Réaffectation du salarié : une forme de harcèlement moral

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Réaffectation du salarié : une forme de harcèlement moral
Ce point juridique est utile ?

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Et il résulte de l’article L. 1154-1 du code du travail que lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral ; dans l’affirmative, il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

S’agissant de l’affectation de M. [J], il résulte des débats que le salarié a été engagé en qualité d’animateur avec pour responsabilités principales, la mise en place d’animations en direction de la jeunesse et la coordination des animations organisées dans les différents quartiers de la ville de [Localité 5]. Par un courrier du 30 juillet 1997, M. [J] a été informé de sa nouvelle affectation sur un poste administratif APASEV à partir du 1er septembre 1997.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments, que l’APASEV a bien imposé à M. [J], à compter du 26 octobre 2015, une modification de ses missions contractuelles et non un simple changement des conditions de travail dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de direction ainsi qu’elle le soutient.


 

AFFAIRE PRUD’HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 20/02207 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M52C

Association APASEV (ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DES ACTIVITE S SOCIO EDUCATIVES DE [Localité 5])

C/

[J]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 28 Février 2020

RG : 18/2689

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRET DU 05 Juillet 2023

APPELANTE :

ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DES ACTIVITES SOCIO EDUCATIVES DE [Localité 5] – APASEV

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Bruno DEGUERRY de la SELARL DEGUERRY, PERRIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[R] [J]

né le 18 Décembre 1958 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Agnès BOUQUIN, avocat au barreau de LYON

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Mai 2023

Présidée par Nathalie ROCCI, conseiller et Anne BRUNNER, conseiller, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Joëlle DOAT, présidente

– Nathalie ROCCI, conseiller

– Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 05 Juillet 2023 par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat à durée indéterminée, l’association ‘Oeuvre des colonies de vacances de [Localité 5]’ a engagé M. [R] [J] en qualité d’animateur à compter du 1er août 1982.

L’association pour la promotion des activités socio-éducatives de [Localité 5], ci-après dénommée l’APASEV vient aux droits de l’association ‘Oeuvre des colonies de vacances de [Localité 5]’.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale de l’animation.

Par courrier du 30 juillet 1997, M. [J] a été informé qu’il était nouvellement affecté sur un poste administratif APASEV à compter du 1er septembre 1997.

Par courrier daté du 20 octobre 2015 et reçu en main propre le 15 décembre 2015, l’APASEV a informé M. [J] qu’il était réaffecté sur des missions de chargé de publication, rattaché au secteur administratif de l’association. Il lui était demandé de prendre acte de ce changement de missions et de les mettre en oeuvre dés le 26 octobre 2015.

Par courrier du 15 décembre 2015, M. [J] prenait acte de cette réaffectation et demandait une formation Internet et de mise en forme de blogs informatiques.

M. [J] était placé en arrêt maladie à une date non précisée et faisait l’objet :

– d’une visite de reprise le 17 décembre 2015 aux termes de laquelle il était déclaré apte avec la précision suivante: ‘ éviter l’exposition à un stress excessif’;

– d’une visite de reprise le 24 octobre 2016 aux termes de laquelle il était déclaré apte avec la mention suivante: ‘Apte à un essai de reprise, en évitant toujours l’exposition à un stress excessif’;

– d’un avis médical d’inaptitude au poste actuel et à tous les postes de l’entreprise, le 11 avril 2017.

Par courrier du 18 octobre 2016 adressé à la présidente de l’APASEV, M. [J] a mis en cause la directrice de l’association pour des faits de harcèlement moral.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 avril 2017, l’APASEV a convoqué M. [J] le 21 avril 2017 à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement .

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 avril 2017, l’APASEV a notifié à M. [J] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

« Nous faisons suite à l’entretien préalable à licenciement qui s’est tenu le 21 avril dernier et auquel vous vous êtes accompagné de Madame [W] [K], Déléguée du Personnel.

Au cours de celui-ci, nous vous avons fait part des raisons pour lesquelles nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave et que nous reprenons ci-après.

Malheureusement, et depuis plusieurs années, votre comportement est contraire à ce que nous sommes en droit d’attendre de nos salariés.

En effet, vous persistez à vous inscrire dans une attitude fautive refusant de respecter les directives de votre hiérarchie, vos obligations contractuelles malgré les nombreux rappels à l’ordre qui vous ont été adressés.

Ainsi, nous vous avons, à de nombreuses reprises, indiqué que, pour le bon fonctionnement du service auquel vous êtes attaché, il est indispensable de respecter les règles de prévenance s’agissant des absences.

Pour rappel, celles-ci sont les suivantes :

– informer immédiatement votre responsable hiérarchique de votre absence ;

– justifier de celle-ci dans un délai de 48 heures par la transmission de tout document.

Or, il est évident que vous ne respectez pas ces instructions, ce qui désorganise particulièrement l’association.

Ainsi, vous ne vous êtes plus présenté à votre poste depuis le 13 mars 2017 sans justifier ces absences ; vous vous contentez de nous appeler quotidiennement pour nous aviser que vous ne serez pas présent.

Or et outre le fait qu’un tel comportement est contraire aux règles précitées et rappelées à maintes reprises, vous ne pouvez ignorer que vos absences injustifiées désorganisent le bon fonctionnement du service auquel vous êtes rattaché.

Lors de l’entretien préalable, vous avez reconnu ces faits et tenté de vous justifier en indiquant que vous ne « ‘supportiez’ » plus la Directrice actuelle, Madame [H] [G].

Ces explications ne sont pas acceptables et ce, à plusieurs titres.

Si une telle situation existait, elle ne saurait justifier en rien votre mépris des règles auxquelles vous êtes tenu.

Cette explication n’est que de pure circonstance dans la mesure où votre comportement fait l’objet de reproches pour les mêmes motifs depuis 2012 à une époque où Madame [H] [G] ne faisait pas partie de l’association.

En conséquence, non seulement votre attitude est inadmissible mais vos tentatives de justification le sont toutes autant.

À l’issue de l’entretien, vous avez d’ailleurs clairement indiqué ne pas entendre revenir à votre poste de travail confirmant ainsi votre venue impromptue à l’association le 14 avril dernier pour récupérer « ‘une plante’ » dans votre bureau.

Dès lors, devant la persistance de votre refus de vous soumettre aux directives prescrites par votre hiérarchie, malgré la notification de plusieurs rappels à l’ordre visant à vous rappeler à vos obligations et une volonté clairement affichée de ne pas changer votre attitude, nous ne pouvons plus vous maintenir parmi nos effectifs et nous vous notifions votre licenciement pour faute grave.

Votre licenciement sera donc effectif dès la première présentation de cette lettre, sans préavis ni indemnité de rupture. ‘ »

Le 11 septembre 2018, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de voir juger que son licenciement est nul pour être intervenu après qu’il ait dénoncé des faits de harcèlement commis par Mme [G], directrice de l’APASEV et en raison de son état de santé.

M. [J] sollicitait la condamnation de l’APASEV à lui payer, à titre principal pour licenciement nul et à titre subsidiaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les sommes suivantes :

* 71 313, 00 euros de dommages-intérêts au titre du licenciement

* 23 176,73 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

* 10 696,95 euros à titre d’indemnité de préavis

* 1 069, 69 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférents

et en tout état de cause:

* 5 000 euros de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté

* 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 28 février 2020, le conseil de prud’hommes a :

– Dit et Jugé que M. [R] [J] a fait l’objet d’un harcèlement moral de la part de l’Association pour la Promotion des Activités Socio-Éducatives de [Localité 5],

– Dit et Jugé que le licenciement de M.[J] est nul,

– Condamné l’Association pour la Promotion des Activités Socio-Éducatives de [Localité 5] à payer à M. [J] les sommes suivantes :

* 7 131, 30 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

* 713,13 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente,

* 23 176,73 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– Dit que ces sommes sont exécutoires à titre provisoire dans la limite de neuf mois de salaire, la moyenne des trois derniers mois de salaire étant fixée à 2 740,86 euros

* 3 000, 00 euros à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 71 313, 00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

* 1 500, 00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Débouté M. [J] de ses autres et plus amples demandes,

– Condamné l’Association pour la Promotion des Activités Socio-Éducatives de [Localité 5] à rembourser à Pôle Emploi l’équivalent de six mois d’indemnités de chômage,

– Débouté l’Association pour la Promotion des Activités Socio-Éducatives de [Localité 5] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné l’Association pour la Promotion des Activités Socio-Éducatives de [Localité 5] aux entiers dépens de l’instance tel que prévu à l’article 695 du code de procédure civile.

La cour est saisie de l’appel interjeté le 20 mars 2020 par l’APASEV.

Par conclusions notifiées le 25 avril 2020, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, l’APASEV demande à la cour de:

– In limine litis, dire et juger que la Cour d’appel de céans est saisie de l’ensemble des chefs du jugement du Conseil de prud’hommes de Lyon du 28 février 2020 à l’encontre duquel appel a été interjeté le 20 mars 2020 ;

Par voie de conséquence,

– Rejeter le moyen selon lequel l’Association pour la Promotion des Activités Socio-Éducatives de [Localité 5] n’aurait pas interjeté appel de sa condamnation à la somme de 71 313,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

– Réformer le jugement du Conseil de prud’hommes de Lyon du 28 février 2020 en ce qu’il a déclaré nul le licenciement de M. [J] et a subséquemment condamné l’Association pour la Promotion des Activités Socio-Éducatives de [Localité 5] au paiement des sommes suivantes :

* 71 313,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

* 23 176,73 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 7 131,30 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 713,13 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

* 3 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté ;

* 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

– Dire et juger que le licenciement de M.[J] repose sur une faute grave ;

En conséquence

– Le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul, de sa demande d’indemnité de licenciement, et d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis ;

– Dire et juger que l’Association pour la Promotion des Activités Socio-Éducatives de [Localité 5] n’a pas manqué à son obligation de loyauté ;

En conséquence

– Débouter M.[J] de sa demande de ce chef ;

Reconventionnellement,

– Condamner M.[J] au paiement de la somme de 3.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Le condamner aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions notifiées le 26 novembre 2020, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, M. [J] demande à la cour de :

– Constater que l’APASEV n’a pas interjeté appel de sa condamnation à lui payer la somme de 71 313, 00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul

– Constater que la Cour n’est pas saisie de ce chef de jugement qui n’a pas été expressément critiqué dans la déclaration d’appel du 20 mars 2020

– Limiter sa saisine aux autres chefs du jugement

À titre principal :

– Confirmer le jugement rendu par le Conseil des Prud’hommes le 28 février 2020 en toutes ses dispositions.

À titre subsidiaire :

– Dire et juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement

En conséquence:

– Condamner l’APASEV à lui payer les sommes de :

* 71 313, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (soit 20 mois de salaires)

* 23 176, 73 euros à titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement

* 10 696, 95 euros à titre d’indemnité de préavis (3 mois)

* 1 069, 69 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférents.

– Condamner l’APASEV à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté.

En tout état de cause :

– Condamner l’APASEV à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 mars 2023.

MOTIFS

Sur l’étendue de l’appel

M. [J] soutient, au visa des dispositions des articles 901 et 562 du code de procédure civile, que l’APASEV a fait le choix de ne pas critiquer expressément le chef de jugement prononçant sa condamnation à payer la somme de 71 313 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, de sorte que le quantum ainsi fixé par le conseil de prud’hommes, qui est un chef de jugement autonome, n’a pas été déféré à la cour.

L’APASEV fait valoir que :

– l’article 562 du code de procédure civile pose le principe selon lequel ‘…L’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible…’

– elle a expressément interjeté appel du jugement en ce qu’il a ‘ … dit et jugé que le licenciement de Monsieur [R] [J] est nul….’ critiquant de facto les conséquences de cette nullité, lesquelles concernent les dommages-intérêts et les indemnités de rupture.

****

En l’espèce, il résulte de la déclaration d’appel que l’appel interjeté par l’association APASEV porte sur tous les chefs du jugement à l’exception de la condamnation de l’association APASEV à payer à M. [J] la somme de 71 313 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, du débouté de M. [J] de ses autres et plus amples demandes, du débouté de l’association de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Mais l’acte d’appel sollicitant expressément l’infirmation ou la réformation du jugement en ce qu’il a dit et jugé que le licenciement de M. [J] est nul, le chef du jugement emportant la condamnation de l’APASEV au paiement de dommages-intérêts au titre du licenciement nul, lequel dépend du chef critiqué, est par conséquent déféré à la cour.

– Sur le licenciement :

Il résulte des dispositions de l’article L.1231-1 du code du travail que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié; aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l’employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis.

En application de l’article L1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L1152-1 et L1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

En l’espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que l’APASEV a licencié M. [J] pour faute grave en invoquant une situation d’absence injustifiée récurrente en dépit de rappels à l’ordre et de sanctions disciplinaires régulièrement notifiées entre le 9 mai 2005 et le 20 septembre 2016.

L’APASEV invoque en dernier lieu un abandon de poste à compter du 13 mars 2017.

L’APASEV fait grief au jugement de première instance d’ avoir prononcé la nullité du licenciement de M. [J] sans statuer sur le licenciement et sans dire en quoi les motifs visés à la lettre de licenciement ne seraient pas de nature à caractériser une faute grave.

M. [J] conclut à la nullité de son licenciement en invoquant :

– une situation de harcèlement moral caractérisée par :

– son affectation à un poste étranger à ses compétences mêlant des attributions de webmaster, de bureautique, de secrétariat, sans formation

– sa mise à l’écart laquelle résulte de l’absence d’outil informatique et de son installation sur les postes de l’accueil dont les codes ne lui ont jamais été transmis

– les conséquences sur son état de santé.

– le caractère discriminatoire de son licenciement.

1°) Sur le harcèlement, l’APASEV fait valoir que :

– il n’y a pas eu de brusque modification des attributions de M. [J] dés lors que si l’intéressé occupait à l’origine un poste d’animateur, il avait cessé, dés le mois de septembre 1997, d’assurer ce type de missions et était occupé à un poste administratif ;

– Mme [E], secrétaire administrative et Mme [W], comptable de l’association, ont témoigné sur les fonctions réellement exercées par M. [J] ;

– les seules tâches qui ont consisté pour M. [J], à organiser un ou plusieurs événements occasionnels, ont été ‘la semaine du goût’ et quelques forums, soit des manifestations ponctuelles correspondant à des tâches secondaires par rapport aux fonctions administratives principales qui lui ont été confiées depuis 1997 ;

– certains événements, dont ‘la semaine du goût’ n’ont pu lui être maintenus uniquement au regard de considérations organisationnelles, tenant notamment à ses fréquentes et impromptues absences injustifiées ;

– M. [J] n’apporte aucun élément contraire, alors qu’il lui appartient de rapporter la preuve de la réalité des fonctions qu’il prétendait exercer ;

– dans ces conditions, la lettre de l’employeur du 20 octobre 2015 ne pouvait être analysée comme constitutive d’une modification du contrat de travail, mais avait pour objet de confirmer au salarié les missions attachées au poste de ‘chargé de publication ‘ et l’exhaustivité de celles-ci ;

– l’affirmation selon laquelle M. [J] aurait été privé des moyens matériels, et particulièrement informatiques, lui permettant d’exercer ses fonctions, ne repose sur aucune pièce et procède du récit auto-déclaratif du salarié.

2°) sur le caractère discriminatoire du licenciement, l’APASEV expose que faute pour M. [J] de s’expliquer sur la nature de la discrimination, cet argument ne peut prospérer et que ce dernier n’a jamais justifié de son absence puisqu’aucun arrêt de travail sur les périodes querellées n’a été produit.

3°) sur la dégradation de son état de santé, M. [J] soutient que :

– son médecin traitant lui a prescrit plusieurs arrêts de travail en 2015 et au cours de l’année 2016 lesquels ont provoqué de vives réactions de la part de Mme [G] qui n’a pas hésité à remettre en cause leur sincérité ;

– le 17 octobre 2016, Mme [G] a cru pouvoir contacter directement son médecin traitant afin de lui demander de ne pas effectuer de prolongation de son arrêt de travail ;

– face à l’inertie de sa hiérarchie, il a pris l’initiative de solliciter un examen auprès du médecin du travail ;

– par avis du 11 avril 2017, il a été déclaré inapte au poste actuel et à tous les postes de l’entreprise, sans que l’employeur ne tire aucune conséquence de cette inaptitude.

L’APASEV fait valoir en réponse que :

– M. [J] a systématiquement été déclaré apte en 2015 et en 2016 sans que la situation de harcèlement moral alléguée ne soit retenue par le médecin du travail ;

– la déclaration d’inaptitude résultant de l’examen du 11 avril 2017 est intervenue à la seule initiative de M. [J] lui-même, sans que l’employeur n’en ait été informé et ce alors même que la procédure disciplinaire était engagée.

****

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Et il résulte de l’article L. 1154-1 du code du travail que lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral ; dans l’affirmative, il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

S’agissant de l’affectation de M. [J], il résulte des débats que le salarié a été engagé en qualité d’animateur avec pour responsabilités principales, la mise en place d’animations en direction de la jeunesse et la coordination des animations organisées dans les différents quartiers de la ville de [Localité 5]. Par un courrier du 30 juillet 1997, M. [J] a été informé de sa nouvelle affectation sur un poste administratif APASEV à partir du 1er septembre 1997.

Par un courrier du 20 octobre 2015 faisant référence à une réunion du 16 octobre 2015, M. [J] a été informé de sa réaffectation sur des missions de chargé de publication, rattaché au secteur administratif de l’APASEV. Il lui était demandé de ‘prendre acte de ce changement de missions et de les mettre en oeuvre dès le 26 octobre 2015′ , étant précisé que selon la fiche de poste versée aux débats, un chargé de publication a pour missions principales :

– le suivi et la mise en jour du site internet Apasev et blogs liés

– l’élaboration et la production d’outils de communication divers pour les structures, le public, les instances,

– le suivi et la mise à jour des listings adhérents, et pour missions secondaires :

– le soutien administratif auprès des différents secteurs d’activités

– assurer une revue de presse pour le plateau (Apasev/DEE).

S’il est constant qu’il appartient au salarié de prouver que les fonctions qu’il exerce réellement au cours de son contrat de travail ne correspondent plus à celles stipulées dans le contrat de travail, il résulte en l’espèce, des termes même du courrier du 20 octobre 2015 adressé par l’employeur, que ce dernier acte une modification des missions contractuelles qu’il ne peut dés lors raisonnablement venir contester. Et l’affirmation selon laquelle le courrier du 20 octobre 2015 n’aurait eu pour seul objet que de confirmer des missions anciennes pour lesquelles M. [J] n’aurait pas disposé d’une fiche de poste synthétisant les missions confiées de longue date, ne repose sur aucun élément objectif.

Or, à supposer que M. [J] ait exercé, de fait, depuis de nombreuses années, des missions de chargé de publication, et qu’il n’ait été question que de lui communiquer une fiche de poste correspondant à ses fonctions, l’APASEV ne justifie pas, dans ces conditions, la nécessité d’une lettre de réaffectation faisant expressément état d’un changement de missions et d’une mise en oeuvre à échéance précise.

En outre, si l’APASEV s’appuie sur le courrier du 30 juillet 1997 pour soutenir que M. [J] était déjà affecté à un poste administratif, l’employeur ne fournit aucun élément sur la nature de ce poste administratif, et il est constant par ailleurs que l’intéressé avait effectivement conservé des missions d’animations. En effet, M. [J] s’est vu notifier par courrier du 6 juillet 2015 son dessaisissement de la semaine du goût 2015 en raison de ses absences répétées et de son manque de rigueur, ce qui révèle, a contrario, qu’il avait conservé l’organisation de cette manifestation jusqu’à cette date. Enfin, il résulte des attestations de Mmes [E] et [W], salariées de l’association, que M. [J] avait également conservé la gestion de quelques forums dont l’APASEV admet, sans les nommer, qu’ils faisaient partie intégrante du poste d’animateur.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments, que l’APASEV a bien imposé à M. [J], à compter du 26 octobre 2015, une modification de ses missions contractuelles et non un simple changement des conditions de travail dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de direction ainsi qu’elle le soutient.

En ce qui concerne le défaut de matériel mis à la disposition du salarié et plus précisément le défaut d’outils informatiques, l’APASEV réfute un grief non démontré par le salarié, mais il lui appartient de fournir au salarié les outils nécessaires à l’accomplissement de ses missions et conformément aux dispositions de l’article 1353 du code civil, celui qui se prétend libéré de l’exécution d’une obligation doit justifier le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

S’agissant de l’état de santé de M. [J], il est constant qu’il a fait l’objet d’un avis d’inaptitude à tous postes de l’entreprise, le 11 avril 2017 après plusieurs avis d’inaptitude soulignant la nécessité d’éviter l’exposition à un stress excessif.

Il n’est au demeurant pas contesté par l’employeur, ainsi qu’il résulte du courrier adressé au salarié le 19 janvier 2017, que la directrice de l’association a pris contact avec le médecin traitant de M. [J] suite à une prolongation d’arrêt de travail refusée par la sécurité sociale. L’APASEV justifie cet appel par ‘une demande de régulation’ excluant toute remise en cause du contenu des arrêts de travail, mais n’apporte aucun élément justifiant, de la part de l’employeur, un appel informel à un médecin traitant tenu, en tout état de cause, au secret médical.

Il en résulte que le fait que le médecin du travail ait été saisi par le salarié concomitamment à sa convocation à un entretien préalable au licenciement, est inopérant et que les éléments présentés par M. [J], pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

L’APASEV, sur qui repose l’obligation de démontrer que ses décisions sont étrangères à tout harcèlement moral, et qui réfute toute modification des missions contractuelles, n’apporte aucune justification à sa décision de réaffectation de M. [J] sur un poste exclusivement administratif.

Le harcèlement moral est caractérisé et il résulte des débats qu’il est à l’origine de la dégradation de l’état de santé de M. [J] et de l’absentéisme de ce dernier depuis le 13 mars 2017, de sorte que ce grief ne peut être invoqué à l’appui du licenciement, lequel intervient au surplus quelques mois après que M. [J] eut dénoncé des faits de harcèlement commis à son préjudice.

La cour confirme par conséquent le jugement déféré en ce qu’il a jugé que M. [J] a fait l’objet d’un harcèlement moral de la part de l’APASEV et que son licenciement est nul.

– Sur les indemnités de rupture :

Le licenciement étant nul, le salarié peut prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi qu’à une indemnité de licenciement.

M. [J] demande la confirmation du jugement quant au montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement et d’élever l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 10 696,95 euros outre 1 069,69 euros de congés payés afférents, sans remettre en cause cependant, la base de calcul retenue par les premiers juges, soit une moyenne des trois derniers mois de salaire de 2 740,86 euros.

La société l’APASEV ne remet pas en cause, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles le conseil de prud’hommes a liquidé les droits de M. [J].

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu’il a condamné l’APASEV à payer à M. [J] les sommes suivantes :

* 7 131,30 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

* 713,13 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente,

* 23 176,73 euros au titre de l’indemnité de licenciement, et M. [J] est débouté de sa demande pour le surplus.

– Sur les dommages- intérêts :

Le salarié victime d’un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l’entreprise, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [J] âgé de 58 ans lors de la rupture, soit 2 740,86 euros par mois, de son ancienneté de plus de trente quatre années, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 50 000 euros.

Le jugement qui lui a alloué la somme de 71 313 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif à la nullité de son licenciement est infirmé en ce sens.

– Sur la demande au titre du manquement à l’obligation de loyauté :

L’APASEV s’oppose à la demande d’indemnisation au titre du manquement à l’obligation de loyauté au motif que M. [J] développe les mêmes arguments qu’au titre du licenciement. Or, le harcèlement moral caractérise une exécution déloyale du contrat de travail à l’origine d’un préjudice non réparé par les dommages-intérêts alloués au titre de la perte d’emploi. La demande d’indemnisation au titre du manquement à l’obligation de loyauté est fondée sur un préjudice distinct justement évalué à la somme de 3 000 euros par les premiers juges. Le jugement déféré est confirmé sur ce point.

– Sur les demandes accessoires:

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis à la charge de l’association l’APASEV les dépens de première instance et en ce qu’il a alloué à M. [J] une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’association l’APASEV, partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, sera condamnée aux dépens d’appel.

L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

CONFIRME le jugement déféré, sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués au titre du licenciement nul

STATUANT à nouveau sur ce chef

CONDAMNE l’association l’APASEV à payer à M. [J] la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul

CONDAMNE l’association l’APASEV à payer à M. [J] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,

CONDAMNE l’association l’APASEV aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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