MHD/PR
ARRÊT N° 389
N° RG 21/01665
N° Portalis DBV5-V-B7F-GI7M
[HS]
C/
S.A.S. FENWICK-LINDE OPERATIONS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 29 JUIN 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 avril 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de Poitiers
APPELANT :
Monsieur [FW] [HS]
né le 24 février 1979 à [Localité 5] (ALGÉRIE)
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Ayant pour avocat Me Baghdad HEMAZ de la SELARL B. HEMAZ, avocat au barreau de POITIERS
INTIMEE :
S.A.S. FENWICK-LINDE OPERATIONS
N° SIRET : 831 131 248
[Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant pour avocat Me Alexandre BENSOUSSAN de la SCP LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES, substitué par Me Raphaël BALGI, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 26 Avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, que l’arrêt serait rendu le 15 juin 2023. A cette date, le délibéré a été prorogé au 29 juin 2023.
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Par contrat à durée indéterminée intérimaire prenant effet le 1er juillet 2016, Monsieur [FW] [HS] a été embauché par la société Randstad Inhouse en qualité de cariste et a été mis à disposition de la SAS Fenwick-Linde Opérations à compter du 11 avril 2016.
En février 2019, cette dernière a lancé une campagne de recrutement aux fins d’embaucher 20 caristes en contrat de travail à durée indéterminée.
Monsieur [HS] a posé sa candidature qui finalement n’a pas été retenue.
Par courrier adressé le 17 juin 2019 à la société, il a reproché à cette dernière de l’avoir écarté pour un motif discriminatoire lié à son origine maghrébine, lui a rappelé l’interdiction de toutes mesures discriminatoires et lui a demandé de lui verser notamment la somme de 30 000 € à titre de dommages intérêts en réparation de la discrimination subie.
En réponse, la société lui a indiqué par courrier du 1er juillet 2019 que si ses aptitudes techniques et son assiduité n’étaient pas remises en cause, il s’avérait qu’il avait plus de difficultés que d’autres candidats retenus à prendre en compte les objectifs de l’entreprise et à s’intégrer dans une équipe alors que la capacité à travailler en équipe constituait un critère tout aussi important pour un cariste que les compétences techniques.
Par requête du 28 novembre 2019, Monsieur [FW] [HS] a saisi le conseil de prud’hommes de Poitiers aux fins de voir reconnaître la discrimination à l’embauche dont il estimait avoir fait l’objet et obtenir les réparations subséquentes prononcées à l’encontre de la SAS Fenwick-Linde Opérations.
Par jugement du 7 avril 2021, le conseil de prud’hommes de Poitiers a :
– constaté l’absence de discrimination à l’embauche à l’égard de Monsieur [HS],
– débouté Monsieur [HS] de sa demande de dommages intérêts de 30 000 € pour discrimination,
– débouté Monsieur [HS] de sa demande de versement de la somme de 2 500 € au titre de l’article 700 code de procédure civile,
– condamné Monsieur [HS] à verser la somme de 100 € à la SAS Fenwick-Linde Opérations au titre de sa demande reconventionnelle concernant l’article 700 code de procédure civile,
– laissé à la charge des parties les frais de leurs entiers dépens.
Par déclaration électronique en date du 26 mai 2021, Monsieur [HS] a interjeté appel de cette décision.
***
L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 mars 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions du 26 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Monsieur [HS] demande à la Cour de :
– le déclarer recevable et bien fondé en son appel,
– réformer le jugement entrepris en sa totalité,
* statuer à nouveau,
– juger que les faits reprochés à la SAS Fenwick-Linde Opérations constituent une discrimination à l’embauche au sens de l’article L.1132-1 et suivants du code du travail,
– condamner en conséquence, la SAS Fenwick-Linde Opérations à lui payer les sommes suivantes :
° 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination à l’embauche,
° 3 500 € en application de l’article 700 du code de procédure ,
– condamner la SAS Fenwick-Linde Operations en tous frais et dépens de la procédure objet de la présente instance.
