Dépendance économique : 14 septembre 2017 Cour de cassation Pourvoi n° 16-15.309

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Dépendance économique : 14 septembre 2017 Cour de cassation Pourvoi n° 16-15.309

SOC.

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 septembre 2017

Rejet

M. FROUIN, président

Arrêt n° 2023 FS-D

Pourvois n° W 16-15.309
à F 16-15.318 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois n° W 16-15.309, X 16-15.310, Y 16-15.311, Z 16-15.312, A 16-15.313, B 16-15.314, C 16-15.315, D 16-15.316, E 16-15.317 et F 16-15.318 formés par la société Techni Desoss, société anonyme, dont le siège est […]                                                                 ,

contre les arrêts rendus le 1er mars 2016 par la cour d’appel de Metz (chambre sociale, section 2), dans les litiges l’opposant à :

1°/ la société Codéviandes, société par actions simplifiée, dont le siège est […]                            ,

2°/ la société Proservia, société à responsabilité limitée, dont le siège est […]                              ,

3°/ Mme Daniela X…, domiciliée […]                      ,

4°/ M. Maxime Y…, domicilié […]                              ,

5°/ M. Jonathan Z…, domicilié […]                        ,

6°/ Mme Céline A…, domiciliée […]                                                                  ,

7°/ Mme Zélia T…           , domiciliée […]                           ,

8°/ Mme Térèsa U…            , domiciliée […]                                 ,

9°/ M. Michael B…, domicilié […]                            ,

10°/ Mme Maria C… , domiciliée […]                          ,

11°/ M. Daniel D…, domicilié […]                           ,

12°/ M. Eric E…, domicilié […]                                   ,

défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l’appui de ses pourvois, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 27 juin 2017, où étaient présents : M. Frouin, président, Mme Depelley, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mme Geerssen, MM. Chauvet, Maron, Déglise, Mme Farthouat-Danon, M. Betoulle, Mmes Slove, Basset, M. Pietton, conseillers, Mmes Sabotier, Salomon, Duvallet, Barbé, M. Le Corre, Mmes Prache, Chamley-Coulet, M. Joly, conseillers référendaires, M. Weissmann, avocat général référendaire, Mme Becker, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Depelley, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société Techni Desoss, de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société Codéviandes, de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société Proservia, l’avis de M. Weissmann, avocat général référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la connexité, joint les pourvois n° W 16-15.309 à F 16-15.318 ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les arrêts attaqués statuant en référé (Metz, 1er mars 2016), que Mmes X…, A…, T…           , U…             et C…      , ainsi que MM. Y…, Z…, B…, D… et E… ont été embauchés par la société Proservia en qualité d’ouvriers, chargés de travaux de façonnage de viandes, et exclusivement affectés sur le site de la société Charal de […] , la société Proservia ayant passé avec celle-ci un contrat de prestations de services de transformation de viandes ; que ce contrat a été rompu et la société Charal a confié, à compter du 1er janvier 2015, ces prestations aux sociétés Techni Desoss et Codéviandes ; que la société Proservia a indiqué aux salariés que leur contrat de travail avait été transféré, sur le fondement de l’article L. 1224-1 du code du travail, auprès des sociétés prestataires ayant repris le marché ; que ces dernières leur ayant refusé l’accès au site Charal de […] , les salariés ont saisi le juge des référés du conseil de prud’hommes de Metz pour que soit constaté le transfert de plein droit de leur contrat de travail sur le fondement de l’article L. 1224-1 du code du travail aux sociétés Codéviandes et Techni Desoss et que ces dernières soient condamnées à la reprise des contrats sous astreinte ainsi qu’au versement d’une provision à valoir sur les salaires impayés jusqu’à la reprise effective des contrats de travail ;

