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16 mars 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/01531
N° RG 21/01531 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IXWB
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 16 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 15 Février 2021
APPELANTE :
S.A.S. LOXAM POWER
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Rose-Marie CAPITAINE, avocat au barreau de DIEPPE
INTIMEE :
Madame [V] [A]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Thierry LEVESQUES, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 07 Février 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 07 Février 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 16 Mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 16 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [V] [A] a été engagée par la SAS Loxam Power en qualité de responsable de location par contrat à durée indéterminée du 21 avril 2017 à effet au 2 mai 2017, avec reprise d’ancienneté au 16 novembre 2016.
Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective de la distribution et location de matériel agricole.
Le licenciement pour cause réelle et sérieuse a été notifié à la salariée le 26 février 2018.
Par requête du 24 septembre 2018, Mme [V] [A] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en contestation de son licenciement et paiement de rappels de salaire et d’indemnités.
Par jugement du 15 février 2021, le conseil de prud’hommes a dit le licenciement de Mme [V] [A] sans cause réelle et sérieuse, condamné la SAS Loxam Power à verser à Mme [V] [A] les sommes suivantes :
indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse : 7 500 euros,
indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,
débouté la SAS Loxam Power de l’ensemble de ses demandes, laissé les dépens de l’instance à la charge de la SAS Loxam Power.
Le 12 avril 2021, la SAS Loxam Power a interjeté un appel limité aux dispositions l’ayant condamnée à verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 5 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS Loxam Power demande à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a considéré que le licenciement de Mme [V] [A] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et l’a condamnée à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile,
en conséquence,
– rejeter l’ensemble des demandes de Mme [V] [A],
– condamner Mme [V] [A] au paiement de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 24 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [V] [A] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions, sauf à majorer le montant des dommages et intérêts accordés, pour le porter à 12 000 euros, outre 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner la SAS Loxam Power au paiement des entiers dépens, en ce compris les frais et indemnités pouvant s’attacher à l’exécution de l’arrêt.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 19 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur le licenciement
La SAS Loxam Power fait valoir que chacun des griefs est avéré et justifié, qu’elle attache une attention toute particulière aux règles de sécurité au sein de ses agences, que la salariée les a négligées en refusant de porter les chaussures de sécurité ou en prenant le rond-point à la sortie de l’agence à contre-sens alors que des véhicules de chantier y circulaient, qu’elle a également adopté un comportement inapproprié envers sa responsable hiérarchique par une attitude opposante, précisant qu’elle a été remplacée suite au licenciement, ce qui contredit l’allégation selon laquelle elle aurait été victime des humeurs changeantes de Mme [C] [Z].
Mme [V] [A] conteste les griefs qui lui sont imputés, considérant que l’employeur n’en rapporte pas la preuve, la totalité du dossier reposant sur les appréciations de Mme [C] [Z] dont le passage au sein de l’agence Loxam a été aussi éphémère que désastreux puisque trois des quatre salariés de l’agence ont été licenciés en quelques semaines pour des motifs fallacieux et artificiels.
Selon l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre.
Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.
L’article L.1235-1 du même code dispose qu’en cas de litige, lors de la conciliation prévue à l’article L. 1411-1, l’employeur et le salarié peuvent convenir ou le bureau de conciliation et d’orientation proposer d’y mettre un terme par accord. Cet accord prévoit le versement par l’employeur au salarié d’une indemnité forfaitaire dont le montant est déterminé, sans préjudice des indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles, en référence à un barème fixé par décret en fonction de l’ancienneté du salarié.
Le procès-verbal constatant l’accord vaut renonciation des parties à toutes réclamations et indemnités relatives à la rupture du contrat de travail prévues au présent chapitre.
A défaut d’accord, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il justifie dans le jugement qu’il prononce le montant des indemnités qu’il octroie.
Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 26 février 2018 qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :
‘….