Par conclusions du 22 novembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SAS Fenwick-Linde Opérations demande à la Cour de :
– constater l’absence de discrimination à l’embauche à l’égard de Monsieur [HS],
– confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté Monsieur [HS] de sa demande de dommages intérêts de 30 000 € pour discrimination, débouté Monsieur [HS] de sa demande de versement de la somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, condamné Monsieur [HS] à lui verser la somme de 100 € au titre de sa demande reconventionnelle concernant l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Monsieur [HS] à lui verser la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Monsieur [HS] aux entiers dépens.
SUR QUOI,
I – SUR L’EXISTENCE D’UNE DISCRIMINATION A L’EMBAUCHE :
Selon l’article L.1132-1 du code du travail dans sa version applicable au litige :’…Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine…, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, …de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français’.
Selon l’article L.1134-1 du code du travail :’Lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’
Ainsi, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d’égalité de traitement et il incombe à l’employeur qui en conteste le caractère discriminatoire d’établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Il appartient en conséquence au juge du fond :
1) d’examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié ;
2) d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ;
3) dans l’affirmative, d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
***
En l’espèce, Monsieur [HS] soutient :
– qu’il a fait l’objet – en raison de son origine maghrébine – de la part de son employeur d’un comportement discriminatoire se caractérisant par le fait qu’il n’a pas été recruté pour occuper le poste de cariste pour lequel il s’était porté candidat et qui correspondait parfaitement à son profil,
– qu’en effet, il remplissait tous les critères nécessaires demandés par l’employeur et même au-delà de ce qui lui était demandé, qu’il avait une expérience certaine et une ancienneté forte dans ce domaine de compétence,
– que les motifs officiellement, évoqués par la société dans son courrier de réponse pour écarter sa candidature, ne sont pas convaincants dans la mesure où ils se bornent à évoquer ses difficultés à prendre en compte les objectifs de l’entreprise et sa difficulté d’intégrer une équipe alors que rien ne prouve qu’il ne pouvait pas prendre en compte les objectifs de l’entreprise, s’intégrer dans une équipe et qu’en tout état de cause, certains candidats ont été embauchés en dépit de leur manque de qualification.
A l’appui de ses allégations, il verse aux débats :
– sa carte d’identité et son attestation d’acquisition de la nationalité française,
– ses cinq diplômes CACES et un diplôme de pontier délivré par la société Fenwick qui établissent qu’il avait tous les diplômes et certificats exigés pour postuler sur un poste de cariste,
– l’offre d’emploi diffusée par la société pour pourvoir les 20 postes de cariste,
– sa lettre de candidature motivée,
– sa convocation à l’entretien du 06 mai 2019 précisant que les premiers tests qu’il a passés sont positifs et qu’il est donc convoqué à un entretien en présence d’un manager et d’une responsable RH,
– la lettre qu’il a adressée à la société en date du 17 juin 2019 et qu’il a intitulée ‘mise en demeure avant saisine du conseil des prud’hommes’ pour indiquer qu’il estimait avoir été victime de discrimination à l’embauche en raison de son origine maghrébine,
– la lettre que la Société Fenwick lui a adressée en réponse le 1er juillet 2019 lui expliquant les motifs pour lesquels sa candidature n’avait pas été retenue et contestant avoir fait preuve de discrimination à son égard,
– les lettres que ses avocats Maître Djoudi, avocat au barreau de Poitiers et Maître Iffenecker, avocat au barreau de Poitiers ont adressés en date des 10 juillet 2019 et 16 juillet 2019 pour le premier et des 08 octobre 2019 et 03 décembre 2019 pour le second à la société,
– les attestations de Madame [T] [BT], sa mère, de Monsieur [YT] [RW] [U], de Monsieur [OO] [JN], de Monsieur [D] [N], de Monsieur [X] [V], de Monsieur [H] [J], de Monsieur [L] [NR], de Monsieur [VN] [I] et de Madame [O] [S], qui toutes en des termes différents mais concordants témoignent que depuis que sa candidature au poste de cariste n’a pas été retenue, il a changé de comportement, est devenu dépressif et suit un traitement médicamenteux tout en bénéficiant d’un suivi psychologique,