Attendu que la société Techni Desoss fait grief aux arrêts de constater que le marché détenu par la société Proservia a été transféré au profit des sociétés Techni Desoss et Codéviandes à compter du 1er janvier 2015, de constater que les conditions d’application de l’article L. 1224-1 du code du travail sont réunies concernant chacun des salariés concernés, de constater que l’accès du site Charal de […] a été interdit aux salariés de la société Proservia en violation des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail, de constater l’existence d’un trouble manifestement illicite, d’ordonner le transfert du contrat de travail de chacun des salariés concernés sur le site de Charal […] au sein des sociétés Techni Desoss et Codéviandes, de condamner solidairement les sociétés Techni Desoss et Codéviandes à payer à chacun des salariés concernés une certaine somme à titre de provision à valoir sur le salaire impayé, de condamner les sociétés Techni Desoss et Codéviandes à une astreinte provisoire de 100 euros, de débouter la société Techni Desoss de sa demande à l’encontre de la société Proservia au titre des sommes dues à chacun des salariés pour indemnités de congés payés et de confirmer, en ce qui concerne les six salariés concernés (M. Z…, Mme U…            , M. B…, Mme C…      , M. D… et Mme T…           ), les ordonnances du 9 juillet 2015 (et celle du 3 décembre 2015 pour M. E…), alors, selon le moyen :

1°/ que le transfert d’entreprise au sens de l’article L. 1224-1 du code du travail suppose que l’entité économique autonome conserve son identité et que tel n’est pas le cas lorsque l’activité d’une société a été répartie entre deux sociétés ; qu’en faisant application de ce texte en l’espèce tout en constatant que l’activité de la société Proservia avait été répartie entre les sociétés Techni Desoss et Codéviandes, en sorte que l’entité économique n’avait pas conservé son identité, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que le transfert d’entreprise au sens de l’article L. 1224-1 du code du travail suppose que l’entité économique autonome conserve son identité ; que tel n’est pas le cas, lorsque, dans le cadre d’une modification organisationnelle ou des conditions d’exploitation, l’activité de cette entité s’est trouvée répartie entre plusieurs sociétés en situation de concurrence ; qu’en l’espèce, il résulte des propres constatations de la cour d’appel que l’activité de deuxième transformation des viandes, relevant d’abord de la société Proservia, avait été répartie, à partir du 1er janvier 2015, entre les deux sociétés concurrentes Techni Desoss et Codéviandes ; qu’ainsi, il y avait bien eu une modification organisationnelle dans l’exercice de cette activité désormais confiée à deux nouveaux prestataires en situation de concurrence, au lieu d’un seul, et que les moyens d’exploitation nécessaires à la poursuite de cette activité ont été transférés de la société Proservia aux sociétés Techni Desoss et Codéviandes ; qu’il en résultait que l’entité économique transférée n’avait pas conservé son identité ; qu’en décidant cependant que les conditions d’application de l’article L. 1224-1 du code du travail étaient réunies et en ordonnant le transfert du contrat de travail des différents salariés concernés sur le site Charal […] au sein des entreprises concurrentes Techni Desoss et Codéviandes, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l’article L. 1224-1 du code du travail ;

3°/ que la perte d’un marché au profit d’un concurrent n’entraîne l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail que lorsqu’elle s’accompagne du transfert d’une entité économique autonome entendue comme un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit des intérêts et un objectif propre ; qu’en l’espèce, la société Techni Dessos avait conclu à l’absence d’entité économique autonome poursuivant un objectif propre en faisant valoir, d’une part, que, concernant les éléments corporels et incorporels, et plus généralement les moyens d’exploitation, elle avait d’autres marchés et par conséquent des moyens en équipements et matériels qui n’étaient pas propres à ce marché ; que la société Charal ne fournissait que le lieu ainsi que les tables de découpe et râteliers pour permettre le nettoyage des machines, les formations, les outils de travail (couteaux, équipements de protection complets sous l’autorité d’un responsable hiérarchique et organisationnel sur place appartenant au personnel du sous-traitant), les fiches techniques étant quant à eux fournis par la société Techni Dessos et, d’autre part, que l’activité de désossage et de parage qui lui avait été partiellement confiée n’était nullement autonome et ne poursuivait pas un objectif propre dès lors, au contraire, elle n’avait qu’un caractère secondaire et non exclusif à l’activité de la société Bigard qui exerçait également cette activité ; que d’ailleurs, le contrat de sous-traitance conclu avec la société Techni Dessos avait pour objet l’exécution de prestations et d’élaboration de viandes et de produits carnés mentionnés dans le carnet des charges (article 1 du contrat de sous-traitance) ; que la ligne de production, qui n’avait qu’un caractère secondaire à l’activité de la société Bigard, dépendait dans son fonctionnement de la quantité de viandes à travailler, laquelle était fluctuante et impliquait par conséquent un effectif variable dont le choix appartenait au sous-traitant ; qu’en se bornant à énoncer que le groupe Bigard, auquel appartient la société Charal, développe quatre pôles d’activité, soit l’abattage des bêtes, le désossage et parage, la fabrication et le conditionnement de produits élaborés et enfin le traitement des cuirs, et que la société Proservia dans un premier temps, puis les sociétés Techni Desoss et Codéviandes dans un second temps, interviennent en sous-traitant mais uniquement dans l’activité qualifiée de deuxième transformation, correspondant au désossage et parage, sans rechercher ni préciser, comme elle y était expressément invitée, si cette tâche spécifique, au-delà de sa dénomination propre d’« activité de deuxième transformation », n’était pas totalement imbriquée dans l’ensemble du processus industriel de transformation des viandes par Charal destiné à la fabrication du produit final commercialisé, de sorte qu’elle ne constituait pas une activité autonome poursuivant un but ou objectif économique propre, la cour d’appel, qui a notamment constaté que l’activité de façonnage de la viande était déterminée en fonction de la matière première fournie, soit en fonction des arrivages, ainsi que des demandes des clients de Charal, « ce dont la société Proservia était elle-même tributaire, tout comme les sociétés Techni Desoss et Codéviandes », n’a pas caractérisé l’existence d’une entité économique autonome poursuivant un objectif propre et a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1224-1 du Code du travail ;

4°/ que la finalité de l’article L. 1224-1 du code du travail est de protéger les salariés lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, et non de protéger l’employeur qui, par ses choix de gestion, s’est placé dans une situation de dépendance économique vis-à-vis d’un unique client ; que dès lors, en justifiant l’application de ce texte par le motif selon lequel « la société Proservia n’avait qu’un seul client et qu’elle avait affecté sur le site Charal […] la totalité de son personnel, la perte du marché la laissant sans possibilité de fournir du travail à ses salariés », la cour d’appel a violé le texte susvisé par fausse application ;

5°/ que la reconnaissance d’une situation de coemploi suppose de caractériser, soit l’existence d’un lien de subordination entre le salarié et les entreprises en cause, soit l’existence entre les entreprises concernées, d’une confusion d’intérêts, d’activité et de direction ; que dès lors, en jugeant que le contrat de travail du salarié avait été transféré sans distinction « aux sociétés Techni Desoss et Codéviandes » à compter du 1er janvier 2015, ce qui revenait à qualifier ces dernières de coemployeurs de l’intéressé, sans aucunement ni vérifier laquelle de ces entreprises exerçait le pouvoir de direction et de contrôle ni caractériser entre ces sociétés concurrentes l’existence d’une confusion d’intérêts, d’activité et de direction, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail ;

6°/ que le cumul irrégulier d’emplois, prohibé et sanctionné par l’article L. 8261-1 du code du travail, est caractérisé lorsqu’un salarié cumule simultanément plusieurs emplois dont les horaires impliquent un dépassement de la durée légale de travail, notamment lorsque l’intéressé s’engage simultanément à temps plein auprès de plusieurs employeurs ; que dès lors, en ordonnant le transfert du contrat de travail du salarié sur le site Charal […] aux entreprises Techni Desoss et Codéviandes, sans rechercher si une telle décision n’était pas de nature à caractériser un cumul d’emplois prohibé, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé ;

7°/ qu’à supposer que ne soit pas surabondant le motif de l’arrêt selon lequel les repreneuses ont tenté de maintenir, mais à leurs propres conditions, la collectivité de travailleurs durablement réunie par une activité commune, constituée par les salariés de la société Proservia, la cour d’appel s’est prononcée par un motif inopérant comme étant insusceptible de justifier la réunion des conditions d’application de l’article L. 1224-1 du code du travail pour que soit ordonné le transfert des contrats de travail des intéressés sur le site Charal […] au sein de la société Techni Desoss et de la société Codéviandes et n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L. 1224-1 du code du travail ;

 


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