– Non respect des règles élémentaires de sécurité et ce malgré plusieurs rappels à l’ordre de votre hiérarchie, tels que :
– non respect du code de la route : vous vous engagez systématiquement en contre-sens du rond-point à la sortie de l’agence et ce malgré la présence d’un panneau indiquant le sens à respecter,
– non port des chaussures de sécurité de façon systématique.
Au cours de votre entretien préalable, vous expliquez le faire avec votre véhicule personnel et que vous prenez le risque.
Nous ne manquons pas de vous rappeler que ces comportements à risque nous font craindre des dangers pour votre sécurité, celles de collègues et autres automobilistes.
L’entreprise fait de la sécurité un axe prioritaire et il est donc de notre responsabilité de faire respecter les règles en vigueur dans l’entreprise.
Par ailleurs, Loxam Power est certifié MASE, à ce titre nous attendons un comportement de sécurité irréprochable de chacun de ses collaborateurs.
Enfin, nous évoquons le rapport de force que vous avez choisi d’instaurer avec votre nouvelle responsable d’agence au travers notamment de courriels directifs, avec des propos irrévérencieux, voire agressifs.
Voux expliquez que ‘ce n’était pas comme ça avant’, ‘ça ne peut pas continuer ainsi, je ne peux pas travailler avec Madame [C]’ , ‘je suis d’accord pour un licenciement pour faute’.
Nous n’avons pas manqué de rétorquer que les tâches demandées par Madame [C] n’étaient pas déraisonnables.
Nous déplorons cette situation qui ne reflète en rien les relations professionnelles qui règnent au sein de notre groupe.
Ainsi, et compte tenu des faits et de leurs conséquences tant au niveau de la sécurité que de l’organisation de l’agence, nous avons pris la décsion de vous licencier……’
Concernant le non-respect des règles de sécurité :
– non port des chaussures de sécurité
La salariée qui indique les avoir portées systématiquement, observe qu’en tout état de cause, elle n’a jamais fait l’objet du moindre rappel ou avertissement.
L’employeur communique l’attestation de Mme [C]-[Z], responsable d’agence, qui relate que Mme [V] [A] ne porte jamais ses EPI pour aller à l’atelier ou sur le parc malgré ses remarques répétées, verbales et écrites, ainsi qu’un mail du 17 novembre 2017 adressé à la salariée dans lequel elle écrit que dorénavant et dans le respect des règles Loxam, nous devons (toi et moi) portaient nos EPI lorsque nous allons à l’atelier et sur le parc matériel, ainsi que le mail adressé le 10 janvier 2018 à [N] [H] l’informant que depuis son mail du 17/11 relatif au port des EPI obligatoires à l’atelier et sur le parc, Mme [A] ne le fait pas en dépit de relances verbales à plusieurs reprises et l’achat de chaussettes pour chaussures de sécurité, Mme [A] expliquant ne pas les mettre car elle avait froid aux pieds dans les chaussures.
Alors qu’il en ressort que l’obligation a été certes rappelée par mail du 17 novembre 2017, qu’ensuite, la persistance du manquement n’est évoquée que par Mme [C]-[Z] avec laquelle les relations sont tendues et ne sont corroborées par aucun autre élément dont l’objectivité ne serait pas en cause et que la salariée conteste ce manquement, il paraît insuffisamment établi.
– contournement du rond-point par la gauche :
L’employeur communique l’attestation de M. [X], responsable d’agence, qui indique qu’à la sortie de l’agence du [Localité 5], au niveau du portail, il y a un panneau clairement positionné indiquant qu’il faut prendre le rond-point à droite, que d’ailleurs tous les véhicules le prennent ainsi sans aucun problème, y compris des camions de type semi-remorque plateau, ce que confirme M. [K] [T], chauffeur et se trouve corroboré par le procès-verbal dressé le 8 septembre 2020, par M. [R], huissier de justice, qui a photographié les lieux. Il en ressort en effet qu’au niveau du portail à la sortie de l’agence, sont implantés deux panneaux de signalisation, à savoir un Stop et une flèche imposant de prendre à droite.
Il est également constaté qu’un camion plateau avec grue et un camion plateau et son attelage peuvent prendre cette sortie sans difficulté en respectant le sens de circulation imposé.
Ainsi, alors que la salariée ne conteste pas la matérialité des faits, mais invoque ne jamais avoir fait de remarques à ce sujet et que le rond-point en cause est inutile comme correspondant à une impasse n’ayant d’une seule issue sur la gauche, le grief est établi, la salariée omettant de prendre en compte l’arrivée de véhicule se rendant sur le site de l’employeur qui serait nécessairement gênée par sa manoeuvre formellement interdite.
Sur son comportement à l’égard de sa supérieure hiérarchique, la SAS Loxam Power verse au débat :
– de multiples échanges de courriels entre Mme [V] [A] et la responsable de l’agence, Mme [C]-[Z], relativement à des prestations de l’agence dont l’analyse ne permet pas de retenir que la salariée se montre, ou discourtoise, ou impertinente, ses propos étant toujours corrects et mesurés.
En effet, lorsqu’elle reprend la chronologie des événements s’agissant du client Ferrero, qui souhaite être contacté pour faire le point avec un bon de commande et la facturation, contrairement à ce que suggère l’employeur dans ses écritures, la salariée n’appuie pas ses propos par une police différenciée ou par un surlignage, mais décrit de manière objective la situation.
De même, quand dans un mail du 17 janvier 2018, elle remarque que ce n’est pas la première fois que sa responsable oublie de noter le matériel sur le cahier de comptoir, ce constat objectif n’est pas empreint de manque de respect, dès lors qu’il s’agit d’échanges professionnels en des termes tout à fait corrects destinés à permettre un fonctionnement opérationnel de l’agence dans le respect des pratiques habituelles à l’égard d’une responsable d’agence, arrivée quelques semaines plus tôt et qu’il convient de former aux procédures applicables, peu important le positionnement hiérarchique de chacun.
Aussi, aucun grief à ce titre n’est caractérisé.
Au vu de ce qui précède, alors qu’il n’est retenu que le grief au titre du contournement irrégulier du rond-point en sortie de l’agence, qu’il n’est pas justifié d’un rappel préalable à ce titre alors que la pratique était décrite comme habituelle, le licenciement pour cause réelle et sérieuse est une sanction disproportionnée.
Par conséquent, la cour confirme le jugement entrepris ayant dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
II – Sur les conséquences du licenciement
Mme [V] [A], qui sollicite que son préjudice soit apprécié concrètement, fait valoir les circonstances brutales et vexatoires du licenciement et ses conséquences économiques et sociales alors qu’elle avait renoncé à une autre embauche pour intégrer Loxam en contrat de travail à durée indéterminée, qu’elle est mère de deux enfants et engagée dans le remboursement de deux lourds emprunts.
Alors qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse, qu’il est admis que les dispositions des articles L. 1235-3 , L. 1235-3 -1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, en ce qu’elles permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur, sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail et sont donc compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’apprécier le préjudice en dehors des limites de ces textes, qu’en l’espèce, compte tenu de son ancienneté d’un an, Mme [V] [A] peut prétendre à une indemnité située entre un et deux mois de salaire, que les parties s’accordent pour fixer le salaire moyen mensuel à 2 391,74 euros, la cour alloue à la salariée, qui avait 32 ans au moment de la rupture du contrat de travail et ne justifie pas de l’évolution de sa situation professionnelle, la somme de 4 500 euros à titre de dommages et intérêts, infirmant ainsi le jugement entrepris.
III – Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, la SAS Loxam Power est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à Mme [V] [A] la somme de 2 000 euros en cause d’appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau,
Condamne la SAS Loxam Power à payer à Mme [V] [A] la somme de 4 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Le confirme en ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS Loxam Power aux entiers dépens de première d’instance et d’appel ;
Condamne la SAS Loxam Power à payer à Mme [V] [A] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;
Déboute la SAS Loxam Power de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.
La greffière La présidente