– l’attestation de Madame [Y] [P], responsable au sein de la société, qui précise que pendant les 36 mois de présence de Monsieur [HS] dans l’entreprise, ‘il s’est pleinement investi dans les différentes missions qui lui ont été confiées, ne manquant pas par ailleurs de faire preuve d’initiatives, de détermination, d’un grand professionnalisme et de dynanisme. Consciencieux, disponible et réactif, il a été un collaborateur exemplaire ayant apporté satisfaction pleine et entière à l’entreprise et je suis certaine qu’il sera un aussi bon élément pour votre organisation…’
– la lettre de recommandation de Monsieur [E] [RK], chef d’équipe logistique au sein de la société qui indique que ‘durant les 36 mois pendant lesquels Monsieur [HS] a été cariste au sein de la société, il a fait la preuve d’une remarquable compétence, dévoué, efficace, autonome, il ne manque pas de prendre des initiatives, son professionnalisme lui a permis d’atteindre l’ensemble de ses objectifs. Consciencieux, réactif et toujours disponible…’
– la lettre de recommandation de Madame [GU] [IP], chargée de centre de gestion des compétences chez Randstad Inhouse, qui indique : ‘…En cdi intérimaire dans notre entreprise en tant que cariste, Monsieur [HS] … a fait preuve de beaucoup de compétences et l’efficacité de son travail nous a grandement satisfait. ..il a toujours été une personne fiable et responsable, tant dans son travail que dans ses rapports avec ses collègues. Nous souhaitions le remercier de sa curiosité ainsi que son implication dans son travail journalier… c’est pourquoi nous vous recommandons fortement les services de Monsieur [HS]…’
– la lettre de recommandation de Monsieur [PM] [SI] ‘ Randstad Inhouse qui indique que: ‘ Monsieur [HS] a été remarqué pour ses qualités tant professionnelles que de savoir-être … Il est actuellement… en mission chez Fenwick – Linde où il exerce en tant que cariste… Il s’est montré digne de confiance et nous savons pouvoir compter sur lui…’,
– la lettre de recommandation de Monsieur [UP] [A], Chef de Fabrication Bonilait-Proteines qui note que ‘c’est avec beaucoup de satisfaction que nous avons travaillé avec Monsieur [HS] pendant 1 an. Durant cette mission il a alterné sur les postes d’ensacheur, de cariste de nettoyage dans des conditions de travail parfois éprouvantes… Sa motivation et son enthousiasme ont beaucoup contribué à la cohésion de l’équipe. Son efficacité et son dynanisme sont à la hauteur de son investissement. C’est quelqu’un de particulièrement fiable qui représente un atout pour une société tournée vers le développement de son activité et la performance. Consciencieux, disponible et réactif, il sera à coup sûr un très bon élément pour votre organisation…’
– la lettre de recommandation de Monsieur [AV] [W], Chef d’équipe KRAMP, rédigée le 14 mars 2016 qui note qu »il perd un membre dynamique, sérieux et qui contribue grandement à la cohésion qui règne au sein de mon équipe grâce à sa bonne humeur. Monsieur [HS] me satisfait également sur l’efficacité dont il fait preuve et qui est un moteur pour les autres. Je vous certifie que Monsieur [HS] ne vous décevra pas car c’est une personne très investie dans son travail …’
– la ‘pétition’ qu’il a rédigée lui-même à son profit aux termes de laquelle il a indiqué ‘qu’il avait été un bon élément durant les 36 mois pendant lesquels il avait travaillé au sein de la société Fenwick, qu’il était bien intégré auprès de ses collègues, qu’il comprenait bien le travail qui lui était demandé par son équipe (logistique, stockage, mécano- soudure, picking fourches, secteur peinture montage…) qu’il certifie avoir aucun problème quel qu’il soit avec ses collègues’ et qu’il a faite signer par 44 salariés de la Société Fenwick-Linde pour confirmer ses dires,
– diverses photographies le montrant dans des moments de convivialité avec d’autres salariés,
– des certificats médicaux, la rupture conventionnelle de son contrat de travail à durée indéterminée avec la société intérimaire Randstadt,
– la lettre qu’il a adressée au Président de la République en date du 13 janvier 2020 aux fins de lui signaler la discrimination à l’embauche dont il aurait été victime et le courrier de réponse en date du 16 janvier 2020 l’invitant à attendre la suite réservée à la procédure prud’homale qu’il a engagée devant le conseil de prud’hommes.
