (plan d’installation et à la mise en oeuvre des dispositions préalables au démarrage du chantier (conditions, terrains, livret d’accueil), en participant à la définition des ressources : nombre d’équipes et composition, listes des matériels, budget, en participant à l’élaboration des plans nécessaires au démarrage du chantier, en participant à la commande des fournitures et à la commande des travaux aux sous-traitants, en concourant à l’établissement des avenants au PPSPS et au plan de contrôle PAQ, en intervenant dans la préparation du plan de protection de l’environnement (PPE),
– assurer le suivi des travaux : en participant à la réalisation des travaux : relation avec les sous-traitants et les fournisseurs + affecte les différentes ressources ( humaines et matérielles), en engageant sa responsabilité dans l’application et l’animation du plan qualité sécurité et environnement, en participant à l’élaboration des documents d’exécution et en s’impliquant dans la gestion financière (résultats) et dans la gestion des moyens de production (personnel, matériel) généralement : 1 chef de chantier par grue
– contribuer à la clôture des travaux : en participant à l’organisation et à la supervision du repli du chantier’.
S’il est incontestable à la lecture de ces documents que la mission de M. [R] sur le chantier litigieux était principalement une mission de coordination de l’action des différents intervenants (maître d’oeuvre et maître d’ouvrage pour la mise au point du projet d’exécution, fournisseurs de matériaux et constructeurs salariés ou sous-traitants pour la réalisation des travaux), ainsi qu’une mission de gestion des moyens de productions et de la sécurité du chantier, il n’en ressort, en revanche, nullement une quelconque mission du contrôle de la qualité de l’ouvrage réalisé et de sa conformité aux plans d’exécution, toute son intervention se situant en périphérie de la stricte réalisation de l’ouvrage.
Ce grief est donc totalement inopérant, étant surabondamment relevé qu’il n’est aucunement établi que ces malfaçons ont altéré l’image de la société ou la confiance du maître de l’ouvrage qui n’a jamais menacé de changer de co-contractant, se plaignant uniquement d’un défaut de qualité dans un mail du mois de novembre 2016, pas plus que celle du maître d’oeuvre, qui dans son mail de janvier 2017 tenait seulement à ‘alerter sur une situation de chantier qui peut être lourde conséquences en terme de finitions et de planning’.
Sur les défauts de sécurité du chantier, les motifs adoptés ci-avant montrent que cet aspect faisait incontestablement partie des missions confiées à M. [R], ce qui est, de surcroît, confirmé par la délégation de pouvoir que lui a consenti M. [P] le 1er septembre 2016 et qu’il a acceptée.
En outre, c’est en vain que M. [R] critique la communication du rapport de visite prévention chantier rédigé à la suite du contrôle du 9 janvier 2017 au motif que ce document n’est pas visé dans la lettre de licenciement, puisque s’il est exact que la lettre du licenciement fixe les limites du litige, ce principe ne peut priver l’employeur de produire des pièces non visées dans la dite lettre dans le but d’établir le grief invoqué. Or, ce rapport confirme et illustre effectivement que le chantier géré par M. [R] présentait plusieurs points de sécurité à corriger : ‘calage sur corps creux, réservations de plomberies à protéger, fixation de coffrages insatisfaisante, stabilisation incomplète d’un pré-fabriqué, défaut de protection collective et aciers en attente non protégés sur le poste de travail, circulation dangereuse et manque de fixation d’un échafaudage’. En revanche, ce rapport ne fait nullement état de la situation de danger spécialement reprochée au salarié dans la lettre de licenciement, à savoir la situation de deux salariés réalisant des voiles dans une cour anglaise, sans que le talus n’ait été sécurisé.
Cette situation résulte uniquement de l’attestation de M. [F], directeur d’activité bâtiment de la société SOGEA Nord Ouest, le N +3 de M. [R]. Or, compte tenu du lien de subordination existant entre ce témoin et l’employeur, cet unique témoignage non corroboré par les déclarations des deux salariés concernés ou de tout autre salarié présent sur le site, ou encore du maître d’oeuvre, qui évoque uniquement au détour d’un mail ‘des conditions de travail du personnel sur site plus que limite…’, les faits reprochés au salarié à ce titre ne sont pas suffisamment établis.
Enfin, s’agissant des deux derniers griefs reprochés à M. [R], sur le terrain de la gestion de la production et du management, il ressort des motifs adoptés précédemment que M. [L], N + 2 du salarié, atteste lui-même que les planifications quotidiennes des travaux étaient établies par M. [P], de sorte qu’il est difficile d’imputer à M. [R] la responsabilité de cette mauvaise organisation, étant précisé qu’aucune pièce n’établit que le planning ainsi fixé était pertinent et efficient mais non respecté en raison de l’incompétence du chef de chantier, de même que le fait que tous les moyens aient été laissés à disposition de ce dernier pour réaliser sa mission ne résulte que de l’affirmation péremptoire de l’employeur. L’analyse est similaire pour le défaut de management qui repose uniquement sur l’attestation de M. [L] qui ne contient aucun exemple circonstancié.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, seuls quelques défauts mineurs de mise en sécurité du chantier sont imputables à M. [R]. Cette situation, qui n’a fait l’objet de la part de l’employeur d’aucun rappel à l’ordre ou avertissement préalable au prononcé du licenciement litigieux, non seulement ne permet aucunement de retenir la faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, mais surtout lui confère un caractère disproportionné qui le prive de toute cause réelle et sérieuse.
En conséquence, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de dire que le licenciement de M. [R] est sans cause réelle et sérieuse.
I – b) Sur les conséquences financières
Aux termes de l’article L.1234-1 du code du travail, le salarié qui justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus entre six mois et moins de deux ans a droit à un préavis d’un mois. La convention collective applicable ne comporte pas de dispositions plus favorables en la matière.
En l’espèce, M. [R] ayant onze mois d’ancienneté, il peut prétendre au versement d’une indemnité compensatrice de préavis équivalente à un mois de salaire d’un montant non contesté de 3 900 euros.
En conséquence, la société SOGEA Nord est condamnée cette somme, outre les congés payés afférents.
En outre, M. [R] ayant moins de deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant de manière habituelle plus de onze salariés, il est fondé à obtenir à une indemnité correspondant au préjudice subi du fait de son licenciement abusif, conformément à l’application des dispositions de l’article L 1235-5 du code du travail dans sa rédaction antérieure de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au présent litige.
En considération de son ancienneté, de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (49 ans), des circonstances de la rupture, et de ce qu’il justifie avoir retrouvé un poste de chef de chantier dans une entreprise concurrente trois mois après la rupture litigieuse, il convient de lui allouer à titre de dommages et intérêts la somme de 6 000 euros.
En revanche, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande au titre du préjudice distinct, M. [R] se contentant d’invoquer au soutien de cette demande le caractère injustifié de la rupture et ce sans de surcroît préciser quel serait le préjudice distinct dont il entend obtenir réparation.
II – Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société SOGEA Nord Ouest aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros sur ce même fondement pour les frais générés en appel et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté M. [W] [R] de sa demande indemnitaire au titre du préjudice distinct ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [W] [R] est sans cause réelle et sérieuse :
Condamne la société SOGEA Nord Ouest à payer à M. [W] [R] les sommes suivantes :
indemnité compensatrice de préavis : 3 900,00 euros
congés payés afférents : 390,00 euros
dommages et intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse : 6 000,00 euros
Condamne la société SOGEA Nord Ouest aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
Déboute la société SOGEA Nord Ouest de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société SOGEA Nord Ouest à payer à M. [W] [R] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente