Insuffisance professionnelle du directeur commercial

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Insuffisance professionnelle du directeur commercial

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/02656 – N° Portalis DBVH-V-B7F-IDPW

GLG/EB

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AUBENAS

25 juin 2021

RG :20/00013

S.C.E.A. CHATEAU LES AMOUREUSES

C/

[E]

Grosse délivrée le 04 JUILLET 2023 à :

– Me

– Me

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 04 JUILLET 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AUBENAS en date du 25 Juin 2021, N°20/00013

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Monsieur Guénaël LE GALLO, Magistrat honoraire juridictionnel

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Monsieur Guénaël LE GALLO, Magistrat honoraire juridictionnel

Madame Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l’audience publique du 21 Avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 04 Juillet 2023.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANTE :

S.C.E.A. CHATEAU LES AMOUREUSES

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Aurore VEZIAN de la SELARL LEONARD VEZIAN CURAT AVOCATS, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉE :

Madame [V] [E]

née le 12 Juin 1980 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 21 Mars 2023

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 04 Juillet 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

Embauchée par la SCEA Château Les Amoureuses en qualité de directrice commerciale, statut cadre, coefficient 280, suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 octobre 2017, relevant de la convention collective des exploitations agricoles de l’Ardèche, absente pour maternité du 28 novembre 2017 au 19 mars 2018, Mme [V] [E] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 15 mars 2019.

Saisi par la salariée, par requêtes distinctes reçues le 11 février 2020 et le 24 février 2021, de demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail, le conseil de prud’hommes d’Aubenas, par jugement du 25 juin 2021, joignant les procédures, fixant le salaire moyen des trois derniers mois à la somme de 6 674 euros, et déboutant les parties de leurs autres prétentions, a :

‘ dit ce licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SCEA Château Les Amoureuses au paiement des sommes suivantes :

‘ 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

‘ 5 148 euros à titre de solde d’indemnité compensatrice de préavis, outre 514,80 euros de congés payés afférents

‘ 4 167 euros au titre de la prime annuelle 2017, outre 416,70 euros de congés payés afférents

‘ 14 500 euros au titre de la prime annuelle 2018, outre 1 450 euros de congés payés afférents

‘ 5 000 euros au titre de la prime annuelle 2019, outre 500 euros de congés payés afférents

‘ 4 060 euros au titre de l’indemnité de non-concurrence

‘ 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

‘ ordonné la remise à la salariée d’un bulletin de paie rectificatif et de l’attestation Pôle emploi conforme ;

‘ débouté l’intéressée de ses autres prétentions et l’employeur de l’ensemble de ses demandes ;

‘ dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.

La SCEA Château Les Amoureuses a interjeté appel de cette décision par déclaration du 9 juillet 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions du 15 mars 2022, l’appelante forme les demandes suivantes :

‘Infirmer le jugement en ce qu’il a :

– Dit et jugé que :

‘ Le salaire moyen des trois derniers mois est de 6.674 €,

‘ Le licenciement de Madame [E] est sans cause réelle et sérieuse,

‘ Le délai du préavis n’est pas respecté,

‘ La SCEA CHATEAU Les Amoureuses a commis un acte déloyal concernant la prime annuelle,

‘ La SCEA CHATEAU Les Amoureuses n’a pas respecté les accords contractuels pour la clause de non-concurrence,

– Condamné la SCEA CHATEAU Les Amoureuses à verser à Madame [V] [E] la somme de 20.000 € pour dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– Condamné la SCEA CHATEAU Les Amoureuses à verser à Madame [V] [E] la somme de 5.148 € d’indemnité compensatrice de préavis au titre du solde dû ainsi que la somme de 514,80 € au titre des congés payés y afférents,

– Condamné la SCEA CHATEAU Les Amoureuses à verser à Madame [V] [E] les sommes de :

‘ 4.167 € au titre de la prime annuelle de 2017 et 416,70 € au titre des congés payés y afférents,

‘ 14.500 € au titre de la prime annuelle de 2018 et 1.400 € au titre des congés payés y afférents,

‘ 5.000 € au titre de la prime annuelle de 2019 et 500 € au titre des congés payés y afférents,

– Condamné la SCEA CHATEAU Les Amoureuses à verser à Madame [V] [E] la somme de 4.060 € au titre de l’indemnité de non-concurrence,

– Ordonné la remise d’un bulletin de salaire rectificatif et de l’attestation POLE EMPLOI rectifiée en conformité avec le Jugement,

– Condamné la SCEA CHATEAU Les Amoureuses à verser à Madame [E] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

– Débouté la SCEA CHATEAU Les Amoureuses de sa demande de condamnation de Mme [E] à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens,

– Dit que chaque partie assumerait la charge de ses propres dépens d’instance.

Confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions.

Et statuant à nouveau,

Débouter Madame [V] [E] de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires.

Condamner Madame [V] [E] au paiement à la SCEA CHATEAU Les Amoureuses de la somme de 3.000 €uros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Laisser les dépens à la charge de la demanderesse.’

Elle fait valoir en substance que :

‘ la salariée n’est pas recevable ni fondée à réclamer le paiement de la prime annuelle faute d’avoir dénoncé le reçu pour solde de tout compte dans le délai légal et atteint quelque objectif que ce soit ;

‘ l’insuffisance dont l’intéressée a fait preuve dans l’exercice de ses fonctions et qui s’est traduite par un manque de résultats significatifs, des orientations commerciales consistant à privilégier la vente de vins à faible valeur ajoutée au lieu des vins haut de gamme, l’apparition de tensions au sein de la force de vente suite à sa décision de se séparer de certains VRP, l’absence de développement des grands comptes, et une communication défaillante à l’origine d’un manque de cohésion au sein de l’équipe, est constitutive d’une cause réelle et sérieuse de licenciement ;

‘ subsidiairement, le préjudice subi par la salariée ne pourrait être évalué que dans les limites des prévisions minimales de l’article L. 1235-3 du code du travail sur la base du salaire mensuel brut de 5 471,95 euros et la demande de dommages et intérêts distincts au titre d’une prétendue rupture brutale et vexatoire devrait être rejetée ;

‘ la demande en paiement d’un reliquat d’indemnité compensatrice de préavis est irrecevable en application des dispositions de l’article L. 1234-20 du code du travail, et il en est de même en ce qui concerne la demande de complément d’indemnité de licenciement, laquelle est de surcroît non fondée eu égard au nécessaire rejet de la demande de rappel de prime annuelle ;

‘ Mme [E] a été libérée en temps utile de son obligation de non-concurrence et elle a exercé une activité concurrente dès le mois de mai 2019, soit avant même la date de fin de son contrat de travail.

L’intimée demande à la cour au dispositif de ses dernières conclusions du 16 décembre 2021, contenant appel incident, de :

‘- Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes d’Aubenas en date du 25 juin 2021 en ce qu’il a dit et jugé :

– le licenciement de Madame [V] [E] est sans cause réelle et sérieuse,

– le délai du préavis n’est pas respecté,

– la société CHATEAU Les Amoureuses commet un acte déloyal concernant la prime annuelle,

– la société CHATEAU Les Amoureuses ne respecte pas les accords contractuels pour la clause de non-concurrence,

En conséquence,

– Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société CHATEAU Les Amoureuses à payer à Madame [V] [E] les sommes suivantes :

– 4.167 € au titre de la prime annuelle de 2017 et 416,70 € au titre des congés payés y afférents,

– 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Confirmer le jugement sur le principe les condamnations suivantes dont il conviendra de réformer les montants octroyés :

– 20.000 € pour dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 5.148 € d’indemnité compensatrice de préavis au titre du solde dû, ainsi que la somme de 514,80 € au titre des congés payés y afférents,

– 14.500 € au titre de la prime annuelle de 2018 et 1.450 € au titre des congés payés y afférents,

– 5.000 € au titre de la prime annuelle de 2019 et 500 € au titre des congés payés y afférents,

– 4.060 € au titre de l’indemnité de non-concurrence,

– Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes d’Aubenas en date du 25 juin 2021 en ce qu’il a dit et jugé :

– Le salaire moyen des trois derniers mois est de 6.674 €,

– Madame [E] n’apporte pas d’éléments suffisants pour justifier sa demande de conditions brutales et vexatoires, et l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts formulée à ce titre

– le barème MACRON est applicable ;

Et statuant à nouveau,

– Dire et juger que le salaire moyen de Madame [E] s’élève à 7.269,39 euros bruts (moyenne des trois derniers mois) ;

– Condamner la société CHATEAU Les Amoureuses à payer à Madame [E] les sommes suivantes :

– à titre de rappel de salaire au titre de la prime annuelle d’objectif :

‘ 4.167 € au titre de l’année 2017 et 416,70 € au titre des congés payés afférents ;

‘ 20.000 € au titre de l’année 2018 et 2.000 € au titre des congés payés afférents ;

‘ 10.833 € au titre de l’année 2019 et 1.083,30 € au titre des congés payés afférents ;

– 755,46 € au titre de solde de l’indemnité légale de licenciement ;

– 5.387,30 € au titre du solde dû s’agissant de l’indemnité compensatrice de préavis ;

– 6.090 € au titre de l’indemnité de non-concurrence ;

– 43.616 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 21.808 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement intervenant dans des conditions brutales et vexatoires ;

– Ordonner à la société CHATEAU Les Amoureuses de délivrer à Madame [E] les bulletins de salaire et l’attestation POLE EMPLOI modifiés et conformes à l’arrêt à intervenir, sous 8 jours suivant la signification, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

– Se réserver le droit de liquider les astreintes prononcées ;

– Dire et juger que les sommes porteront intérêts à compter du jour de la demande en justice et que les intérêts de ces sommes seront capitalisés ;

– Condamner la société CHATEAU Les Amoureuses à payer à Madame [E] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.’

Elle réplique essentiellement que :

‘ l’employeur ayant omis, indépendamment de ses propres propositions, de lui fixer des objectifs, lesquels ne devaient pas se limiter à ses ventes individuelles, mais inclure les performances de l’ensemble de son équipe, elle est en droit de réclamer l’intégralité de la prime annuelle contractuelle ;

‘ non seulement la lettre de licenciement ne fait pas état de l’insuffisance de résultats reprochée par l’employeur dans ses conclusions, mais en outre ce grief est injustifié et ne constitue pas en soi une cause de licenciement ;

‘ le délai de préavis prévu par la convention collective étant de quatre mois, elle est en droit de réclamer un solde d’indemnité compensatrice équivalent à un mois de salaire ; l’indemnité de licenciement doit être revalorisée sur la base du salaire mensuel moyen de 7 269,39 euros, compte tenu du rappel de prime annuelle ; vu l’inconventionnalité du barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail, son préjudice doit être réévalué à hauteur de six mois de salaire ; elle a subi un préjudice moral distinct en raison du caractère brutal et vexatoire de son licenciement ;

‘ l’employeur ne l’a pas déliée de l’obligation de non-concurrence dans le délai contractuel de quinze jours à compter de la notification du licenciement, sa collaboration avec le réseau AOC Conseil n’a commencé qu’à compter du mois de novembre 2019, et elle n’a exercé aucune activité de vente de vins dans le cadre de la société Jolivin qu’elle a créée à cette époque, mais seulement une activité de conseil, audit, restructuration et formation, de surcroît pour des propriétés viticoles situées en dehors de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 21 février 2023 à effet au 21 mars 2023.

MOTIFS DE L’ARRÊT

‘ sur les primes annuelles d’objectif

L’article 6 du contrat de travail, intitulé ‘prime annuelle d’objectif’, est ainsi rédigé :

‘Madame [V] [E] percevra une prime annuelle dont le montant est fixé par la direction si ses objectifs définis chaque année par la Société Château Les Amoureuses sont tenus (CA société, prix moyen de vente, relationnel client…). Pour l’année 2017, celle-ci est fixée à 20 000 euros brut. Il est bien entendu que la prime 2017 sera proratisée par rapport à la date d’entrée dans l’entreprise.’

Convenant n’avoir versé aucune prime à la salariée, l’employeur conclut à tort à l’irrecevabilité des demandes au motif que l’intéressée n’a pas dénoncé le reçu pour solde de tout compte dans les six mois de sa signature.

En effet, l’effet libératoire prévu par l’article L. 1234-20 du code du travail ne porte que sur les sommes mentionnées sur le reçu, parmi lesquelles ne figure pas la prime d’objectif.

Aucun objectif ne lui ayant été fixé pour l’année 2017 et l’employeur ne pouvant utilement lui opposer qu’elle n’a ‘pas été en mesure d’atteindre quelque objectif commercial que ce soit’ du fait de la suspension de son contrat de travail pour maternité à compter du 28 novembre 2017, la salariée est fondée à réclamer le paiement de la somme de 4 167 euros au titre de la prime annuelle, outre 416,70 euros de congés payés afférents.

Observant que la salariée a elle-même admis ne pas avoir réalisé les objectifs fixés de son propre chef pour l’année 2018, l’employeur produit un document daté du 17 mai 2018 et intitulé ‘primes de performances Amoureuses’, auquel il dit avoir acquiescé sans en justifier et dans lequel l’intéressée se borne à formuler des propositions d’objectifs chiffrés pour chaque membre de son équipe et pour elle-même, notamment en termes de chiffre d’affaires personnel, alors qu’il lui appartenait personnellement, conformément au contrat de travail, de définir chaque année les objectifs de la directrice commerciale sur la base de critères précis et objectivement vérifiables, incluant notamment le chiffre d’affaires de la société prise dans son ensemble.

Il communique en outre le courriel adressé par Mme [E], le 13 décembre 2018, lui faisant part des difficultés rencontrées au cours de l’année et de son ‘avis mitigé’ concernant ses ‘ventes directes’, tout en soulignant les aspects positifs de son activité, et celui du 11 février 2019, dans lequel, reconnaissant n’avoir atteint que le tiers de ses objectifs, elle disait toutefois ne pas comprendre pourquoi elle n’avait bénéficié d’aucune prime contrairement aux autres membres de l’équipe, ce dont elle déduisait pertinemment qu’elle était exclusivement évaluée en tant que ‘commerciale’ et qu’elle avait ‘failli sur tout’, alors qu’elle n’avait ‘bien évidemment pas vendu 0″, qu’il convenait également de prendre en compte sa fonction de directrice commerciale, ‘garante d’un résultat global en plus de celui réalisé par (ses) soins’ et de la ‘mise en place d’une politique commerciale’, et qu’il lui paraissait indispensable de définir une fiche de poste pour sa fonction ainsi qu’un barème de primes comme celui qu’elle avait proposé pour l’équipe commerciale.

Ainsi, l’employeur ne pouvant se soustraire au paiement de la prime annuelle 2018, dont il s’est abstenu de fixer le montant et les conditions d’attribution en méconnaissance des stipulations contractuelles se référant expressément au chiffre d’affaires de la société, la salariée est fondée à réclamer le paiement de la somme de 20 000 euros, outre 2 000 euros de congés payés afférents.

Enfin, le licenciement prononcé le 15 mars 2019 et la dispense de préavis dont se prévaut l’employeur étant sans effet sur le montant de la rémunération due à la salariée, conformément aux dispositions de l’article L. 1234-5 du code du travail, Mme [E] prétend également à bon droit au paiement de la prime annuelle proratisée jusqu’à la date de fin du contrat de travail, soit à la somme de 10.833 euros, outre 1.083,30 euros de congés payés afférents.

Le jugement sera ainsi réformé de ce chef.

‘ sur le licenciement

* sur sa cause

Aux termes de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

L’article L. 1235-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l’espèce, Mme [E] a été licenciée par lettre du 15 mars 2019, ainsi motivée :

‘[…] Nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Cette mesure est motivée par les faits suivants :

Vous occupez le poste de Directrice Commerciale, poste qui implique la gestion de l’équipe commerciale. Nous avons constaté de nombreux dysfonctionnements sur ce point :

– Vous n’avez pas réussi à fédérer l’équipe commerciale et il règne au sein de cette même équipe une inquiétude liée à une communication inappropriée de votre part et à une incapacité à rassurer et présenter une politique commerciale claire.

– L’encadrement des équipes commerciales au quotidien est insuffisant voire inexistant.

En effet, notre Responsable Commercial Ile de France nous a indiqué ne pas avoir de contact avec vous en dehors des réunions « programmées ». L’équipe « locale » souffre d’un important manque de communication et d’écoute, malgré la proximité et les réunions hebdomadaires.

– Plusieurs commerciaux (VRP et agents commerciaux) nous ont indiqué ne pas avoir eu de contact avec vous depuis votre prise de fonction et de ce fait s’être retrouvés à travailler en totale méconnaissance des demandes et de la stratégie de l’entreprise.

– Nos commerciaux salariés se sont plaints que vous vous étiez affecté des clients qu’ils avaient eux-mêmes démarchés et qui auraient donc dû être affectés à leur portefeuille client.

– Nous constatons un manque d’accompagnement et de suivi à la boutique malgré une équipe « jeune » et des résultats décevants.

Nous ne pouvons laisser perdurer cette situation qui n’est pas acceptable et qui nous est préjudiciable tant au niveau commercial qu’au niveau du climat dans l’entreprise.

En conséquence nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Votre préavis de 3 mois débutera à la date de présentation de la présente, nous vous dispensons de l’effectuer et procéderons à son règlement […]’

La salariée ayant contesté de manière détaillée l’ensemble de ces griefs et sollicité des précisions par lettre du 20 mars 2019, observant notamment qu’aucune critique n’avait jusqu’alors été formulée à son encontre, l’employeur s’est borné à répondre, le 4 avril 2019, que les faits reprochés lui avaient été clairement exposés lors de l’entretien préalable et qu’ils étaient parfaitement caractérisés.

Se prévalant pour l’essentiel des correspondances de la directrice commerciale dressant un bilan mitigé de son activité, desquelles ne résulte la preuve d’aucun des motifs invoqués ni d’une quelconque insuffisance professionnelle à l’origine d’une insuffisance de résultats, grief qui de surcroît est formulé de manière générale par l’appelante dans ses conclusions alors qu’il est limité dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige aux résultats de la boutique, l’employeur communique par ailleurs :

‘ le courriel de la directrice commerciale du 18 décembre 2018, ainsi rédigé : ‘Comme vu ensemble, voici une liste des agents et VRP avec lesquels nous ne souhaitons plus travailler en 2019. Pouvez-vous m’indiquer la procédure à suivre s’il vous plaît’ ;

‘ les correspondances adressées par M. [B], les 10 et 23 février 2019, s’étonnant de son licenciement alors que le statut de VRP salarié lui avait été récemment reconnu et se plaignant de s’être vu notifier brutalement des hausses tarifaires sans concertation avec la direction commerciale, décision qui, selon le courriel de Mme [E] du 11 février 2019, a été prise en son absence et dont elle dit avoir également subi les conséquences.

En congé maternité du 28 novembre 2017 au 19 mars 2018, Mme [E] produit au contraire diverses pièces dont il résulte qu’elle a communiqué régulièrement et de manière appropriée avec son équipe dont elle a assuré l’animation et la formation dans des conditions exemptes de toute critique.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

* sur l’indemnisation

Âgée de 38 ans et titulaire lors de la notification de son licenciement d’une ancienneté de 1 an et 5 mois au sein de l’entreprise employant au moins onze salariés, Mme [E] a été admise au bénéfice de l’aide au retour à l’emploi à compter du 11 juillet 2019. Elle a rejoint le réseau AOC Conseil à compter du mois de novembre 2019, et elle a créé la société Jolivin, immatriculée au RCS d’Avignon, le 20 novembre 2019.

La convention collective applicable prévoyant une durée de préavis de quatre mois pour un cadre au coefficient 280, Mme [E] prétend à bon droit, peu important qu’elle n’ait pas dénoncé le reçu pour solde de tout compte, au paiement de la somme de 5 387,30 euros à titre de solde d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu’à l’indemnité de congés payés afférents arrêtée dans la demande à 514,80 euros.

Calculé sur la base du salaire mensuel brut moyen de 7 269,39 euros intégrant la rémunération variable, le reliquat d’indemnité de licenciement sera également alloué conformément à la demande, soit à hauteur de 755,46 euros.

Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail étant applicables en la cause, le préjudice subi par la salariée du fait de son licenciement injustifié sera réparé par une somme de 14 538,78 euros.

Bien que la mesure ne soit pas fondée, les circonstances dans lesquelles elle est intervenue ne justifient pas la demande de dommages et intérêts distincts pour licenciement brutal et vexatoire.

Le jugement sera ainsi réformé de ces chefs.

‘ sur l’indemnité de non-concurrence

Aux termes de l’article 11 du contrat de travail, ‘en cas de rupture pour quelque motif que ce soit et quelle que soit la partie qui en prend l’initiative, Mme [E] s’interdit après son départ de l’entreprise d’entrer au service d’une entreprise dont l’activité concurrence celle du Château Les Amoureuses’, ainsi que ‘de s’intéresser directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit à une entreprise pourvant concurrencer la société Château Les Amoureuses.’

Il est précisé que cette interdiction sera limitée à une durée de six mois à compter du jour de la cessation effective du contrat de travail et couvrira tous les départements de la Région Rhône-Alpes, que Mme [E] percevra en contrepartie après la cessation effective de son contrat et pendant toute la durée de l’interdiction une indemnité spéciale forfaitaire représentant 2/10ème de mois de son dernier salaire brut de base, que toute violation de cette interdiction libérera l’employeur du versement de la contrepartie, que la société se réserve toutefois la possibilité de libérer la salariée de l’interdiction de concurrence ou d’en réduire la durée, et que la décision sera notifiée à l’intéressée par lettre recommandée AR au plus tard quinze jours après la lettre de notification du licenciement.

Alors qu’il résulte de ces dispositions qu’il lui appartenait de notifier sa décision à la salariée au plus tard le 30 mars 2019, l’employeur n’a accompli cette formalité que par courrier daté du 14 juin 2019, remis en main propre avec les documents de fin de contrat, le 16 juin 2019.

Contrairement à ce qui est soutenu par l’appelante au vu d’un extrait de site internet, lequel est contredit par les échanges entre la salariée et la société AOC Conseil versés aux débats par l’intimée, Mme [E] n’a pas intégré ce réseau à compter du 28 mai 2019, mais seulement à compter du mois de novembre 2019, sa mission étant de soutenir le développement d’opérateurs vinicoles dans la vallée du Rhône.

Elle a créé parallèlement la société Jolivin, immatriculée au RCS d’Avignon le 20 novembre 2019, exerçant une activité multiforme (audit, conseil, négoce, courtage etc.) dans le domaine des vins et autres boissons.

La preuve étant ainsi rapportée que Mme [E] a exercé une activité concurrente à celle de la société Château les Amoureuses à compter du mois de novembre 2019, Mme [E], qui percevait un salaire brut de base de 5 075 euros au moment de son licenciement et dont le contrat de travail a cessé, de fait, le 16 juin 2019, date mentionnée sur les documents de fin de contrat, se verra allouer une indemnité de non-concurrence d’un montant de 4 567,50 euros.

Le jugement sera ainsi réformé sur le quantum.

‘ sur les intérêts applicables aux sommes allouées

Les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil, à compter de la date de convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation, soit le 14 février 2020, ou le 10 mars 2021 en ce qui concerne le solde d’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de non-concurrence objet de la seconde requête, et les dommages et intérêts à compter du jugement.

‘ sur la remise des documents rectifiés

L’employeur devra remettre à la salariée les documents de fin de contrat rectifiés conformément au présent arrêt dans le délai de deux mois à compter de sa signification, sous astreinte de 20 euros par jour de retard pendant une durée de trois mois.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,

Infirme partiellement le jugement déféré,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Dit que le licenciement de la salariée est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SCEA Château Les Amoureuses à payer à Mme [E] les sommes suivantes :

‘ prime annuelle d’objectif 2017 4 167,00 euros

‘ congés payés afférents 416,70 euros

‘ prime annuelle d’objectif 2018 20 000,00 euros

‘ congés payés afférents 2 000,00 euros

‘ prime annuelle d’objectif 2019 10.833,00 euros

‘ congés payés afférents 1 083,30 euros

‘ solde d’indemnité compensatrice de préavis 5 387,30 euros

‘ congés payés afférents 514,80 euros

‘ solde d’indemnité légale de licenciement 755,46 euros

‘ dommages et intérêts (art. L. 1235-3 C.T.) 14 538,78 euros

‘ indemnité de non-concurrence 4 567,50 euros

Déboute Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts distincts,

Dit que les sommes allouées produiront intérêts au taux légal,avec capitalisation dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil, selon les distinctions suivantes :

‘ celles à caractère salarial, à compter de la date de convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation, soit le 14 février 2020, ou le 10 mars 2021 en ce qui concerne le solde d’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de non-concurrence,

‘ les dommages et intérêts à compter du jugement.

Dit que l’employeur devra remettre à la salariée les documents de fin de contrat rectifiés conformément au présent arrêt dans le délai de deux mois à compter de sa signification, sous astreinte de 20 euros par jour de retard pendant une durée de trois mois,

Condamne la SCEA Château les Amoureuses à payer à Mme [E] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’ensemble de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel,

La condamne aux entiers dépens.

Arrêt signé par le président et par le greffier.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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