Il en résulte :
– que si aucune certitude n’existe sur les conditions de rédaction, de diffusion et de signature de la ‘ pétition’ que Monsieur [HS] a rédigé lui-même en sa faveur et dont il se prévaut,
– que s’il n’en existe pas davantage sur le lieu et la date de prise des photographies qu’il produit aux débats le montrant lors de moments de convivialité avec d’autres personnes dont l’identité n’est pas établie,
– que si certaines des lettres de recommandation ont été rédigées par des responsables d’autres sociétés que la société Fenwick et ne peuvent donc pas témoigner utilement sur la qualité des relations qu’il avait nouées avec ses collègues au sein de la société intimée,
– que si de ce fait, ces documents ne peuvent pas être retenus utilement à l’appui de ses explications,
il n’en demeure pas moins que les autres éléments peuvent laisser présumer que Monsieur [HS] a fait l’objet de la part de la société Fenwick d’une discrimination à l’embauche liée à son origine maghrébine.
***
Il appartient donc à l’employeur de prouver que les agissements invoqués par le salarié ne sont pas constitutifs d’une telle discrimination et que la décision qu’il a prise est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
A ce titre, celui-ci expose :
– que le déroulement de la campagne de recrutement visait à garantir un traitement non discriminatoire des candidatures en en confiant l’organisation et la réalisation à des salariés dûment formés pour veiller au respect du principe de non-discrimination.
– qu’au cas particulier, la campagne de recrutement à laquelle a participé Monsieur [HS] visait à pourvoir des postes de caristes, sous contrat de travail à durée indéterminée, par des candidats justifiant de compétences techniques donnant lieu à des tests d’aptitude et de connaissances liées à la conduite de chariots qui ensuite devaient être reçus en entretien individuel,
– que dans le cadre de cette campagne, 76 intérimaires ont passé les tests techniques afférents à la première phase,
– qu’à l’issue de cette première phase, 42 candidatures, dont celle de Monsieur [HS], ont été sélectionnées pour participer à la seconde phase de la campagne de recrutement, constituée par un entretien,
– que Monsieur [HS] a été reçu le 6 mai 2019 en entretien, par Monsieur [MT] [R], responsable d’équipe logistique, manager ‘terrain’ et par Madame [K] [M], responsable formation & développement RH au sein de la société Fenwick Linde Opérations qui ne connaissait pas le candidat afin d’assurer une parfaite objectivité dans la tenue de l’entretien,
– que les 42 candidats étaient, par ailleurs, soumis à un questionnaire identique,
-qu’une fois la phase d’entretiens terminée et afin de départager les candidats, elle a organisé une session de ‘débriefing’ le 24 mai 2019, en présence de l’ensemble des personnes ayant participé à la tenue des deux phases du recrutement, ainsi que des salariés opérationnels de la société qui avaient été amenés à collaborer avec les 42 candidats afin de faire le point sur chaque candidature et d’identifier les candidats les plus à même de pourvoir les postes de caristes, notamment au regard de l’esprit d’équipe, lequel revêt une importance particulière pour le poste concerné et de manière générale pour elle en tant qu’employeur dont les valeurs sont basées sur la collaboration, l’écoute et l’échange (comme cela ressort d’ailleurs expressément de son site internet).
– qu’à l’issue de ce processus sur les 42 candidats ayant réussi la phase de tests techniques, 16 candidats ont été retenus et 26 candidatures ont été écartées, dont celle de Monsieur [HS],
– qu’ainsi, au cas particulier, les responsables des services ayant été amenés à travailler avec Monsieur [HS] lorsque celui-ci intervenait au sein de Fenwick Linde Opérations en qualité d’intérimaire ont notamment participé à cette session afin d’apporter leur éclairage sur sa candidature,
– qu’il en est ressorti que si ses compétences techniques n’étaient pas remises en cause, il a été relevé :
° qu’il rencontrait des difficultés à comprendre les attentes de l’entreprise,
° qu’il ne contribuait pas à créer un climat de travail favorable,
° que sa capacité d’évolution et de travail en équipe était limitée,
° que son niveau d’exigence vis-à-vis de ses collègues pouvait entrainer des conflits,
– que de ce fait, la commission de recrutement n’a pas retenu sa candidature, estimant qu’il existait un ‘ risque de dégrader les conditions de travail en créant un climat de tension’, après avoir constaté que ‘Monsieur [HS] intègre difficilement les objectifs de l’entreprise’ et ‘accepte difficilement qu’on ne fonctionne pas comme lui (manque d’empathie)’,
– qu’il n’est pas le seul à avoir été écarté pour des motifs similaires, que d’autres candidats n’ont pas été retenus sur les mêmes fondements,
– qu’enfin l’existence de patronymes à consonnance d’origine étrangère voire maghrébine, tant parmi les candidats retenus que parmi les salariés dénote l’absence de toute discrimination fondée sur l’origine.
A l’appui de ses allégations, elle verse aux débats :
– la campagne de recrutement,
– le courrier que Monsieur [HS] lui a adressé du 17 juin 2019,
– le courrier qu’elle lui a envoyé en réponse le 1er juillet 2019,
– le questionnaire d’entretien,
– l’extrait du site internet de Fenwick,
– le tableau de synthèse des entretiens,
– le registre du personnel de la société Fenwick Linde Opérations,
– les attestations de Monsieur [E] et de Madame [Y],
– le contrat de Monsieur [C] [Z],
– le programme de formation non-discrimination à l’embauche.
***
Cela étant, il résulte de l’ensemble des explications et des pièces versées que l’employeur démontre très justement l’absence de discrimination dont a fait l’objet Monsieur [HS] lors de sa campagne de recrutement pour un poste de cariste.
En effet, même si contrairement à ce qu’il soutient, il ne verse que le justificatif qu’il a conclu une convention de formation à ‘la non-discrimination à l’embauche’ en janvier 2018 et non le justificatif que les deux salariés, Monsieur [R], responsable d’équipe logistique, manager ‘terrain’ et Madame [K] [M], responsable formation et développement qui ont auditionné Monsieur [HS] en entretien individuel, ont effectivement suivi cette formation ‘ le seul fait que Madame [M] ait conclu la convention de formation en qualité de représentante de la société ne l’établissant pas à lui seul ‘, il n’en demeure pas moins que la réunion-débat qui a suivi ledit entretien et a rassemblé – outre les responsables ayant auditionné le candidat – les responsables des services qui avaient été amenés à travailler avec Monsieur [HS] et qui de ce fait, le connaissaient et pouvaient donner un avis circonstancié sur ses aptitudes non seulement techniques et professionnelles mais également relationnelles.
Aussi, l’avis donné par la commission de recrutement qui a mentionné dans le tableau de comptes-rendus des entretiens individuels que Monsieur [HS] rencontrait des difficultés à comprendre les attentes de l’entreprise, qu’il ne contribuait pas à créer un climat de travail favorable, que sa capacité d’évolution et de travail en équipe était limitée, que son niveau d’exigence vis-à-vis de ses collègues pouvait entrainer des conflits, qu’il acceptait difficilement qu’on ne fonctionne pas comme lui (manque d’empathie), et qu’il existait un risque de dégrader les conditions de travail en créant un climat de tension, est un avis collégial et se fonde non seulement sur les constatations des deux salariés qui ont mené l’entretien mais également sur celles des responsables de services avec lesquels Monsieur [HS] avait été amené à travailler.
Contrairement à ce que soutient le salarié, l’employeur combat utilement les lettres de recommandation précitées versées aux débats, rédigées par deux responsables de la société Fenwick en sa faveur par :
1) – les attestations établies par les responsables de services – qui lui avaient délivré les lettres de recommandation litigieuses sur lesquelles il s’appuie – qui relatent deux séries de faits survenues après la rédaction desdites lettres qui confirment les relations un peu tendues que Monsieur [HS] pouvait entretenir avec sa hiérarchie et ses collègues de travail, à savoir :
° la première, rédigée par Madame [Y] – dont le contenu n’est pas contredit par Monsieur [HS] – qui indique : ‘ …qu’à la suite de l’annonce des embauches sur le site, il devenait très insistant pour prendre le poste de ‘tridi’ pour que sa productivité soit vue. Il souhaitait que j’intervienne auprès de son responsable de nuit pour le faire passer sur certains postes. Je lui ai expliqué à plusieurs reprises que je ne pouvais pas faire d’ingérence et intervenir. Il était très très insistant et la conversation avait du mal à prendre fin. Il a eu un différend avec un autre opérateur, Monsieur [E] a dû intervenir. Ces différentes attitudes m’ont fait prendre conscience d’un manque de recul et de maitrise de sa part et qu’il pouvait être difficile à manager à la suite d’une titularisation…’
° la seconde, rédigée par Monsieur [E] qui précise : qu’à la demande de Monsieur [HS], il avait rédigé une lettre de recommandation à son profit dans le cadre de sa demande de naturalisation française et qu’il témoigne : ‘ du non respect des consignes de son responsable par Monsieur [HS] au sujet de son comportement vis à vis de ses collègues (comportement excessif), repris à plusieurs reprises entre plusieurs collègues, …
N’apprécie pas les remarques sur son comportement excessif vis à vis de ses collègues (propos sortis de son contexte)
Il m’a déçu sur le plan de son comportement ainsi que sur la dernière journée dont il était absent sans m’avertir sachant que j’avais du personnel en congé (désorganisation de l’activité logistique).
Deux entretiens…avec Mr [G] [TS] et Mr [DO] [EY] et lui sur le fait qu’il avait des propos excessifs et rassistes…manque d’entraide à l’égard de ses deux collègues…’
2) la production du tableau de synthèse des entretiens qui établit qu’il n’a pas été le seul à être écarté du poste de cariste puisque d’autres candidats – portant des noms patronymes d’origine européenne et notamment française – [WL], [KL], [F], [B] – n’ont pas été retenus pour la même raison que lui, à savoir : ‘relationnel difficile avec ses collègues’… ou ‘risque de dégradation de la cohésion d’équipe’ ..ou encore ‘ travail en équipe’… ou ‘coopération difficile avec les équipes, difficultés à la remise en cause’… ou encore ‘cherche plus la compétition que la coopération, climat de travail dégradé, risque de dégrader les conditions de travail d’une équipe (compétition plutôt que coopération)’.
3) – le recrutement durant la campagne de recrutement litigieuse d’un candidat portant un nom d’origine maghrébine et d’autres candidats ayant des noms d’origine européenne et l’embauche – comme le démontre le registre des entrées de la société – de nombreux salariés portant un nom d’origine maghrébine.
Il en résulte :
– que le fait que Monsieur [HS] soit naturalisé français et qu’il maîtrise bien la langue française témoigne de sa volonté d’intégration dans la société française,
– que l’absence de sanction disciplinaire durant l’exécution de ses contrats de travail de mise à disposition de la société Fenwick confirme son souci d’intégration et de bien faire,
– que cependant, cette volonté d’intégration conjugée à son savoir-faire professionnel reconnu et incontestable, à son souci légitime d’être reconnu dans son travail ne peut pas effacer utilement les manques qu’il présentait dans son savoir-être avec ses collègues de travail au sein de la société Fenwick ; manques qui ne relevaient pas de sanction disciplinaire et qui étaient totalement étrangers à une quelconque discrimination fondée sur son origine maghrébine.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de reconnaissance d’une discrimination fondée sur son origine maghrébine et de ses demandes indemnitaires présentées de ce chef.
II – SUR LES DEPENS ET LES FRAIS DU PROCÈS :
Les dépens de la présente instance doivent être partagés par moitié entre les parties.
***
Il n’est pas inéquitable de débouter les parties de leur demande respective formée en application de l’article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu’en appel.
Le jugement doit donc être infirmé en ce qu’il a condamné Monsieur [HS] à verser à son employeur la somme de 100 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 7 avril 2021 par le conseil de prud’hommes de Poitiers sauf en ce qu’il a condamné Monsieur [HS] à verser la somme de 100 € à la SAS Fenwick Linde Opérations au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Infirmant de ce chef,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne chacune des parties à supporter la moitié des dépens,
Déboute la SAS Fenwick Linde Opérations de sa demande formée en première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leur demande respective formée en appel en application de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,